07
Noah se réveilla avec l'impression d'avoir séjourné aux enfers. Un terrible mal de crâne le tenaillait et son estomac le criblait de douleur. Il en vint à se demander s'il n'arrêterait pas complètement la boisson pour partir s'exiler sur une île ou devenir prêtre aux Philippines. Puis, songeant aux alternatives qu'il semblait éclipser, il remit à plus tard ses rêves d'ermite. Il resta un moment allongé dans la pénombre avant que sa sœur ne passe la tête par l'embrasure de la porte.
- Noah t'es réveillé ? On part dans un quart d'heure.
Celui-ci se redressa d'un bon, ce qu'il regretta dans la minute. Les murs éternellement bleus de sa chambre tanguèrent, il grimaça et Maya esquissa une moue.
- et on va où..? Hasarda Noah.
Sa sœur leva les yeux au ciel.
- évidement tu as oublié. Je te rappelle qu'on est invité chez les Masquier. Et c'est prévu depuis deux mois.
Noah se frappa le front, il avait complètement oublié. Il regretta aussitôt son acte : tout ce qu'il souhaitait actuellement était rester en saucisson dans sa couverture, et peut être allumer Netflix d'ici une heure ou deux. Mais avant tout, du repos.
- aller bouge toi.
Elle claqua la porte et Noah soupira bruyamment. Il se laissa tomber avec fracas et rumina longuement avant que les cris de sa mère ne l'extirpe du lit à une vitesse ahurissante. Ni une ni deux, il était habillé et prêt à en découdre. Il se rappela alors sa vision fugitive de la nuit passée et se demanda s'il n'avait pas rêver. Et pourtant ses deux yeux qui le fixaient semblaient alors bien réels.
Maintenant qu'il avait retrouvé une once de bon sens, il reconnu la fille en question : c'était la belle Éden, en terminale ES1. Il la connaissait de vue, et il avait suffit de quelques verres pour qu'il réalise l'aura qu'elle dégageait. Il se mordit la langue, priant pour n'avoir eu aucun comportement téméraire mettant en doute sa dignité.
Nouveaux hurlements. Noah attrapa à toute vitesse son pull qui traînait sur une chaise et descendit en trombe les escaliers.
Allez manger chez les Masquier relevait du pèlerinage. Et y faire défaut serait une faute impardonnable. Sa mère et celle de son amie Ariane Masquier s'étaient rencontrés alors qu'elles étaient toutes deux à peine plus haut que trois pommes, et ne s'étaient jamais lâchées. Ainsi, l'amitié qui unissaient leurs enfants était plus que symbolique, et elles y tenaient énormément. C'est pourquoi Noah avait toujours regardé la farouche aux joues rougies d'un mauvais air : il la voyait comme une nuisance imposée par sa mère. Puis il s'assagit avec les années et était même content de ses repas. Sauf un lendemain de soirée.
Maintenant qu'il était pleinement réveillé, mais le corps soumis à ses propres limites physiques, il se mit à repenser aux événements de la veille.
Il entra dans la cuisine, se servit un verre de jus d'orange alors qu'autour de lui tous s'affairaient, sous le regard renfrogné de madame Delrio.
Il se souvenait maintenant de sa discussion avec Alyssa, le Get, Matteo. Il étouffa alors un hoquet de surprise et manqua de rendre la totalité de son verre. Il resta un moment hébété, en proie à un dilemme cornélien. Certes Matteo avait avoué ressentir quelques inclinaisons pour son ancienne conquête, mais il y avait pire. Il avait avoué avoir quelques inclinaisons pour l'actuelle petite amie de son autre meilleur ami.
Il jeta un regard désespéré à Maya qui fronça les sourcils avant de tourner les talons, exaspérée par l'inaction de son frère. Celui-ci passait trop de temps à faire la fête à son goût et n'avait clairement pas acquis en maturité.
Un cri de monsieur Delrio ameuta les deux adolescents et ils se dirigèrent vers la voiture. Maya conduit, ayant brillamment réussi son permis le mois dernier, et terminait en fanfare sa conduite accompagnée. Noah quand à lui s'embrouillait avec le code et marmonnait qu'il prendrait les transports en commun, s'insurgeant d'être le seul à se soucier un tant soi peu du climat.
Les Masquier vivaient en pleine campagne, entourés de champs s'étalant à perte de vue. C'était une bâtisse de pierres claires, surmonté de lierre et aux volets bleus, rappelant la Grèce et l'Italie, deux pays dont les parents Masquier étaient fou amoureux.
Sous la pergola en fer forgé attendait Eliot, ses cheveux jais ébouriffés et témoin d'un réveil précoce. De deux ans sa cadette, Ariane apparu dans l'embrasure de la porte. Chacun se salua chaleureusement, bien qu'on remarqua une certaine retenue entre Maya et Ariane. Les deux filles restaient aux bases de la politesse mais ne se trouvaient aucun atome crochu. C'était peut être pour cela que Noah s'entendait si bien avec l'unique fille Masquier.
Finalement, les deux plus jeunes, Priam et Léandre arrivèrent en traînant des pieds, leur chevelure blonde détonnant face à celle de leurs aînés. Les deux garçons étaient le fruit d'un remariage d'Adèle Masquier, et son nouveau compagnon avait changé de nom de famille afin que les enfants portent tous le même.
On pouvait qualifier la décoration intérieure de "traditionnelle", mais Noah n'était pas du genre à s'attarder sur la deco. Il sourit à Ariane, tentant de rester digne, sous le regard suspicieux de sa mère.
De ses grands yeux, la jeune fille saisit rapidement le manège et étouffa un éclat de rire derrière ses mains de pianiste.
En attendant le repas, les enfants étaient invités-voire incités- à se rendre dans les étages, afin de laisser quelques minutes de répit aux adultes.
Ayant grandi avec trois frères, Ariane s'était recroquevillée sur elle même, endossant le rôle de la tête froide et raisonnée de la fratrie. Les plus jeunes, âgés de 10 et 12 ans, se permettaient la moindre impasse. La seule et plus grande victoire d'Ariane avait été d'obtenir la chambre au dernier étage, lui octroyant également la tranquillité. Maya et Eliot s'éclipsèrent assez rapidement et il ne fut plus jamais question d'eux deux. Priam et Léandre, réalisant qu'il ne restaient plus que Noah et Ariane, se jetèrent sur le garçon et réclamèrent des jeux à corps et à cris. Celui-ci lança un regard effrayé à la brune, qui dissuada les deux jeunes de rester en leur compagnie.
Assis sur le lit une place de la chambre d'Ariane, Noah détaillait du regard cette pièce qu'il connaissait par cœur. Les mêmes cadres étaient accrochés depuis plus de dix ans, lui donnant un aspect assez vieillot. Ariane, face à cet examen, ne savait où se mettre. Elle se laissa finalement tomber sur une chaise et lança d'un air désintéressé :
- Artemis n'est plus avec Clémence.
Elle ne dissimulait que très mal le ton enjoué de sa voix. Noah ne répondît rien et se contenta de la regarder longuement, descendant le long de l'arrête de son petit nez rond.
Bien que leur relation ne datait pas d'hier, il ne pouvait néanmoins affirmer avoir toujours apprécié la brune. En effet, jusqu'à l'été dernier, il ne lui apportait qu'un intérêt désinvolte et ne se souciait réellement de son état qu'à l'approche de contrôle de mathématiques ou de dissertation en espagnol. Puis la première les avait séparée, Ariane ayant opté pour la voie économique. D'une pierre deux coups, Noah avait pu prendre du recul sur la situation et découvrir d'autres interêts à l'intellectuelle.
C'était donc l'été de leurs dix-sept ans que la grande mère d'Ariane proposa au jeune garçon de l'héberger une semaine avec elles, pour qu'il puisse profiter d'Ariane et du grand air.
Ce dernier avait accepté plus par obligation que réelle passion pour les bovins ou demoiselles à tresses, mais ce nouveau tour d'horizon avait remis en cause ses perspectives.
Il avait découvert chez Ariane une force de caractère détonnante et un humour fin. Il gardait au creux de sa tête les souvenirs de leurs longues nuits à la belle étoile à discuter de tout et de rien.
En découvrant Ariane, il n'avait fait que la moitié du chemin. Il découvrit aussi Artemis, et le schéma se compléta.
Ariane aimait. Un amour passionnel, violent, presque dévastateur. Elle vivait à travers les paroles, actes, respirations du bel Artemis. Il était sa raison de se lever le matin, afin de pouvoir l'apercevoir ne serait-ce dix minutes dans la journée.
Elle en parla d'abord timidement, évoquant son nom de façon hasardeuse lorsque le sujet s'y prêtait puis ne tenant plus, elle avait avoué, mis son âme à nue.
Elle aimait tout chez lui. Son regard, grisonnant, ses fines lèvres translucides, sa peau diaphane, ses cheveux presque blancs. Elle aimait son sourcil arqué, les coins de ses lèvres qui se retroussaient quand il riait.
Noah accueillit la nouvelle comme une mauvaise note : par obligation. Il n'aimait ni ses grands airs ni ses façons de champion, mais face à Ariane et les étoiles parsemant ses iris pâles, il ne dit rien.
- Artemis n'est plus avec Clémence.
Il hocha calmement la tête.
- ca veut dire que la fenêtre est ouverte pour toi.
Ariane rougit violemment.
- ne dit pas de bêtise. Il ne passera pas à autre chose du jour au lendemain.
Ariane vivait l'amour des romans. Le passionné, celui qui laisse des séquelles. L'amour parfait de la télévision. Elle agaçait Noah lorsqu'elle philosophait sur Artemis et cet amour impossible. L'amour n'était pas aussi parfait que dans les romans. L'amour est vide.
Les deux anges blonds débarquèrent dans la chambre en trombe, provoquant les cris agacés d'Ariane. Tandis que Léandre martelait les touches du piano, Priam annonça qu'il était temps de passer à table. Ariane soupira et tous s'engouffrèrent dans les escaliers, l'odeur du repas montant titiller leurs naseaux.
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