Ivann
Un vent froid soufflait dans les rues de Nadzieja. Comme chaque année, l'été peinait à s'imposer dans la grande capitale de l'Est. Un soleil trop pâle pour cette fin de printemps commençait tout juste à réchauffer les commerçants matinaux et les écoliers sur leur chemin quotidien. Ivann, en t-shirt, longeait lentement le boulevard encore désert. Le froid qui l'habitait constamment depuis des mois le rendait indifférent à la température extérieure. Ses pas le menaient par habitude à son lieu de travail, mais son esprit était ailleurs. Comme toujours. Le Ivann qu'avait aperçu Laelynn à la soirée d'Alexandre la nuit de sa première mission pour l'Organisation aurait presque eu l'air en bonne santé en comparaison de celui qu'il était devenu à présent. Sa maigreur, sa pâleur, ses cheveux sales et ébouriffés et ses yeux rouges soulignés par de grands cernes violets qui semblaient tomber sur ce qui restait de joues sur son visage, tout cela lui donnait un air si effrayant que plus personne autour de lui n'osait l'approcher. Il vivait seul, dans un logement mis à sa disposition par le ministère en échange de son travail. Il se rendait au Gouvernement tous les jours, où il remplissait ses missions journalières, qui consistaient en grande partie au tri des messages de dénonciations des membres de l'Organisation qui avaient réussi à s'échapper. Le Ministère en avait récupérer la majorité à présent, et tous avaient trouvé leur chemin dans les prisons de la capitale. Ivann parlait rarement, et quand il le faisait sa voix, rauque à force de n'être jamais utilisée, semblait sortir de son corps avec peine, comme si les mots eux-mêmes étaient déjà épuisés avant d'avoir été prononcés.
La vie au Ministère lui offrait une routine dans laquelle il restait enfermé pour ne pas laisser s'échapper le dernier souffle de vie qui lui restait. Il sentait sa raison vaciller un peu plus chaque jour tandis qu'il traquait sans relâche dans les lettres qu'il recevait le moindre indice de la présence de la femme qu'il aimait toujours et qu'on traitait en criminelle à présent. Chaque fois que, dans une de ces odieuses lettres, il avait cru lire le nom de Janelle, il avait senti son cœur s'arrêter. Mais alors il regardait à nouveau le papier froissé dans sa main, et le nom disparaissait, remplacé par un autre. L'excitation extrême qui l'habitait cessait alors et son cœur se remplissait à nouveau de la sensation de Vide qui lui était maintenant si familière.
Ces salops lui avaient fait tout dire, et il avait joué leur Jeu. Après la disparition du groupe un groupe « d'agents spéciaux du Gouvernement », comme ils se désignaient eux-mêmes, étaient venus lui extorquer toutes les informations qu'ils pouvaient obtenir de lui sur ses anciens camarades. Désespéré, rancunier, aigre, Ivann avait donné au Ministère ce qu'il voulait. Un instant de clarté dans son esprit torturé lui avait fait prendre conscience de sa trahison. Cet ultime coup l'aurait achevé s'il ne lui avait pas en même temps fourni une raison de vivre à laquelle s'accroché : protéger ceux qu'ils avaient mis en danger. Surmontant le dégoût qu'il avait de lui-même, il était retourné au Gouvernement pour obtenir ce travail en échange de sa collaboration. Depuis trois semaines maintenant, il ouvrait les courriers dans l'espoir d'être le premier à tomber sur la dénonciation de ses camarades si elle arrivait un jour.
Ivann sortit de se força à sortir de ses pensées en s'asseyant à son bureau. Une pile de lettres écrites par de bons citoyens qui pensaient bien faire en dénonçant des terroristes l'attendaient déjà. C'était une des forces de la tyrannique Appolyona: réussir à faire croire à tous qu'ils faisaient le bon choix, tout en les manipulant précisément dans le sens qu'elle voulait.
La lettre qu'il tenait à présent dans les mains avait tout l'air d'une piste vers d'autres membres de l'Organisation. Elle venait d'un paysan d'une des campagnes non loin du centre du pays. Une ferme se trouvait là où avait été aperçu depuis plusieurs semaines « un groupe de jeunes adultes dont la majorité ne semblait pas avoir la vingtaine ». Le cœur d'Ivann bondit en avant. Son visage resta impassible tandis que son esprit se mettait à bouillonner. Sa main trembla légèrement, et le papier fit un léger bruit entre ses doigts crispés.
« -Tout va bien, Ivann ? demanda sa collègue, les yeux écarquillés, un air légèrement apeuré sur le visage.
-Oui. » Répondit-il simplement. Il se leva, contourna son bureau jusqu'à la déchiqueteuse et détruisit consciencieusement la lettre après avoir pris soin de la dissimuler au milieu d'un paquet de fausses pistes diverses.
Quand il se rassit, sa collègue manqua défaillir : c'était la première fois qu'elle le voyait sourire.
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