Célébrité

- Louis -


Nous devenons célèbres.

Très célèbres.

Jusqu'à ce jour, je crois que je n'avais pas encore réalisé. Là tout de suite ça me saute aux yeux. Ma gorge s'est resserrée, mon rythme cardiaque accélère et je suis totalement prostré sur mon trottoir face à ces deux jeunes filles.

— Alors ? Vous voulez bien ?

— Euh oui... avec plaisir.

J'attrape la serviette du Starbucks que cette adolescente me tend et j'y appose ma signature en m'appuyant sur le parechoc d'une voiture.

— On vous a vu dans le live d'une radio, et sur youtube aussi !

— J'adore votre chanson.

— Merci beaucoup.

La seconde gamine me passe sa serviette et se penche me dicter son prénom compliqué. Après les avoir récupérées, toutes deux me dévorent des yeux puis retournent en gloussant à l'intérieur. Moi je n'ai toujours pas atterri.

Que nous signions des autographes en fin de concert ou au milieu d'un festival, c'est une chose. Les gens se déplacent pour nous voir, ils nous connaissent. Mais là, que je sois reconnu en plein milieu d'un café, sans ma guitare ou le reste des gars, c'est une première.

Lorsque je quitte le Starbucks avec mes trois gobelets fumant, j'ai la sensation d'être entré dans une nouvelle dimension.

~*~

Le tournage du clip traîne en longueur. Rien ne va, rien n'est bon, et nous perdons tous patience.

— Pourquoi la lumière est-elle aussi merdique ?! Beugle le réalisateur au nez des techniciens. Depuis quand les Drive-In sont construits dans des foutues cavernes ?!

Mes jambes me font mal, alors je m'appuie de la hanche sur l'une des tables entourées de banquettes en vinyle rouge. Harry est assis sur celle d'en face, il se fait encore recoiffer. Vu son regard rétrécit et ses mâchoires crispées, ça a intérêt à être la dernière fois.

— J'ai faim, se lamente Niall du fond de la cuisine rutilante dans laquelle il doit se tenir. Y a pas de la bouffe qui traîne dans le frigo ?

— Arrête de faire le gosse, le prévient notre manager. Bon Jeff, le travelling recule c'est bon ?

Dire que nous y sommes depuis sept heures, et que cette prise dans ce Diner américain ne fera qu'à peine trente secondes dans le clip. Jamais je n'aurais imaginé que l'envers du décor soit aussi épuisant.

Et chiant.

— ACTION !

Le travelling avance, Zayn le fait aussi en grattant sa basse, l'allure rebelle et le regard lascif.

Quel acteur, c'est comme s'il y avait des filles superbes à la place des deux techniciens et de la caméra. Il baigne dans son élément celui-ci, tout mon inverse.

Calvin me fait soudain signe, c'est à mon tour de passer devant. Zayn s'écarte avec un clin d'œil pour la caméra en me laissant la place, sauf que je n'ai même pas le temps de gratter les cordes que le réalisateur stoppe tout.

— COUPEZ ! Bordel Louis, m'engueule-t-il, c'est avec cette gueule que tu veux le vendre l'album ?! On dirait que tu vas à un enterrement !

Je reprends place en accusant le coup.

— Nos gueules vont pas s'arranger si ça prend trois heures de plus, rétorque férocement Harry.

Le brun ne supporte pas qu'on me tombe dessus, c'est plus fort que lui.

Le travelling recule et les gens s'activent à nouveau tout autour comme une fourmilière.

— J'ai même pas bougé mon cul de la table ! Grogne Harry en direction de la coiffeuse qui s'approche.

La pauvre fait un demi-tour terrorisé. Moi je me frotte le visage, désemparé.

— Allez on reprend ! Et Niall ! Arrête de bouffer la décoration !

Pendant une autre heure, le cirque recommence inlassablement. J'essaye vraiment d'y mettre du mien, d'imiter Zayn ou Harry, de me la jouer beau gosse stylé qui ondule et se mord la lèvre, mais je trouve ça ridicule.

C'est ridicule.

Ça n'est pas pour faire le clown que je fais de la musique. Ce bordel de boy's band ça n'est pas ce que je suis, d'ailleurs, j'ai foutrement hâte qu'on s'en aille.

Lorsque le réalisateur décide qu'il a enfin ses prises, la nuit est déjà largement avancée. Tout le monde est harassé, personne ne parle et nous nous félicitons à peine.

Notre blonde n'aura pas tenu jusqu'au bout. Elle est allongée à l'arrière de la grosse voiture, emmitouflée dans une couette. Le dernier Musso qu'elle lit a chuté sur le tapis de sol, je le lui ramasse puis embrasse tendrement son bout de nez qui dépasse des couvertures.

— Mmmmmh, marmonne-t-elle quand nous prenons place chacun d'un côté sur la banquette. C'est fini ?

Harry lui décale les jambes pour s'installer, moi je fouille sous la couverture pour trouver la ceinture.

— Oui on rentre. Attache-toi mon cœur.

— C'était bien vous êtes contents ?

Mes gestes s'immobilisent un instant, car je ne suis pas sûr de la réponse que je m'apprête à donner. Heureusement Harry le fait à ma place.

— On a kiffé. Bon ok c'était crevant et j'ai failli égorger les maquilleurs, mais c'était le feu franchement ! Notre premier tournage pro t'imagines ? Dans quelques semaines on passera à la télé !

Ses bras s'agitent dans les airs, sa voix est aigüe. Pourquoi ne suis-je pas autant excité que lui ? Pourquoi ai-je détesté cette journée et aimerais ne jamais revivre cette expérience ?

Peut-être est-ce la fatigue... peut-être que demain, à tête reposée, moi aussi je trouverai ça enrichissant.

En attendant, je presse mon nez dans les cheveux blancs de Carrie, inspirant fort son parfum pour me détendre et me rassurer.

C'est étrange, j'ai la sensation qu'on vient de me faire du mal.

~*~

Noël, les repas, la famille. C'est tout ce dont j'avais besoin.

La maison Tomlinson semble ne pas avoir bougé, identique au bibelot et à la guirlande près. Si mes petites sœurs n'avaient pas autant grandi, je crois que je me poserai de sérieuses questions quant au temps qui défile entre ces murs lorsque je les quitte.

Cette famille est mon ancre, je m'y suis toujours accroché lorsque l'océan compliqué de ma vie se déchaine trop. J'adore mon quotidien avec Harry et Carrie, mais je réalise tout de même que retourner chez moi me fait un bien fou. C'est bon de ralentir cette existence à mille à l'heure et de retrouver l'espace d'une semaine ou deux ma vie paisible d'ado.

Tout ce que je trouvais chiant à mourir autrefois, comme mettre des pantoufles, aider à équeuter les haricots verts ou lancer un feu de cheminée, maintenant je le fais avec un réel plaisir.

La seule chose que je trouve changée cette année, c'est ma façon de me comporter. Mes épaules sont droites, ma voix sûre, et j'arpente cette demeure la tête haute. Enfin je me trouve confiant et n'ai plus l'impression d'être un raté, ce qui est une grande première. Jamais je n'aurais imaginé pouvoir rendre mon père fier de moi autrement qu'en ayant mes fesses vissées derrière un bureau d'avocat.

— La fille de Madame Nevers a adoré votre concert. C'était très gentil de lui offrir une place, ainsi qu'à son amie. Si tu savais comme elles nous ont épuisés dimanche dernier... tout l'après-midi à en parler, je pourrais te décrire avec précision le spectacle sans même y avoir été. Oh ! Et les recevoir dans les back.. euh, les backchose c'était adorable mon chéri. Du coup la fille de Monsieur Nicole était jalouse, je me suis permise de lui proposer une place à elle aussi, tu crois que ce serait possible ? Elle était tellement ravie. Oh et p...

Ma mère qui parle de moi avec autant d'engouement c'est juste merveilleux. Mes sœurs aussi n'ont d'yeux que pour moi autour de la table.

Carrie me fait passer le plat de purée en me souriant amoureusement. Elle a vu à quel point j'étais heureux.

C'est vrai. Je le suis.

— Alors fils, enchaîne mon père en me tapotant la main. Quelle est votre prochaine destination ? Et quand est-ce qu'on le verra ce fameux clip ? Faudra que tu me donnes la date et l'heure, que je le dise à tes oncles et cousins.

— On ne sait pas encore, mais promis je vous le dirai oui.

Mon père me sourit, ma mère aussi, et Carrie entrelace nos doigts sous la table. Mon cœur est si gros qu'il prend trop de place dans ma poitrine et m'empêche de respirer.

Une fois le repas fini et la veillée dans le salon achevée, nous montons rejoindre nos chambres à l'étage. Comme l'année passée, je me faufile dans celle de Carrie.

La canaille m'y attendait, joliment étendue sur les draps. Je m'étale contre son corps chaud tout en récupérant mon portable, que je secoue entre nos mentons.

— On appelle notre mec ? Lui dis-je.

Carrie acquiesce en gloussant, je ris moi aussi tout en lançant l'appel. Elle se blottit dans mon étreinte tandis que les sonneries défilent, jusqu'au grésillement qui précède la voix moqueuse.

— Salut les blonds. J'vous manque ?

Mon sourire s'agrandit. Je laisse Carrie lui répondre, puis l'engueuler parce qu'il n'envoie jamais aucun sms. Harry se fait alors une joie de lui expliquer où elle peut bien se les mettre ses messages, forcément la blonde lui chuchote fermement qu'elle le déteste et ne veut plus jamais le revoir.

Moi je baille de satisfaction, car il n'y a pas mieux que leurs chamailleries amoureuses pour m'endormir le soir.

Je me sens si bien pendant ces vacances, j'ai l'impression de respirer à plein poumons à nouveau.

~*~

— LES GARÇONS ! ÇA Y EST !

Harry se précipite hors de la douche, glissant carrément sur le carrelage pendant que j'abandonne mon rasoir dans le lavabo, ma figure à moitié couverte de mousse à raser. Carrie est en train de sautiller devant le grand lit, pointant la télévision de son doigt. À l'écran, les premières images d'un clip.

Notre clip.

Mon cœur rate des tours, j'ai entrouvert la bouche sans émettre un seul son. Les deux autres gueulent et me secouent brutalement, mais je ne réagis toujours pas, complètement prostré. Devant moi, le Harry numérique joue les caïds et chante ses paroles, d'abord assis sur le parechoc d'une Cadillac, puis accroupi sur la table du Drive-in. S'ensuit des plans de Niall dans les cuisines, qui frappe tout ce qu'il trouve en guise de batterie, rapidement remplacé par Zayn et sa gueule de badboy, qui semble faire l'amour à sa basse. Lorsque ma tête échevelée jaillit à l'écran, je suis bousculé par Carrie et Harry au milieu de leurs hurlements.

Je n'en reviens pas. Ça y est.

Tout comme nous, des milliers de gens sont en train de découvrir cette vidéo, découvrir nos visages et notre musique. Tout ça me parait irréel.

Le clip cesse, j'ai les yeux qui clignent sans que je ne parvienne toujours à accrocher la réalité. Harry m'a attrapé le visage en heurtant nos fronts ; il crie, il tremble, embrasse deux fois mes cheveux. Carrie me serre elle aussi, je suis entraîné dans des sortes de sauts excités.

— Putain on est célèbres ça y est !

— Je suis tellement fière de vous !

— Notre vie va changer les blonds ! Dès ce moment tout va changer !

— Votre rêve se réalise c'est fabuleux !

— On va gagner du pognon, on va arrêter de galérer !

Les sauts et les cris cessent, cette fois je me retrouve enserré dans l'obscurité de deux corps. Nous respirons fort, soutenus par nos bras. J'aurais encore besoin de leur étreinte quelques minutes, mais des coups furieux retentissent sur notre porte. Le froid revient, Harry se jette pour aller ouvrir puis la folie reprend avec les trois autres gars. Leur joie explose. Moi aussi je suis heureux, c'est vrai, mais je n'arrive pas à sauter ni m'égosiller.

En vérité je crois que j'ai peur, comme à chaque changement crucial de ma vie, et là nous en vivons un sacré.

J'ai peur.

~*~

— Harry !

Trop de gens, trop de flashs, trop de costumes, il faut presque que je joue des coudes pour atteindre Harry dans cette foule.

— Harry, attends.

Enfin ma main saisit son poignet, je l'attire et colle mon visage contre son oreille pour couvrir le bruit.

— Qu'est-ce qui se passe on va où là ? La conférence de presse est finie non ?

— Ouais, mais Calvin nous emmène dans une soirée importante il a dit.

— Quoi ?! Mais on a dit à Carrie qu'on rentrait à 22H00. Il est déjà minuit.

Le brun secoue la tête avec agacement, commençant même à s'éloigner.

— C'est bon elle comprendra. Elle aura qu'à se commander à bouffer, se mater une série et dormir. Faut qu'on aille à cette soirée Lou c'est important pour la promo. Kiffe un peu mec, c'est mortel ce qui nous arrive.

Ses cheveux disparaissent dans la marée mondaine, moi j'arrête de le poursuivre car c'est trop pathétique. Une sublime jeune femme vient m'accoster, gloussant sous mon nez à quel point notre album lui plait. Moi je souris avec malaise, regardant tout autour les gens qui s'amusent et parlent carrière.

La carrière je n'y pense pas, je ne pense qu'à celle qui la subit.

Pour la troisième fois cette semaine, nous laissons notre blonde en plan, toute seule. Oui elle comprendra, mais combien de temps encore ?

~*~

— Mais pourquoi je ne peux pas l'emmener avec moi Calvin ? Tu m'expliques ?

Mon manager se balance sur sa chaise de bureau avec une aisance horripilante, comme si je n'étais pas du tout en train de péter une crise juste devant lui.

— Moi je m'en cogne d'être trimballé partout, mais la moindre des choses c'est que Carrie puisse avoir une place à côté de moi dans les soirées, pas uniquement celles que tu auras décidé.

— Louis, mon gars...

Aïe. Quand Calvin utilise ce mot, ça n'annonce rien de bon.

— Je suis patient avec toi, mais faut qu'on mette les choses au clair. Déjà, vous êtes un boy's band, donc personne n'est maqué, n'a de croyances, ne se drogue ou n'est gay, c'est comme ça. Ensuite, dans l'univers de la musique, ça se fait pas de trimballer sa femme en tournée et qu'elle soit agglutinée à toi H24. C'est ton travail mec, et au travail on emmène pas sa famille.

— Mon travail, parlons-en. Pourquoi personne ne jette un œil à mes dernières compositions ?

— Notre boite bosse déjà avec des compositeurs, les musiques sont étudiées en amont selon des critères précis puis vous le recevez pour les performer, tu sais très bien comment ça se passe.

— Mais j'ai toujours écrit pour notre groupe !

— Ton dernier chèque de salaire ne te convient pas ? Tu veux qu'on en rediscute ?

La sentence tombe, il n'y a plus rien à dire alors je quitte brusquement le bureau. Voilà le seul argument qui compte dans ce monde : t'as un gros chèque alors tu la boucles et tu fais ce qu'on te dit.

Sauf que ça ne va pas. Toute ma vie est en train de m'échapper.

Je devais composer, faire la musique que j'aime, être fier. Là tout ce que je fais, c'est faire le guignol devant des plateaux télés, répondre des stupidités à des magazines d'adolescentes et devoir mentir sur mes deux relations : l'officieuse et même l'officielle maintenant.

Je suis guitariste, pianiste, compositeur. Je ne suis pas un débile aux yeux bleus qui se trémousse au milieu de quatre autres mecs pour faire crier les filles.

Cette musique n'est pas ma musique.

Je suis en train de me perdre.

Nouilletteeeeee au rapport !

Bon ben voilà, c'était chouette l'amour hein ? Ben là ça pue ;p ! Pourquoi ça vous étonne même plus ?

Ouais ouais, j'ai les coms en retard sur l'autre chapitre, mais j'ai un départ de crève violent, alors je vous poste ça vite fait avant d'aller succomber.

Mon vieux Loulou, trop charmant. Finalement j'ai bien aimé passer à la couleur sur lui.

A très vite kissss kissss

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top