24 | ❝L'espoir fait vivre❞
Hello !
J'espère que ça va pour vous~
Mes nda sont soit désespérément vides, soit beaucoup trop remplies pour ne rien dire T^T
J'arrête de parler pour rien dire, et bonne lecture :3
~
Lewis avait toujours aimé entendre la douce voix de sa mère lui raconter des histoires. A l’époque, un simple conte lui suffisait pour s'endormir, bercé par les murmures de Méloée.
Mais son préféré restait indéniablement le récit de la création de Diképhios.
Peut-être parce que le conte alliait stratégiquement réalité et fiction, si bien qu'on ne savait plus distinguer l'une de l'autre.
Il ne savait même plus le nombre de fois qu’il avait supplié sa mère pour qu’elle lui lise cette fameuse histoire.
Des milliers de fois, sûrement.
Isak gémit dans son sommeil, et se retourna dans son lit, faisant grincer le sommier. Lewis se figea quelques instants dans le noir, attendant de voir si le jeune homme allait se réveiller ou non.
Mais le blond semblait être trop enfoncé dans son rêve pour pouvoir en sortir. Ou cauchemar, si l'on en croyait les légers grognements que poussait Isak, et les petits soubresauts qui l’agitaient.
Pendant un instant, le brun considéra sérieusement l’option de réveiller son colocataire, mais à peine avait il esquissé un geste en direction de son ami que ce dernier s’était calmé.
Lewis laissa retomber son bras et son dos contre son matelas.
Le silence remplit la pièce en quelques secondes. Le jeune homme s’accorda un peu de temps pour éloigner ses pensées, se concentrant sur sa respiration et celle d'Isak qui lui faisait écho.
Lewis n'avait aucune idée de pourquoi ces anciens contes de son enfance ressortaient si soudainement dans son esprit.
Le jeune homme remonta ses bras et les croisa derrière sa tête, sur l'oreiller.
Ses souvenirs étaient partiellement altérés, mais étant frappé d’insomnie, le brun ne voyait aucune autre chose à faire, mise à part plonger de nouveau dans les récits d'enfance.
Il y avait toujours eu trois mondes, si emmêlés les uns avec les autres que leurs frontières se brouillaient jusqu’à devenir indiscernables. C’étaient des faits avérés, et reconnus que l’on pouvait trouver dans n’importe quel livre d'histoire.
Le conte narrait que le troisième et dernier monde, Treikomos, était peuplé d’êtres assoiffés de pouvoir, ne connaissant aucune limite à leur désir de conquête. Ainsi, un général avait pris la direction des armées de Treikomos…
Lewis se retourna dans son lit, replaçant ses bras le long de son corps. Le nom du fameux général de la légende ne voulait pas lui revenir en mémoire.
Le brun tenta de se concentrer, mais plus il s'obstinait à fouiller dans ses souvenirs, plus le nom continuait à lui échapper en permanence. Il avait l'impression de le savoir, sans pour autant être capable de l'annoncer.
Cette sensation était frustrante.
Bon. Lewis supposait que le nom du général ne devait pas être si important au final. Du moment que les actions passées étaient restituées avec plus ou moins d’exactitude.
Le général, à la tête des armées de Treikomos, s’était donc empressé de marcher sur le premier monde : la Terre. Evidemment, sans magie ni autres moyens de se défendre contre des mages contrôlant les quatre éléments, le sort des terriens avait vite été scellé. La Terre avait été obligée de capituler.
Mais le général ne s’était pas arrêté là.
Sa mère aimait lui répéter que sa cupidité l'avait dévoré tout entier, si bien qu'il voulu conquérir le deuxième monde, encore libre.
Et ce fut ce qu'il fit. Treikomos marcha contre Diképhios. L’issue de la guerre – si on pouvait vraiment appeler cela une guerre – était une évidence même.
Jusqu'ici, le récit du conte et les faits historiques s'accordaient plutôt bien, mise à part la question sur l'existence de ce fameux général.
Un nouveau bruit le sortit une nouvelle fois de ses pensées, et son origine ne provenait non pas d'Isak, mais de la fenêtre.
Des clapotements réguliers retentissaient de plus en plus fort contre les volets en bois.
Lewis maudit son incapacité du soir à rester focalisé sur ses propres pensées. Tout semblait vouloir le distraire.
Une rafale de pluie plus forte que les précédentes s’abattit sur le volet, l'écho du choc entre le bois et les gouttes résonnant dans la pièce.
Le jeune homme s’accorda un court répit, se laissant bercer par les sons de l’eau tombante du ciel. Il y avait quelque chose de satisfaisant à être sous sa couette tandis qu'il pleuvait comme chiens et chats à l’extérieur.
Un peu plus détendu qu’il y avait quelques minutes, le jeune homme se ré-enfonça dans son matelas.
Il fallait qu'il maintienne sa concentration un peu plus longtemps que cinq minutes.
C’était à partir du moment où Treikomos avait envahi les deux mondes que, histoire et fiction commençaient à diverger dans deux directions différentes.
Le conte affirmait que la Terre s’était soumise sans protester. Que Diképhios avait fait de même, à l’exception d'une personne qui avait continué à faire face à la puissance du troisième monde. Seule.
Ce guerrier dikos, comme le clamait haut et fort le conte, n’avait pas supporté les violences et le harcèlement quotidien que subissait son peuple.
Alors, malgré tout, il s’était dressé face à Treikomos.
Et devant l’impossibilité de faire reculer l'ennemi seul, maudire Diképhios – sa terre natale – lui était apparu comme l'unique solution réalisable. Selon cette légende, le déclin des mages provenait de ce guerrier, poussé à bout par les injustices, et qui avait déterminé que décéder prématurément valait toujours mieux que de mourir les chaînes au cou.
Le guerrier dikos avait atteint son but, et les armées treimos s’étaient retirées.
Mais évidemment, il existait de nombreuses légendes qui divergeaient toutes après l’invasion treimos.
Certaines disaient que les quatre Dieux Fondateurs étaient arrivés pour venger le peuple de Diképhios. D'autres, qu'il n'y avait ni malédiction ni dieux, que Treikomos s’était simplement lassée des terres dikos.
Aucune version n’était en accord avec l’autre, et c’était se rendre fou que d'essayer de noter chaque petit détail qui différait.
Le récit du conte de son enfance était embrouillé dans sa tête, mélangé à des faits historiques et autres légendes dont on lui avait déjà fait part.
Lewis avait perdu toute notion de l’heure depuis un bon petit moment, mais en tous cas, son petit travail de mémoire ne semblait pas vouloir faire passer son insomnie.
Pendant un instant, il considéra l'option d’aller faire une balade nocturne dans les Quartiers Généraux, mais à la réflexion, il n’était pas sûr que ses supérieurs apprécient.
De plus, Isak semblait avoir retrouvé un sommeil plus ou moins tranquille, et Lewis n'avait pas le cœur à l'en tirer.
Cela faisait trop de nuits qu'il entendait son ami s'agiter et gémir dans son sommeil pour qu'il soit égoïste : les rêves d'Isak ne semblaient pas être un monde reposant.
Le matin, le brun n'avait jamais mentionné les larges cernes noirs qui couraient sous les yeux d'Isak, et le blond avait toujours pris soin d’éviter le regard de Lewis au réveil.
Il faudrait bien qu'ils en discutent tôt ou tard, et pour une fois, le brun ne semblait pas être le seul à être réticent à aborder le sujet.
Il préférait attendre qu’Isak fasse le premier pas. Couardise ou procrastination, cela revenait au même : le jeune homme voulait laisser du temps à son ami pour qu'il puisse lui faire suffisamment confiance.
Lewis expira doucement afin de ne pas troubler le silence de la pièce.
Il se reconcentra une énième fois, en focalisant sur les faits historiques, changeant de registre.
La plupart des historiens s'accordaient à dire que les armées treimos avaient été chassées par les révoltes quotidiennes, et l'air poisseux de Diképhios qui avait un effet négatif sur les mages.
Mais Lewis songea qu’on ne lui avait jamais précisé quel avait été le rôle des Illusionnistes dans tout cela. Dans sa jeunesse, on avait omis ce fait parce qu’il était censé ne jamais être au courant, et Noray avait survolé la question, trop occupé à lui révéler des informations confidentielles mais inutiles pour lui.
Il y avait bien dû y avoir un événement qui les avaient poussés à cacher leur présence et leur existence par tous les moyens.
Quelque chose de gros se cachait dessous, et le brun n'avait aucune idée de ce que cela pouvait bien être. Ce n’était pas non plus la priorité de ses soucis.
Lewis passa une main dans ses mèches bouclées, comme si ce geste allait pouvoir l'aider d'une quelconque manière.
Ce n’était pas le cas.
Le jeune homme ferma ses paupières, acceptant de rester éveillé encore quelques heures dans une obscurité la plus totale.
~
— Est-ce que je t'ai dérangé hier soir ?
Lewis haussa un sourcil, et cessa d'ordonner les couvertures de son lit pour venir dévisager Isak.
— Non.
— Ne mens pas !
Le blond passa une main sur son front, regrettant déjà son haussement de ton, avant de reprendre d'une voix plus calme :
— Je veux dire… je sais que j'ai été bruyant. Dérangeant. Pas le colocataire idéal en somme. Je tenais à m'excuser. Pour avoir troublé ta nuit.
Le soldat à la peau brune eut un bref éclat de rire afin de signifier au blond qu'il se mettait à accorder de l'importance à des choses qui n'en avaient pas.
— Je ne dormais pas. Insomnie. C’est toute la nuance. Donc théoriquement, tu ne m'as pas réveillé.
Un étrange mélange de soulagement et de déception passa fugacement sur les traits de son ami, et Lewis ne sut pas comment interpréter le résultat.
— Tu es sûr que tout va bien ? demanda à tout hasard le brun, ne sachant pas si Isak allait répondre ou simplement le remballer, lui et sa question idiote.
Le blond sembla peser le pour et le contre pendant quelques instants, avant de répondre d’une voix qui s’efforçait d’être légère :
— Oui. Oui, je n'ai pas de mort programmée à éviter, donc je suppose qu’on peut dire que tout va bien dans ma vie.
Le jeune homme réfréna son envie pressante d'insister. Cela n’aurait comme résultat que le renfermement d'Isak sur lui-même.
— Si tu le dis, ajouta quand même Lewis pour faire bonne mesure.
— Je l’affirme, même.
Lewis se retrouva soudainement à court de mots, comme si ces derniers venaient de l’abandonner.
Alors, il se contenta d’un bref hochement de tête en direction de son ami en espérant que ce dernier serait capable de lire son soutien dans ce geste.
— Ketleen doit m'attendre.
Il fit un signe en direction de la porte.
— J'y vais. Rejoins-nous, si tu veux.
Le blond étira rapidement ses lèvres avant de revenir à une expression plus neutre.
— On n'a pas d'entrainement ce matin. Je pense que je vais en profiter pour rester, ehm, ici. Me reposer, tu sais, et ce qui va avec.
Le soldat brun hocha une nouvelle fois la tête, à croire qu’il ne savait faire que ça.
Une fois n’était pas coutume, il se retrouva bras ballants dans le silence, sans savoir quoi dire au blond. Isak était généralement quelqu’un avec qui il était facile d'entamer une discussion.
Ce n'était plus le cas, pas en ce moment précis.
Lewis laissa échapper un soupir qu'il espéra discret, avant d’ouvrir la porte de l’appartement et d'en sortir.
Sa relation avec Isak, qui avait si mal commencé avant de rentrer dans les rails, était en train de tomber en ruine.
Et Lewis n'avait aucune idée de comment la réparer.
~
Ketleen fixait ses toasts beurrés et son lard d'un œil mauvais comme si sa nourriture était hantée par une entité mystérieuse.
— Elle ne va pas te manger, tu sais.
— Pardon ?
Le brun écarquilla discrètement les yeux : la jeune fille devait vraiment être distraite au point de ne pas répondre au sarcasme par du sarcasme.
L'auburn prit une bouchée de son plat.
— Je n’ai pas oublié que tu refusais de me dire quelque chose.
Une alarme se déclencha dans son esprit, mais le soldat s’obligea à garder un visage impassible pour ne trahir aucune information délicate.
— On en avait déjà parlé, répliqua Lewis en accrochant quelques mots.
— On l’a fait ?
L'intonation montante de Ketleen ainsi que son léger haussement de sourcils ne trompa pas : si elle avait gardé en mémoire l'information manquante, ce n'avait pas été le cas de leur conversation.
— Oui.
Les yeux brun doré de l’auburn le dévisagèrent rapidement de haut en bas, et Lewis eut la désagréable sensation qu'elle était en train de tester sa sincérité.
— Et qu'est ce que j'ai dit ?
— Que tu allais me faire confiance. Pour l'instant, ajouta-t-il avec une grimace non dissimulée afin d’alléger l’atmosphère.
— D'accord. Voyons donc jusqu’où durera cet « instant ».
Ketleen eut un grand sourire qui aurait facilement pu être qualifié de maniaque, et pendant un long moment, Lewis ne sut comment réagir.
Plaisanter ? Se défendre et protester ? Ou rester passif ?
Le brun opta pour le dernier choix. Il n’avait pas envie de provoquer intentionnellement la jeune fille.
Devant son absence de réponse, Ketleen agrandit encore un peu son sourire avant de laisser les coins de sa bouche retomber.
Un silence inconfortable s’installa entre eux.
Lewis changea plusieurs fois de position, ajustant et réajustant ses habits.
— Isak ne nous rejoindra pas pour le petit-déjeuner ? demanda soudainement l'auburn, brisant la glace.
— Non. Il a dit qu'il profitait du répit pour se reposer un peu.
Ketleen eut un ricanement moqueur, avant d’ajouter d’un commentaire.
— Soit il est fourré avec Maël, soit il veut être seul.
— Ce qu'il fait de sa vie privée ne nous concerne pas, répondit Lewis.
— C'est vrai. Mais je pense que tu te devrais te soucier de lui. Tu es son ami.
Le soldat brun se pencha en avant pour avoir une meilleure vue des traits désespérément impassibles de Ketleen.
— C'est ton ami aussi, je te signale.
— Je ne suis pas une native.
— Quel rapport ?
L’auburn haussa les épaules d’un air indifférent.
— Je n’appartiens pas vraiment à ce monde. Ce ne sera jamais ma « vraie vie » ici. Jamais.
Lewis se retrouva terriblement pris au dépourvu par les paroles de la jeune fille. Il aurait dû être piqué au vif, lui demander pourquoi elle ne le considérait pas comme son ami, mais ce ne fut pas ça qui traversa son esprit en premier.
Il avait trop souvent tendance à oublier que, pas tout monde dans l’armée avait choisi cette voie de son plein gré.
Que les non natifs, bien que rares, n’avaient aucun droit quant au choix de leur avenir, une fois arrivés sur Diképhios.
Lewis aurait dû sûrement hausser le ton, et commencer à faire de grands gestes, mais il préféra dire à la place :
— Je suis désolé.
La tête de Ketleen se tourna dans sa direction.
— Pour quoi ?
— De ne pas avoir réalisé plus tôt que tu n’étais pas là par choix.
— Est-ce que ça aurait changé quelque chose ?
— Je ne sais pas, admit-il, mais je… j’aurais voulu être plus compréhensif ?
La jeune fille haussa une nouvelle fois les épaules en laissant dériver son regard sur le paysage, oubliant totalement son assiette.
— Tu ne pourras jamais changer ton gouvernement et les lois qui vont avec.
Elle eut un léger soupir.
— Je ne sais pas pourquoi on se retrouve à discuter de tout ça. Je voulais juste t’avertir de la santé d'Isak. C'est évident qu'il n'a pas eu une nuit complète de sommeil depuis un bon moment.
Je sais, songea Lewis, je vois ses cernes tout aussi bien que toi. Et pourtant je ne peux rien faire. Encore une fois.
Mais il tut cette pensée à Ketleen. Il n'avait pas envie de l’inquiéter inutilement même si l’auburn n’était pas une personne particulièrement anxieuse.
— Je sais, souffla-t-il, si bien que ses paroles furent presque inaudibles. Mais l’auburn s’était légèrement tournée vers lui, signe qu'elle l'avait entendu.
— On ne dirait pas. Tu fais l’autruche.
— Non, répliqua un peu trop vite Lewis, piqué au vif. Je ne peux rien faire si Isak ne vient pas me parler volontairement. Et puis, j'ai des choses de plus graves que la santé d'Isak à penser.
Dès que sa phrase fut sortie de sa bouche, il la regretta. Les soucis personnels du blond étaient à l’opposé d'un secret d’État pouvant potentiellement anéantir un gouvernement, mais ils restaient pourtant importants. Parce qu’ils concernaient Isak, et Isak était son ami.
— Très bien, alors fais-moi part de ces choses si importantes.
Lewis faillit s’étouffer avec sa propre salive en entendant la réponse de l'auburn. Il serait presque tenté de parler des Illusionnistes à la jeune fille, mais ce faisant, elle deviendrait une des cibles potentielles de Roxane Miller ou de son réseau d'espions.
— Je crains que je ne puisse pas te le dire, déclara-t-il en mesurant chacun de ses mots. Je te demande juste de te fier à moi. Comme tu l'as déjà fait dans le passé.
— Est-ce que j'avais plus de choix différents dans le passé ?
Le soldat brun ouvrit la bouche pour répondre avec un « oui » affirmatif, mais sa gorge ne produit aucun son. Ce n’était pas l’entière vérité, dans le fond.
— Si je disais oui, je te mentirais. Mais je ne peux pas dire non, non plus. C’est plus compliqué que ça.
L'image de Ketleen baignant dans son sang pour le sauver lui revint en mémoire avec la force d’un train à vapeur lancé à toute vitesse.
L'image d'Isak et lui racontant tout en détails le « retour dans le temps » à Ketleen, forçant ainsi l’auburn à les croire sur parole réapparut dans son esprit.
Ses mains s’étaient mises à trembler.
Prenant une longue inspiration, Lewis se força à les poser à plat contre le bois de la table de repas.
— Ça va aller, déclara soudainement Ketleen.
Son ton manquait de conviction, et était encore un peu trop plat pour être convainquant, mais Lewis apprécia l'effort à sa juste valeur.
— Evidemment. Je vais gérer tout ça.
Le brun n'en croyait pas un mot. Il ne restait plus qu'à espérer que l'auto persuasion marche.
~
— Réveillez-vous bon sang !
Le cri du Général Orion Emstern se répercuta sur les murs de la salle de tir, achevant de secouer les soldats qui rêvassaient.
Lewis se tenait le plus droit possible en bout de chaîne. Il se trouvait à l’endroit même où Ketleen avait reçu sa première leçon de tir.
Aujourd’hui, il avait été convoqué par le général pour recevoir les bases à connaître quand on aspirait à être un tireur d’élite. Tous ceux qui se tenaient entre ces quatre murs avaient passé l'examen avec succès, l’utilité d'une remise en mémoire des bases était facilement discutable.
Mais le général devait penser qu'une piqûre de rappel ne pouvait pas faire de mal.
— On va travailler vos positions d’appui : vous faites un premier essai et on voit celle qui vous convient le moins. Et ainsi on pourra la travailler. Tirer, ce n'est pas naturel : ça demande de l’entraînement et de la précision !
Lewis, ainsi que les cinq autres soldats sélectionnés effectuèrent un parfait garde à vous, bien que légèrement désynchronisés.
— Vous devrez changer trois fois de position : couché, assis, et enfin à genoux. Ce n’est pas un exercice de rapidité ! Pas encore, du moins. Vous avez un temps limité de trente minutes pour terminer. Inutile de faire ces têtes soulagées, vous travaillerez bien assez vite dans le stress et la précipitation. Pensez à changer de cible en même temps que de position. C’est compris ?
— Oui ! déclarèrent-ils à l'unanimité.
Le général eut un bref coup de tête dans leur direction, signe que l’exercice commençait.
Avant toute chose, Lewis mit en place son casque qu'il avait enlevé pour écouter le général Emstern. Il vint ensuite saisir un des fusils de précision posés contre le mur.
La salle d’entraînement était tout juste assez grande pour valider les critères nécessaires de leur exercice. Les cent cinquante mètres de longueur de la pièce suffisaient peut-être pour aujourd’hui, mais cela ne serait pas toujours le cas.
Ils seraient obligés de s’entraîner en extérieur un jour ou l'autre.
Lewis agrippa une cible, et l’accrocha au bras mécanique pour la placer le plus loin possible. Ce fut seulement quand il lâcha le bout de papier qu'il se rendit compte que ses mains tremblaient.
Non. Il devait être sûr de lui, sûr de ses compétences.
Il n'avait jamais autant douté de lui qu'en cet instant précis.
Ne sachant pas quoi faire d’autre, il referma ses doigts en un poing, ses ongles s’enfonçant dans la peau tendre de sa paume.
La douleur l’aidait à un peu mieux se concentrer.
Il essaya de se focaliser uniquement sur les gestes qu’il était en train d'effectuer, mais il ne put manquer le regard dubitatif de la jeune femme qui se trouvait à sa droite.
— Que fais-tu ici ?
La voix de la soldate parvint à ses oreilles malgré son casque. Lewis réprima un sursaut : il n'avait pas imaginé qu’elle l’aborde.
Il retint une réponse sarcastique qui aurait sûrement fait honneur à Ketleen mais qui en aurait vexé plus d'un.
— La même chose que toi, je suppose
Il fit passer son casque sur une seule de ses oreilles, afin d'entendre la réponse de son interlocutrice.
— Si tu ne te sens pas capable d'endurer le stress, ce n’était pas la peine de tenter la formation.
La soldate blonde piquait précisément là où cela faisait mal.
Pendant un infime temps, le regard de Lewis voltigea d'une de ses hautes pommettes bien fières à une autre. La jeune femme ne semblait pas connaître l'expression « prendre des pincettes » ou « avoir du tact ».
— C'est gentil, mais je pense que ça ira pour moi. J'ai passé les premières « qualifications ».
La jeune femme blonde lui lança une œillade indescriptible que Lewis ne put interpréter, avant de retourner à ses occupations.
Le jeune homme laissa lentement sortir les molécules d'air de ses poumons, ne voulant pas que la blonde l'entende.
Lorsqu'il fut sûr que son interlocutrice s’était totalement désintéressée de lui, il recommença à respirer un peu plus normalement.
Avec des gestes qu’il espérait plein d’assurance, même s’il rêvait sûrement, Lewis plaça le fût de son arme au sol et installa son fusil dessus, veillant bien à ce que le canon ne soit pas en appui sur le trépied.
Le temps défilait beaucoup trop vite. Trente minutes passaient étrangement vite quand on avait le cerveau occupé.
Ne gaspillant plus aucune seconde, Lewis se jeta sans hésitation au sol.
Il saisit le fusil au niveau du fût, en arrière de l'appui. Il plaça soigneusement la crosse dans le creux de son épaule afin de pouvoir absorber le plus d'ondes de choc possibles.
Le jeune homme ajusta la position de ses doigts de part et d'autre de l’arme, avant se placer son œil face au viseur pour tenter de garder la cible de papier en ligne.
Tout semblait être en ordre, passant de la position du fusil dans le creux de son épaule jusqu’à le placement de son doigt sur la gâchette.
Lewis s’obligea à prendre trois longues inspirations et expirations pour calmer les battements de son cœur qui résonnaient dans ses tempes, et également pour ajuster sa précision de tir.
Lewis inspira une dernière fois. Expiration.
Et il pressa la détente sans qu’une once d’hésitation ne transparaisse dans son geste.
Sa main avait arrêté de trembler.
Le brun n'eut pas le temps de se sentir soulagé, que sa voisine de droite, bien qu'intentionnellement, le rappela à l'ordre en se mettant à changer de position.
Il souleva son fusil ainsi que son fût, les plaçant sur un léger relief qui avait été disposé ainsi spécialement pour cet exercice.
Il changea au préalable sa cible comme leur avait ordonné son supérieur. Le jeune homme planta ses ongles dans sa paume pour diminuer les sursauts nerveux dont étaient parcourues ses mains.
Le soldat à la peau brune recommença son manège, vérifiant avec une précision de chirurgien chaque position de ses doigts et de son corps.
Trois inspirations, trois expirations. Une inspiration supplémentaire pour se donner du courage. Une expiration, décompte ultime.
Il pressa la détente avec l’énergie du désespoir.
Un voile rouge carmin, dont la couleur ressemblait étrangement à celle du sang, s’était déposé devant ses yeux. Lewis cligna plusieurs fois des paupières afin d'enlever cette impression.
La couleur du rideau rouge s’atténua sans disparaître complètement.
Ses mains ne tremblaient plus.
Il lui restait une position dans laquelle tirer : à genoux.
Une nouvelle fois, il changea rapidement la cible. Même s'il était dans les temps, ce n’était pas une raison pour perdre de précieuses secondes.
À genoux, Lewis suréleva l'arme avec ses bras, tout en laissant la crosse appuyée dans le creux de son épaule.
Il répéta la même mécanique de vérification que les fois précédentes. Quand le brun fut sûr que tout était bien en ordre, il prit à nouveau le soin de calmer sa respiration.
Trois inspirations, trois expirations. Une inspiration supplémentaire pour la chance. Une expiration, plus de retour en arrière.
Il enfonça la détente.
Le bruit caractérisant un tir résonna, bien qu'il fut grandement atténué par son casque de protection. Lewis posa doucement son arme au sol, non sans l’avoir complètement déchargée au préalable.
Ses mains étaient agitées de sursauts incontrôlables.
~
Lewis avait l'intime conviction qu'il fallait qu'il aille confronter Maël. Cette pensée lui était venue sur le chemin, tandis qu’il « rentrait » de son entraînement.
Sans grande surprise, la position d'appui dans laquelle il avait été le moins performant, était celle à genoux. Lewis supposait que cela était logique, puisqu’à genoux, il n'avait rien sur lequel appuyer ses mains afin de se stabiliser et stopper ses tremblements.
Néanmoins, Lisia – le nom de la soldate blonde qui l'avait abordé et qu’il n'avait appris que plus tard – n'avait fait aucun commentaire sur l’écart de précision entre chacun de ses tirs. Même si la jeune femme était franche au point d'en être mesquine par moment, Lewis avait réussi à apprécier sincèrement sa vivacité.
Le brun secoua légèrement sa tête.
Faire partie des tireurs d’élite, et tenter leur formation n’était qu'un bonus dans cette version du monde. Il avait décidé de sauter le pas et d’oser porter sa candidature uniquement pour se prouver qu'il pouvait avoir un impact sur les événements à venir.
Maintenant que cela avait été prouvé, le soldat brun n'avait plus aucun intérêt à vouloir conserver et suivre cette formation jusqu’au bout.
Qu’il échoue ou non, qu'il décide d'abandonner ou non, cela n'avait plus aucune importance.
Et pourtant, il était étrangement réticent à laisser tomber la formation des tireurs d’élite.
Le jeune homme à la peau chocolaté vint machinalement craquer ses phalanges.
Il était encore en train de se focaliser sur des choses futiles, dont l’importance était moindre.
Cassandra brillait par son absence, des mages capables de jouer avec l'esprit et la perception des choses se baladaient dans la nature, Maël représentait potentiellement une menace.
En réfléchissant un peu, on pouvait facilement recaler au dernier plan le problème de « vais-je réussir à conserver ma place chez les tireurs d’élite ».
Tout en traversant à grandes enjambées les couloirs pour son appel semainier avec sa mère, Lewis tentait de réfléchir au meilleur moyen d'extirper des informations de Maël.
Ses réflexions furent coupées lorsqu'il arriva sur les lieux voulus. Par chance, il n'y avait personne attendant son tour pour parler dans l'imposant téléphone fixe.
Avec des mouvements frénétiques, le brun sortit quelques pièces de sa poche, et s'avança vers l'objet électronique.
Il attendit patiemment que sa mère décroche.
~
Tout au long de la semaine, entre les entraînements, les repas pris avec Ketleen et Isak, et les heures de sommeil perdues, Lewis n’arrivait pas à trouver une approche subtile.
Que ce soit pour Roxane Miller ou pour Maël, il n'y avait aucun moyen d’amener ça discrètement sur le tapis. Il serait obligé de passer par la confrontation directe.
À cette pensée, Lewis grinçait mentalement des dents, mais il n'avait pas trois cent possibilités différentes. C'était soit ça, soit rester dans le noir le plus total.
Le brun se craqua une phalange, geste qu’il effectuait désormais à chaque fois qu'il se mettait à penser à des choses sérieuses.
Cette fois ci, il était seul, attablé à l’une des tables du réfectoire, en train de relire l’encyclopédie que Ketleen lui avait donné avant que sa mémoire décide de se réinitialiser. Comme s’il pouvait potentiellement avoir un indice caché entre les pages de l'imposant livre.
L'espoir n'avait jamais tué personne.
Lewis tourna une page de mots qu'il commençait à connaitre par cœur, tellement qu'il avait lu et relu ces pages.
Le jeune homme releva la tête l'espace de trente secondes pour craquer sa nuque et revenir à sa tâche principale. Ces tentes secondes furent nécessaires pour qu’il puisse apercevoir la silhouette de Roxane.
Et avant qu'il puisse réfléchir sur ses actions à prendre, il se leva d'un bond emportant l’encyclopédie avec lui, et se mit à courir derrière la femme blonde.
Evidemment, Roxane Miller entendit le bruit de ses semelles contre la pierre, et se retourna au moment précis où il l’atteignait.
— Que veux-tu ? lança-t-elle. J'ai plus urgent à faire.
Lewis se racla la gorge pour gagner du temps afin de rassembler ses pensées désordonnées.
— Les Illusionnistes. Pourquoi les a-t-on gardés secret ? Dis-le-moi, s’il te plaît : je connais déjà leur existence, alors un peu plus, un peu moins ?
La générale stoppa sa marche frénétique.
— Pourquoi maintenant ? Pourquoi de tous les moments, tu as choisi celui-ci pour venir aborder ce sujet ?
— Ma malchance légendaire ? tenta Lewis, même si ce n’était pas une façon de s'adresser à sa supérieure.
Mais cette dernière semblait si troublée que cela dégageait une étrange aura autour d’elle. Quand la soldate blonde ne répondit rien, le regard fixé dans le vide, Lewis eut la confirmation qu'il attendait : quelque chose de grave s’était passé.
Sa curiosité se réveillant, le brun tenta de résister à l'envie de poser des questions à sa supérieure. Il échoua.
Cédant à ses propres impulsions, Lewis ouvrit la bouche une nouvelle fois.
— Non. On aura cette conversation plus tard, coupa sèchement Roxane. Les Illusionnistes, tu dis ? Je vais te dire une seule chose aujourd’hui : tout repose sur leur identité. Et le Roi a besoin de mes services. Maintenant.
Sur ces mots, Roxane Miller s'engouffra dans le couloir menant à la sortie de Quartiers Généraux sans un regard en arrière.
Lewis poussa un soupir résigné : tout le monde semblait décider à répondre à ses questions par des réponses toujours plus sibyllines que les précédentes.
Le jeune homme ne possédait aucune information convenable, mais il venait de poser le doigt sur un amas de problèmes inexplicablement liés les uns aux autres.
Et il n'y avait que lui qui avait une chance à réussir à démêler le vrai du faux.
Du moins, il l’espérait. Et l'espoir n'avait jamais tué personne.
~
Merci beaucoup à vous, pour continuer à lire ♡
Et n'oubliez pas d'appuyer sur l'étoile jaune si ça vous a plus :3
(Et cette phrase était pour les deux rageuses, que je n'afficherais pas uwu)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top