- On arrêtait
6 ans plus tard
- Harry -
La porte du bureau de mon manager claque si fort qu'elle s'en casserait en deux, sa voix rugit encore longtemps au travers des murs pendant que je traverse le couloir.
Claquer la porte ou lui péter les dents étaient mes deux seules options possibles. Mon avocat me remerciera quand lui aussi aura quitté ce bureau.
Les employés ont levé leur nez au-dessus des cloisons de l'open space, certains ont même l'audace de discrètement filmer avec leur téléphone. C'est fou comme Harry Styles peut faire amasser du blé aux gens quoi qu'il fasse et où qu'il aille.
Mes gardes du corps m'attendent devant les portes vitrées. Je leur fais signe d'ouvrir puis j'abaisse mes aviateurs sur mon nez, prêt à encaisser une énième horde déchaînée de paparazzis. L'air s'engouffre dans mes cheveux et l'enfer s'abat sur moi. Flashs, hurlements, bousculades.
— Harry c'est officiel vous quittez le groupe ?
— Est-ce la drogue qui vous a encore fait déraper hier soir ? Comptez-vous retourner en désintoxication ?
— Ici Harry ! Regardez par ici !
— Les rumeurs disent que vous auriez une liaison avec la femme de Louis ! Vous confirmez ?
— Allez-vous participer aux tournées avant d'arrêter ? Laissez-vous tomber les autres membres du groupe ?
— Dites-nous ce qu'il s'est vraiment passé ! Qui est Carrie Stanfield ?
— Jessica est-elle au courant pour les afters dans les loges ?
— Harry ! Répondez !
Les secondes en paraissent des heures. On m'ouvre la portière, la folie baisse de volume, devient sourde, contenue, lointaine. Je peux enfin inspirer profondément et me remettre à penser, contemplant la route qui défile.
La loge. Le baiser. Les photos. Carrie qui nous plaque. Notre vie qui s'écroule.
Pourquoi ai-je encore l'impression d'être le fautif ? D'être celui qui détruit tout ?
Alors oui, j'ai merdé. Une minute d'égarement, une seule foutue minute sans que je ne réfléchisse ni planifie mes gestes. Ça n'était que moi, dans une pièce avec la femme que je désire le plus sur cette terre et qui m'avait tellement manqué. Une erreur que nous pouvions réparer, j'aurais tout fait pour, je le voulais vraiment... mais elle a refusé, elle s'est braquée.
Comment a-t-elle osée me reprocher de faire l'égoïste ? De ne penser qu'à ma carrière, ma vie, sans penser à sa la sienne ? Ça je ne l'accepte pas.
Si je me tue sur scène et subis toute cette putain de médiatisation infernale depuis des années, c'est uniquement pour eux, pour qu'ils soient heureux, qu'ils aient une vie de rêve. Les apparts, la galerie d'art, les voyages, les cadeaux... ce train de vie que je leur offrais était la seule chose qui me donnait l'impression d'avoir ma place et d'être légitime. Jamais ça n'a été un choix personnel, un désir inassouvi de célébrité ou je ne sais quoi. Juste du fric, beaucoup, autant que ce groupe à minette me le permettrait avant qu'il ne disparaisse.
Une carrière. Mais quelle carrière ? Cette nuit il n'était question que d'elle, nous, trouver la meilleure façon de la protéger.
Je jure sur vos deux têtes que si jamais vous vous défilez et choisissez encore la fuite plutôt que nos sentiments, je vous quitte.
On ne se défilait pas putain. On empêchait le monde de te faire du mal.
Mon poing s'écrase brutalement contre la vitre, faisant sursauter Lionel derrière le volant. Les deux hommes ne se tournent pas pour regarder, ils restent professionnels comme toujours. Dans ma poche mon téléphone vibre pour la millième fois, je l'éteins au milieu d'un flot d'injures.
Qu'ils aillent tous au diable.
Deux heures plus tard, une autre horde de journalistes massée devant l'entrée et toute la conciergerie de l'immeuble sécurisé mobilisée pour me faire passer, l'ascenseur s'ouvre enfin sur le dernier étage, notre appartement. Lionel et Jared sont congédiés d'un signe de main avant même qu'ils ne fassent un pas à l'intérieur. Les portes métalliques se referment, je traverse à grandes enjambées le salon d'un blanc impersonnel et soi-disant design. Ce salon que je hais plus que tout.
— J'espère que c'est une putain de blague Harry !
Il ne manquait plus que ça. Comme si la journée n'était pas déjà assez pourrie.
Jessica se tient derrière la banque longiligne de la cuisine, les bras croisés sur un peignoir en soie qui couvre à peine son opulente fausse poitrine et ses jambes trop fines. Son carré noir à la coupe parfaite frémit sous ses spasmes nerveux, j'entends d'ici le tac-tac de ses ongles tapotant sa peau.
Combien d'hommes se damneraient pour partager leur appartement avec cette chanteuse tatouée aux courbes incendiaires ? Celles qu'ils lorgnent en poster ou en calendriers et sur lesquels ils s'astiquent ?
Je suis cet homme chanceux, car on m'a forcé de l'être. Sauf que moi ses courbes ou la connasse entière qui les porte, je n'y pose que des regards dédaigneux.
— Alors ? Tu dis rien ?!
— J'ai rien à te dire.
Je m'accoude au comptoir laqué noir de la cuisine et m'allume une clope. Elle s'y poste de l'autre côté en s'appuyant de ses bras très écartés, comme pour accentuer l'effet de colère.
— Mais vous avez branlé quoi cette nuit tous les trois ?!
— C'est pas tes affaires, fais-je en soufflant fort la première taffe.
— Tes mon mec alors ouais c'est mes affaires !
Le terme m'arrache un horrible frisson. Voyant qu'elle ne lâchera rien, je décide de me servir un whisky, indispensable pour m'éviter de la balancer à travers les vitres immenses. Ça tâcherait le trottoir et ferait bien trop plaisir aux paparazzis.
— Quel bordel. Qu'est-ce que je suis censée raconter moi maintenant ?! Tu vas pas me faire le coup de la séparation avant le zénith hein ?!
— Je vais me gêner.
Son hoquet se mêle au bruit des glaçons qui tintent contre mon verre près de ma bouche.
— Non, tu peux pas me faire ça ! Faut que tu m'aies trompée, pas que tu me largues comme une merde !
— Pardon Jess ?! J'espère vraiment pour toi que j'ai mal compris. T'es sérieusement en train de croire que je vais laisser ma femme se faire traiter de pute et de briseuse de couple, parce que ça te gonfle que je raconte que je t'ai plaquée ?
La menace insufflée dans mon ton calme immédiatement ses ardeurs.
— J'ai pas dit ça, se rattrape-t-elle, on peut trouver un compromis. C'est moi qui t'ai largué dans ce cas, genre une ou deux semaines en arrière.
— Qu'est-ce que j'en ai à foutre. Tu peux bien dire ce que tu veux du moment que j'étais célibataire à cette soirée. Maintenant barre-toi de mon appart !
— Quoi ?!
— Tout de suite ! T'as carte blanche pour me traiter de tous les noms. Fais-nous couler de belles grosses larmes sur les plateaux télé, décroche des premières pages de torchons et fais bien ta pub pour ton dernier album merdique.
Je me reçois un superbe majeur vernis de rouge puis elle se met à trottiner partout, affublée de grands-airs dédaigneux qui cachent mal sa déception. Forcément, cet arrangement qui lui profitait beaucoup a brusquement pris fin sans qu'elle ne le voit venir.
Mon verre se vide au rythme de ses préparatifs. J'en observe le fond entre mes coudes repliés, toujours appuyé sur la banque, ma clope se consumant entre mes doigts sans que je ne la touche. Parfois mon corps tressaute, faute aux nerfs et au manque de sommeil. Je n'ai pas dormi depuis douze heures.
Et elle ? A-t-elle réussi à s'endormir ?
Qu'est-ce que tu fais là tout de suite ? À quoi tu penses ? Est-ce que tu me hais ?
Quand le boitier mural sonne tout à coup, ma joue en tombe de ma paume et je m'écroule sur le plan de travail. Est-ce que je dormais ? Combien de temps ?
Jess se précipite à l'interphone dans le claquement de ses hauts talons, elle a revêtu un chemisier fluide saumon rentré on se demande bien comment dans un slim bleu minuscule.
— Oui ? Faites-les monter c'est bon.
Les ? Qui ça les ? Un instant mon cœur se resserre, imaginant l'impossible, mais cette greluche en plastique ruine tous mes espoirs un quelques phrases hautaines.
— Louis et Zayn montent. J'ai appelé un coursier pour mes valises, quant au reste, tu te démerderas pour me le faire envoyer par déménageurs.
— C'est ça. Bon vent mon bichon.
— Comment cette femme peut-elle seulement te blairer, me grogne-t-elle.
Bonne question. Moi non plus je ne comprends toujours pas.
Jessica quitte le salon en attrapant son sac Vuitton, elle me passe à côté sans un regard puis disparait en ne laissant derrière elle qu'un nuage de Chanel n°5 que j'ai en horreur depuis que je la connais. J'entends l'ascenseur, quelques échanges de voix, puis des pas approchent dans mon dos.
— Espèce de sale enflure !
Zayn dans toute sa splendeur, pas du genre à se formaliser et qui va directement au but. Je me tourne pour le voir débouler dans la vaste pièce et venir se poster bien droit devant moi, la gueule frémissante de colère.
— T'as pas de figure ! Me crache-t-il en me balayant verticalement de ses yeux noirs comme l'encre.
— La figure je vais te la refaire si tu recules pas !
— Ça va tu le vis bien de détruire la carrière de tes potes ?!
— Et toi, tu le vis bien que mon départ te la détruise ta carrière ?
Ses yeux se dilatent, c'est le signal. Nous nous attrapons le col mais Louis s'interpose en nous éloignant de sa longueur de bras.
— STOP ! Nous gueule-t-il. Vous croyez pas que c'est déjà assez la merde comme ça ? Vous voulez que les photographes vous prennent avec la gueule défoncée ?! Zayn, t'as dit ce que t'avais à dire, maintenant sors d'ici !
L'intéressé se remet le col puis les cheveux en place, me maudissant du regard.
— J'espère que t'arriveras à te regarder dans une glace.
— T'en fais pas pour moi ! Occupe-toi plutôt de nous refaire une belle autobiographie qui critiquera ce que t'as l'air si malade de perdre.
Louis n'attend pas une seconde de plus avant de le pousser fermement en direction de l'ascenseur, il patiente même que les portes d'acier se referment entre eux, comme s'il craignait que Zayn puisse revenir à la charge. Quand le vrombissement retentit, il retourne à la cuisine pour me faire face.
Nous nous sommes quittés la veille, pourtant j'ai l'impression que ça fait des siècles. Un silence s'installe, seules nos puissantes respirations se répondent.
— C'est toi qui a emmené ce connard ici ?!
Son expression s'assombrit, blessé que j'insinue qu'il puisse chercher à me faire du mal.
— Il attendait devant, j'ai pas pu l'empêcher de monter.
— Tu parles. Le pauvre, ça faisait trop longtemps qu'on n'avait pas vu sa gueule dans Voici, fallait pas rater l'occasion.
Sa tête se secoue, signe qu'il s'en contrefout et qu'il y a plus important à l'heure actuelle.
Justement, c'est le sujet que je redoute d'aborder.
Ses iris clairs me détaillent avec inquiétude, ses sourcils se relèvent. Il me connait par cœur, je sais qu'il possède la faculté de voir au travers de mon corps et de ma tête. Il a vu que toutes mes forces m'avaient abandonnées, que j'étais sur le point de m'effondrer. Enfin il m'attrape dans ses bras, emprisonnant les miens le long de mon corps pour que je ne repousse pas son affection. Je ne veux pas la repousser, j'en ai terriblement besoin de sa tendresse, cat au fond de moi je sais qu'elle sera la dernière.
Mes yeux se ferment contre son épaule, mes muscles se détendent et j'inspire son odeur.
— Tu vas bien Styles ?
Si je vais bien ?
Après avoir affronté la terre entière depuis le lever du jour, après m'être fait juger, harceler, insulter et presque éclater le nez, Louis est le premier à me demander comment je vais. Le premier à voir que je souffre.
Après toutes ces années, pourquoi ça m'étonne encore ?
— Tu m'envoies juste un message pour que je ne fasse aucune déclaration, ni n'organise le départ et après tu ne réponds plus au téléphone ?! Qu'est-ce qui se passe, pourquoi tu dis que tu plaques le groupe ? C'est quoi le plan vous avez eu une autre idée ?
— Y a plus de plan. Je le plaque vraiment le groupe.
Tout son corps se raidit, il lui faut même plusieurs secondes avant de me reculer brusquement à bout de bras pour me scruter, les yeux ronds.
— QUOI ?! Mais pourquoi ?!
Nous y voilà. Et je ne suis pas prêt.
Lâchement je recule pour que ses mains retombent et ne me touchent plus, mon visage se baisse et se crispe pour planquer ma profonde nervosité.
— Rien ne s'est passé comme prévu, alors j'ai été obligé d'improviser.
— Improviser ?!
— J'ai trouvé que ça dans l'urgence pour que la presse fasse passer Carrie au second plan. Une diversion uoi.
Son souffle s'accélère, teinté d'appréhension.
— Styles, je comprends rien de ce que tu dis. Qu'est-ce qu'il se passe ? Elle ne répond plus au téléphone elle non plus, où tu l'as planquée ?
— Je ne la planque pas. Elle n'a pas voulu me suivre.
— Elle est restée seule chez elle ?
— Ouais. J'ai plus eu de nouvelles depuis qu'on a... qu'elle a...
Sa poitrine a cessé de bouger, il ne respire plus, les pupilles dilatées. Moi je m'accroche au comptoir, incapable de le formuler à voix haute, d'être celui qui le lui annoncera.
— Depuis que vous avez quoi ! S'impatiente-t-il, la voix chevrotante.
— Qu'elle m'a plaqué.
C'est dit. Du moins en partie. La logique lui fait deviner ce que je suis incapable de dire. Son premier réflexe est de secouer négativement la tête, comme s'il ne pouvait pas le croire, puis sa main se plaque sur sa bouche pour tenter vainement d'en contenir la plainte douloureuse.
— Ho merde mais qu'est-ce que vous avez fait ?! Ho non pitié c'est pas possible.
Mes yeux se ferment, j'accuse le coup. À chaque fois que nous nous sommes retrouvés seuls Carrie et moi pour gérer une situation, ça a merdé. Cette nuit n'aura finalement pas dérogé à la règle.
Au fond de moi je suis persuadé que si ça avait été lui, dans cette villa, elle aurait déjà terminé ses valises et aurait son cul posé dans un avion. Mais non, c'était moi, elle et moi, alors nous nous sommes hurlé à la gueule et elle a fini par nous plaquer, en pleurs sur un tapis.
Louis inspire profondément avec les mains en triangle devant son nez. Je suis pendu à la moindre de ses expressions.
— Ok c'est rien ! Elle a flippé c'est normal, faut la retrouver !
— Elle ne changera pas d'avis. Mec elle était sérieuse. Elle nous suivra pas.
— Mais qu'est-ce qu'elle voulait ? Elle a proposé quelle autre option ?
— Ouais. Assumer.
Le mot lui fait le même effet qu'un piano balancé du haut d'un toit sur la tête. Il vacille, encaisse l'information.
— Elle veut qu'on dise la vérité ? Qu'on s'expose ? Mais ça ne sera pas mille fois pire ?
— C'est ce que j'ai essayé de lui expliquer... enfin, à ma façon.
— À ta façon ouais, persiffle-t-il en me jetant un œil sombre.
Ça aussi j'encaisse en silence. Il s'en veut tout de suite car il se frotte le visage comme pour gommer ses mots, se mettant ensuite à arpenter rapidement le salon.
— Assumer en restant ici. Putain. Ça va être l'apocalypse. Mais si c'est ce qu'elle veut. On pourrait. Faudrait... j'sais pas... on le surmonterait j'imagine. Si elle s'en sent capable. On...
On rien du tout et il le sait, il essaye juste de s'en convaincre. Jamais je ne l'avais vu aussi terrifié, à deux doigts de se briser. Là tout de suite il serait prêt à accepter n'importe quoi pour ne pas perdre la femme de sa vie. Quitte à la laisser commettre une folie.
Sa main plonge saisir le portable dans sa poche et le plaque à son oreille, en un geste qu'il a dû effectuer au moins une cinquantaine de fois depuis ce matin. Malheureusement la suite on la connait, Carrie qui ne décroche pas et son répondeur qui est saturé. Il écarte un instant le téléphone, pressant ses yeux humides de son autre main, puis se met à fouiller dans son répertoire en quête de probables contacts.
S'ensuit les minutes les plus longues de ma vie, durant lesquelles je l'observe arpenter la pièce en questionnant les proches. Sa douleur s'accentue au fil des appels, il lutte même pour respirer. Le voir dans un état pareil termine de m'achever.
Que cherche-t-il à faire ? Retrouver Carrie ok, mais ensuite ?
C'est fini, tout est fini. Les solutions il n'y en a plus, nous avons usé des derniers stratagèmes possibles pour tenter de faire perdurer cette histoire secrète, cette relation qui n'aurait jamais dû quitter l'adolescence. Puisque Carrie a refusé de s'évaporer, il ne restait plus que la vérité. Sauf que cette vérité il en est hors de question.
Carrie ne réalise pas, ne sait pas. Son regard sur le monde et la race humaine est trop bienveillant pour imaginer l'ampleur de la souffrance qui l'attend, de la violence des critiques et des attaques qu'elle recevra. Moi je sais. Moi je la vis cette médiatisation extrême chaque putain de jour. C'est mon travail, pas le sien. Je suis un personnage créé de toute pièce, irréel, alors qu'elle, ils la feront bien réelle.
Elle, la beauté pure et la grâce incarnée, déambulant en tailleurs chics pendant les vernissages en empêchant les clients de contempler les œuvres puisqu'elle en est une. Que diront ses clients lorsque la presse lui aura façonné une image de femme vulgaire, rebelle, qui assume s'envoyer deux mecs depuis des années ? Quelles seront les pensées des gens qui la croiseront après ça ? Ses amis ? Sa famille ?
Plutôt crever.
— On y va, s'exclame Louis en me rejoignant, le visage livide et les yeux rougis. On prend la caisse on fonce chez elle !
— Je ne viendrai pas.
Son corps se fige, il incline la tête comme s'il n'avait pas entendu. Sa poigne saisit brusquement la mienne, pour ne pas me laisser le choix, mais je m'en libère et recule.
J'ai choisi.
— Mais qu'est-ce que tu fais ? Panique-t-il.
— J'en ai plein le cul Louis. J'y ai bien réflé-
— NON, me coupe-t-il en me menaçant de son doigt. T'as pas réfléchi !
— Si. Je l'ai fait. Ça fait un bail d'ailleurs que j'y pense, que j'pense que tout ça c'est n'importe quoi.
Mes bras englobent l'appartement, nous, notre vie.
— C'était drôle quand on avait vingt piges, mais là ça fait des plombes que ça ne l'est plus pour moi, ni pour Carrie apparemment.
Mes mots le terrasse, la stupéfaction le fait bafouiller, puis c'est la colère qui l'anime quand il se précipite à nouveau contre moi, braquant son regard bleu dans le mien.
— Je sais ce que t'es en train de faire !
— Tu sais rien.
Son doigt presse alors plusieurs fois sa propre épaule, celle qui est tatouée de la croix Egyptienne, similaire à celle gravée sur mes reins et accrochée à l'oreille de Carrie.
— Jure-moi droit dans les yeux que c'est vrai, que tu veux tout plaquer et que t'y pensais sérieusement avant l'incident du zénith. Vas-y jure-le !
Je ne crois pas en Dieu, ni au karma ou n'importe quel truc religieux et spirituel. Je ne crois en rien dans ma vie si ce n'est cette croix et ce qu'elle signifie pour nous. Jamais je n'ai menti sur ce tatouage, pourtant à cet instant je le fais, et sans transpirer la moindre hésitation.
— J'y pense depuis des mois, j'arrivais pas à me décider, cette nuit a été le déclencheur qu'il me fallait.
— Non ! Je peux pas le croire !
— Crois-le. J'en ai marre. J'vais avoir vingt-quatre ans merde ! J'ai besoin de faire ce que je veux sans dépendre de personne. Cette vie elle est insupportable. Trop compliquée, trop stressante. J'ai envie de m'amuser et d'arrêter de me prendre la tête tout le temps, j'estime que je l'ai bien mérité !
Son mouvement de recul trahit sa stupéfaction, mais surtout son infinie déception. Ses yeux oscillent de gauche à droite, il doute un instant, avant de secouer négativement la tête. Je décide donc de l'achever de ma dernière balle.
— Te fous pas de ma gueule, t'y pensais toi aussi ! T'as toujours su que ce serait toi, que je finirais par me barrer ou par me faire jeter. T'en étais parfaitement conscient, sinon tu ne planquerais pas une énorme bague sous tes jeans dans l'armoire depuis six mois.
Son visage perd brutalement toutes ses couleurs, il lui faut se tenir au frigo. C'est fait. J'ai tout détruit. Irrémédiablement. La manœuvre a parfaitement fonctionné.
— Harry, s'étrangle-t-il, je te jure que c'était pas dans ce but ! Faut que tu me croies c'était pas d-
Ma main se lève pour le couper.
— Je m'en fous ça n'a plus d'importance. C'était un secret pour personne que tu crevais d'envie de l'épouser et de lui faire des gosses. Ouvre les yeux Lou. Tu vas frôler la trentaine, toutes ces conneries t'en as marre.
— Non Attends...
Je repousse cette main qu'il tente de poser sur mon épaule.
— Mais lâche l'affaire ! Faut te le dire en quelle langue ? J'en ai plein le cul de faire le bouffon de service dès que vous vous faites chier le weekend tous les deux ! J'ai passé l'âge j'te jure. J'ai d'autres ambitions dans la vie. Cette histoire tordue elle allait bien finir par s'arrêter un jour ou l'autre. C'est arrivé alors faut se faire une raison. Maintenant je vais pouvoir profiter, j'en ai besoin. Toi va rejoindre Carrie, épouse-la, faites plein de petits blonds et m'emmerdez plus !
Ma tirade s'achève sur une autre bousculade en direction de la porte, le faisant trébucher. Il se rattrape au mur, relève le visage et me fixe en haletant, les yeux remplis de larmes.
Louis n'a jamais eu honte de pleurer ou d'exprimer ses sentiments. C'est sa plus grande force. Je me suis toujours dit que son regard n'était pas transparent pour rien ; c'est parce qu'il ne cache rien, du moins sans y être forcé. Là j'y vois défiler toute une vie d'aventures, de rires et de galères, de confiance et d'affection. Jusqu'à ce qu'ils se ternissent. Que tout disparaisse.
Après avoir essuyé ses paupières du revers de la main, il me détaille une dernière fois puis tourne les talons, tapant frénétiquement le bouton d'appel de l'ascenseur. En une minute il a quitté l'appartement, quitté ma vie.
Je ne sais pas combien de temps je reste prostré là, accroché à ma cuisine, à ne rien faire d'autre que de me concentrer pour respirer, inspiration après expiration, comme si le geste ne m'était plus automatique.
Mes pas me conduisent ensuite droit vers la chambre de Jessica ; vers sa table de chevet plus précisément, dans laquelle teintent les boites de comprimés que je cherche. Des noms défilent, je trouve le bon et m'envoie deux cachets accompagnés d'une rasade de son verre de vin blanc abandonné là.
C'est infect, et ça ne va pas assez vite.
Je quitte donc la chambre et me précipite dans la cuisine, récupérant la fin de la bouteille de whisky que je m'enfile en quelques souffles seulement.
Plus vite. Putain.
Cinq minutes. Dix. Quinze. Mes doigts finissent alors par s'engourdir. C'est si bon. Une douce brume chasse l'obscurité, ma respiration se calme, ma tête se vide.
Je quitte mon appui et chancèle dans cet appartement qui oscille. Le fauteuil de cuir blanc et la plante verte obstruent le passage, je les écarte puis tends les bras vers l'immense toile qui recouvre le crépit blanc. Ma vision se brouille mais je discerne encore le bleu, le rouge et le vert qui se fondent sur cette peinture gigantesque, cette peinture qui représente les seules choses qui comptaient dans ma vie. J'en frôle les couleurs du bout des doigts, caresse la rugosité des matières, tente de me souvenir de chaque seconde durant lesquelles ce tableau a été fabriqué. Mais je ne tiens plus debout, je m'effondre à côté de la table basse et roule sur le tapis noir en écartant les bras, libérant un râle soulagé.
La réalité se distord et disparait, ça tombe bien, parce que je ne veux pas vivre dans une réalité où nous sommes séparés.
Aïe, je vais me faire engueuler...
Vous vous souvenez l'orage de fou ? Ben il a coupé un fil j'sais pas où, et j'ai plus internet depuis une semaine (et je vais m'auto-détruire)
Donc là, je suis sur le net moisi de mon tel, et je passe un vrai super bon moment pour la mise en page...
Bon, je l'ai kiffé ce chapitre, heureusement parce que bon... et vous ???? Hiiiii j'ai hâte de savoir, y a quand même pas mal de gros détails qui filtrent dans celui-ci.
Huuuuu. J'en avais des trucs à dire, marde alors. Allez Tchou à vendredi <3
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