25 | Convictions

Hello !
Voici encore ma petite note inutile xD
On retrouve Juliet dans ce chapitre (oui  je sais, ça fait longtemps-)

Prenez soin de vous, et bonne lecture

~

Juliet avait l'impression que sa vie s’était arrêtée le jour précis où on lui avait annoncé le décès de Ketleen Carthew.
La plupart des gens avait repris leur vie normalement, comme si l'auburn n'avait jamais réellement existé. Ils étaient passés par-dessus le supposé « deuil » et la vie avait continué. Une carte de condoléances, un bouquet de fleurs envoyé, et ils avaient vagué à leur prochaine occupation.

Juliet semblait incapable de faire la même chose, de dégeler le cours de sa vie afin de le reprendre comme avant.
Tout avait changé, et en même temps, le monde n'avait pas bougé d’un pouce.

Le ciel de Leicester était toujours aussi gris qu'avant. La jeune fille songea vaguement que Ketleen avait en horreur les jours où les nuages pleuraient toutes les larmes de leur corps. Cette pensée lui fit mal car Juliet réalisa que son amie ne vivrait plus jamais un de ces jours de pluie.

Aller au lycée était devenu une épreuve pour elle. Juliet ne s’était jamais plainte, car l’école lui offrait une échappatoire parfaite, mais parfois, la jeune fille ne voulait plus rien faire.
Juste regarda le ciel gris.
Il faisait toujours gris en hiver.

— Juliet ! Comment ça va ?
Elle ne reconnut pas la voix qui l'avait interpellée, mais pourtant elle répondit avec son plus joli faux sourire.
Il y avait quelques semaines, peut-être que la brune se serait énervée devant tant de flegme, ou alors elle serait partie à grands pas dans le couloir.
Aujourd’hui, Juliet n'avait plus la force pour faire grand-chose. Juste pour continuer à prétendre.
Quoique, l'art de « faire semblant » était devenu une habitude, au même titre que respirer. La brune ne pouvait pas vivre sans.

Juliet étouffa un soupir tandis qu'elle pénétrait dans le hall de son établissement. Aujourd’hui semblait être plus dur que les jours précédents. Elle songea vaguement qu'elle avait eu la même pensée hier. Et avant-hier. Et les autres jours de la semaine.

L’étudiante brune secoua légèrement la tête pour tenter de remettre en ordre ses pensées. Si elle continuait ainsi, elle était bonne pour rater ses A-levels. Même si Juliet savait qu’elle ne pouvait pas se permettre un tel relâchement, elle en avait terriblement envie.

— Juliet !
Elle tourna la tête en direction du bruit. Une jeune fille, qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, accourait vers elle.
— Je suis vraiment, mais genre vraiment, désolée. Mais j'ai pas réussi à noter le cours de la dernière fois. Tu veux bien que je m'assieds à côté de toi pour celui qui va venir ?
— Ouais. Si tu veux.

La brune aurait sûrement être outrée d’être utilisée sans considération, mais cette histoire ne pouvait pas la laisser plus indifférente que ça. Elle n’était plus à ça près, et peu importe qui était à ses cotés, cela restait un cours, peu propice aux bavardages.

Juliet promena ses yeux sur le décor du hall : les guirlandes de Noël avaient été enlevées pendant les vacances, ainsi que la banderole en l'hommage de Ketleen.
Au départ, cette affiche avait juste eu le don de la mettre en rogne, parce que des gens inconnus prétendaient être tristes pour une personne qu'ils ne connaissaient pas. Maintenant, cette banderole disparue était juste une preuve supplémentaire que tout le monde était passé à autre chose.
Tout le monde sauf Juliet. Juliet qui semblait être coincée dans le passé et les regrets.

Dans ces longs moments où elle restait allongée sur son lit à ne rien faire mis à part penser, elle ne souhait qu'une seule et unique chose : oublier.
Même si cela était une pensée purement égoïste, Juliet ne pouvait s’empêcher de se dire que tout aurait été plus simple si elle n’avait jamais rencontré Ketleen. Ou si l'existence de cette dernière aurait pu s'effacer de son cerveau.

Une énième fois, l’étudiante secoua sa tête dans l'espoir d'en chasser les idées noires qui s'y accumulaient. Comme si cela pouvait fonctionner.

Les morts survivaient dans la mémoire des gens. Juliet était bien des choses, mais elle n’était en aucun cas aveugle : les gens avaient beau être plein de considération, l'effet de mode s'estomperait, et ils se lasseraient.
Ketleen avait besoin d'elle encore une toute dernière fois. À défaut de survivre dans la mémoire collective, elle survivrait dans celle de Juliet.

C’était une promesse que la jeune fille brune s’était faite le jour précis de l'enterrement de son amie, lorsque son regard s’était posé sur la pierre tombale.
Juliet voulait croire qu'elle était une femme d'honneur, mais parfois, les promesses étaient dures à tenir jusqu’au bout.
Mais elle le ferait, pour Ketleen. Elle voulait désespérément y croire.

Quelqu'un lui rentra dedans, et le choc faillit lui faire lâcher la poignée de son sac. Juliet papillonna des paupières, revenant brutalement à la réalité.
L'anglaise balada une toute dernière fois ses yeux sur le hall, avant de se rendre dans sa salle de cours.

~

Juliet avait une fois de plus trouvé refuge dans la bibliothèque.
Même si la plupart du temps, elle s'appliquait à donner l'illusion qu'elle travaillait et qu'elle était donc une élève studieuse, ce n’était que rarement le cas.
L’étudiante se prenait souvent de passion pour le ciel. C'était pour quoi, elle faisait attention de choisir les tables les plus proches des fenêtres.

Quelques fois, Othman passait dans la bibliothèque rendre ou emprunter des livres. À chacune de ses visites, il prenait un soin appliqué à jeter un regard noir à la brune.
Cette dernière ne pouvait pas s'en ficher plus.
Ce que le noiraud au visage étroit pensait d'elle ne lui faisait ni chaud ni froid.

Aujourd’hui était un de ces jours où Othman se rendait à la bibliothèque. Même si le bureau du bibliothécaire était caché de sa vue par une imposante étagère, Juliet pouvait entendre sa voix.
Quand la conversation prit fin, elle retint un soupir, prête à recevoir sa dose quotidienne de regards noirs.

La sonnerie d'un téléphone résonna, et l’instant suivant, Othman s'excusa.
L’étudiant au visage étroit passa devant elle à toute vitesse tandis qu’il allait se plaçait dans le fond de la pièce, bien hors de vue du gérant.
Juliet haussa un sourcil : les téléphones n’étaient pas autorisés dans la bibliothèque, et aucun étudiant n'avait envie de se dérober à la règle. Le jeu n'en valait pas la chandelle.

Alors pourquoi Othman avait quand même pris son appel ? La jeune fille pouvait éliminer d’emblée l'option « pour la frime » : se balader avec un téléphone dans la bibliothèque n'avait rien d’impressionnant.

Bien malgré elle, Juliet sentit sa curiosité mal placée s'activer, et le besoin d'entendre la conversation se fit sentir.
C’était surement contre toutes les règles de politesse et de bienséance, mais la brune se tenait juste là, et elle avait des oreilles. Est-ce que c’était vraiment de sa faute si un bout de conversation lui parvenait ?
Elle n'allait pas s’excuser d'avoir un système auditif qui fonctionnait plutôt bien.

— Je ne prendrais pas ce risque si j’étais toi.
Juliet avait presque envie de lancer les paris. Ami ? Petite amie ? Ou petit ami ?
Un membre de la famille, cela pouvait être probable aussi.
La jeune fille eut un sourire qu'elle espérait discret : elle avait toujours aimé jouer les détectives petite, et ce léger toc semblait être resté en grandissant.

— Je te l’assure !
Une rupture ? Le sourire de Juliet s’agrandit. Bien sur, elle n’excluait pas la possibilité plus réaliste que cela soit dû à un problème familiaux, mais il était plus plaisant de penser à des choses légères. Juste pour changer un peu.
Extrapoler jusqu’à tirer dans l'absurde ou le comique, elle savait très bien le faire. Avant, dans ses plus jeunes années.

— Oh bordel.
Un juron cette fois-ci.
Avec amusement, Juliet vit le bibliothécaire tourner la tête de droite à gauche pour essayer de repérer l'origine du bruit. Mais Othman devait être chanceux car il se trouvait pile dans l'angle mort du gérant.
Ou alors il devait être juste très observateur et avait choisi cette position exprès.

— …

L’anglaise ne parvint pas à entendre la phrase suivante : le jeune homme avait dû la prononcer plus bas pour éviter d'attirer l’attention.
Juliet réprima un grognement de frustration : cette conversation n’était pas la sienne après tout.

— Je ne serais pas toujours là pour faire le sale boulot à ta place.

Le sourire de la jeune fille se figea : les paroles prononcées par Othman ne semblaient ni légères ni affectueuses mais lourdes de reproches.
Juliet n'avait aucune idée de ce que désignait le « sale boulot » et une chose n’était pas coutume, elle n'avait pas envie de savoir.
Pas quand une intention meurtrière était perceptible dans le ton du jeune homme. Peut-être que Juliet se faisait des idées ou qu'elle interprétait de travers.

Regrettant soudainement d'avoir écouté, l’étudiante rangea en vitesse ses affaires avant de se diriger vers la sortie.

~

— Tu te trouves souvent dans les parages quand je suis au téléphone.
La voix sifflante d’Othman résonna à sa droite, et la jeune fille sursauta quand elle vit apparaître sa silhouette hors de la pénombre.
— Tu étais au téléphone ? Quand ? répondit-elle en essayant de prendre un air innocent.
— Il y a quelques heures. Dans la bibliothèque.

Juliet s'appliqua à prendre un air songeur comme si elle était en train de fouiller dans sa mémoire afin de trouver le souvenir correspondant.
— La… bibliothèque ? répéta-t-elle d’un ton qui se voulait hésitant.
— Oui.
Othman fit quelques pas en avant, pour se stopper brutalement et se retourner vers elle.
— Je ne t'ai pas vu, avança prudemment la jeune fille.

Le noiraud ouvrit la bouche pour répliquer avec une énième accusation, mais Juliet fut plus rapide et lui coupa la parole :
— Mais je pourrais dire la même chose de toi, tu sais.
Othman haussa un sourcil et d'un simple coup de menton, il lui fit signe de continuer.
— Pour quelqu’un qui hurle sur tous les toits me détester, tu es bien trop souvent avec moi.

La brune avait pris le ton le plus nonchalant qu'elle avait en réserve, mais son interlocuteur ne fut pas trompé : il plissa les yeux à l'entente de ses paroles.
— Simples coïncidences.
— Si tu crois aux coïncidences – elle haussa les épaules – alors vois cela comme telles.

Juliet croisa les bras sur sa poitrine.
— Si tu as terminé ta petite interrogation, est ce que j'ai ta sainte autorisation pour rentrer chez moi ?

Othman la dévisagea encore quelques secondes de ses étranges yeux qui étaient un peu trop dorés pour être brun, et pas assez jaune pour être considéré comme or.
Juliet resserra un peu plus ses bras contre sa poitrine, dans l'espoir de ne pas montrer à l’étudiant à quel point son regard inquisiteur la dérangeait.
— Si je disais non, tu partirais quand même.
— Tu as tout compris.
La jeune fille lui fit don d'un joli sourire faux bien brillant, un de ceux qu'Othman ne supportait pas, et ils le savaient pertinemment tous les deux.
Néanmoins, l’étudiant parvint à maintenir un visage impassible malgré la provocation de Juliet.

Sans se départir de son sourire, cette dernière fit demi tour, et commença à remonter la rue, esquivant soigneusement le parking des voitures.

~

— Tu m’évites en ce moment.

A l'entente de la voix de sa mère, Juliet reposa soigneusement la poêle qu'elle tenait entre ses mains.
Quand il n'y avait personne à la maison, son père adorait se faire cuire des œufs au bacon. Mais le seul problème était qu’il prenait un certain soin à laisser l’ustensile plein de gras dans l’évier, sans le laver.
Étant donné que sa mère papillonnait toujours de gauche à droite, la plupart du temps, c’était Juliet qui devait se coller à la corvée de nettoyage.
Dès que son petit frère serait suffisamment grand pour atteindre le haut de l'évier, la jeune fille s’était jurée de lui apprendre à faire la vaisselle.

Mais cela n'expliquait pas ce que faisait Hermia à cette heure-ci dans la cuisine.
— Tu es déjà rentrée ? répliqua machinalement Juliet. Tu n’es jamais là si tôt d'habitude.
— Sauf quand je viens te chercher.

La jeune fille réprima un autre soupir, avant de poser la poêle qu'elle tenait sur l’évier et de se tourner entièrement vers sa génitrice.
— Pardon ? Tu viens quasiment jamais me chercher au lycée. Et quand tu le fais, c'est toujours avec une idée derrière la tête.
— Mais enfin Juliet, comment vois-tu ta propre mère ?!

Hermia avait essayé de prendre un ton choqué qui se voulait convainquant, mais cela ne marchait sur Juliet.
— Je peux marcher. Hadrian a plus besoin que tu viennes le chercher que moi.
— C'est trop difficile pour toi d'imaginer que je veuille passer du temps avec ma fille ? contra immédiatement sa mère.
— À la réflexion… oui !

La brune avait été la première à hausser le ton. Elle reprit la poêle en main. Ses doigts tremblaient quand elle saisit le manche, et elle se concentra pour stabiliser son poignet.
Avec des mouvements hachés et entrecoupés de sursauts, l’étudiante tenta de retourner à sa tâche principale.
— Eh bien apparemment c'est le seul moyen pour avoir une discussion avec toi !

Juliet lâcha l'ustensile de cuisine qui vint heurter le fond de l’évier dans un grondement métallique qui résonna dans la maison.
— On a une discussion maintenant.
Elle essaya de garder un ton le plus froid possible, ne voulant pas laisser la colère s’insinuer dans sa tête comme un serpent. Mais au vu de la réaction de sa mère, elle sut qu'elle n'avait pas entièrement réussi.
— De quoi voulais tu parler ? reprit-elle néanmoins.

Hermia croisa ses bras sur sa poitrine tandis que son long visage, si semblable à celui de sa fille, se déformait en une grimace.
— Tu m'en veux pour une quelconque raison. Je veux savoir laquelle.
— Hm, je sais pas moi. Peut-être le fait que tu sembles persuadée de n'avoir qu’une fille ? Et que tu ne sembles pas reconnaître Hadrian comme un membre de cette putain de famille ?!

Un air choqué passa sur le visage d'Hermia quand elle entendit le langage fleurit de sa fille. Mais bien vite, il fut remplacé par un regard de colère pur.
— Hadrian, Hadrian, Hadrian ! Tu n’as que son nom à la bouche ! Laisse-le vivre bon sang !
— Vu comme tu t'occupes bien de lui, je n’ai pas trop le choix !

La gifle partit toute seule. Juliet ouvrit la bouche, abasourdie, tandis que sa joue droite commençait à la lancer.
Sa mère venait de lever la main sur elle. Sa mère.
Mais Hermia semblait être trop hors d'elle pour remarquer la réaction de sa fille.
— Il n'aurait jamais dû exister. Jamais. Ton père, ton père…

Sa génitrice se coupa abruptement, réalisant sûrement qu'elle en avait dit trop.
Le visage blanc, elle sortit à toute vitesse de la cuisine, comme si un feu venait de s'allumer.
Juliet resta bras ballants dans la pièce, sa joue droite la lançant, la tête bourdonnant de pensées dont elle ne voulait pas.

~

La jeune fille regrettait presque d’avoir souhaité une confrontation avec sa mère. Parce qu’elle n’avait pas du tout été prête à entendre les paroles de sa génitrice, qu'elles soient véridiques ou non.
« Ton père… ton père… »
Cette hésitation voulait tout dire, et rien à la fois. Mais elle était assez explicite pour que Juliet puisse imaginer la fin de la phrase sans trop de soucis.

L’étudiante se retourna dans son lit, et réajusta le coussin sous sa tête.
Chose qui n’était pas coutume, Hermia avait eu un air coupable quand Juliet l’avait surprise en train de quitter la maison. Comme si elle regrettait les paroles adressées à sa fille.
Mais ce qui était dit ne pouvait plus être effacé, et sa mère le savait pertinemment. Alors une fois de plus, elle choisissait la méthode de facilité : fuir.
Bien que l’air coupable fut une nouveauté.

Juliet poussa un discret grognement de désespération tandis qu'elle enfouit son visage dans son oreiller.
Il était actuellement cinq heures trente-et-une du matin, et l'anglaise n'avait rien de mieux à faire que d’attendre que son réveil sonne et de commencer cette journée.
Evidemment, en plus de s’être endormie à pas d’heures, la tête remplie de pensées, Juliet avait dû se lever bien avant son réveil, le cerveau tout aussi bourdonnant que la veille.
Cela annonçait être une mauvaise journée.

La brune poussa un soupir et se retourna sur le dos, dans l'espoir de faire passer le temps un peu plus vite.

~

— Juliet ?
— Quoi ?
Son petit frère lui jeta un regard étonné devant son ton mordant. La jeune fille regretta immédiatement d’avoir laissé échapper un peu de sa colère sur Hadrian.
Il s’en prenait suffisamment assez par jour, Juliet n'avait pas besoin de rajouter sa couche personnelle.
— Désolée.
Elle fit un vague geste des mains afin d’exprimer son impuissance.
— Je– ce n’était pas voulu. Je t’écoute ?
— Pourquoi t'as l'air si énervée aujourd’hui ?

La brune se força à sourire.
— C'est ma tête naturelle, voyons.
Adri lui tira la langue avec un peu trop d'application à son goût.
— Je te crois pas ! D’habitude, tu as toujours ton sourire un peu débile.
Juliet ravala péniblement une grimace : visiblement, le tact semblait être une notion abstraite pour son petit frère, qui aimait bien enfoncer les portes ouvertes et appuyer là où cela faisait mal.
— Mon sourire n'est pas « débile » comme tu le dis si bien. Il est charmeur, c’est toute la nuance !
— Peut-être. Mais tu souries plus quand même.

Le coin de la bouche de Juliet fut agité de quelques tics nerveux qu'elle ne pouvait pas contrôler.
— Je viens de sourire à l'instant.
En guise de réponse, Adri lui fit silencieusement « non » de la tête. La jeune fille se retrouva désarmée face à cette muette répartie.
Parce que, même si elle prétendait le contraire, son petit frère avait vu bien plus juste que tous ses « amis » qu'elle s’était fait dans son établissement.
Juliet ne savait pas si cela lui soulevait le cœur, ou si cela la rendait encore un peu plus triste.

~

Les conversations des personnes formaient autour d'elle un mur de brouhaha et de grésillements sonores, dont elle se serait passée sans problème.
Aller à la bibliothèque pouvait être reposant, mais encore fallait il s'y trouver pendant la bonne plage d’horaires, quand elle n’était pas encore bondée.
Ce qui n’était pas le cas en cet instant.

Juliet passa ses mains sur ses tempes, et les massa dans l'espoir d’atténuer son mal de tête.
« Est-ce que tu as une petite idée de ce que j'ai vu hier soir ? »
« Ooh, mais je ne t'ai pas fait entendre la dernière chanson de… »
« L'exercice quarante… tu l'as compris ? »

Juliet était prise de l'envie soudaine de se lever et de leur crier à tous de la fermer. Même si cela signifiait faire une scène devant tout le monde, même si cela signifiait passer encore plus pour une folle.
La jeune fille ne supportait plus l’écho de leurs voix. Cela la rendait malade. Son établissement la rendait malade.

— Juliet ?
— Quoi Liz ?
Son intonation se voulait dure et désagréable. En ce moment, l’étudiante brune n’avait aucune pitié avec ses camarades.
— Je peux te demander un truc ?
— Non, je suis désolée : je suis pas mal occupée.
Comme pour justifier ses dires, la brune tapota son stylo contre le bois verni de la table.
— Oh désolée, madame est encore de mauvaise humeur aujourd’hui.
Juliet ne prit même pas la peine de relever le encore. Elle ne prit même pas la peine de répondre. Cela faisait longtemps qu'elle avait arrêté de prêter une sérieuse attention aux paroles de Liz.
— Tu as terminé ? Il faut que j'y aille maintenant.

Prise de court, l’étudiante blonde ferma sa bouche qui était restée grande ouverte, et lança un regard noir non dissimulé à Juliet.
La brune n'y accorda pas la moindre importance, et elle finit de rassembler ses affaires afin de pouvoir sortir.
Quand elle poussa les portes de la bibliothèque, elle fit semblant de ne pas voir la façon dont Liz parlait à l’oreille de son voisin de droite, tout en la dévisageant d'un air mauvais.

Liz pouvait bien raconter ce qu’elle voulait sur Juliet, la brune n’était plus à ça près.

~

— Juliet !
La jeune fille pivota sur elle-même afin d'essayer d’apercevoir l’identité de la personne qui venait de l’interpeller.
De l’autre côté de la route, se tenait la mère de Ketleen. La brune fit son plus beau sourire avant de répondre.
— Madame Carthew !
Cette dernière lui signe de traverser au prochain passage piéton, et Juliet s’exécuta aussi vite que possible.
— Que fais tu dehors à cette heure ci ? lui demanda la femme aux mèches rousses, une fois que Juliet fut arrivée à sa hauteur.
— J’ai terminé les cours.
— Si tôt ? Oh, tu as de la chance.

La brune hocha la tête, ne sachant pas quoi dire d’autre. Présenter une seconde fois ses condoléances pour gâcher l’atmosphère ?
Juliet finit par opter pour un retour de question.
— Et toi ? Qu'est ce qu'il t’amène dans les environs du Gateway College ?

En souriant, Annabelle lui désigna le panier accroché à son bras.
— Juste quelques courses, histoire de me dégourdir les jambes.
La jeune fille hocha la tête, même si elle ne voyait pas pourquoi la femme rousse prenait la peine de revenir dans les alentours du lycée, et ainsi de prendre le risque de rouvrir des plaies à peine refermées.
Mais elle supposait que tout le monde avait des façons différentes de gérer le deuil.

— Ça m’a fait plaisir de te revoir, Juliet. Surtout dans d’autres circonstances…
Annabelle ne termina pas sa phrase, mais ce fut suffisant pour que la brune saisisse ce qu’elle voulait dire. Elle se retint de lâcher qu’elle avait vécu l’enterrement de l’une de ses amies les plus proches deux fois d’affilées, et mise à part une forte consommation de drogues, elle ne voyait rien qui l’expliquait.

— Le plaisir est partagé, Annabelle.
— Fais attention à toi Juliet.
— Toujours Madame.

La femme rousse lui adressa un sourire chaleureux qui fit ressortir ses fossettes dont Ketleen avait hérité. Mais la jeune fille souriait si peu qu'il était rare de voir ses coins de joues se soulever.
— Pas de Madame avec moi, Juliet. Pas après tout ce temps.
— J'oublie toujours. Prends soin de toi, Annabelle.

La mère endeuillée vint lui tapoter le bras en lui offrant un énième sourire. Juliet ne put s’empêcher de lui trouver un air de fausseté, comme un maquillage bien ajusté, mais dont les bords commençaient à s'effriter.
Pourtant, la brune eut la présence d'esprit de ne pas lancer un regard trop insistant sur Annabelle, ni de continuer à la fixer sans aucune raison apparente.

La femme rousse se tourna de trois-quarts pour pouvoir regarder par-dessus l’épaule de Juliet sans que cela ait l'air trop évident.
La jeune fille prit sur elle pour ne pas suivre la direction que prenait le regard d'Annabelle. La femme dût voir ce qu'elle cherchait, car l'instant d’après, elle s’était repositionnée normalement.

— Bonne journée !
Juliet rendit la formule de politesse d'un air distrait, et dès que Annabelle fut passée dans son dos, elle fit volte face afin d'essayer d'apercevoir ce qui avait bien pu retenir son attention.

Le parvis devant son établissement était vide de toute présence si ce n’était les quelques voitures garées.
Ses yeux poursuivirent leur course, et ils tombèrent sur Othman. Ce dernier irradiait la joie de mal-vivre comme à son habitude. Il se tenait bien droit, le corps tendu comme la corde d'un arc, le téléphone à la main.

La respiration de la brune se coupa net. Est-ce qu’Annabelle allait vraiment s’arrêter pour parler avec Othman ?
Elle ne voyait aucune raison pour laquelle la mère de Ketleen connaîtrait un étudiant arrivé au début de l’année et dont sa fille ne connaissait même pas l'existence. Mais les faits étaient bien là : à l'enterrement, Juliet les avait vus parler ensemble.
Si l'on pouvait toujours accorder de la valeur à son ressenti, bien évidemment, étant donné qu'elle avait réussi à revivre la même journée en réalisant des actions différentes.
Sa santé mentale était facilement discutable à ce point.

Tandis que Juliet continuait à rester en apnée, Annabelle Carthew traversa la route, et passa devant Othman sans le moindre petit signe de reconnaissance.
Cela excluait donc la possibilité que le jeune homme soit un ami d'enfance de Ketleen : la rousse ne semblait montrer aucun signe d’affection envers lui.
Et pourtant, ils se connaissaient, Juliet en était certaine. Jusqu’à maintenant, en tout cas.

La jeune fille commençait à douter de la véracité de la scène à laquelle elle avait assisté. Est-ce qu'elle aurait pu mélanger le rêve et la réalité à ce point ?
Elle aurait voulu affirmer que non, mais ces derniers temps, elle n’était plus sûre de rien.

Annabelle s’arrêta un peu plus loin, devant une voiture garée dans la ruelle qui longeait le Gateway College. La jeune fille prit quelques minutes avant de reconnaître le véhicule qu'utilisait la mère de Ketleen.

La femme rousse s’adossa contre la portière de sa voiture et se mit à fouiller dans son sac. Elle en sortit un petit miroir, qu'elle plaça de façon à avoir une vue sur son visage.
Annabelle s'empara de son rouge à lèvres, fit quelques retouches avant de tout remballer dans son sac.

Sous le yeux attentifs de Juliet, elle rentra dans l'habitacle, et mit le contact. Quand le bruit du moteur gronda, la jeune fille détourna les yeux : la mère de son amie avait eu un comportement on ne pouvait plus normal.
Ses pupilles parcoururent le chemin qu'avait emprunté Annabelle en sens inverse, jusqu'à tomber de nouveau sur Othman.

Alors qu’elle s’apprêtait à détourner le regard et à faire volte face, le jeune homme releva brutalement la tête, sans aucun signe prévenant son geste.
La respiration de Juliet se coupa net.
Son cœur battait étrangement vite, et la brune mit du temps avant d'identifier cette sensation.
La peur.
Même si l’anglaise pouvait avoir un millier de raisons différentes de regarder dans la direction d'Othman, une aura de danger émanait du jeune homme.

Et elle eut soudainement conscience de la menace à peine dissimulée que lui adressait le brun.

Parce que tourner les talons et se mettre à courir n’était pas une option acceptable, surtout si elle voulait conserver une image innocente, Juliet opta rapidement pour une autre approche.
Écoutant son instinct, l’étudiante décrocha un grand sourire au brun – comme si elle venait de le surprendre en train de la regarder.
Poussant la comédie un peu plus loin, Juliet rajouta un clin d’œil tout en tirant la langue.

Plus ou moins satisfaite, et le cœur battant à lui casser les côtes, elle tourna les talons, et commença à descendre la route le plus lentement possible, afin de ne pas donner l'impression qu'elle fuyait.

Quand son établissement scolaire fut loin derrière elle, la jeune fille se mit à respirer un peu mieux.
Voilà ce qu'elle gagnait à se mêler de choses qui ne la concernaient pas.

~

Juliet était allongée sur son lit, préférant contempler le plafond plutôt que de s'atteler à la tâche qu’était ses devoirs.
Elle les ferait plus tard sans aucun problème.

Il était déjà vingt-deux heures passées, et ce fut pour cette raison précise que la sonnerie de son téléphone lui déclencha l’équivalent d'une mini crise cardiaque.
Les doigts cherchant à l'aveugle parmi la pénombre de sa chambre, elle finit par se saisir de l’appareil électronique.

La jeune fille plissa les yeux quand la lumière bleue de l’écran vint lui agresser les rétines, l'empêchant ainsi de distinguer correctement le numéro.
La brune décrocha tout de même : si on l'appelait à cette heure-ci, cela devait sûrement être pour quelque chose de grave.

— Juliet ?
La jeune fille écarquilla de grands yeux en reconnaissant la voix de son interlocuteur.
— Othman ? Mais bordel, comment t’as eu mon numéro ?
— Je n'ai pas le temps, alors épargne moi quelques précieuses secondes.
Juliet prit une profonde inspiration, avant de répondre :
— Très bien. Je te laisse une minute avant de raccrocher : je t’écoute.
Elle entendit Othman expulser tout l'air de ses poumons – d’agacement ou simplement pour l'énerver ? – avant de reprendre :
— Annabelle Carthew a eu un accident de voiture.

Des pensées explosèrent dans sa tête tandis qu'elle essayait de se raccrocher à quelque chose, n'importe quoi qui puisse la retenir un peu plus longtemps.

— Juliet ? répéta Othman, et si la brune le connaissait moins bien, elle aurait parié entendre de l’inquiétude dans la voix du jeune homme.
— Elle a… survécu ?
Ce fut la seule de ses pensées qui parvint à prendre vie sur ses lèvres.
C’était sûrement pour le mieux.
Le long blanc que laissa passer Othman parla pour lui-même, et Juliet raccrocha net, n’ayant pas la force d'endiguer les remarques narquoises du noiraud.

Othman s’était contenté de laisser un blanc. Cela pouvait également signifier qu'Annabelle était dans un état critique, et que Juliet sautait encore sur des conclusions inutiles.
Et qu’elle se torturait mentalement pour rien.

La brune voulait croire à cette version des choses, mais malheureusement, quelque chose lui soufflait que ce n’était pas le cas.
Juliet se rallongea sur son matelas, le cœur battant à rompre sa cage thoracique, ne sachant pas quoi faire de son corps.

Pourquoi c’était Othman qui l'avait appelée ? Un proche de la famille d'Annabelle aurait été plus logique.
Et comment s’était-il procuré son numéro ? Cela restait un mystère.

Tandis qu'elle se perdait parmi ses pensées et ses questions,  Juliet réalisa qu'elle avait depuis longtemps perdu le sens de son existence, et la mort de Ketleen n’avait fait qu'accentuer ce sentiment.
Et elle refusait de vivre la mort d'Annabelle. Elle n'irait pas une troisième fois à un enterrement d'une Carthew.
Juliet voulait le croire de toutes ses forces, mais elle en n’était plus si sûre, étant donné que toutes ses convictions semblaient s’écrouler les unes après les autres.

~

Merci beaucoup à vous de continuer à lire jusque ici ♡ ça me touche énormément~

PS : l'étoile est jaune, pour mes petites rageuses préférées 💖

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