4 - Révélations

Là où tout bascula pour de bon : le passé inconnu me rejoignait, le présent se précipitait pour me bousculer et l'avenir me regardait venir en se moquant de moi.  Où cela me mènerait-il ?  Devais-je résister ou me laisser porter ?

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     Les deux adultes se tournent vers Noah et le regardent franchement dans les yeux.  L'homme aux cheveux grisonnant lui tend la main :

- Il me fait plaisir de te retrouver, Noah, fils d'Elros Étolias et Iris Caissy. Je me présente, je me nomme William Biron. J'occupais le poste de commissaire à Pemplinn, où je devais garder un œil sur toi et ta mère. Je servais de liaison depuis dix ans entre Iris et les Mistrals.

Noah serre la main tendue en ouvrant grand les yeux.

- Mistrals ?

- William, tu sautes des étapes !

- Tu penses qu'il y a un ordre Linda ! Dix ans à combler ! C'est long et je ne pense pas qu'on ait le temps de prendre du temps !

- Tu as raison mais on peut s'assoir au moins, lui remettre le sac des Mistrals et le message de l'ordi. Car sinon, il risque de nous prendre pour des cinglés.

- Allons dans ton bureau, acquiesce William.

      Ils quittent la cuisine et vont dans une petite pièce tout au fond de la maison. Là, autour d'un petit bureau, ils prennent place. La femme fouille dans un tiroir cadenassé et en sort un petit sac gris brillant, qui tient dans une main et le dépose sur le bureau. Noah remarque une broderie discrète sur ce dernier et y reconnaît la même que sur le manteau. Mistrals ? Ensuite, Linda prend un très petit ordinateur portable et le pose devant Noah.

- Moi aussi, je dois me présenter à nouveau, ajoute la femme et sa voix devient plus grave et le regard qu'elle pose sur le garçon semble plus intense :

- Je me nomme Linadar Vanesh Her, j'étais la plus jeune des camarades d'Elros Eeltor Hias. Depuis mon entrée chez les gardiens de Mistral, Elros a été d'abord mon instructeur, mon chef puis un exemple à suivre, un protecteur et finalement mon ami. Lors de notre introduction dans cette région, nous avions une mission de surveillance afin de vous protéger de l'arrivée des Stotelss dans cette région. Ce sont des guerriers d'une de nos colonies qui ne cherchent à s'établir en un lieu que le temps de piller les richesses des sociétés qu'ils envahissent. Nous, les Mistrals, les avons combattus maintes fois et repoussés avec succès assez souvent. Nous comprenons maintenant que le groupe de Stotelss venu ici, il y a maintenant vingt-deux ans, venait uniquement pour explorer les ressources du sous-sol de la région. Tout compte fait, c'était un petit détachement assez mal organisé. Une fois repoussé, le temps passant, la menace d'invasion ayant été amoindrie, on nous a relevés et nous n'étions plus que quelques-uns répartis un peu partout, en gardiens. C'est notre petit unité qui est resté, sous les ordres de Elros. Nous nous sommes établis proche du Grand fleuve à cause du lien entre nous et William, et d'autres compagnons d'ici. Iris et Elros ont choisi Pemplinn, plus proche des montagnes. Nous nous sommes installés graduellement dans nos vies terriennes. Lorsque...

- Terriennes ? s'étouffe Noah. Que voulez-vous dire ?

     Linda regarde William, prend une inspiration et explique tout doucement en fixant avec ardeur le jeune homme :

- Les Mistrals forment le peuple de gardiens d'une très ancienne civilisation, dont le berceau est situé bien loin d'ici. En fait, nous venons de la même galaxie que le peuple terrien, vous l'appelez la Voie Lactée. Probablement que nous avons de lointains ancêtres communs. Mais notre planète d'origine, Sterrl, est située dans un autre coin de notre galaxie, à quelques deux mille années lumières. Je n'ai jamais vu Sterrl en réalité. Je suis née, comme beaucoup de notre unité, sur une des colonies dérivées, Misstr - d'où le nom de Mistrals en langue terrienne - une petite planète semblable à la terre mais dans un système solaire doté d'une étoile jaune bien plus petite que votre soleil.

- Il y a beaucoup de colonies dérivées ? hasarde Noah en levant un sourcil, un peu perdu.

- Environ une dizaine dans notre galaxie. Et d'autres extragalactiques bien sûr.

- « Bien sûr ! » laisse tomber Noah incrédule. Et puis quoi encore ? Avez-vous simplement idée de l'absurdité de ce que vous me racontez ? s'étonne Noah en se levant brusquement et en portant les yeux aux ciel.

     Les deux adultes, très calmes et sérieux, regardent le jeune homme. Ils ne rajoutent rien. Leur silence déstabilise encore plus Noah qui n'arrive pas à croire ce que Linda, non Linadar, vient de lui raconter.

- Si je vous écoute, si je vous crois... mon père est un E.T. qui s'est installé tout bonnement sur cette bonne vieille Terre parce qu'il s'était fait ami-ami avec un commissaire terrien et tombé amoureux d'une fille de la place ?! rajoute-t-il en se promenant de long en large devant eux, en faisant de larges gestes.

- Ceci fait de moi, attendez, un demi terrien et demi - comment vous dites - mistral ? Je suis un métis nouveau genre quoi ? Je dois avoir des antennes vertes et des pouvoirs surhumains ! Et quoi encore ?

- Je sais que c'est difficile à croire mon petit, l'interrompt Biron, bien assit sur sa chaise, les bras croisés sur la poitrine, les yeux fixés dans le vague. Mais tout est vrai. Ton père était mon meilleur ami. Il m'a sauvé des griffes des Stotelss.

- Vous aussi vous allez m'avouer être un Alien ? risque Noah, en se penchant d'un air provocateur vers l'homme.

- Non, répond-il fermement en fixant le regard de Noah, moi je suis né ici. En fait, je ne viens que de l'autre côté du pays, ce qui fait de moi un si simple terrien, ajoute-il avec un sourire en coin vers Linda. Je suis un ancien soldat de l'armée de terre du Canada.

      William fait une pause en voyant que le jeune homme est toujours incrédule, puis il rajoute, en y mettant toute sa persuasion :

- Tu dois nous croire Noah. C'est la stricte vérité que nous voulons... que nous devons te révéler.

     L'homme ancre son regard sombre dans les yeux verts du fils d'Elros. Noah soutient ce regard et s'interroge. Il a toujours ressenti de la confiance envers cet homme calme et un peu bourru. Il pousse un soupir en se rasseyant et en cessant de s'agiter. Un silence se fait. Le voyant plus réceptif, Biron poursuit en se penchant légèrement vers lui :

- À l'époque, il y avait le barrage de Rouan qui se construisait plus à l'est, en haut du fleuve, de l'autre côté des montagnes, entre Pemplinn et Rotts. Les foreurs y avaient trouvé des gisements de technétium, un élément radioactif de faible masse, très recherché il y a vingt ans - c'était avant la plaque solaire renforcée. Les dirigeants en profitaient donc pour extraire l'élément convoité et l'entreposer sécuritairement. Mais on réalisa vite que la précieuse substance se faisait voler au fur et à mesure. On installa des mesures dissuasives mais les vols continuèrent et furent effectués de plus en plus violemment. Il y eut des morts et des blessés suite aux actes de vandalisme sur les forages. Mon contingent devait surveiller les environs. Un matin, sont arrivés Elros et un petit groupe d'une dizaine "d'ingénieurs" qui se joignirent à nous pour protéger le barrage, les gisements et la population environnante. L'extraction se déroula ensuite sans heurt pendant quasiment six mois, le barrage avançait et l'extraction du technétium aussi. Les quantités étaient faramineuses ! Malgré notre surveillance, les voleurs, qui n'étaient autre que les Stotelss, sont revenus un soir, bien armés ! Ils ont attaqué. Sans hésiter, ils ont placé des explosifs proches du barrage. Heureusement, nous avons presque réussi à tout désamorcer. Les Stotelss n'étaient qu'une vingtaine, mais les armes ! Je n'avais jamais vu ça. Mon unité a été quasiment décimée et ce fut un massacre parmi les civils. Une chance qu'Elros et ses Mistrals étaient avec nous. Ils ont alors utilisé des armes, inédites pour des ingénieurs, qui nous ont sauvées. Ils les ont mis en déroute ! Les attaquants se sont repliés vers la Montagne Bleue avec des otages. Les Mistrals, accompagnés du reste de mon contingent, ont décidé de les suivre et de les libérer.

     Biron fait une pause, son regard s'est perdu dans ses souvenirs, puis, il continue son récit, Noah suspendu à ses lèvres :

- J'ai été blessé là par leurs armes, rajoute Biron en soulevant son chandail et en pointant son abdomen. Ça chauffe, ça brûle, c'est envahissant. On n'oublie jamais cette sensation.

     Noah peut voir une plaie grotesque sur le corps de Biron. Comme si la peau avait été fendue puis recousue en faisant fondre l'épiderme sur toute la longueur, du sternum à la hanche. Il repense au chien près du pont de Pemplinn, au bruit élastique de l'arme.

- Je pensais mourir, là-bas, sous les éboulements au pied de la montagne, entouré de mes confrères morts ou agonisants, rajoute l'ex-militaire d'une voix basse. Heureusement, les Mistrals ont riposté, ils ont sauvé le pauvre reste de mon unité. Les survivants Stotelss se sont repliés à bord d'une sorte de petit avion nouveau genre, dans une gerbe de lumière et un coup de tonnerre ! Nous étions quatre survivants militaires et il y a eu seulement deux otages terriens survivants. Sous la montagne, se trouvait la base Stotelss que les Gardiens ont condamnée et verrouillée. Ensuite, les Mistrals avaient reçu ordre d'effacer toutes traces et allusions à leur existence. Or, nous, les terriens, étions perçus comme des « traces » et représentions une menace pour eux. Il était hors de question que nous survivions ! Six terriens au courant d'une technologie mistrale, c'était un danger pour leur sécurité !

Levant les yeux vers Noah, l'ex militaire canadien rajoute très posément :

- Aucun des rapports terriens ne fait mention de cette attaque. Officiellement, les Stotelss ou les Mistrals n'ont jamais été aperçus, ni leurs armes. Le groupe d'ingénieurs venu dans les derniers jours n'existe pas non plus ! Tout a été promptement effacé à propos de présence alien. Officiellement, le drame du barrage de Rouan, dont on célébrera les vingt ans, avec ses quelques cent cinquante victimes, prend son origine d'un bris mécanique, de vols de technétium à coups de mitraillettes et de C4, le tout agrémenté d'avaries, conséquence d'une terrible avalanche... Ainsi que d'une quantité non négligeable de malchance. Nous devions aussi, comme témoins, disparaître ! Les Mistrals devaient se débarrasser de nous.

- Mais vous étiez innocents ! Qu'a fait mon père ?

- Elros s'y est fortement opposé, répond Linda, ainsi que nous tous de son escadron. Nous étions huit Mistrals avec lui. Pour nous, éliminer des terriens par peur de divulgation ne correspondait pas à nos valeurs. Nous avons été menacés de disgrâce, et finalement du peloton d'exécution ! Le commandant-chef était nouveau en poste et c'était un être dur, ambitieux et intransigeant, qui ne dérogeait sous aucun prétexte de la ligne de la dissimulation de notre venue sur Terre. Profitant de son éloignement de la colonie de base, son ego avait pris des proportions gigantesques, il ne voulait aucun indice de notre passage dans l'histoire terrienne, cela aurait nuit à son avancement hiérarchique. Mais au mépris de la vie ? Jamais ! Nous nous sommes ligués contre les ordres et nous nous sommes perdus volontairement dans les montagnes, ralliant une section de la base Stotelss épargnée par nos actions.

- On m'a relaté qu'Elros m'a porté, à demi-inconscient sur ses épaules, tout le long du trajet dans les montagnes. Il n'a pas faibli et ne m'a jamais abandonné, souffle William.

- Oui, nous avons protégé le groupe de terriens de notre mieux, reprend Linda. Nous nous sommes bien cachés dans la montagne. Nous avons ensuite simulé une dernière attaque des Stotelss avec une explosion dans un pan de montagne et un faux message de détresse de notre part. Nos chefs y ont cru et voyant que les Stotelss n'étaient plus dans les parages, au bout de trois mois, ils nous ont abandonnés sur Terre.

- Ils sont repartis sans vous ?

- Ils avaient cru à notre totale disparition, acquiesce Linda. En fait, nous nous cachions à tout prix. Après six mois de dissimulation dans le repaire de la montagne, nous l'avons quitté en y laissant un système de surveillance géré par Yohan et nous nous sommes camouflés dans la population. Nous devenions des terriens d'adoption. Nous nous sommes dispersés dans la région côtière dans les différentes municipalités, nous entamions une nouvelle ici, gardant un œil protecteur les uns sur les autres. Cette aventure a tissé de puissants liens entre nous.

     Noah regarde tour à tour William et Linda. Bizarrement, une fois entendue, leur histoire fait sens. Et de plus, en dedans de lui, il ressent une vague de compréhension et d'acceptation. Il pressent maintenant qu'il peut leur faire confiance.

- Attendez, j'ai pris cela pour acquis, mais... Ma mère était-elle une Mistrale ?

- Non, réponds William, elle travaillait au barrage, elle faisait partie de l'équipe médicale. Elle était un des deux otages survivants. Elle n'avait pas son pareil pour nous soigner. Avec Elros et Gabby, elle a soigné ma blessure. Je leur dois la vie.

- Qui sont les autres ? Où sont-ils ?

- De mes trois compagnons d'armes, répond Biron en jetant un regard soutenu vers Linda, il ne reste que Tomas, qui est en route pour nous rejoindre en ce moment même. Il travaille à l'usine près de chez toi. Il est remarquable avec sa force et sa tignasse rousse. Il t'a toujours surveillé du coin de l'œil.

- Je crois l'avoir déjà vu à la maison.

- Possible. Mais nos contacts se font rares et discrets malheureusement, soupire Linda.

- Le deuxième otage terrien, Richie, n'a pas survécu, il a fait une chute mortelle dans les montagnes. Trois des Mistrals sont aussi morts avant que nous quittions notre cachette, raconte William les yeux tristes.

- Il y avait huit Mistrals en tout, non ? Demande Noah en se tournant vers la femme.

- Oui, Yohan et Gabby vont nous rejoindre bientôt, ils se sont établis ensemble près de la côte ouest, plus près de la capitale. Yohan est notre technologue et Gabby, et bien... Gabby est ce qui se rapproche le plus de « médecin », on pourrait dire... Ce sont eux qui assurent nos liaisons et brouillent nos positions, autant contre les autres Mistrals que contre les Stotelss. Et il y avait Strom. Mais lui, nous l'avons perdu il y a dix ans, rajoute amèrement Linda.

- Dix ans ! Comme mon père !?

- Oui. C'est pour lui que...

- Linda tu es sûre ?

- Oui, il doit savoir.

     Les deux adultes se toisent en silence. Puis William hoche la tête et Linda poursuit, en poussant le petit sac gris vers Noah :

- J'ai gardé ceci pour te le remettre un jour. C'est ton père qui me l'a remis avant de nous quitter il y a dix ans. Ouvre-le.

      D'une main incertaine Noah prend le petit sac et l'observe. Gris argenté, lisse et uniquement marqué de la même broderie que le manteau de son père, il s'ouvre par un rabat magnétique. Noah regarde à l'intérieur et ensuite il renverse le contenu dans sa main. Quatre petits cônes, trois argentés et un noir ainsi qu'un petit médaillon hexagonal noir miroitant se retrouvent sous ses yeux ébahis. Il lève un regard interrogateur vers Linda.

- Ses quatre cônes sont les chroniques de mémoire contenant l'histoire de ta famille. Chaque famille possède ses cônes. En quittant Misstr avec ses deux fils, devenant la première gardienne de sa famille, ton aïeule, Aïsal a fondé la branche Eeltor Hias, on dit Étolias sur Terre. C'est ton ascendance. C'est pour cela qu'il y a peu de cônes. Ainsi, tu as les chroniques de la famille Eeltor Hias telles que racontées par ta grand-mère Aïsal, ton père Elros et ton oncle Strom.

- Mon oncle ? s'étonne Noah.

- Oui, Strom était le frère cadet de ton père, explique Linda. Il n'aurait pas dû être ici. Ton père ne voulait pas qu'il soit de cette mission, mais c'était sans compter sur l'obstination de Strom qui s'est engagé sans lui en parler. Une fois au barrage, impossible de faire marche arrière sans éveiller des soupçons. Tout s'est bien déroulé finalement. Après, l'attaque dont on t'a parlé, Elros a finalement été content de l'avoir près de lui avec ta mère et toi. Il n'y a qu'eux de la famille Étolias. Tu te rappelles peut-être de lui, on le surnommait Simon ici. Il ressemblait à Elros, encore plus blond et en plus jeune, et svelte. Toujours actif, infatigable, le clown du groupe.

- Il jouait de la flûte ?

- Oui, c'est vrai, sourit Linda, j'avais oublié.

- En effet, je me rappelle de lui. Il venait à la maison quand j'étais jeune. Je me rappelle qu'il jouait pour moi une mélodie... mais j'ignorais que c'était mon oncle. Je croyais que c'était un ami de mon père.

- Après six ou sept ans à vivre ici, notre petit groupe s'étaient fondée une vie quasi normale, commence William. Les Mistrals ne se différenciaient que très peu de nous, quoiqu'en disent certains (il lance un coup d'œil insistant sur Linda, qui baisse les yeux), ils ne voulaient pas susciter trop de question. Ils possèdent quand même quelques trucs particuliers, comme leur intuition et leur capacité de communication extraordinaire pour nous, rajoute-il avec une grimace vers Linda qui en sourit allègrement. Leurs mémoires mentale et physique, et naturellement leur technologie.

Voyant le regard surpris de Noah, il rajoute :

- Tu en possèdes de ces trucs-là, tu sais ! Je t'ai vu grimper une paroi rocheuse, à quatre ans, comme aucun gamin ne saurait faire. Tu observes, tu apprends et tu appliques ! Je vous envie de savoir faire cela !

- Je croyais que tout le monde pouvait ! Ma mère me demandait souvent comment je « sentais » un événement, un obstacle dans la forêt ou un examen à l'école. Elle me disait « Observe bien mes gestes et après tu feras comme moi, même mieux ! » J'ai toujours pensé qu'elle faisait ce qu'elle m'expliquait : de se fier à ce qu'on ressent pour prendre une décision ou faire un comportement nouveau ! C'est ça "l'intuition" ?

- Oui, réponds Linda, c'est une particularité de certaines lignées des Mistrals, dont celle des Eeltor Hias et des Vanesh Her, ma propre famille. Et ta mère connaissait cette particularité chez toi. Elle t'a guidé pour la développer mais, non elle ne possédait pas cette faculté.

     Un moment, Noah ressent une peine immense. Il baisse les yeux. Sa mère lui manque. Elle a tant fait pour lui toutes ces années pour l'aider à se développer et s'épanouir. Sans jamais lui avouer la vérité. Il ne lui en veut pas, il comprend qu'elle voulait le garder à l'abri de toute cette histoire. Le laisser vivre son enfance le plus naturellement possible, sans se faire remarquer ou faire mettre de côté par les autres. Mais maintenant, elle est disparue et Noah doit faire face à la réalité de son identité. Son père, son oncle et maintenant sa mère...

- Et ensuite, que s'est-il passé ? demande-t-il en fixant la blonde de son regard embué mais plus décidé que jamais.

- Donc, après une accalmie de près de six ans, continue Linda, Yohan nous a prévenu que des indices le faisait douter que les Stotelss étaient de retour mais avec une approche plus discrète. Nous avions convenu de ne pas nous divulguer et de nous terrer tous dans nos nouvelles identités. Mais Simon... Strom a décidé de mener une enquête en solo. Il s'est fait remarquer et ils l'ont attrapé. Il n'avait pas les cônes de mémoire avec lui heureusement.

- Pourquoi heureusement ?

- Car les Stotelss ignorent si nous sommes toujours ici, vivant ou non, depuis le début, poursuit William. Ils ne savent pas qui nous sommes exactement, ni combien nous sommes. Avec les cônes, en y accédant, ils auraient tout su. D'un côté, en se faisant attraper et en détournant leur attention de nous, Strom nous a tous protégés.

- C'est à moi qu'Elros les a confiés avant d'aller à la rescousse de son frère, murmure Linda. C'est un honneur de veiller sur les chroniques d'une famille. Je te les remets maintenant Noah. Le médaillon noir est le chroass, le dispositif qui fait le lien entre toi et les cônes.

- Pourquoi il y a un seul cône noir ? demande le jeune homme en tenant l'objet pas plus gros qu'un doigt devant ses yeux.

- C'est le tien Noah, répond Linda à la surprise du jeune homme. Il est de cette couleur car il est inerte. Ce sera à toi de l'activer quand tu commenceras tes chroniques. Tu es la descendance des Étolias.

- Comment je m'y prends ?

- Tu auras besoin d'un dispositif que nous n'avons pas ici malheureusement. Yohan ou Gabby l'ont sûrement avec eux. Ils t'expliqueront. Un Mistral peut aussi faire le choann, c'est un processus où la personne transmet ses mémoires volontairement au cône de mémoire. Cela demande un apprentissage que moi-même je n'ai pas complété. Le médaillon catalyse autant l'activation que le choann. Garde-les précieusement, ajoute-t-elle.

     Noah remet les cônes et le médaillon dans le petit sac et glisse le sac dans ses poches. Un court silence s'établit, durant lequel les souvenirs de Noah, aux couleurs d'enfance, s'emboîtent.

- Donc, mon père te laisse alors les cônes puis va chercher son frère ? C'était quand j'avais six ans ? C'était cette nuit-là ?

- Oui, répond William. Sache que ce fut une décision très dure pour ton père. Ce matin-là, je nous avais tous réunis au commissariat : Linda, Yohan, Gabby, Tomas, Iris, Elros et moi. Je devais les informer des développements concernant les Stotelss. Storm manquait à l'appel. Et c'est Yohan qui nous confirmé, grâce à ses fameux radars mistrals, qu'il avait peut-être été capturé. La discussion a été houleuse. Nous en venions à contrecœur à la conclusion d'attendre de voir venir. Tu étais jeune. Yohan et Gabby avaient aussi leur fils Kyle qui n'avait que huit ans et Linda venait d'ouvrir son centre jeunesse. Tomas et moi voulions intervenir mais officiellement, en utilisant la filière terrienne des enquêtes policières. Mais cela demandait plus de temps, plus de preuves. Elros ne voulait pas attendre. J'ai essayé de le dissuader de partir à la rescousse de Strom. Mais, rien à faire, il tenait à sauver son frère et il croyait également qu'il valait mieux que lui-même s'éloigne de vous, ta mère et toi. Les Stotelss ignoraient votre existence et en s'éloignant de vous, Étolias vous protégerait.

- Son choix était fait, rajoute Linda. Il a quitté le commissariat en me laissant le sac des cônes mémoriels Eeltor Hias dans les mains. Iris non plus n'a pas su l'en dissuader, il a attendu le soir et il vous a quitté. Il nous a tous quitté.

      Un silence. Noah superpose ses souvenirs d'enfants au présent récit de cette nuit qui le hante depuis dix années.

- Les Mistrals parlent-ils une autre langue ?

- Oui, en fait, nous avons plusieurs langues communes que nous utilisons entre nous. La principale est le Dviraks, nous l'appelons aussi l'Universelle. Mais, grâce au transducteur, il n'y a plus de barrière de langue, explique Linda. Au besoin Yohan pourra t'en fournir un.

- Un traducteur ? ! Super, je ne suis pas doué dans les langues ! s'exclame le jeune homme.

- Tu verras, Gabby a codé quasiment toutes les langues terrestres, dit William avec un sourire, c'est assez pratique. Cependant ce modèle ne t'en fait pas intégrer la capacité de t'exprimer dans ces langues.

- Quoi ? Ce serait possible ?

- Oui, selon Gabby, il y en a ! répond l'ex-commissaire.

Noah jette un coup d'œil à l'appareil devant lui.

- Et ça c'est quoi ?

- Un simple ordinateur portatif Noah, dit Linda avec un sourire. Il contient un message de ta mère et ...

      Noah se sent mal à l'aise, tout à coup. Il se sent fébrile et nerveux, il a des nausées. Il n'entend que très mal ce que lui dit Linda. Il voit bien qu'elle continue à lui parler mais sa voix lui parvient comme au travers d'un mur d'eau.

- Noah ! Qu'est-ce qui se passe ? Réponds-moi ! dit-elle, ayant remarqué le malaise du jeune homme.

     Puis, graduellement, elle ressent aussi un mal-être mais plus vague, moins fort que le jeune Étolias, cependant il est de plus en plus insistant. Instinctivement, elle s'accroche au bras de William qui a compris que son amie, comme Noah, a ressenti un danger.

- William, je ressens aussi, nous sommes en danger !

     Elle voit Noah qui tourne la tête vivement vers la porte du bureau, sur laquelle on cogne subitement. La porte s'ouvre et la jeune femme, Solly, s'engouffre dans le bureau en posant sur un siège le manteau, les bottes et le sac de Noah. William est déjà debout.

- Linda, William, ils arrivent ! Les Stotelss ! dit-elle vivement. Vous devez quitter ! Tomas vous attend avec le camion au carrefour, il vient de m'appeler !

Noah se lève, recouvrant son ouïe et tout son corps est parcouru d'une décharge d'énergie.

- Solly, quitte avec les filles par le côté, ordonne Linda. Prend le van, tu sais où aller, n'est-ce pas ? Voici les dossiers, rajoute-t-elle en lui confiant un clef USB dans sa main qu'elle serre chaleureusement. Et, en aucun cas, ne revient ici. On fait comme prévu !

Solly étreint Linda fortement.

- Prend soin de toi Linadar. Tu vas me manquer.

- Moi aussi, je n'oublierai pas. Nous nous reverrons bientôt.

     Solly quitte, le regard décidé, en appelant les deux fillettes. Linda se retourne vers l'ancien commissaire, l'ex-militaire. Ils demeurent un instant les yeux dans les yeux, puis William, lui prends la main et lui dit calmement :

- Quitte avec le jeune et va rejoindre Tomas, vous... il sera plus à l'abri. C'est notre priorité maintenant. Je les retiens et je vous rejoins, avec Yohan et Gabby, comme planifié, promet-il en déposant un baiser sur son front.

- Sois prudent, je t'en prie, murmure la femme en fermant les yeux sous la caresse.

     Linda prend le mini-ordinateur et quelques effets dans son tiroir et les rajoute dans un sac à dos qui attendait près de la porte du bureau. Elle enfile rapidement un manteau, un bonnet chaud et des bottes.

- Linda attrape ! interpelle William en lui tendant un objet, qui a tout d'une arme, pris dans une armoire, tout en en glissant un objet identique dans sa ceinture, soyez rapide et prudent !

Puis, se tournant vers Noah, il ajoute :

- Tu nous fais confiance ?

- Oui, je crois. Mais j'ai peur.

- Tu restes avec Linda. Elle sait où aller. Je vous retrouve bientôt.

- Commissaire, euh... William, j'aimerais...

- On se parlera plus tard, l'interrompt l'homme en enfilant aussi son manteau et en l'invitant à faire de même. De plus, je dois te montrer à te servir de ce truc-là, ajoute-il en lui tendant son sac à dos et en pointant l'arc qui en dépasse. Tu aimerais ? C'était l'arc de ton père. Fie-toi à ton instinct Petit, toujours.

      Noah opine de la tête. William le prend par l'épaule et le pousse à l'extérieur de la pièce avec un dernier regard vers Linda.

- Nous vous attendrons, souffle la femme en s'éloignant.

Noah ressent comme un maelström qui le pousse vers l'avant alors que Linda le dirige vers la sortie arrière qui donne sur la forêt au pied des montagnes.


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