- J'ai reçu un bouquet
- Carrie -
— Mon bébé, me ronronne ma mère en me serrant fort, tu as été merveilleuse ! Je suis si fière de toi.
— Maman, je lui souffle de plaisir dans le cou.
Quel soulagement qu'elle soit fière et que ses yeux pétillent, car c'est à travers son bonheur que j'essaye difficilement de trouver le mien. Ce spectacle était éprouvant, et la seule chose que j'en tire de positif, c'est que je pense décrocher une bonne note pour mon trimestre.
Ma mère est si jolie ce soir. Elle porte une robe noire et un brushing impeccable. Je sais à quel point elle aime s'apprêter pour les représentations.
— Une chieuse a vacillé sur son arabesque, grommelle Maddie, je jure que si elle m'était tombée dessus, je lui aurais donné un bain d'acide ou l'aurais enterrée dans la forêt.
Jonathan et Bree éclatent de rire, par contre ma mère trouve la blague moins drôle. Elle a pincé les lèvres en détaillant cette rousse au fort tempérament, y voyant je suppose une mauvaise fréquentation. Pourtant Madeleine est la plus loyale et géniale des amies.
— C'était interdit de filmer mais j'ai filmé quand même, nous chuchote ma maman d'un air mutin.
— C'est parce qu'ils vendent le DVD, s'amuse Jonathan.
— Holalala, je vais devoir faire un autre crédit pour me le procurer.
Nous rions gentiment, mais je suis un peu gênée. Tous ici sont issus de familles très aisées, ça se voit dans leur éducation, leur apparence. Je sais que je devrais être fière d'avoir eu cette bourse, d'être ici uniquement grâce à mon talent, mais je n'y peux rien, je me sens inférieure, comme toujours.
Ma mère frôle pour la dixième fois mon maquillage du bout des doigts et soupire.
— Tu étais un grand cygne fabuleux.
— Ça c'est vrai, renchérit Jonathan, caressant mes reins de son pouce tout en me souriant.
Mes joues rosissent sous son intense regard chocolat, j'en baisse le nez.
Jonathan a été gentil avec moi dès les premiers jours, nous avons rapidement été amis, mais cette dernière semaine, nos rapports amicaux se sont mués en quelque chose de plus tendre, à mon plus grand étonnement et ma plus grande satisfaction. Il y a eu quelques baisers à l'abri du regard des surveillants ainsi que des mains qui se sont jointes sous la table pendant les cours. Je ne sais pas vers quoi cela nous mène, mais ça devient sérieux je crois. Il me plait beaucoup, à qui ne plairait-il pas de toute façon ? Il est bien élevé, beau, intelligent, et surtout nous partageons cette même passion dévorante pour la danse.
Une passion ? Vraiment Carrie ?
J'étouffe la vilaine petite voix de ma tête puis reprends mes larges sourires. C'est là que j'entends mon prénom derrière moi.
— Carrie ?
C'est Pauline, avec un énorme bouquet de roses blanches. Elle dépose les fleurs entre mes bras surpris puis glousse d'excitation.
— C'est pour toi, quelqu'un m'a demandé de te les remettre.
Ma bouche s'ouvre en grand, comme si c'était une blague. Je jette un œil perplexe à mes amis puis à ma mère, voir si elle serait au courant. Ça pourrait être Lionel, ou mon père, bien que je n'y croie pas une seconde. Vu qu'elle regarde elle aussi le beau bouquet avec ravissement, j'en déduis qu'elle n'en sait rien.
— Mais de qui vient-il ? Je demande alors à Pauline.
Elle se penche, l'expression malicieuse, puis me glisse la réponse à l'oreille.
— De la part d'un guitariste venu regarder la plus jolie des poupées danser.
Brusquement mes poumons se vident de tout leur air, mon cœur cesse de battre, la pièce disparait.
Il n'y a qu'un seul guitariste, qu'une seule personne qui utilise ce doux surnom.
Louis est ici, Louis était assis dans le noir et m'a vue danser.
— Carrie ? S'enquiert Maddie avec curiosité, se postant contre moi pour capter mon regard dilaté.
Pauline nous salue de la main puis repart, je n'ai toujours pas refermé la bouche. Une vague d'émotion trop puissante me parcourt, j'en tremble.
— Carrie, insiste ma mère, chérie tout va bien ? On dirait que tu as vu un fantôme.
Si seulement elle se doutait de la justesse de cette remarque, car c'est exactement ça, il y a dans ce hall le fantôme de mon premier amour.
La Carrie lucide aurait certainement songé que ça n'est pas une bonne idée de le revoir, que je lui en veux toujours, que tout ce qu'il représente ne peut pas être quelque chose de sain, ne peut pas avoir d'avenir, que j'en souffrirai quoi qu'il arrive et qu'il vaudrait mieux que je ne le recroise jamais... mais la Carrie prise par surprise ne contrôle plus rien, elle suffoque et fouille désespérément la foule à la recherche d'une chevelure en bataille et d'un sourire à la fossette si marquée.
Les secondes deviennent interminables, je cherche encore et encore, mais ne le vois pas, il n'est pas dans la salle... pourquoi ?
Je plaque alors le bouquet dans les bras de ma mère et me précipite dehors, frappant les portes du théâtre pour sortir dans le froid et la nuit. L'air glacé mord brutalement ma peau, je m'encercle de mes bras puis dévale les marches.
Sur la place de la fontaine, les fumeurs se massent en petits groupes bruyants. Quelques regards se tournent sur moi et mes bras nus, mais aucune trace de Louis.
Une profonde tristesse m'envahit, aussi puissante que la vague qui m'a coupé le souffle et les jambes dans le hall.
Pourquoi tu n'es pas là ?
— Carrie bordel !
Maddie et Bree jaillissent des portes à leur tour, elles me rejoignent puis Breeme frictionne les bras. Toutes les deux me touchent et ancrent leurs regards dans le mien, pour que je me reprenne, que je leur explique. Avec toutes les difficultés du monde, j'arrive à inspirer puis prononcer le fatidique prénom.
— Louis. C'est Louis.
Maddie redresse fermement les épaules, Bree se mord la lèvre en relevant les sourcils. Même à travers la nuit, je perçois l'inquiétude de leurs traits, parce qu'elles savent à quel point j'ai pleuré pour lui, à quel point j'ai morflé...
... mais elles savent surtout à quel point je l'aime.
La tendre Bree m'enlace fort, mais pas pour me consoler. C'est pour me protéger. Elle veut m'éviter de traverser cette place, de fondre dans l'inconnu de la nuit, et de faire la pire des conneries.
Sauf que j'étouffe dans ses bras, j'étouffe dans ce qui est raisonnable ce soir. Je me recule en réajustant ma coiffe de plumes sur mon chignon puis braque mon regard dans celui de mon autre amie. Elle aussi me regarde, elle ouvre et ferme la bouche, muette comme ça ne lui arrive jamais. Au moment où elle inspire pour parler, c'est une voix grave qui le fait.
— Les filles, ça va ?
Jonathan est entré dans notre cercle, inquiet. Il penche le haut du corps pour se mettre à ma hauteur.
— Carrie, qu'est-ce qui se passe ?
Sa main se lève doucement vers ma joue, sa bouche approche, mais je tressaute vers l'arrière sans pouvoir me contrôler. Son visage s'ouvre de surprise, le mien se mortifie.
— Je suis désolée, gémis-je.
Voilà. Il n'aura fallu qu'un minuscule signe, sans aucune promesse de quoi que ce soit, pour que je réduise à néant une relation qui comptait tant pour moi. Sans doute vais-je le regretter, dans une minute ou des semaines, mais je ne peux pas m'en empêcher, c'est plus fort que moi. On ne peut pas mentir quand le corps réagit si intensément.
Jonathan cligne des yeux, il s'agite sans comprendre.
— C'est Louis, dis-je alors comme on avoue la pire des fautes. Je suis désolée, mais c'est Louis.
Un dernier regard pour Maddie, qui me sourit avec conviction et m'articule un « fonce », et je me mets à courir en les laissant tous en plan, y compris ma mère qui a roulé longtemps pour me voir.
Plus rien ne compte, et c'est bien là ce qui me terrifie autant.
La place et les dernières personnes disparaissent, je quitte l'éclairage blanc de la fontaine pour le jaune des lampadaires. Les voitures garées le long du trottoir défilent rapidement, le vent glacial me dévore la peau. Je ne sais pas s'il est encore là, dans cette rue ou la suivante, mais peu importe, je continue de courir. Chaque nouveau claquement de mes pas sur le bitume me donne envie de rire et même crier.
Une carrosserie rouge m'apparait tout à coup, alors mon cœur grossit au risque de jaillir de ma poitrine. C'est elle, sa voiture, la vieille Américaine. Il est encore là, quelque part. Je frôle le parechoc de mes doigts glacés puis repars de plus belle.
Où peut-il être ? Oserai-je lui téléphoner ?
Une devanture stoppe soudain ma course et mes questionnements, car c'est la seule d'allumée dans les alentours. Le Bar des Sports, ce bouiboui à l'allure vieillotte qui dépanne les élèves de leurs cigarettes.
Un brin d'espoir m'envahit face à cette lumière qui semble m'appeler. Je traverse donc la route déserte. C'est là que je discerne une silhouette appuyée sur le mur contre la vitre terne.
Cette épaule appuyée nonchalamment, ces jambes entrecroisées, cette lueur rouge de cigarette qui laisse deviner une chevelure mi longue ondulée...
Harry.
C'est bien lui, et lui aussi ma vue, car la cendre s'est immobilisée dans les airs. Comme s'il l'avait deviné, il quitte son appui et me réceptionne quand je le percute en couinant. Son bras écarte la clope pour ne pas me bruler, l'autre vient enserrer mes épaules dans un doux froissement de cuir.
— Débile de cygne, grogne-t-il, t'es à poils.
Il cale sa cigarette entre ses lèvres pour pouvoir retirer son perfecto, qu'il me passe sur les épaules. Il profite évidement de la manœuvre pour essayer de se défaire de mon emprise, mais il ne m'impressionne plus désormais, et je le serre fort en plaquant ma joue sur son torse.
— Qu'est-ce que vous faites ici ? Dis-je d'une petite voix.
— On se faisait chier, alors on s'est dit que ça serait super cool de se taper quatre heures de route pour mater des canards danser.
Un rire m'échappe, ému et incontrôlable. Moi qui m'étais persuadée qu'ils ne pensaient plus à moi, que j'étais une page tournée, un vieux souvenir de vacances, une ado gonflante... ils sont là. Ce soir. Ils sont venus.
Mes doigts se resserrent sur son pull comme pour m'assurer que je ne rêve pas.
— Où est Louis ?
— Dedans. En train de se prendre la tête pour pas changer.
— Pourquoi ?
— Je te donne des indices. C'est noir, avec des plumes, plein de muscles, ça danse... tu vois toujours pas ?
Mes dents se plantent dans ma lèvre, j'ai beau l'entendre je n'ose pas y croire. Louis ici, ce soir, pour moi. Et Louis jaloux ? C'est beaucoup trop d'informations à encaisser.
Je recule le buste, mes bras toujours accrochés au sien, et j'observe cette entrée de bar lumineuse. Un mélange de peur et d'excitation s'insinue dans mes veines, mon rythme cardiaque s'affole.
— Alors, me lance Harry sur le ton du défi, elle va faire quoi la gentille danseuse blanche ?
Quand ma main vient enfin se poser sur la poignée, un rictus appréciateur lui apparait. Il arque un sourcil en détaillant ma coiffe puis le blouson en cuir.
— Ça c'est le genre de cygne qui me plait.
Une violente bouffée de chaleur me parcourt, puis la fierté m'électrise, bien qu'il n'y ait franchement aucune raison d'être fière de ce que je fais ce soir. Un sourire immense lui répond, puis j'actionne la porte et la tire sur moi.
L'air chaud m'enveloppe, j'avance d'un pas et referme. Dans cet établissement, on retrouve l'habituel même bar en bois massif lustré, les tireuses de bière et la décoration désuète des bistros des années quatre-vingt-dix. C'est presque désert, il n'y a que trois hommes aux airs maussades qui regardent les écrans accrochés au-dessus du bar, diffusant des courses ou des matchs de foot.
Mon entrée fait tourner les rares tête, et c'est là que dans le fond de la salle, vouté sur une table ronde, les tempes posées sur ses poings serrés, un regard turquoise se relève sur moi.
Le temps s'arrête, il n'y a plus que lui et moi dans cet univers. Je cesse complètement de respirer.
Son visage tourmenté s'éclaire, ses mains se reposent sur la table et il s'y appuie pour lentement se redresser, sans avoir rompu une seule seconde nos regards. Mon cœur bat dans mes tempes, je ne peux plus bouger, j'attends.
J'attends de voir, de savoir, de comprendre. J'attends qu'il me dise, qu'il m'explique. J'attends de pleurer, de frissonner, de souffrir.
J'ai déjà couru jusqu'ici, je l'ai cherché partout, alors c'est à lui de venir. Et c'est ce qu'il fait, il traverse rapidement le PMU en se tenant aux dossiers des chaises. Son regard d'abord stupéfait s'est assombrit, il devient brut, profond, j'en écarquille le mien tout en bloquant ma respiration.
Parce qu'il va le faire. Mon Dieu il va le faire.
Joyeux anniversaire Cassandraaaa <3
Mes Nouilleeeees !
Alooooooors ? C'était dur de bien faire ressortir les émotions de Carrie, y en avait un sacré panel entre la danse, le bouquet, Jonhatan, sa mère, Harry et Louis.
Ha oui. J'avais envie de la dessiner avec la veste en cuir d'Harry, la coiffe et les faux cils immenses, son air garçonne pleine de grâce naturelle. Elle grandit mon bébé *larmichette*
Allez. La suite Vendrediiiii. Et si Totoro il commente plus je fais la grève.
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