- Week end terminé

- Carrie -



Il fait un froid polaire dans cette voiture à la capote moyennement isolée, mais nous nous amusons tellement. Les garçons discutent, rigolent, et souvent Louis se penche vers l'arrière afin de me réclamer des baisers souriants. À deux reprises son bras se tend vers les cheveux d'Harry, qui décale la tête en grondant.

— Quel casse-couilles lui, quand il est heureux faut toujours qu'il tripote tout le monde !

Louis, m'envoie un clin d'œil discret, et moi je n'ai jamais été aussi heureuse de ma vie.

Dix minutes plus tard, dans un hasard total, nous trouvons une sorte de zone commerciale contenant une salle de bowling ouverte avec des billards. Ils adorent le billard, alors nous nous garons et y entrons.

C'est peu fréquenté et il y fait chaud, quel plaisir.

Nous réservons une table et enchaînons les parties en faisant tourner les équipes. Je suis archi nulle, c'est affreux, je me démerde toujours pour frapper la seule boule interdite, du coup Harry me frappe avec la quille lui aussi. Je crie fort et me réfugie toujours dans les bras de mon amoureux, gratifiant le brun de mon sourire victorieux.

La dernière partie Harry la joue seul, parce que Louis m'a soulevée et assise sur un des hauts tabourets en velours rouge. Il s'est placé entre mes jambes, a fermement saisi mon visage dans ses paumes et m'embrasse à m'en faire perdre la tête. Mes joues sont sans aucun doute assorties au velours.

Face à nous, il y a cette maudite horloge murale. Ses aiguilles bougent forcément plus vite que le temps normal, je ne vois pas d'autre explication. La regarder me tord le ventre, car cette journée est l'une des meilleurs de ma vie, et j'appréhende déjà qu'elle se finisse.

Harry a gagné contre lui-même, nous descendons l'étage et nous installons au petit bar pour fêter ça. Le serveur me demande ma carte d'identité, je suis certaine qu'il me soupçonne d'avoir douze ans. Ce sera bière pour les garçons et Virgin Mojito pour la mineure.

La main de Louis est posée sur mon genou pendant qu'il discute, je n'arrête pas de l'admirer. Pour la première fois il m'appartient. Entièrement. Plus de brune sexy accrochée à lui. Sans doute comprend-il le fond de mes pensées, car sa fossette craquante s'étire malicieusement sur le côté.

— Au lac des Cygnes et la fin que j'ai pas compris ! Déclame Harry en faisant tinter sa bouteille sur nos verres.

— Elle se suicide, l'informons-nous.

— Ha merde, buvons en sa mémoire alors !

Nous levons nos boissons, feignant des visages endeuillés.

— A la mort de la reine.

— Et au droit d'avorter ! Achève Harry en s'envoyant une rasade.

— Ta connerie inépuisable surtout, rétorque Louis

— C'est tout un art mec, c'est peut-être moins joli que le tutu mais c'est des heures d'entrainement. Tu vois quand je dis plus rien et que je plisse les yeux ? PAF, entrainement.

— Tu devrais arrêter de d'entrainer et essayer de te sociabiliser, vachement plus utile.

— J'leur fais peur aux gens, j'comprends pas pourquoi.

— Hannibal Lecter a un regard plus bienveillant que toi.

— C'est parce qu'il veut les bouffer.

Leur joute verbale continue un long moment, moi je me suis faite toute petite pour les observer. Voir Harry si détendu et blagueur, c'est presque irréel. Louis n'a d'yeux que pour lui. Il apporte cycliquement le goulot à ses lèvres, acquiesçant et souriant comme un gosse face à un spectacle. Je ne compte même plus le nombre de leurs fous rires.

Voilà donc le vrai visage d'Harry lorsqu'ils sont seuls tous les deux. Il est littéralement métamorphosé, plus aucune trace de colère, de lassitude, d'insolence. Ses yeux d'un vert fascinant scrutant habituellement le monde avec gravité sont aujourd'hui bien ouverts. Quant à sa belle voix, que je ne croyais que basse et rauque, elle monte souvent dans les aigus lorsqu'il s'excite ou rit.

Incroyable. Ça n'est plus le même garçon. L'aura qui l'entoure et que je percevais autrefois comme agressive et dérangeante, je la ressens différemment désormais. Elle est brute, sauvage, électrisante.

Fascinante.

Maintenant je vois, et maintenant je comprends.

Jamais je n'aurais un jour pensé franchir les murs de la forteresse imprenable qu'est leur amitié. Tout comme Loriane, Rachel et toutes les autres, je désespérais moi de me tenir derrière ces remparts férocement gardés par Harry. Jusqu'à hier soir, car semble-t-il qu'il m'ait laissée m'approcher. J'entrevois enfin

Est-ce pour Louis qu'il l'a fait ? Ou l'ai-je mérité après tous mes efforts et mon acharnement ?

Harry finit par se lever en enfilant sa veste, Louis amorce le même mouvement avant de se figer en me regardant. Il est ennuyé de me laisser, mais je le pousse en direction de la sortie pour ne pas lui laisser le choix.

Louis accompagne toujours Harry fumer, toujours.

Les deux garçons sortent du bowling, moi je soupire d'aise m'échappe en tapotant joyeusement mon jean. Ce sentiment de plénitude, d'assurance, de pur bonheur, c'est bien la première fois que je le ressens si fort.

Tout à coup mon téléphone sonne, sans surprise c'est le numéro de Bree. Une chance sur deux.

— Salut, dis-je en décrochant.

Ce sont des hurlements qui me répondent, m'obligeant à écarter le portable.

— Bande de folles, arrêtez ! Vous allez me crever le tympan.

— Carriiiiiiiiiiie elle a eu son Louiiiiiiiiiiiiiis, chante Brigitte.

— Passe-la moi, râle Maddie en fond sonore. Carrie où tu es ?

— Dans un bowling, on boit un verre.

— Ok, bon, crache-le morceau ! C'est vrai t'as fini dans sa chambre d'hôtel ?

— Oui, un magnifique hôtel, celui près de la Mairie de la ville d'à côté.

— Ben mon vieux.

— Pousse-toi j'veux écouter, se lamente Bree.

— Et donc ? S'impatiente Maddie.

Mon silence gêné suffit à ce qu'elles tirent leurs conclusions. J'ai le droit à d'autres hurlements stridents, je crois même qu'elles sautent sur place les folles. J'en glousse discrètement tandis que la rousse revient à la charge.

— Allez Carrie bordel, raconte !

— Je vous raconterai lundi, fais-je en m'offusquant.

— Non mais quelle prude coincée celle-là ! Raconte ou je débarque pour que tu me le dises droit dans les yeux ! Bree m'a interdit d'appeler de toute la journée, donc je mérite au moins quelques détails ! Alors, c'était géant ? Comment il était ?

La bataille est perdue d'avance, à quoi bon. Je m'agite donc sur mon siège en mordillant ma lèvre.

— Il était fantastique, il pouvait pas mieux faire je vous jure. Si tendre et patient. Moi j'ai pas franchement fait grand-chose, voire rien du tout. Mais je crois que ça allait. Enfin j'espère.

— T'as pas trop morflé ?

— Maddie, l'engueule Bree.

— Quoi, c'est vrai, moi je marchais en crabe pendant une semaine.

— Parce que t'as fait ça en cinq minutes sur une plage avec un connard.

— Et alors, deux heures de câlins ou pas l'issue est clairement la même !

— Faux !

— Tssssk, la science s'en balance de ton romantisme. La fleur elle gicle et bordel tu le sens passer.

Mes lèvres disparaissent, car en effet, au réveil une douleur affolante me vrillait des endroits encore inconnus de mon bas-ventre. Mais même si je tuerais pour trois Spasfons, rien ne pourrait entacher mon bonheur.

C'était Louis. Ça ne pouvait pas être un autre. C'était une évidence.

Les cris cessent, mon nom est gueulé plusieurs fois dans le haut-parleur, alors je le repose à mon oreille. Bree a gagné la lutte et a récupéré le téléphone. Quand il s'agit d'histoires d'amour, elle est redoutable.

— Vous êtes ensembles alors ?

— Ce n'était qu'une soirée... il n'a jamais été question de plus. Je savais parfaitement à quoi m'en tenir.

— Mais vous vous recroiserez quand c'est possible ? Qu'est-ce que vous avez décidés ?

— On a pas vraiment discuté de ça, on vit juste les moments à fond, je ne sais pas trop encore...

— Tu lui as dit que tu étais amoureuse de lui ?

L'émotion fait légèrement vriller ma voix.

— Oui, et il me l'a dit aussi.

Explosions de cris. Quelles greluches. Elles me donnent envie de sauter sur place moi aussi.

— Maddie ?

— Je suis là, me répond-elle.

— Est-ce que tu as mangé avec Jonathan hier ? Fais-je mordillant nerveusement mon index.

— Non. Mais si t'avais vu sa gueule après l'avoir planté sur ces marches de théâtre... dire que la prof lui reproche de mal exprimer ses sentiments, là il a été performant.

— Merde, gémis-je en me voutant en peu.

— C'est rien. Faut écouter son bide ma poule je te le répète tout le temps. Ton grand amour torturé se pointe un soir par surprise ? Ben les braves garçons ils subissent. C'est comme ça.

— Holalala... et si je ne revoyais plus jamais Louis ? Tu crois que j'ai fait une connerie ?

— Oui. Et à ta voix je dirais que c'est la meilleure connerie de ta vie.

Un tendre sourire relève le coin de ma joue, avant que je ne redresse haut les épaules.

— Au fait ! C'est vrai t'as couché avec Harry ?!

— Coucher est un faible mot, ricane-t-elle. Il est pas bavard et branché câlins celui-là, mais bordel, ça faisait un certain temps que j'avais pas visité les étoiles, je me demandais même si c'était encore possible. Quand il repassera dans les parages tu me préviendras.

Mince alors. Visualiser Harry avec une femme m'a toujours paru surréaliste. L'imaginer la touchant, embrassant sa peau, fumant une cigarette étalé contre elle... c'est bien trop bizarre.

Cette pensée me ramène à ma propre nuit et ce moment fabuleux que Louis m'a fait vivre. Comme à chaque fois que j'y repense depuis que j'ai ouvert les yeux ce matin, je pose une main sur mon ventre en baissant le nez, rougissante et infiniment heureuse.

— Tu nous écoutes ?!

— Hein ? Ho pardon. Euh. Les filles je vous laisse, on se voit dans une heure.

Elles vocifèrent leur mécontentement mais je raccroche malgré tout. De toute façon je n'échapperai pas à l'interrogatoire en rentrant, elles me feront répéter au moins dix fois. J'économise donc de la salive et en profite pour boire la fin de mon Mojito sans alcool.

— Quel intérêt de vivre dans une région aussi merdique, marmonne Harry en se rasseyant.

— Encore cette théorie du « si y a pas de cactus c'est pas viable » ? Lui rétorque Louis après avoir grimpé sur son tabouret, suivi d'un tendre baiser déposé sur mon nez.

— Harry tu as le bonsoir de Maddie au fait ! Elle serait ravie que je te prévienne si jamais tu repassais dans le coin.

L'intéressé s'envoie une gorgée de bière tout en nous scrutant de son œil brillant.

— Si je peux rendre service.

Le crétin, regardez sa gueule roublarde. Nous rigolons puis reprenons notre conversation.

Que c'est agréable. J'ai la sensation d'être revenue pendant ces vacances d'été, lorsque nous partagions l'appartement. Leurs deux voix filtraient à travers la baie-vitrée en me berçant la nuit. Ces belles images défilent devant mes yeux clos, puis de très mauvaises enchaînent, inévitablement. Je visualise la séparation, les larmes, les cœurs qui ne battent qu'à moitié. C'est comme si notre relation ne se résumait qu'à ça, vivre de courts moments merveilleux, puis des sombres périodes qui n'en finissent plus. Dans moins d'une heure, cette bulle dans nos vies opposées éclatera, la réalité reprendra son cours. Je ne veux pas. Je ne suis pas prête. J'ai besoin d'encore un peu de temps...

Pourtant le château se dessine déjà au loin, au milieu de ce triste crépuscule. Les murs des enceintes se rapprochent et grandissent, ils me narguent, me font suffoquer. Sans m'en rendre compte, mes doigts se sont enfoncés et s'accrochent au vieux cuir de la banquette arrière.

Un silence presque religieux a envahi l'habitacle. Harry s'est garé près de l'entrée, le long de cette forêt qui entoure le lieu isolé, et nous contemplons les grilles de fer.

— T'es arrivée la blonde.

Arrivée où ? Pour y faire quoi ?

— Viens, je t'accompagne.

La main de Louis me tire hors de la voiture, la chaleur disparait alors brutalement autour de moi. Il ne reste plus que la sienne, cette de son corps, contre lequel je m'accroche comme si le sol s'ouvrait sous mes pieds. Son visage est pressé contre ma tempe, il me berce doucement près du pilonne à la statue de lion inquiétante. Les sanglots menacent, ils nouent ma gorge, je peine à réfléchir convenablement.

— Qu'est-ce qu'il voulait dire ce week-end Louis, gémis-je.

Ses bras me serrent plus fort, il décale son nez contre mon oreille.

— Qu'on s'aime. Voilà ce qu'il voulait dire.

Des larmes me coulent silencieusement sur les joues. Je n'ose pas hoqueter devant lui, ça serait trop dramatique, trop puéril. Je dois me montrer forte.

Il me relève le visage. Voir ses yeux rougis me rassure, lui aussi semble au bord du gouffre, ses iris d'habitude turquoises n'ont jamais été aussi ternes.

— S'il n'y avait pas cette distance, ces boulots et ces études, je te jure qu'on ne se dirait pas au revoir.

— Oui. Je sais.

Il m'enferme dans les pans de sa parka, comme pour me protéger ou me garder à jamais. Cette fois je laisse libre cours à mes sanglots

— Pleure pas. C'est loin d'être fini. On va se revoir le plus possible, dès qu'on le pourra.

— Vraiment ? Glapis-je en frémissant de soulagement.

— Bien sûr. On recommencera à se téléphoner tous les jours, comme avant, et dès que nous aurons du temps, tu viendras.

Une faible lueur chasse mes noires ténèbres. Louis me réclame ensuite un baiser, ses sourcils froncés comme s'il souffrait. Je le lui accorde, je lui offre tout de moi, ce qui n'est pas difficile puisqu'il s'est déjà entièrement emparé de mon être. Cette fiévreuse étreinte est ma dernière occasion de me délecter du goût sucré de sa langue, du râpeux de sa barbe claire et de son parfum boisé. Je savoure tout, enregistre tout, pour être sûre de pouvoir m'en souvenir dès que j'en aurais besoin. Et j'en aurais besoin, c'est certain.

Les grilles sont fermées, je suis déjà en retard, mais je ne parviens pas à le lâcher. Son lourd soupir dans mon cou annonce malheureusement la séparation imminente.

— Tu sais, t'es un vrai trésor Carrie. Toi, ton corps, ton caractère. On ne voit pas au début, puis on se décide à creuser le sable, et soudain il y a de l'or partout. Mais chaque mois qui passe, il y a de moins en moins de sable. C'est terrifiant. Tu n'imagines pas comme c'est dur de le laisser ce trésor ce soir, sans être sûr qu'il sera toujours là à m'attendre quand je reviendrai le chercher.

Mon cœur s'emballe avant de fondre. Jamais personne ne m'avait dit quelque chose d'aussi beau, j'en pleure toutes les larmes de mon corps. Les minutes passent, mais j'ai du mal à respirer, du mal à réaliser.

— Ma poupée, la nuit tombe...

— O-oui. Oui. J'y vais.

Où est Harry ? Oh, là-bas, appuyé au parechocs en train de fumer une cigarette. Il me salue d'un signe de menton, la mine grave, moi aussi je lui agite doucement la main. Mes yeux sont affreusement gonflés et embués, je peine même à trouver le petit bouton noir sur le boitier de l'interphone.

— Institut Laveyrne, je vous écoute.

— Je suis Mademoiselle Stanfield, je suis rentrée.

— Vous êtes en retard, me gronde la vieille voix pincée de l'intendante.

— Oui excusez-moi.

Un bulletin m'attend, ça c'est sûr. Sans plus de cérémonies, un grésillement me permet d'ouvrir le lourd portail de fer forgé, puis il se referme sur moi. Louis se presse pour tendre le bras à travers les barreaux, frôlant ma joue de son pouce. Nos regards s'accrochent une dernière fois, inquiets, désemparés, puis je m'éloigne dans l'allée superbe de graviers blancs.

C'est drôle. Cette grille reflète parfaitement les idées sombres qui m'envahissent à cet instant, ce pressentiment affreux qu'un obstacle se tiendra toujours entre lui et moi. Quoi que je fasse.

Mes poules !

Haaaaaaa en ce moment j'ai plein de temps pour moi, c'est trop cool.

Bon, je vous souhaite un super week end et encore merci, chaque jour de nouveaux abonnés, j'en reviens pas qu'on frôle les 200 *va pleurer un coup et se bourrer la gueule*

J'vous aime <3

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