Chapitre 1

Chanson : "Hard to sleep" by Gracie Abrams








Mai 757

Il avait fallu des années à Changmin pour avoir son propre "chez lui".

Le temps d'avoir les moyens financiers, bien sûr, mais peut-être surtout, d'accepter que sa vie n'allait pas s'effondrer à son réveil, comme il l'avait si longtemps imaginé, chaque nuit en sombrant dans un sommeil agité.

Comme beaucoup d'acteurs, il avait connu les galères, les désillusions, les problèmes d'addiction et l'obsession destructrice pour la gloire. Comme tous les hommes de sa famille ou presque, il avait été une déception pour sa mère et ses sœurs, au même niveau que son bon à rien de père, son taulard d'oncle ou son aîné, pathétique petit voyou brutal. Pourtant, c'était le seul qui avait été renié. Même son petit frère, encore gamin à l'époque, ne voulait rien avoir à faire avec lui.

Et pendant des années, en courant de figuration en figuration, d'un bout de canapé miteux à un matelas dans un squat, tout en noyant chaque déception dans des pilules flashy, seules touches de couleurs dans sa sombre existence, il leur avait donné raison.

Il s'était détruit, humilié, haï.

Mais comme il n'avait jamais oublié son rêve, sa passion, il avait survécu. Et passant de petites apparitions dans des sitcoms, à des personnages secondaires dans des séries, il avait fini sur le plateau de "Human".

Plus qu'un vrai emploi, un rôle récurrent de plusieurs saisons, dans une très appréciée série et une rentrée d'argent stable, il y avait trouvé de véritables amis. Une famille. Des gens qui s'étaient doucement fait une place dans sa vie et son cœur.

Bien sûr, il restait le plus distant du groupe, de nombreuses barrières encore érigées autour de lui et sa nature solitaire n'avait pas disparu, mais depuis "Human", il n'était plus seul au monde.

Cependant, tout ça n'avait pas suffi à ce qu'il se défasse de son habitude de dormir à droite et à gauche, remplaçant les matelas miteux par ceux d'hôtels de plus en plus luxueux. Ça n'avait pas immédiatement effacé la certitude que tout ce qu'il avait construit s'effondrerait un jour.

C'est pour ça que ce n'était qu'aujourd'hui, à trente-huit ans, que Shim Changmin, casting principal de la série Maniac, avait rendez-vous avec un agent immobilier.

Mercy, sa chienne, n'avait pas apprécié d'être privée de sa promenade sur la plage, ce qu'elle lui faisait clairement comprendre en boudant, ce qui n'arrangeait en rien son humeur. Il avait somnolé deux heures à l'arrière de la voiture d'une de ses co-stars et n'avait même pas eu le temps de boire un café, s'étant même rafraîchi et changé dans les toilettes d'une station-service. En tournage pour son premier film, il n'avait eu le droit qu'à une journée pour chercher un logement et les dernières scènes de la veille s'étant éternisé jusqu'à l'aube, il était en retard.

En gros, absolument pas en état de se montrer sociable.

- Tu as vraiment une sale tête ! s'exclama Soyeon.

La blonde avait joué sa petite sœur dans Human et il était fier de la jeune femme et de l'actrice qu'elle était devenue, même si elle adorait le taquiner. Installée sur le siège passager, les jambes sur le tableau de bord, elle fredonnait la fenêtre ouverte, l'air marin et matinal s'engouffrant dans l'habitacle.

Un petit rire répondit à la pique de l'actrice.

- Est-ce que tu viens rencontrer ton agent immobilier ou éliminer une cible ? s'amusa le conducteur.

Han Bin, le meilleur ami -ou petit ami, Changmin ne savait jamais vraiment- de la petite peste blonde, accessoirement l'homme avec qui il partageait l'affiche du film qui l'épuisait tant en ce moment, lui souriait dans le rétroviseur. Il l'ignora, grognant des mots incompréhensibles, tentant à nouveau d'avoir un peu d'affection de Mercy, son angoisse grandissant à l'approche du point de rendez-vous. Sentant cela, la chienne oublia son caprice, délaissant l'air extérieur et la vision attirante du sable et des vagues, pour monter sur les genoux de son maître, son museau frais contre sa joue fiévreuse.

Ce n'était pas de rencontrer du monde qui stressait le brun, ni même l'épuisement et le manque de café, bien que ça n'arrangeait rien, mais le fait qu'il se sentait complètement perdu. Lui qui aimait tout contrôler, qui n'aimait pas être dépassé par les choses, se sentait un peu stupide et maladroit. Pour lui, louer un bien était facile et rapide, comme choisir un paquet de riz parmi d'autres paquets identiques au supermarché. Mais le regard que lui avait lancé Hwasa, sa styliste sur Maniac, reflétant celui de son agent, nounou, pire cauchemar, meilleur cadeau du ciel, maman de substitution et bien d'autres, Hae Sook, il avait rapidement compris qu'il se trompait.

- Tu dois t'y sentir chez toi ! avait presque crié Hwasa, sa petite amie, Wheein, ne cherchant, pour une fois, pas à la faire baisser d'un ton.

S'il signait un contrat et payait le loyer chaque mois, c'était pourtant bien à lui, non ?

Changmin ne saisissait pas ce que toutes ces femmes incroyables mais épuisantes, essayaient de lui dire.

- Irene, tu as besoin d'Irene, avait déclaré dans un soupir dramatique et hochement de tête tout aussi théâtral, Hae Sook.

Et comme la femme de soixante-sept ans était la seule personne à qui il pouvait, ou plutôt, voulait, rarement tenir tête, il s'était laissé faire, acceptant de rencontrer cette Irene, célèbre parmi les gens riches d'Euphoria, ville qu'il avait choisie pour sa faune et sa flore et non, justement, pour cette partie "strass et paillettes" à laquelle l'agent immobilier semblait être habituée.

Et s'ils n'arrivaient pas à se comprendre ? Lui qui voulait juste... juste un toit sur la tête et des murs avec. S'il se montrait horrible et froid, au point que cette Irene en veuille à Hae Sook de les avoir présentés ?

- Tu es trop sexy pour être détesté, lâcha soudain Han bin en ralentissant, entrant dans une zone magnifique, avec peu, mais d'immenses demeures.
- Pas vraiment, intervint Soyeon. Regarde-moi, j'adore haïr les mecs sexy.
- Pourtant, tu m'aimes, sourit le conducteur en pinçant sa cuisse.
- Énorme indice sur ce que je pense de ton physique ! contra la blonde.

Comme toujours, Changmin les ignora, les yeux rivés vers l'immense portail, d'une impressionnante demeure, devant laquelle était garée un coupé sport, bordeaux.

Si elle veut me faire vivre dans un tel quartier, alors on ne va forcément pas s'entendre.

- J'ai l'impression d'être une star ! hurla Yamashita, dans l'oreille de Jin.

Taeyang, sourcils froncés, les yeux fixés vers l'eau fumante qui clapotait et débordait à cause des mouvements de leur bruyant ami, secoua la tête d'un air désapprobateur.

- Nous ne sommes pas dans une piscine, intervint-il.

Son nez se plissa et il prit son air supérieur, presque hautain, qui agaçait tellement de monde. Jin trouva ça drôle et il sourit, oubliant momentanément ses problèmes et qu'il n'était pas à l'aise, en sous-vêtements, son corps mal proportionné, entre les deux si séduisant de Yamapi et Taeyang. Il était le seul qui n'avait pas grandi correctement, encore coincé dans un corps relié à trop de douloureux souvenirs.

- Oh, déstresse un peu ! s'esclaffa Pi en poussant Taeyang dans le dos, le faisant presque trébucher.

Alors qu'ils s'apprêtaient à répartir dans une énième dispute puérile, Jin essaya de les calmer.

- Nous ne sommes pas chez nous, souffla-t-il.

Taeyang ouvrit la bouche, décidé à ignorer sa tentative pour calmer les choses, mais Yamapi plongea.

- Gamin ! grogna le brun en claquant l'eau de la paume de la main.

Jin baissa les yeux, découvrant que le haut du crâne et les yeux de Pi dépassaient et qu'il les observait comme une sorte de prédateur. Tentant de tournoyer autour d'eux dans l'imposant tonneau en bois, s'imaginant sans doute en terrifiant requin. À sa grande surprise, Taeyang finit par exploser de rire et il se demanda brièvement pourquoi ça l'étonnait encore. Il finissait toujours par rire avec Pi. Ou au moins, de lui.

Quand le dangereux prédateur des mers remonta à la surface, il souffla de la mousse au visage de Jin, qui surpris, s'en prit dans les yeux, un nuage accroché à son cil, suffisant pour le faire pleurer.

- Tu es un putain de gamin ! grogna Taeyang, reprenant son air sérieux et réprobateur, tout en saisissant une serviette, essuyant délicatement le visage de son ami.

Yamapi rit simplement.

- Je doute qu'un gamin puisse vous offrir ça !

Tout heureux, il agita une bouteille violette et or. De l'alcool d'ubi, plante capricieuse du sud du pays. Les yeux de Taeyang pétillèrent immédiatement, sans doute plus que le liquide.

- Les gars, c'est une idée stupide, tenta de les raisonner Jin, ses cheveux mi-longs bleus, ramenés vers l'arrière.

Évidemment, ils l'ignorèrent. L'un tint la bouteille et l'autre tira sur le bouchon, la scène peu élégante, frisant le ridicule à certains moments. Puis pop, le liège frôla la joue de Jin et de l'alcool coloré lui gicla à la figure. Les deux autres pouffèrent, Pi scandant le mot "faciale" et Taeyang se plaignant du gâchis. Le bleuté leur souhaita de se noyer, marmonnant en clignant des yeux, mais ils étaient trop occupés à se battre pour la bouteille. Jin le savait, ce n'était pas tant pour l'alcool que pour passer avant l'autre. Pour avoir le dessus sur lui, en toute circonstance.

De vrais gamins, songea-t-il en plongeant pour se nettoyer le visage.

Ouvert aux possibilités.

C'est ce que scandait Changmin, depuis le début, hochant la tête, sans dire grand-chose de plus, approuvant à chaque visite, suivant la séduisante tornade brune, de maison en maison. Mais apparemment, ça n'allait pas suffire aujourd'hui.

Bien que l'une lui rappelait la glace, alors que l'autre était un véritable incendie, Irene lui faisait penser à Hwasa. Elle ne lâchait rien, marchait la tête haute, intimidait les gens autour, en se montrant pourtant toujours polie et patiente et surtout, les deux lui faisaient comprendre, seulement avec leurs yeux sombres et perçants, qu'elles ne se laissaient pas berner par ce qu'il pouvait dire et voulaient plus de ce qu'il taisait.

Non, "ouvert aux possibilités", ne va définitivement pas suffire, songea-t-il.

Lui tendant l'immense gobelet qu'elle venait d'acheter à une petite roulotte, installée devant l'une des statues du parc animé, situé en face de la dernière demeure visitée, Irene le fixait à nouveau droit dans les yeux, son calepin et stylo dans une main et son smoothie jaune orangé dans l'autre. Elle était en forme, contrairement à lui, qui sentait la migraine pointer et ne rêvait que d'une bonne douche et d'une journée entière de sommeil et elle en semblait parfaitement consciente, décidée à profiter de son état de faiblesse. Changmin lutta pour ne pas se braquer, se montrer cassant et disparaître. Il savait qu'elle voulait l'aider à trouver un logement, pas envahir sa vie privée et découvrir tous ses secrets, mais c'était difficile pour lui, de s'ouvrir, même d'une manière superficielle. Voilà pourquoi les interviews étaient encore difficiles parfois. Il réalisa d'ailleurs pourquoi tout était si compliqué pour ces visites, pourquoi Hwasa et Hae Sook lui avaient jeté un tel regard ; pour trouver un réel chez lui, pas une simple chambre où s'effondrer quand il avait un peu de temps, mais un endroit où se réfugier, se ressourcer, il allait devoir parler de lui. Irene voulait savoir comment il vivait, ce qu'il voulait et ne voulait surtout pas, des choses qu'il n'avait pas l'habitude de partager.

S'éloigner du parc trop bruyant à son goût pour se rapprocher de la plage et surtout, le triple shot de café, l'aida à y voir un peu plus clair, la brume épaisse qui semblait figer ses pensées, s'allégeant assez pour qu'il puisse réfléchir. Observant Mercy courir joyeusement sur le sable, s'arrêtant parfois pour s'assurer que son papa la suivait bien, il songea à ce qui les rendrait tous les deux heureux, s'autorisant, pour la première fois, à imaginer un chez lui paisible. Un lieu avec de vraies couleurs, plus vives et euphorisantes que toutes celles synthétiques qui avaient trop longtemps polluées sa vie et son esprit, chuchotant qu'elles étaient encore là, qu'elles attendaient qu'il chute, qu'il se retrouve à nouveau plus bas que terre, pour l'enchaîner au désespoir, dans un salut illusoire.

Pas cette fois, pensa-t-il, déterminé, alors qu'il répondait enfin aux questions d'Irene. Celles qu'elle posait pour la énième fois, sans la moindre trace d'agacement ou d'impatience. Et quand son calepin au papier épais et précieux, rempli de notes et d'idées, elle se saisit de son téléphone pour prendre de nouveaux rendez-vous, Changmin en profita pour retirer ses chaussures et chaussettes, rejoignant Mercy qui avait les pattes dans l'eau, accueilli par ses jappements joyeux, qui le firent sourire.

Bientôt, ils auraient le foyer qu'ils méritaient.

Fin juin 757

Taeyang fredonnait un générique télé, une bouteille d'alcool de Shiré en main, fouillant distraitement dans son sac. Jin dormait chez lui, encore, parce que Taeyang n'aimait pas être seul, bien que les autres l'agaçaient rapidement. Le plus jeune, qui avait troqué le bleu pour un vert foncé, passa une main dans ses cheveux lâchés, observant son hôte avec son habituelle fascination. Il répondait toujours présent lorsque Taeyang l'appelait. Pi et ce dernier étaient les premiers véritables amis de sa vie adulte et il les chérissait plus que tout. Plus que la musique et bien plus que sa propre existence.

Il ne s'imaginait plus vivre sans eux.

Comment ? Pourquoi ?

Déjà pas mal éméché, il bégaya lorsque Taeyang trouva enfin ce qu'il cherchait dans son sac en plastique vert, caché sous le canapé. Un petit sachet où une poudre argentée scintillait.

- Tadaaa ! sourit le châtain, satisfait.
- Qu'est-ce...c'est ?

La voix pâteuse, la tête lourde, Jin avait du mal à s'exprimer clairement. L'alcool de Shiré était fort et il n'était pas connu pour sa tolérance.

- On a besoin de se détendre pour ce qui nous attend, Nini, rétorqua le plus âgé.

Ses yeux écarquillés, rouges, avaient quelque chose d'effrayant pour son ami, qui frissonna, ses doigts glissant un peu le long de sa bouteille. L'expérience de la drogue, Jin l'avait faite, lorsqu'il était à la rue et comme tout ce qui touchait à cette époque, c'était un mauvais souvenir. L'angoisse l'envahissant rapidement, il secoua la tête, affolé.

- Sol, c'est....

Taeyang lui coupa la parole, sa main bouillante se posant sur son avant-bras nu.

- C'est pour se faire du bien, Nini, avec ça, tu n'as plus peur de rien.

Sa voix, son regard et sa chaleur avaient un effet hypnotisant sur le plus jeune, ses mots résonnant dans son esprit.

- Plus peur ? répéta-t-il, l'espoir palpable dans sa voix.
- Plus du tout, assura le brun. Tu oublies et tu oses tout.

Se penchant un peu, il ajouta :

- Et ça réchauffe tellement...

Saisissant une assiette, il se laissa glisser au sol, face à la table basse encombrée, y versant la poudre argentée, puis une seconde encore plus fine, que Jin n'avait pas vue, bleu clair. Il inspira et le blanc translucide de la paille dans sa narine, laissa place au mélange coloré, puis se vida en une seconde, avant qu'il ne se penche en arrière, le dos contre le bas du canapé.

Jin ne disait rien, cherchant à noyer sa crainte et le passé dans l'alcool amer.

Changmin avait enfin une journée de libre et tout ce qu'il voulait, c'était dormir, dormir et dormir. Enfoui sous la couette de la chambre d'ami que Han Sook mettait toujours à sa disposition, il sentit Mercy se faufiler et il leva le bras, la laissant se caler contre son torse, geste qui fut récompensé par une léchouille sur la joue.

- Qui veux-tu voir à ta pendaison de crémaillère ? cria la maman poule démoniaque qui l'hébergeait.

L'acteur soupira, se demandant pourquoi il fallait penser à ça, si longtemps à l'avance. Irene avait trouvé la maison idéale, neuve, à peine finie, mais elle avait prévu des aménagements pour coller au mieux à ses désirs, il en avait donc encore pour plusieurs mois avant d'emménager et du coup, de fêter ça, selon cette étrange coutume qu'il ne comprenait pas.

C'était bien évidemment sa manager qui avait décidé qu'il fallait célébrer et comme souvent, n'ayant aucune envie de lutter avec elle, il lui avait confié ses finances et donné carte blanche pour l'organisation. Pourquoi donc devait-il, encore s'en soucier, alors ?

- Il faut bien que j'invite des gens que tu as envie de voir, trancha-t-elle, habituée à son attitude. Et personne que tu as baisé dans un coin, en appelant ça, une "relation ratée".

Il grogna, remontant la couette sur sa tête.

- Je m'en fous ! Je veux juste dormir !
- Bébé, rappelle-moi, lequel d'entre nous, a dépassé les soixante-ans ? le taquina-t-elle. Dois-je prévoir du viagra en plus de tes vitamines, histoire que même tes relations minutes dans les toilettes, ne disparaissent pas aussi de ta vie ?
- Je n'ai jamais fait ça aux toilettes ! se défendit-il, en rabaissant la couette, outré. Pas depuis des années...
- Oh oui, pardon, se moqua-t-elle. Tu es un romantique maintenant, tu es passé aux pipes sur la banquette arrière !

Changmin soupira. Il n'était pas un pro dans le domaine, mais apparemment, de "vrais" amis, se devaient de régulièrement ressortir vos vieux dossiers, histoire de ne jamais vous laisser oublier ces embarrassants moments et à ce petit jeu, Han Sook était la pire de tous.

Juillet 757

Jin était mal à l'aise et terrifié.

Il ne savait pas où regarder, dans quel coin se cacher, quoi dire lorsqu'il croisait quelqu'un et avait toujours l'impression qu'on s'apprêtait à lui demander ce qu'il faisait là. Ce à quoi il aurait sans doute répondu, "je ne sais pas."

Le plateau lui semblait gigantesque, tout le monde s'activait et Pi avait disparu.

Je savais que c'était une mauvaise idée.

Lorsque Hye Soo leur avait proposé de faire une apparition dans Maniac, il n'avait pas compris pourquoi, terrifié d'abord, puis bien qu'encore perdu, doucement contaminé par l'excitation de son ami et il s'était, comme toujours, laissé convaincre par Pi. Mais depuis, il avait l'estomac noué et dormait horriblement, mal, se demandant ce qu'un minable chanteur inconnu pouvait bien faire parmi tous ces gens talentueux, charismatiques et débordés.

- Première fois ?

Sursautant, Jin se tourna vers la jeune femme qui lui tendait une bouteille d'eau.

- Désolée, je ne voulais pas t'effrayer, sourit-elle.

Bégayant, la gorge sèche, il ne réussit pas tout de suite à lui répondre.

- Tu es perdu ? continua la jolie brune.
- Je ne sais pas, lâcha Jin. Je veux dire, non. Enfin, si ! Je...je suis désolé, je...

Il se tut abruptement, horriblement, mal à l'aise et de plus en plus angoissé.

- Je m'appelle Yong Sun, se présenta la jeune femme.
- J..Jin.
- Est-ce que tu viens voir quelqu'un ou tu es là pour bosser, Jin ? demanda calmement la brune.

Le jeune homme souffla pour essayer de se calmer, ce qui ne changea pas grand-chose à son état. Ses mains tremblant, même enfoncées dans les poches de son blouson.

- Travailler, lâche-t-il avec difficulté.

Yong Sun hocha la tête, souriant.

- Devant ou derrière la caméra ?

Après avoir répondu "devant", il ne put retenir un "hélas" qui fit rire la jeune femme.

- Figuration ou mini rôle, alors, déclara-t-elle. C'est ta première fois ?

Jin acquiesça.

- Oui, je suis...

À nouveau, il se tut, se sentant soudain indigne de se présenter en tant que chanteur.

- Ils avaient besoin d'un groupe alors...
- Oh, le témoin, c'est ça ?

Jin hocha timidement la tête.

- C'est de tourner une scène avec notre grand Voldemin qui te stresse autant ? plaisanta la brune.

Le musicien fronça les sourcils, perdu.

- Hun ?

Yong Sun rit.

- Tu ne vois pas de qui je parle ?

Une nouvelle vague de pourpre échouant sur ses joues, il baissa les yeux.

- Je suis désolé, je ne regarde pas vraiment la télé.

La jeune femme haussa les épaules.

- Je comprends, je préfère les mangas personnellement, rétorqua-t-elle. Mais je suis actrice donc bon...

Secouant la main, comme si ça n'avait pas d'importance, elle laissa sa phrase en suspens.

- Changmin est le personnage principal de l'histoire, expliqua-t-elle. Avec moi, je suppose.

Elle rit légèrement.

- Il peut être assez intimidant, mais il n'y a aucune raison de l'être, continua-t-elle. C'est un bâtard sexy, mais il est gentil et très pro, donc ne t'inquiètes pas. Suis simplement le mouvement lors de l'interrogatoire.

Jin tressaillit.

- L'inter.... Quoi ?

Pour la première fois, l'expression de Yong Sun se fit moins amicale.

- Ne me dis pas que tu es venu sans même lire ton texte ?

Sa voix douce jusqu'ici, était maintenant sèche.

- Avoir le trac, c'est une chose, mais...

Face à la pâleur du jeune homme en face d'elle et à son regard paniqué, elle se tut. L'autre semblait peiner à respirer.

- On ne m'a pas dit... On ne m'a pas dit ! paniqua-t-il en secouant frénétiquement la tête.

Jin ne comprenait plus rien. Hye Soo lui avait expliqué qu'il devait simplement chanter, Pi à la basse, lors d'une scène se déroulant dans un club. Il serait crédité au générique, avec le titre de sa chanson, ce qui était apparemment un super moyen de faire connaître sa musique, mais il n'avait jamais été question qu'il joue la comédie ou même parle devant la caméra. Et encore moins qu'il donne la réplique à la star du show que les gens surnommaient bâtard sexy et Voldemin !

Yong Sun, réalisant son erreur, avait retrouvé son aura douce et bienveillante. Saisissant délicatement le poignet de Jin, elle tenta de croiser son regard, caché derrière des mèches rose et mauve.

- D'accord, j'ai compris, souffla-t-elle. Je m'excuse. Respire, ça va aller.
- JIN !

La voix de Pi n'attira nullement l'attention des gens qui s'activaient tout autour, mais Yong Sun releva la tête et Jin réagit immédiatement, se tournant vers son ami, puis se réfugiant dans son étreinte dès qu'il fut assez proche.

- Vous m'avez menti ! gémit-il en tapant Pi dans le dos, tout en serrant son pull. Vous m'avez menti !
- Pardon, souffla Yamapi, en l'enlaçant fermement, embrassant sa tempe. C'est de ma faute.

"I only thought it for a minute but it got me down. That kind of feeling when you've got something to cry about. And all the talking turned to screaming that I couldn't help. This isn't me, me, me. I only thought it for a moment but it's crippling. I guess the gravity have growing out of sinking in. What if I'm missing the capacity for all of it. This isn't me, me, me"

Changmin s'était senti fasciné dès la première note et la voix du jeune chanteur l'avait enchaîné comme s'il était tombé dans un piège, son âme de loup solitaire, blessée par sa douceur douloureuse. Et maintenant, les paroles le harcelaient, comme des milliers de lames taquinant une plaie à vif.

Lorsque Yong Sun lui avait présenté Jin et Tomohisa, le plus jeune avait été incapable de le regarder dans les yeux, laissant son ami faire la conversation après avoir bégayé un "bonjour" affolé. Clairement angoissé en public et peu à l'aise en société, il était évident que le chanteur prenait sur lui pour ne pas fondre en larmes et Changmin avait compati, l'observant batailler pour ne pas s'accrocher à la manche de son ami, bavard et parfaitement à l'aise, comme un enfant cherchant le soutien d'un parent. Incapable de calmer qui que ce soit et se sachant plus intimidant que rassurant, Changmin avait concentré son attention sur Tomohisa et Yong Sun pour ne pas aggraver le malaise du plus jeune, ce qui lui avait valu un sourire de sa co-actrice, qu'il n'avait pas remarqué.

"And I'm so scared of losin' all control. Don't you tell me it's better to let go when the weight of the world feels so close. It's only me, me, me. Pi* told me that he* thinks I might be in my head. How I'm overthinking everything I never said ? How it's killing me a little to be different, oh ? It isn't me, me, me"

Lorsqu'il avait demandé à Ryan de laisser le chanteur prendre ses marques, c'était pour calmer ce dernier et ainsi faciliter le travail de tout le monde, dont le sien. Mais il n'aurait jamais cru qu'une fois dans son élément, après deux ratés à cause d'une voix chevrotante d'angoisse, le jeune homme se métamorphoserait autant, la peur des autres remplacée par un magnétisme intense, presque palpable. Sur cette fausse scène, dans ce décor de bar, il avait capté l'attention de tous, les figurants devant leurs cocktails factices, comme le reste de l'équipe, chacun ayant suspendu son activité, accroché à la voix envoûtante du garçon qu'ils n'avaient même pas remarqué jusque-là.

Jin semblait toujours aussi fragile, vulnérable et touchant, mais face à un micro, il était clairement à sa place, exprimant ses maux en chanson, au lieu de se cacher dans le silence. Si jusqu'ici, il avait cherché à passer inaperçu, invisible pour la plupart des gens de l'équipe, semblant se demander ce qu'il faisait là et s'excuser pour sa présence, à présent, il accaparait l'attention de tous.

Je suis là. J'ai des choses à dire. J'existe, je souffre, je crains, désire et espère. Je suis là.

Changmin entendait son message, son appel. Sa solitude faisait écho à la sienne et les démons à peine dissimulés dans le regard humide et la voix claire, appelaient les siens, comme un signal de reconnaissance, chaque parole faisant office de mot de passe déverrouillant une de ses nombreuses barrières. Il était en train d'être assailli, envahi. On pénétrait son âme, on se faufilait dans chaque faille qu'il avait cru colmatée par la cruelle réalité et ses désillusions. Changmin avait érigé un château-fort pour se protéger, mais ce gamin souffrant de phobie sociale et de je ne sais combien d'autres traumatismes, qui n'osait même pas le regarder dans les yeux en avait fait un simple château de sable, que ses émotions crues et sans artifices, déferlant par vagues, attaquaient sans répit.

"Hard to sleep, could it be only me, only me ? Hard to sleep, could it be only me, only me ? I'm so scared of losin' all control when they tell me it's better to let go. When the weight of the world is so close. It's only me (me), me (me), me. It's only me, me, me"

Août 757

Jin peinait à croire qu'il avait gagné tant d'abonnés depuis sa brève expérience sur le plateau de Maniac.

L'épisode n'était même pas encore sorti et il n'était pas certain de ne pas avoir été supprimé, mais déjà, sa mission de faire connaître sa musique était pleinement un succès. Et tout ça grâce à une seule personne.

Shim Changmin, le fameux bâtard sexy.

Jin devait l'avouer, Yong Sun ne lui avait pas menti. Bien que très intimidant et malgré son visage froid et fermé, l'acteur était gentil, patient et compréhensif. Rougissant au souvenir du tournage, il secoua la tête, comme si ça allait chasser par magie les images et sensations. Se forçant à les repousser malgré tout, il reposa son téléphone.

- Je ne peux pas faire ça ! s'exclama-t-il, un brin dramatique.
- Tu ne voulais pas l'appeler et je comprends, mais lui envoyer un message pour le remercier d'avoir partagé toute ta discographie avec ses fans et ceux de Maniac, est le moins que tu puisses faire. Rétorqua fermement Hye Soo.

Jin grimaça.

- Mais je ne suis même pas sûr qu'il lit ses DM, gémit-t-il.
- Tu le sauras une fois que tu l'auras remercié.

La moue boudeuse, le jeune homme lui fit ses yeux de chiots malheureux. Hélas, avec les années, sa maman de substitution avait fini par être immunisée.

- Soit tu lui écris, soit je lui envoie des fleurs avec un long message de ta part, où je le couvre de compliments et lui...
- Je vais le faire ! l'interrompit vivement Jin, sursautant sur le siège passager.

Conscient que la conductrice ne bluffait pas, il ne chercha plus à négocier, ouvrant de nouveau le profil de Changmin.

Comment quelqu'un pouvait être aussi séduisant ?

Il soupira.

Le pire, c'est que ses photos splendides ne lui faisaient même pas justice ! Il était mille fois plus beau et charismatique en vrai. Un véritable fantasme vivant. Tout droit sorti de ses rêves mouillés de jeune homme frustré.

Que pouvait-il bien lui dire ?

Ce n'est pas qu'il n'était pas reconnaissant, au contraire. Plus que la "promo gratuite", c'est le fait que l'acteur ait cherché à découvrir sa musique et apparemment apprécié ses textes et mélodies, au point de pouvoir commenter les paroles en les partageant avec ses fans, qui l'avait touché. Ça l'avait choqué, mais surtout ému au point de le faire pleurer. Et c'est pour ça qu'il craignait de lui écrire.

Comment pouvait-il correctement exprimer ce qu'il avait ressenti ?

S'il était à l'aise pour écrire des paroles, c'était autre chose lorsqu'il fallait s'adresser directement à quelqu'un. Changmin allait forcément être déçu par son message. Peut-être même vexé.

Que faire s'il le trouvait ingrat ? Arrogant, ennuyeux, stupide ? Si en le détestant, il détestait aussi soudain sa musique ? L'idée de le voir supprimer ses posts sur ses chansons lui faisait bien trop mal et il ne se voyait pas essayer d'expliquer ça à qui que ce soit, pas même à Hye Soo.

Changmin sourit face à son écran.

Même par message, le chanteur donnait l'impression de bégayer, hésiter et buter sur les mots. Puis de s'exprimer trop vite, comme s'il avait un temps limité, avant de sembler réaliser et regretter ses propos.

"C'est mignon", songea-t-il.

Mercy grogna légèrement et il rit en la soulevant.

- Alors, tu n'arrives plus à grimper sur mes genoux toute seule ?
- Quand est-ce qu'elle en a déjà été capable ? Intervint Han Sook.
- Laisse-moi taquiner cette diva trop gâtée.
- Dis le seigneur qui a le cul dans le fauteuil pendant que je suis en cuisine.

Changmin haussa les sourcils.

- Tu m'as jeté une spatule en me menaçant de torture si je ne me reposais pas, contra-t-il. De plus, mettre un plat surgelé au four, ce n'est pas ce que j'appelle de la cuis-

Il fut interrompu par une cuillère qu'il évita de justesse.

- Continue de sourire comme un idiot face à ton téléphone au lieu de t'occuper de ce qui se passe en cuisine.

L'acteur observa sa manager quelques instants.

- Quoi ? demanda-t-elle.
- Il y avait un petit quelque chose de suspect dans ta voix, rétorqua Changmin.

Elle haussa les épaules.

- Tu projettes.
- Ah, là ! s'exclama son protégé. Tu vois, encore des sous-entendus !

Elle secoua la tête.

- Je te connais par cœur, crache le morceau, insista-t-il.

Mais son téléphone vibrant, détourna son attention, le message de Jin qui s'excusait de lui avoir écrit, le faisant rire, Mercy sur ses genoux, poussant sa petite tête vers l'écran, comme pour comprendre ce qui amusait tant son maître.

- Papa devrait lui répondre avant qu'il ne s'excuse d'exister, hun ? sourit-il en lui grattouillant la tête.







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Je ne sais pas si quelqu'un lira cette petite histoire, mais voilà pour l'introduction.

♥️


*J'ai remplacé le nom de la personne mentionnée par Gracie par Pi.

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