- C'était une torture
- Carrie -
Le retour à la réalité se fait difficile, très difficile.
Les courts moments fabuleux partagés avec Louis et Harry me donnent l'impression de polluer le reste de ma vie. Dès que les garçons repartent, c'est comme si je n'étais plus moi-même, que je sombrais en léthargie, à ne rien faire d'autre que patienter.
Les jours défilent, se ressemblent.
La matin je me réveille complètement perdue, l'esprit encore accroché aux rêves colorés, remplis de paysages arides qui défilent, assourdissant de musique et d'éclats de rires, brulant de baisers et de sentiments.
Comment voir de la couleur dans tout ce qui m'entoure après ça ? Au milieu de cette chambre d'internat grise, de ce réfectoire trop bondé, de ces vestiaires oppressants ou de ces cours interminables. Même les visages sont gris. Mon reflet dans le miroir. Tout.
Bree et Maddie tentent de me secouer. Même avec toute leur bonne volonté, plus rien n'a de goût ni d'intérêt.
Si un jour j'avais pu faire des efforts, aujourd'hui ce n'est plus le cas.
— Allez ma biche. Souris. Regarde ces magnifiques jardins, comme Versailles. Ce château il est incroyable et les profs mondialement reconnus ! On est tellement chanceuses !
Non, je ne suis pas chanceuse.
Chaque nouvel après-midi à subir la douleur du moindre de mes muscles n'est pas une chance, c'est une torture, qui s'ajoute à la souffrance lancinante de ne pas voir celui que j'aime.
— Ma poupée.
Mes doigts se resserrent autour du téléphone pendant que Louis me raconte ses journées. Je me suis recroqueville dans mon lit comme je le ferais contre son corps chaud. Mes yeux se ferment et je les rejoins dans leur décapotable, hurlant dans le vent en y écartant les bras. Mes yeux se ferment et je me retrouve sur leur terrasse, admirant les longs cils de Louis baissés sur les cordes de sa guitare pendant qu'Harry m'embête avec le bout de sa chaussette. Mes yeux se ferment et je m'endors dans leur clic-clac, bercée par leurs deux voix.
— Tu me manques Carrie, on va vite se revoir je te le promets.
Mais les semaines passent et on ne peut pas se voir. On ne peut pas être ensemble, ni être seulement quelque chose.
— Je t'aime.
Oui, moi aussi. Mais ça ne suffit pas.
Mes amies s'inquiètent de mon mutisme et de mes yeux toujours gonflés. Pour elles je tombe dans l'extrême et il me faudrait prendre du recul. Sauf que le recul je n'en veux pas. L'extrême me va très bien.
Ma mère aussi tente de me rouvrir les yeux.
— Carrie tu dois te reprendre ma fille ! Tu fais n'importe quoi tu t'en rends compte j'espère ?! Tes notes ont baissé ce mois-ci et la directrice m'a encore téléphoné ! Après tout ce qu'on a sacrifié, tu bousilles une chance qui ne se reproduira jamais !
Toujours ce mot. Une chance.
Nos conversations ne sont plus que déceptions, cris et pleurs. Elle non plus ne fait plus l'effort d'essayer de comprendre. Elle reporte maintenant le problème sur Louis, le rendant coupable de ma dépression et de m'avoir détournée de ma passion.
C'est ma faute. Je ne lui ai jamais avoué ce que je ressentais pour la danse, alors elle ne me croit pas. Je ne suis qu'une ado amoureuse. Rien ne la fait changer d'avis.
Parfois j'ai comme des sursauts de lucidité, durant lesquels je regarde autour de moi avec panique. Je me fais alors la promesse de remonter la pente, de travailler fort pour me créer un avenir et rendre ma mère fière de moi à nouveau.
Sauf que les rêves colorés reviennent. Les réveils sont toujours aussi gris. La danse est une éternelle torture et mon cœur s'embrase dès que sa voix résonne dans le téléphone.
Il n'y a pas de solution.
Dernière semaine de cours avant les vacances de Noël. Dans les vestiaires, Maddie et moi secouons sous les gros séchoirs nos cheveux encore humides de leur douche.
— J'ai une de ces envies de fumer, se lamente-t-elle. J'ai pas trouvé de fournisseur de clopes cette semaine et j'ai pas envie d'aller à Trouville en chercher.
Mon sourire compatissant lui répond. C'est alors que je vois Bree agiter mon portable depuis le banc contre les casiers. Je me précipite le saisir, retenant un souffle inquiet.
Pourquoi Louis me téléphone-t-il à cette heure ? Ça n'est pas dans nos habitudes, nous nous parlons le soir normalement.
— Lou ?
— Salut toi. Tu vas bien ?
— Oui-oui très bien. Tu m'appelles tôt, est-ce que ça va ?
— Pas vraiment, marmonne-t-il.
Je me sens blêmir. Des milliers d'hypothèses toutes plus tragiques les unes que les autres me traversent, avec en tête de liste, l'annonce de la fin de cette relation, qui n'en est même pas une.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? M'enquis-je en tentant de garder un timbre normal.
— En fait, j'ai vraiment très froid, je ne suis clairement pas fait pour supporter la neige.
De la neige ? Comment ça de l...
Ma main se plaque sur ma bouche, bloquant mon cri. Son tendre rire vient confirmer mes pensées avant qu'il ne raccroche.
— Carrie ? Me hèlent mes amies.
Mais j'ai déjà détalé hors des vestiaires, fonçant droit vers les escaliers des dortoirs. La chaise du bureau se fracasse au sol quand j'en arrache ma grosse parka puis je repars dans les couloirs en bousculant les élèves.
Est-ce que les gens peuvent entendre mon cœur tambouriner dans ma poitrine ? J'en suis sûre. Autant que les graviers blancs de l'allée qui crissent sous mes foulées.
Quelques voitures sont garées le long des grilles, patientant pour les rares élèves externes. Il fait trop froid, les adultes attendent toujours au chaud dans leurs habitacles, sauf qu'aujourd'hui une silhouette se tient bien droite sur le trottoir d'en face. Ce blouson en cuir marron, cette chainette en argent ourlant la poche de son jean, ce bonnet noir surplombant un sourire immense aux deux fossettes marquées...
Louis. Mon Louis.
Mon corps le percute, il rit de plaisir en reculant sous l'élan.
— Tu es venu, gémis-je dans son cou.
— T'en doutais ?
— Oui.
Ses mains glacées encerclent mes joues et m'attirent à sa bouche rieuse. Elles sont là les couleurs, elles explosent de partout. Dans nos souffles chauds et nos langues qui se mêlent, dans son parfum boisé, sa gorge qui vibre, nos corps qui se pressent désespérément.
Il est venu de si loin, juste pour moi, juste pour les deux heures qui nous séparent du couvre-feu. C'est incroyable.
— Viens vite ma poupée, on gèle.
Nous courons comme des gosses jusqu'à la vieille Américaine parquée sur le bas-côté neigeux. Il déverrouille et nous grimpons sur les sièges en cuir rapiécés. Son dérapage et ses coups de klaxons qui font tourner quelques têtes nous arrachent des rires francs.
Comment fait-il pour illuminer si fort mon quotidien ? Par quelle magie ?
Mais surtout, comment pourrais-je reprendre goût à la vie s'il n'en fait pas partie ?
La voiture bifurque soudainement hors de la route, cahotant sur un sentier perdu entre les arbres. Pas de doutes, il cherche un lieu tranquille. Après avoir fermement tiré le frein à main en nous faisant tressauter, il jette sa main derrière ma nuque pour s'emparer de mes lèvres. Son regard couleur lagon devient soudain aussi crépitant que la braise. Nos baisers se font fiévreux, jusqu'à ce qu'il m'entraine sur la banquette arrière, m'arrachant une à une mes nombreuses couches de vêtements.
— Ma déesse, grogne-il de désir dans mon cou, j'avais tellement envie de toi. Je devenais fou.
Rien ne pouvait me faire plus d'effet que cet aveu.
— Louis je ne respire plus quand tu n'es pas là.
— Mais je suis là regarde. Je suis là.
C'est vrai. Il est là. Et j'ose fermer les yeux sans craindre qu'il ne disparaisse, savourant les traces humides de sa langue sur ma peau et les délicieuses griffures de sa barbe.
Cette fois il peine à cacher son empressement, ses gestes sont effreinés, moi ma maladresse me mortifie, mon inexpérience aussi.
— Détends-toi mon cœur. Laisse-moi faire.
Sa voix est douce, sincère. J'ai honte. Pourquoi est-ce que je me fiche une pression pareille ? Sans doute parce qu'il a eu d'autres femmes, que j'ai trop entendu les garçons se moquer des filles qui font l'étoile de mer, et que si le sexe est nul avec moi, il n'aura définitivement plus aucune raison de rouler huit heures pour venir.
— Carrie. Regarde-moi.
Je le fais. Les larmes aux yeux. Il est si beau, adossé à cette banquette en y ayant rejeté la tête, échevelé et transpirant. Ses mains glissent de mes cuisses repliées de chaque côté de son bassin et remontent en longeant ma taille, s'attardant sur mes seins qu'il caresse puis sur ma bouche qu'il frôle du pouce.
— T'es en train de te dire quoi dans ta petite tête d'ado blonde qui réfléchis trop ?
— Que tu vas me plaquer.
— Mmm-mmh. Et pourquoi ? Parce que tu ne te jettes pas sur moi comme une tigresse affamée lors de ta deuxième expérience ?
Mes épaules haussent mollement, ça le fait rire.
— Alors premièrement jeune fille, tu te rendras vite compte que dans ce domaine je ne suis pas très déluré. Les défilés de positions acrobatiques et les femmes trop entreprenantes ça n'est pas le genre de sexe qui m'excite.
— Vraiment ?
— Oui. Par contre, ta première fois dans une voiture, ça c'est excitant.
Mes joues rosissent, ça lui fait pétiller les yeux.
— Voilà ma poupée. T'es sublime. Rassure-toi, c'est pas demain la veille que j'attendrais de toi que tu m'attaches au radiateur ou me fouettes, et c'est clairement pas dans mes projets de t'organiser des plans à trois.
Nous rions tous les deux, ça me soulage immédiatement.
— Embrasse-moi Carrie. J'ai pas besoin de plus.
Mon souffle ému lui répond, puis je m'abandonne totalement à lui, sans plus réfléchir. Ses mains me guident lentement, sensuellement. Son regard ne me quitte jamais.
L'autre fois la douleur avait parasité le moment, là ça n'est plus le cas. Il n'y a plus que des sentiments, embellis d'un plaisir timide. C'est si bouleversant, pourtant j'ai l'habitude des corps aux muscles tendus par l'effort, luisants de transpiration, mais là c'est magnifique.
Qui aurait cru qu'un jour, Louis succomberait d'amour pour moi. Que ses doigts s'agripperaient à mes cheveux et que ses râles caresseraient mes oreilles, susurreraient mon prénom. Je n'en reviens toujours pas.
Je me demande toujours pourquoi.
— Quand est-ce que l'on va se revoir ?
Son soupir ajoute un peu plus de buée dans l'habitacle surchauffé. Ses bras entourent mon dos tandis que je ferme les yeux, allongée sur son ventre le long de la banquette, mes jambes repliées dans les airs, les siennes encastrées entre la banquette et le dossier.
— Le plus vite possible, m'assure-t-il.
Ma joue s'écrase sous sa gorge, sans surprise je me perds à nouveau dans les mauvaises pensées qui m'assaillent.
Serons-nous un véritable couple un jour lui et moi ? M'appartiendra-t-il totalement ? Je doute que cette relation puisse survive à mes années d'études, encore moins une future carrière de danse. Y survivrais-je déjà moi ? Je ne crois même pas.
— Tout va bien mon coeur ?
Il a incliné la tête sur le côté, son pouce frôle mes cernes puis mes joues creusées.
— Un peu fatiguée, c'est tout.
— T'as maigri.
— Les cours sont très physiques.
— Et tu n-
— Lou, s'il te plait je ne t'ai que quelques heures par mois, ne parlons pas de cours ok ? Parle-moi de votre musique, et d'Harry aussi. Raconte-moi votre nouvelle ville.
Son menton hoche doucement dans mes cheveux, puis il se met ensuite me parler, sa belle voix chaude m'éloignant de ce paysage froid et de la pression infernale qui pèse sur mon corps.
Une heure plus tard, nous revoilà devant cette grille.
L'imposant château se dresse au loin, découpant la grisaille du ciel. Mes poumons se sont resserrés, mes jambes sont molles. Louis m'embrasse une dernière fois en me plaquant contre la pierre froide, le visage assombrit. Il me murmure encore qu'il m'aime, qu'il croit en ce fameux jour où nous nous retrouverons, et que peu importe les années et les épreuves qu'il faudra traverser. Je crois que je lui souris, je ne suis pas sûre.
Nos mains s'accompagnent entre l'ouverture du portail jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus. Le froid revient. Les couleurs s'éloignent. J'avance pas à pas dans les graviers, ma vue se brouille, tout devient sombre. L'établissement, les élèves, l'avenir. Tout est noir.
— Carrie ?!
La voix de Maddie. Je ne sais plus où je suis. Je sens juste des bras qui m'entourent. Le jardin n'est plus là, nous sommes assises toutes les deux par terre dans le fond du couloir et je pleure douloureusement dans ses bras.
Mes nouilles !
Il fait trop moche dehors et ce chapitre est triste, allons nous pendre.
L'illu elle est tendre. J'imagine Harry et Louis qui reviennent de soirée très tard, en manque de leur blonde, qui la réveillent malgré eux et l'écoutent raconter ses rêves. Aaaaaaaw...
Allez, à lundi. Je fais un énorme bisou à celles qui sont en plein exams !
Votre Rosie
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