- On leur a dit au revoir

- Harry -

Le fameux matin est arrivé. C'est là, c'est maintenant. Fini de compter les jours et les heures, c'est le moment.

Nous nous barrons enfin d'ici.

Entre les préparatifs et les valises, ça a été une semaine plus que mouvementé, sans compter que ma mère ne m'a pas lâchée.

Elle apprécie moyennement l'abandon de mes études, ça m'a valu de longues soirées de morale et de tentatives impossibles afin de me faire changer d'avis. Malgré ça, il y a ce petit quelque chose dans son regard qui trahit ses sentiments. En vrai, elle est heureuse de me voir si excité et rempli de projets, ça ne m'était plus arrivé depuis... depuis jamais. Cette expérience musicale est le seul rêve que je n'aie jamais eu. Du coup après les inévitables sermons au sujet du Bac, elle s'est plutôt mise à s'inquiéter de l'organisation bancale de cette aventure.

Sans déconner, il ne peut pas y avoir plus organisé que Louis dans la vie, c'est juste qu'il ne peut pas faire plus. Nous manquons de fric et de notoriété pour s'offrir le luxe d'un voyage plus confortable. Peu importe, moi je suis confiant, plus le voyage sera bordélique et plus il sera amusant.

Nous voilà donc sur le trottoir, contre notre voiture remplie de sacs et de cartons, à saluer les trois potes qui nous encerclent de leurs gueules désabusées.

Ils crèvent d'envie de nous accompagner, c'est flagrant, je dirais même que Zayn n'est pas très loin de se jeter par l'une des fenêtres ouvertes, quitte à se faire probablement renier de sa famille.

C'est vraiment moche de jubiler en affichant un sourire atrocement satisfait, mais ça n'est pas nouveau, je suis moche.

— Vous nous téléphonez quand vous jouerez pas trop loin hein ? Se lamente Liam. On débarquera vous voir.

— Qui te dit qu'on voudra voir ta gueule.

— On pourra même faire un bœuf, rajoute Niall en ignorant mes habituelles remarques infectes.

— Carrément les gars, les rassure Louis en jetant un dernier sac de fringues sur la plage arrière. Je ferai en sorte de programmer des trucs sympas dès que vous aurez du temps. Vous continuerez de vous entrainer quand même hein ?!

Trois longs soupirs lui répondent, ça manque clairement de conviction. Je peux comprendre, les changements comme ça c'est dur à encaisser, quelque chose se brise ça ne sera plus jamais comme avant. J'espère quand même qu'ils ne lâcheront pas.

Est-ce qu'ils nous en veulent ? Peut-être. Mais ça ne changera rien. Je ne changerai rien. Il fallait bien que je fasse quelque chose, que je me sorte d'ici, de ce quotidien affreux dans lequel je ruminais sans but. Quant à Lou, il était urgent qu'il se barre de ce lotissement de gosses de riches et de cet avenir tout tracé qui secrètement le terrifiait.

Si jamais nous devions essuyer un échec cuisant, au moins nous n'aurions aucun regret.

Les adieux se prologent trop, ça me gonfle, je veux partir, alors je claque dans mes mains.

— Chauffeur. Go !

Les gars m'attrapent une dernière fois dans les bras, c'est comme une marée humaine de mecs tristes. Forcément je râle et en les insulte, histoire de leur laisser un souvenir, puis nous nous reculons en nous claquant les joues et les épaules.

Il ne restait plus qu'eux à saluer. C'est fait.

L'excitation m'envahit lorsque Louis s'installe au volant et que je grimpe à côté. Les mecs se rapprochent de la fenêtre où j'ai posé le coude. Mon sourire rusé s'étire sous les Ray-Ban que j'ai abaissé sur mon nez.

— Pleurez pas les filles, on se revoit vite.

Zayn me déplie son majeur, en retour je mime une fellation. Niall me pince la joue au risque de me l'arracher, je lui dis d'aller se faire foutre, ça fait rigoler Liam. C'est la version virile des adieux.

Le vieux moteur rugit, les gars frappent la carrosserie en gueulant et nous suivent sur quelques mètres. Rapidement ils deviennent minuscules dans les rétroviseurs, jusqu'à disparaitre. L'effervescence est brutalement retombée, un lourd silence s'installe.

Louis est très sérieux tandis qu'il passe les vitesses, il ne sourit pas sous ses lunettes.

Tu nous fais une petite dégouLouinade de sentiments.

C'était obligé. Contrairement à moi, son changement de vie va être brutal, il y aura un sacré paquet de Tomlinsons en moins dans ses pattes.

— Lou, tu vas pleurer ? Fais-je d'une petite voix de fillette.

— J'pleure si j'veux, rétorque-t-il.

Pour le faire chier, je lui pince la côte, en réponse il donne un coup sec au volant. Ça lui aura quand même arraché un sourire, c'est bien. Je m'installe plus confortablement et croise mes chaussures sur l'airbag, contemplant une dernière fois cette architecture de ville que j'ai toujours connue et que je ne pouvais plus m'encadrer.

La route défile en même temps que les heures. Louis n'a jamais été aussi sérieux. Je me force à ne pas briser sa réflexion, je sais qu'il en a besoin. Le moment des rires et des vannes viendra bien assez vite. Là il faut qu'il réalise, qu'il dise au revoir à sa vie, sa famille, ses vieilles habitudes. Pour un maniaque de l'organisation comme lui, plonger dans l'inconnu doit être une sacrée épreuve. Moi c'est plus simple, je ne suis pas attaché par ce qui m'entoure. Il n'y a que deux personnes qui comptent dans ma vie, ma mère et lui, du coup il n'y a que d'une moitié dont je m'éloigne. Ça ira très bien.

Beaucoup de villes sont passées, nous ne pouvons plus reculer désormais.

Louis s'est enfin remis à parler. Rien n'est plus agréable que nos blagues, la musique que nous écoutons et nos futurs plans farfelus. Souvent je le regarde à travers mes lunettes, jaugeant son sourire qui grandit d'heures en heures, et ça me rassure. Il prend enfin conscience de la vie incroyable qui commence pour nous.

Presque une dizaine de clopes me sont passées entre les doigts jusqu'à ce que le ciel rougisse. Un panneau de sortie d'autoroute m'interpelle, ce nom me parle, c'est notre destination. Une petite ville atypique nous encercle rapidement. Des fermes, des usines, des gens bizarres... c'est mortel.

— Quel trou, dis-je dans un souffle de fumée.

— Un trou qui va te payer pendant un mois tête de con de chanteur.

J'en étire un large sourire. Nous perdons presque dix minutes avant qu'on ne trouve le fameux bar.

Le Joe's Place s'étend devant une grande bande de graviers contre la départementale. Ce monstre de bois en jette vraiment, c'est tout mon style. Garées devant bien en lignes, des motos affichent des cuirasses rutilantes, elles sont sublimes, j'en frôle même quelques-unes du bout des doigts. Louis me maintient la lourde porte ouverte et nous entrons dans cet établissement routier aux airs de route 66.

C'est Louis qui traverse le premier ce large espace, pendant que j'observe tout avec admiration. Cet endroit a un charme fou, ça sent l'alcool fort, les bagarres et les mecs tatoués. Des panneaux de pin-up en aluminium accompagnent une décoration rustre, les tables semblent tout droit sorties de vieux Drive-In des années cinquante. Un immense comptoir traverse le fond de la pièce, quelques types trapus y sont assis sur des tabourets. Au dessus de leurs têtes, des centaines de bouteilles d'alcool alignent leurs becs verseurs, et si je ne m'abuse, il y a un paquet de soutifs balancés sur le gros lustre central.

Tout ça annonce clairement la couleur.

Enfin m'apparait le principal : une grande scène en bois surélevée, contre des grosses enceintes et des vieux spots. Elle en a vu passer des groupes, ça se voit. Je m'y dirige directement pour y grimper, faisant face à l'immense salle vide. Un frisson me traverse l'échine.

C'est ça, c'est tellement ça.

Un mec dans la soixantaine débarque alors du comptoir, il salue Louis d'une poignée de main bourrue. Ses cheveux gris sont tirés en arrière dans une queue de cheval courte et il est rempli de tatouages. J'aime bien sa gueule, il force le respect et la sympathie. Il lève le bras à mon intention, m'écrase les doigts en dévoilant quelques dents en argent.

— Ravi de vous voir les jeunes !

— Merci, lui réponds Louis, on est content d'être là.

— Prêts pour le gros foutoir ? Ici ça rigole pas, c'est des fondus mes loubards de clients.

— Comme nous, dis-je d'une voix rauque.

Il rigole fort et nous donne chacun un coup dans l'épaule, nous faisant honteusement vaciller.

— Suivez-moi, j'vous montre.

Après nous avoir rapidement montré la salle et le bar, il nous offre une pinte de bière tout en nous racontant l'histoire de cet énorme bâtiment. Héritage familial, dettes de jeux, cousins qui s'entretuent, femme adultère, tout y passe. Les deux hommes installés sur les tabourets s'y mettent aussi, nos rires résonnent dans la pièce vide.

Joe finit par nous conduire à notre logement, ce studio qu'il loue officieusement aux gens de passage. C'est à seulement deux minutes en voiture, au-dessus d'un restaurant Pakistanais. Ça ne paye pas de mine vu de dehors et quelque chose me dit que ça sera pire à l'intérieur.

Nous montons les marches au milieu d'une forte odeur de friture et d'épices. Joe ouvre la porte en s'aidant de son épaule.

— C'est là les gamins, nous annonce-t-il fièrement.

Pourtant il n'y a pas grand-chose dont il pourrait être fier. Comme prévu c'est un taudis, mais qui restera deux fois moins cher que le plus bas des hôtels du coin.

Nous entrons tous les trois, un peu à l'étroit. Je fais un tour sur moi-même tout en l^=achant un rire narquois.

— J'emmènerais ma femme ici en voyages de noce.

— Si elle n'a pas peur des cafards gros comme des chiens, elle devrait être ravie.

Nous ricanons, avant que je ne me reçoive un autre coup dans l'épaule. C'est maintenant officiel, il faut que je mette à la musculation.

Du côté de Louis, c'est moins euphorique. Il regarde tout, les lèvres pincées. C'est clair que ça change de son luxe habituel. Le studio ne comprend qu'un lit simple, un canapé, un lit de camp relevé contre le mur, une table basse rayée, une gazinière ancestrale surmontée d'un seul placard. Pour finir, une télé plus vieille que nous et un aperçu de douche miteuse par la porte entrebâillée.

C'est géant.

— Bon les gars, je vous laisse vous installer. On se revoit dans une heure.

— Ouep, si Louis n'est pas parti en courant, fais-je doucement pour que seul lui l'entende.

J'ai le droit à un regard en biais, avant qu'il ne jette son sac sur le lit. J'abaisse le lit de camp sans pouvoir contenir mon air ravi.

*

Joe n'avait pas menti, deux heures plus tard ce bar s'est transformé en un foutoir démentiel. La salle est remplie de motards tatoués et de nanas aux fringues en cuir moulantes.

Nous jouons depuis une heure maintenant, devant eux sur cette scène. Louis frappe les cordes de sa guitare, les enceintes hurlent et j'hurle plus fort encore, à en cracher mes cordes vocales sur le micro et en hurlant dans son micro lui aussi.

Les clients sont super réceptifs, nous avons choisi le bon répertoire de reprises. Je saute, les fais applaudir, leur laisse crier les refrains. Mon corps est trempé de sueur, je donne tout ce que j'ai en rythme de la musique qui me traverse.

Deux gorilles s'acharnent à contenir la folie, ils évacuent ceux qui se foutent sur la gueule ou emmerdent les filles. Parfois on me lance des bouteilles de bière, que je rattrape au vol et m'enfile d'une traite sous les cris. J'en colle certaines dans la bouche de Louis, lui en renversant partout sur le menton et le torse quand il bondit sur place et ne fait plus qu'un avec sa guitare.

Nos regards s'accrochent parfois, et c'est si fort, comme une révélation, une évidence. C'est nous.

L'établissement est censé fermer sur les coups d'une heure du matin, mais ça déjà bien longtemps que l'aiguille a tourné, plusieurs fois même. Joe s'égosille derrière le comptoir, il envoie les tournées sans s'arrêter. Les serveuses sexy grimpent sur l'immense bar et aspergent directement les clients avec les tireuses de bière.

Les flics finissent par débouler vers trois heures, évidement je leur offre un salut digne de ce nom au micro.

— Allez les gars ! Dites bonjour aux policiers !

Des hurlements joyeux les accueillent. Joe fond à travers la marée humaine pour les recevoir, il les traine au bar et leur fiche deux pintes dans les mains.

C'est géant.

Le bar se vide enfin. Les deux cents personnes ont laissé un endroit littéralement dévasté. Les jolies serveuses semblent au bout de leurs vies, Joe n'arrête pas de les remercier en leur fourrant des billets dans les poches et le soutif pour les consoler.

Louis et moi sommes vidés, comme rarement nous l'avons été. Nous sommes assis au bord de la scène, nous passant mollement une bouteille d'eau. Joe nous arrive dessus avec de larges bras ouverts. Pour résumer, nous avons été géniaux, il est ravi, ne regrette pas son choix. Pour appuyer ses dires, il fiche une liasse dans les mains de Louis qui écarquille les yeux.

Arrivés dans notre piaule, je ne tiens presque plus debout. Louis se jette dans la douche pendant que je me fume une clope à la fenêtre. Je prends sa suite, souriant en l'écoutant sauter sur place et gueuler au téléphone à nos copains réveillés à quel point c'était incroyable.

C'est vrai, c'était incroyable.

Quand je retourne dans la chambre, Louis est allongé sur son lit. Il pianote sur son téléphone, un sourire stupide accroché au visage. J'enfile un bas de jogging en l'observant du coin de l'œil.

C'est à elle qu'il parle encore, la copine blonde de sa sœur, il doit être en train de lui raconter la soirée en détails. Depuis qu'elle est retournée chez elle, régulièrement ils échangent des sms. Ça me fait rouler des yeux, je ne pige vraiment pas son intérêt pour cette nana étrange.

Ça lui passera. Vu notre nouveau quotidien, très vite cette gamine à l'autre bout du pays qui lui remontait le moral ces deux dernières semaines n'aura plus aucune raison d'être.

Mes poules !

Enfin le point de vue d'Harry. Ils sont partis. Ce chapitre vous a plu ?Je pose doucement les bases de leur nouvelle vie !

Oui, vous ne vous trompez pas, ça sent le Chapitre 2 ;p

A lundi mes zouilles <3

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