23 | Reflet
Hello !
(Et je suis encore en retard, désolée T^T)
Bref, je ne vous embête pas trop, et voici le chapitre :3
(Je tenais aussi à dire que mon histoire avait gagné les watts, dans la catégorie "coup de cœur" !
J'étais pas mal contente *-*)
~
Le reflet d’Angie la fixait. Ce dernier était retenu par le miroir, pourtant, la jeune fille n’arrivait pas à se débarrasser de l'impression que son image la dévisageait d'un air mauvais.
La sensation était perturbante.
« Les yeux sont le reflet de l’âme. » disait-on. Parfait pour une introspection. Qu’est-ce qu’elle voyait lorsqu’elle se plongeait dans ses propres pupilles ?
Elle-même était la réponse plus appropriée. Elle, Angie Luftal, petite blonde au visage en cœur encadré par deux tresses à moitié terminées, et surmonté d’une paire d’yeux bleus beaucoup trop clairs à son goût.
Et comme à son habitude, Angie ne put s’empêcher de se demander ce qu’elle y verrait dans dix, vingt, trente ans.
Est-ce que ses yeux garderaient le même reflet innocent qui allait si bien avec sa jeunesse ?
La jeune fille haussa les épaules : elle n’avait pas de réponses convenables à cette question.
Pourtant, Angie ignora du mieux qu'elle put le sentiment qui lui essorait l'estomac et lui nouait les entrailles, tandis qu'elle continuait à s'occuper de sa coiffure.
De ses doigts fins, elle nouait délicatement chaque mèche avec l'autre, tressant ainsi ses cheveux.
C’était un exercice long et minutieux, mais à force de le répéter chaque matin, Angie le réalisait désormais sans réfléchir.
La porte de la salle de bain commune s'ouvrit brutalement, faisant sursauter la blonde et brisant ainsi son duel de regard avec son propre reflet.
— Elo ! protesta la jeune fille quand l’image de son frère apparut dans la glace. Douches publiques pour femmes, ça te dit quelque chose ?
— J'ai toqué.
— Oh, c'est si prévoyant de ta part.
Elle fit une pause, reprenant sa respiration.
— Mais sors. MAINTENANT. Laisse-moi le temps de me préparer.
Son frère renifla, tout son sarcasme et son mépris passant dans son borborygme.
— On est dans les Quartiers Généraux, à l’armée, Angie. On a un entraînement, et t'as pas besoin d'attacher des rubans dans tes cheveux pour ça !
La blonde dévisagea Elo un peu plus longtemps que la fois précédente, un goût acide sur la langue.
— Arrête ça. Ça fait des années que je n'ai plus touché à mes anciens rubans.
— Ça revient au même.
— Non ! Absolument pas !
Cette fois ci, Angie fit volte-face, abandonnant le miroir et faisant face à son frère.
— Tu sors maintenant ! Et c'est pas négociable !
Elo leva les yeux au ciel, et murmura une énième remarque désobligeante, trop bas pour qu’elle puisse entendre.
L’instant d’après, la porte claqua, résonnant dans tout le bâtiment au plus grand désespoir d’Angie.
La blonde laissa échapper le soupir qu’elle retenait captif dans ses poumons depuis l’arrivée de son petit frère. Elo était juste un gosse un peu trop têtu et gâté par leurs parents, voilà tout.
Au fond d’elle, Angie tiqua. Peut-être parce que, même elle, ne croyait pas en ses propres paroles.
~
Angie pouvait le sentir, la plupart des soldats dans les Quartiers Généraux se demandaient silencieusement quelle était la raison de sa présence ici. Ce n’était pas une question de sexisme, la petite blonde le savait très bien, mais de si elle possédait les compétences requises ou non.
Elle ne possédait ni force brute, ni précision pour viser et tirer de loin, ni agilité et silhouette athlétique. Angie était l’adolescente banale par définition, et ses « camarades » lui faisaient bien ressentir.
A quoi pouvait-elle bien servir si ce n’est en tant que sacrifice inutile sur le champ de bataille ?
On n’a pas besoin de pertes supplémentaires. Comment a-t-elle fait pour passer l’examen, surtout s’il a été durci cette année ?
Elle pouvait lire toutes ces questions quand elle croisait les yeux de n’importe quel soldat.
Angie passa une main dans ses mèches afin de leur redonner un peu de volume après avoir été attachées pendant si longtemps.
L’entrainement d’aujourd’hui avait été beaucoup plus facile comparé aux fois précédentes. De simples exercices physiques et de l’athlétisme n’étaient pas grand chose face à de l’endurance avec des poids autour du cou.
Tandis qu’elle sortait des vestiaires communs pour les femmes, elle croisa par erreur le regard de Maël. Même si le brun n’avait aucune intention meurtrière dans ses yeux, Angie fit instinctivement un pas en arrière. Pendant un centième de seconde, un air de surprise passa sur le visage du soldat brun, avant de disparaître complètement, si bien qu’elle crut avoir rêvée.
La soldate blonde jeta un dernier coup d’œil méfiant en direction de Maël, avant de reporter son attention sur son frère qui venait de se placer à ses côtés.
— Je vais voir Sol tout à l’heure, fit-elle.
Angie n’ajouta pas le « comme d’habitude », qui resta en suspend dans les airs.
— Comme d’habitude, reprit Elo d’un ton narquois. Tu ne peux pas t’en empêcher.
La jeune fille aurait dû savoir avec le temps que mentionner leur grand frère ne pouvait que déclencher une dispute. Pourtant, à chaque fois, elle avait l’espoir qu’Elo calme sa véhémence vis-à-vis de Sol.
— Tu sais que tu vas le déranger plus qu’autre chose ? cracha le petit brun. Il est trop poli pour te le dire, c’est tout.
— C’est lui qui insiste pour avoir ces réunions mensuelles. Pas moi.
Un orage se préparait dans les prunelles bleues de son frère.
— Il aurait pu me le demander, à moi. Je suis trois fois plus discret que toi !
— Peut-être. Mais je suis plus âgée. C’est la seule raison, alors n’y pense pas trop.
Elo émit un bruit sourd qui tenait plus de l’animal que de l’être humain. Angie eut la désagréable impression qu’un chien hargneux prêt à attaquer se trouvait en face d’elle.
— Arrête avec cette excuse, elle ne marche plus.
Duel de regards. La rage présente dans les pupilles de son frère la fit détourner les yeux en premier, et reculer d’un pas en arrière.
— Tu sais quoi ? enchaîna Elo avec son horrible ton moqueur et narquois. Des fois, je vous hais vraiment, tous les deux.
Cette phrase, Angie l’avait entendu sortir des milliers de fois de la bouche de son petit frère. Pourtant, cela n’atténua pas le choc des mots sur ses oreilles. Est-ce qu’ils étaient vraiment obligés d’en arriver là ? Visiblement oui.
La communication ne devait pas être leur fort dans sa famille.
— J'y vais, répondit simplement Angie, avec l’affreux espoir que la prochaine fois se déroulerait mieux.
— C'est ça. Le monde ne tourne pas autour de Sol ! L'oublie pas !
La voix de son petit frère résonna dans ses oreilles, malgré la distance qui grandissait entre eux à chaque pas qu'elle faisait en direction de la sortie.
Dire qu’Elo haïssait Sol était un manque de connaissances et d'observations.
Le petit brun dissimulait mal le ton admiratif que prenait sa voix et les étincelles qui s'allumaient dans ses yeux quand il parlait de son frère.
Angie connaissait suffisamment bien Elo pour pouvoir affirmer qu'il ne cherchait qu'à ramener l'attention sur lui. Etre le troisième né d’une famille n'était pas une chose facile.
La blonde était sûrement trop dure dans son jugement d'Elo. Mais son entêté de petit frère avait tendance à ne comprendre que la manière forte.
Angie poussa la porte du bâtiment, et laissa le lourd claquement résonner dans ses oreilles.
~
— Tu devrais parler plus souvent à Elo, avança Angie, dès qu’elle posa un pied dans la pièce.
Sol, un jeune homme bien construit si l’on en croyait les paroles de sa mère, était assis derrière le bureau qui occupait le centre de la salle. Son frère passa une main dans ses mèches châtain clair, seul signe qu’il l’avait réellement entendue.
— Qu’est-ce que cela change ? Cela revient au même, lui ou toi.
Angie se retint de lever les yeux au ciel, sachant pertinemment que le jeune homme le prendrait mal.
— Tu es son frère. C’est normal qu’il ait envie de te voir de temps en temps.
— Ah.
Sol haussa les épaules, un réel air étonné se peignant sur son visage.
— Pourtant chaque fois qu’on se voit, il n’en manque pas une pour se mettre dans tous ses états et me crier dessus.
— Oh. Bon sang. Affection fraternelle, Sol, est-ce que tu connais ?
Son grand frère haussa une nouvelle fois ses épaules, avant de reporter son attention sur la liasse de documents officiels posés devant lui.
Angie espérait que la conversation se termine différemment à chaque fois, mais c’était à croire qu'elle espérait pour rien.
C'était sûrement un concept inconnu à Sol, songea la blonde avec une rapide grimace amère. Il n'y avait aucune logique, aucun raisonnement mathématiques, aucun calcul dans « espérer ».
Angie, elle, se contentait de fermer les yeux et de prier tous les dieux qu'elle connaissait.
Elle était totalement passive dans sa vie, attendant que le Destin avec une majuscule, fasse sa part des choses.
Si Sol savait, il n’aurait jamais accepté son point de vue.
Trop naïf, pas assez réaliste.
Son frère pourrait lui faire une dissertation, lui exposant toutes les raisons pour lesquelles elle devait impérativement changer.
Angie avait déjà décidé qu'elle ne céderait pas.
— Des nouvelles ? demanda brutalement le châtain clair en face d'elle, la coupant de ses pensées, et lui rappelant par la même occasion pourquoi elle se trouvait dans son bureau.
— Oui.
Sol reposa sans un bruit les feuilles sur le bois du support et se pencha en avant, lui accordant son entière attention.
Cela faisait des mois qu'il n'avait pas daigné lever les yeux de ses papiers, et sortir de son rôle « d'homme important ».
— Cassandra Moore a disparu.
La blonde disposait de toute l'attention de son frère qui buvait désormais ses paroles.
— Quand ?
— Il y a quelques semaines. C'est une des filles du député des mages de la Terre. Le Maréchal a tout fait pour garder l'information secrète, afin que ça fasse le moins de remous possible, tu connais.
— C'est uniquement maintenant que tu me le dis ?!
Angie secoua la tête, immédiatement sur la défensive.
— Tu as des horaires très limités mon cher frère. Ce n'est pas facile pour arriver à avoir une conversation avec toi. Je te l'aurais annoncé plus tôt sinon.
Sol était de deux ans son aîné, et de quatre pour Elo. Et à dix-neuf ans seulement, il s’était vu offrir une place important dans la société.
Il était tout simplement la fierté de leurs parents. C'était compréhensif, étant donné qu’Elo et elle avaient déserté leurs obligations familiales pour venir s'engager dans l’armée.
Le regard réprobateur et accusateur de sa mère sur eux, avait le don de rendre fou de colère son petit frère.
Et malgré toutes ses paroles calmes et apaisantes, Elo finissait toujours par exploser. La blonde n’arrivait jamais à arranger la situation malgré tout son bon vouloir.
Ses frères avaient besoin d’une conversation à cœur ouvert l'un avec l’autre, et sans médiateur. Mais la communication ne semblait pas être un point fort dans la famille.
— Que comptes tu faire ? demanda la jeune fille, même s’il était évident que Sol ne lui répondrait pas.
— Ça ne te concerne pas. Plus du moins.
Malgré toutes ses années de pratique à prendre sur elle, Angie tiqua en entendant la réplique de son frère.
— Je suis de la Famille aussi, tu sais ?
Sa voix était éteinte, et aussi légère qu'un souffle de poussière, et la blonde détesta le fait qu'elle sonnait aussi pathétique.
— Oui oui, murmura le jeune homme en agitant la main dans le vide.
Angie reconnut ces signes sans aucun mal : le regard fixé sur les feuilles, les coudes légèrement écartés et plantés sur le bureau, la main qui balayait dans le vide.
Sol était déjà en pleine réflexion, et la petite blonde aurait très bien pu se faire enlever sous ses yeux, il n'aurait pas bougé un seul de ses muscles.
Par moment Angie se demandait pourquoi elle continuait à se battre seule pour sa fratrie. Et puis, une raison lui sautait aux yeux. Une autre et encore une autre.
Chaque petite chose agréable à laquelle elle avait assisté lui revenait en mémoire, éclaircissant ses pensées par la même occasion.
Cette méthode ne lui avait jamais fait défaut.
— Je suppose que je t'informerai de la suite la semaine prochaine ?
Un grognement à peine audible lui répondit. Cela serait la meilleure réaction qu’elle pourrait tirer de lui, elle le savait pertinemment.
Satisfaite d'avoir eu au moins le droit à un vague signe de reconnaissance, Angie hocha la tête une fois dans le vide, avant de se tourner vers la porte.
Avec un dernier coup d'œil pour le bureau totalement impersonnel si ce n'était les affaires de Sol sur la table, la blonde poussa le lourd panneau, et sortit de la pièce.
Le bâtiment qui abritait le bureau de Sol était l’exact modèle dont on pouvait s’y attendre de celui d’un homme d’affaires.
L’intérieur était tapissé d’une moquette de velours rouge exposant ainsi à la vue de n’importe quel visiteur la richesse du propriétaire du building.
Evidemment, le bâtiment possédait de larges baies vitrées qui donnaient un aperçu terrifiant de Korolya étendue au pied de l’imposante construction. Chaque fois que la petite blonde avait le malheur de laisser dériver son regard vers le vide, une étrange sensation lui prenait le ventre et lui mordait la gorge.
Depuis le temps qu’elle se rendait ici, petite pour voir son père, et adolescente pour son frère, son vertige n'avait jamais passé.
Au contraire. Elle soupçonnait même qu'il avait empiré.
Angie détourna rapidement la tête, mais éviter de regarder dehors était une tâche complexe lorsque tout le bâtiment était construit avec de larges fenêtres de verre.
Sans un bruit, la jeune fille traversa le couloir dans le sens inverse qu'elle avait pris tout à l'heure. Les poignées de portes des bureaux défilaient devant ses yeux, et elle fut soulagée lorsqu’elle atteignit enfin l'ascenseur.
Angie pressa rapidement le bouton « rez-de-chaussée » et attendit patiemment que la cabine de fer entame la descente des quarante plate-formes.
Si l'étage de son frère était peu bondé, on ne pouvait pas en dire autant du rez-de-chaussée, qui accueillait tous les clients de l'entreprise.
Entreprise de quoi précisément, elle n'aurait su dire en détail. C'était une firme familiale dont Sol hériterait sans aucun doute. Angie n'avait aucun besoin d’être mise au courant des activités familiales, puisqu’elles ne la concernaient pas.
Il en était de même pour Elo.
— Toutes mes excuses, Mademoiselle, fit platement un employé lorsqu’il la bouscula suffisamment fort pour la faire tituber.
L'homme, en costume impeccablement repassé, était sur le point de retourner à ses occupations initiales quand il se figea. Et Angie vit le moment précis où il la reconnut.
Ses yeux s'écarquillèrent d'une façon qui n’était pas humaine, et sa bouche s'entrouvrit légèrement sous le choc.
— Mademoiselle Luftal !
Toute sa rigidité et sa concentration précédentes s’étaient évaporées.
— Milles et une excuses ! Je n'avais nullement l'intention de…
— C'est bon.
La blonde fit un geste apaisant de la main. Elle n’aimait pas spécialement qu'on lui rappelle le nom de famille qu'elle portait.
— Tout va bien. Il ne s'est rien passé de grave.
Angie ponctua sa phrase par un sourire qui sembla rassurer l’autre homme.
— Transmettez mes amitiés les plus sincères à votre frère !
Et avant qu'elle ait pu demander le nom de l'homme, ce dernier avait déjà replongé dans la foule mouvante.
Angie haussa les épaules : si jamais elle re-croisait cet employé, elle ferait attention à lui demander son nom avant toute chose. La jeune fille continua sa route, se mouvant entre chaque personne comme une brise d'air, rompue à l'exercice.
Quand elle poussa enfin les portes qui assuraient l’accès vers l’extérieur, un vent frais vint secouer ses cheveux, les désordonnant par la même occasion.
Angie replaça rapidement une mèche blonde qui s’était mise en travers de sa vision.
La jeune fille se retourna brièvement pour faire face au bâtiment d’où elle venait de sortir.
Si à l’intérieur la décoration faisait du building un lieu typiquement cliché, l’extérieur accentuait cette impression sans modération.
Le dernier étage de l'imposant immeuble n’était pas le seul à posséder d'immenses baies-vitrés : c’était le cas pour chaque niveau, si bien que le building semblait être uniquement construit de verre.
Cela donnait l’étrange impression à n'importe quel observateur, que le bâtiment s'effondrerait au moindre souffle de vent.
Pourtant, c’était totalement faux : le siège sociaux des entreprises Luftal avait tenu bon, et continuait de tenir bon.
La petite blonde continua à observer plus longuement que nécessaire les façades du bâtiment. Elle avait du mal à croire que tout l’héritage de Sol se tenait sous ses yeux.
« Tu as déjà une vie assurée avec ton héritage » était l’une des phrases qui revenait le plus dans la bouche d'Elo quand il s'adressait à son grand frère. Et peu importait le nombre de fois qu'elle avait joué la médiatrice et avait supplié Elo de s'excuser, ce dernier continuer de refuser encore et encore.
Angie se mordilla la lèvre avant de tourner le dos aux étincelantes façades qui l'aveuglaient à moitié. Son temps de sortie accordé par le maréchal allait bientôt prendre fin, et il était hors de question qu'elle se fasse remarquer en empiétant dessus.
~
— Alors ? Est-ce que le petit roi va bien ?
— Arrête Elo, ça ne sert à rien de dire ça. Il est occupé. Comme toujours. J’ai juste eu le temps de lui annoncer les dernières nouvelles avant qu'il replonge dans une de ses réflexions.
— Comme d'habitude, finit son petit frère à sa place.
Un silence lourd comme du plomb s'abattit entre la fratrie. La jeune fille voyait les doigts du plus petit se refermer et s'ouvrir, presque compulsivement, au dessus du tabouret sur lequel il était assis.
Angie, quant à elle, s’était lancée dans l’examination minutieuse et détaillée du mur blanc qui entourait son lit.
Son frère brisa le silence le premier.
— Qu'est ce que tu lui as dit ?
Angie passa quelques minutes à le dévisager, afin de déterminer si elle avait rêvé la voix de son frère, et s’il fallait qu'elle songe à consulter ou non.
Quand elle réalisa qu’Elo portait sur elle un regard insistant, attendant visiblement une réponse, Angie se secoua mentalement.
— La disparition de Cassandra.
— Et Ketleen ?
— Quoi « Ketleen » ? Elle n’a rien avoir avec l'affaire de Cassandra.
Le petit brun eut un geste vif de la main qui trahit son impatience vis-à-vis de sa sœur. La blondinette ne put s’empêcher de se sentir piquée au vif par la gestuelle de son frère, mais elle réprima l'envie de tacler verbalement Elo.
— Il était déjà au courant. Dès son arrivée, en fait.
— Je voulais être sur qu'il n'avait pas oublié.
— Il n'oublie jamais rien.
— Tu ne peux pas en être sûre.
Angie haussa les épaules. Un autre jour, elle aurait taquiné son frère sur son attachement à Sol et à sa réputation, mais elle n'en avait pas la tête aujourd’hui.
— Et tu lui as parlé de Maël ?
La blonde se figea : elle n'aurait pas imaginé qu'Elo lui pose cette question, surtout que le sujet de cette journée était devenu tabou entre eux.
— Tiens, tu veux parler de ta dispute avec Taale, maintenant ?
Le plus petit de la fratrie eut un geste négatif de la tête.
— Non. Plutôt de ce que t'as fait Maël.
Angie opta pour jouer l’imbécile afin d’éviter au maximum le sujet.
— C’est-à-dire ? Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Mais bien sûr.
La jeune fille roula des yeux avant de tourner légèrement le dos à son petit frère. Elle n’aimait pas repenser aux événements de cette journée.
Il n'y avait rien de plaisant à se rappeler comment quelqu’un s’était emparé du contrôle de votre propre corps. Angie avait haït cette sensation, et malgré tous ses efforts pour la combattre, elle s’était soumise.
Cela lui laissé un goût de sang dans la bouche, et le souvenir des regards adressés, pleins de pitié pour les témoins de la scène, et de déception pour sa famille.
Alors Angie préférait tout simplement oublier la scène, comme si elle n'avait jamais existé. Toute sa famille, Sol inclus, était déjà au courant.
— C'est pas grave, tu sais.
La petite blonde avait sous-estimé son frère, une fois n’était pas coutume. Elle avait pensé qu'il aurait été le premier à l’enfoncer après un accident de ce type, mais cela avait été tout le contraire : Elo lui avait épargné les longs regards désapprobateurs.
— Tu es sûr ? Parce qu’aux dernières nouvelles, j'ai accordé une victoire simple et facile à un ennemi.
— On a trop d'ennemis.
— Et alors ?
— N'y accorde pas d'importance. J'ai un peu étudié la politique, rappelle toi. Les relations entre les Néro et nous ne vont pas changer.
Les Néro. Angie répéta les deux syllabes composant le nom propre dans sa tête. Famille de l'eau.
— Depuis quand c'est toi qui me raisonne ? C'est moi la grande sœur ici.
— Depuis que tu as recommencé à accorder trop d’importance à l'avis de maman.
— Dire « recommencé » c'est présumer que j'ai un jour accordé du crédit à la parole de maman.
Elo la fixa de ses yeux bleu foncé.
— On a tous voulu que nos parents soient fiers de nous. Parfois ça marche. Regarde Sol.
Son frère ne termina pas la fin de son raisonnement, mais la blonde pouvait très bien entendre la suite.
« Parfois non. Regarde nous. ».
Angie ferma à moitié ses paupières pour dissiper les pensées encombrantes qui s’accumulaient dans son cerveau.
— Depuis quand tu rates une occasion de cracher sur le dos de maman ?
La petite blonde eut un faible sourire, avant de poursuivre.
— Tu n’as jamais été rationnel.
— Surprise.
La jeune fille voulut de nouveau taquiner son frère sur sa toute nouvelle philosophie acquise, mais les mots refusèrent de sortir de sa bouche.
Elle ne trouvait rien à dire à Elo. Rien qui ne soit pertinent, rien qui ne soit intelligent et marquant. Chaque remarque qui voulait sortir de sa bouche était plus inutile que la précédente.
Elle aurait aimé faire au brun le discours de grand sœur modèle, motivant et encourageant, lui annonçant que le passé était derrière. Mais elle n'avait pas les mots pour.
Alors Angie leva le bras avec une lenteur exagérée et vint poser sa main sur l’épaule de son frère.
Par ce simple contact, elle tenta de lui transmettre tout ce qu'elle n'arrivait pas à prononcer à haute voix.
L’angoisse de ces années passées à écouter leur mère, espérant un peu de reconnaissance dans ses discours, et ensuite Sol, avec le vague espoir qu’il soit différent. Et des désillusions, encore et encore.
Angie aimait penser qu’un jour, tout rentrerait dans l'ordre, et qu’ils pourraient enfin essayer d’être une famille normale et heureuse. Elle n’était pas si sûre qu'Elo pense la même chose.
Le plus petit de la fratrie laissa son regard se perdre quelques instants dans le vide, quand il fut soudain rappelé à la réalité avec un petit sursaut.
Il jeta un regard ombrageux à sa sœur, avant de se dégager du contact, comme si la présence d’Angie lui était devenue insupportable. La jeune fille refusa de s'en formaliser. Elle n’était plus à un geste près avec son frère.
— Je n'ai pas besoin de ta pitié, grogna Elo.
La jeune fille ne savait pas qui il voulait le plus convaincre : elle, leur famille ou lui-même ?
— Je sais.
Le brun tourna sa tête dans la direction d’Angle, cherchant rapidement sur son visage une marque de colère ou de déception après son rejet.
Elle sut qu'il n'en trouva aucune, car une vague d’incompréhension traversa son visage.
— Personne n’a besoin de te donner sa pitié, crois moi.
Un sourire plus léger aux lèvres, Angie étendit son bras jusqu'à venir ébouriffer les mèches châtain claires d'Elo. Ce dernier se dégagea une deuxième fois en protestant, mais le rictus à demi dissimulé de son frère ne lui échappa pas.
Malgré les apparences, Angie aimait entendre le rire joyeux et rafraichissant d'Elo.
~
— Je ne vois pas de quoi tu veux parler.
Angie n'avait aucunement prévu d'entendre un bout de conversation, pourtant, la voix de Lewis attira immédiatement ses oreilles.
Depuis que le soldat brun avait été témoin de la scène avec Maël, la jeune fille évitait tout contact avec lui, de peur de laisser dériver la conversation vers des sujets qu'elle préférait oublier.
— Je crois que si, au contraire. L’encyclopédie que je t'ai donné ?
La voix froide et directe de Ketleen résonna en réponse à la réplique de Lewis.
Cela n’étonnait pas la petite blonde : généralement les deux étaient souvent vus ensemble. Elle n'avait d'ailleurs aucune idée de comment Lewis faisait pour supporter le sarcasme constant de l’auburn.
— Il n'y avait rien d’intéressant.
Lewis ajouta, après un petit temps de pause, comme si cela lui coûtait de prononcer ces mots :
— Crois moi.
La jeune fille était convaincue que Ketleen allait s’entêter, et remballer le brun, mais ce fut tout l’opposé. Elle sembla se détendre, quittant sa posture rigide, les bras croisés sur le ventre.
— Tu sais que je te fais confiance.
— Oui.
L'affirmation du soldat brun avait pris un ton étrangement coupable et chargé de remords, songea Angie. Elle n'avait pas d’aperçu du visage de Lewis, mais il n’était pas difficile de l’imaginer en cet instant précis.
Déformé de culpabilité.
Il n’était pas dur d'affirmer que le soldat était en train d'utiliser la confiance de Ketleen en lui à ses propres fins. Mais déterminer pourquoi il faisait ça et quels étaient ses buts, étaient des tâches bien plus complexes..
Cela lui semblait invraisemblable que le jeune homme ait pris l'auburn pour cible. Il aurait agit bien avant si cela avait été le cas.
La petite blonde ne voyait pas d’autres possibilités, même si elle devait sûrement sauter trop rapidement sur une conclusion, que celle où Lewis cherchait à protéger Ketleen de quelque chose.
De quoi ? Elle n'en avait aucune idée. Mais Sol serait sûrement plus apte à le savoir qu'elle.
Ecouter les conversations privées des gens, même quand ces derniers se situaient dans un couloir publique, ne faisait pas parti de son « code moral ». Angie essaya de tourner les talons et de s’éloigner avec toute la discrétion qu’elle avait tenté d'emmagasiner au cours de ces dernières années.
Elle aurait pu réussir sa fuite, si Lewis n'avait pas tourné au moment précis où elle reculait dans la partie lumineuse du corridor.
Les yeux bruns du soldat croisèrent les siens, et pendant une seconde, elle crut que Lewis allait traverser le passage pour venir lui parler.
L'envie de se sauver à toute allure lui saisit la gorge, mais Angie appela tout son self-control à elle, et s'obligea à rester parfaitement calme.
Ketleen sembla ouvrir la bouche et parler, brisant ainsi le contact visuel entre Lewis et elle.
L'air rentra de nouveau avec brutalité dans ses poumons. Angie respira avec l’espoir d’un nouveau-né venant de naître.
Et avant que Lewis ne puisse reporter son attention sur elle, Angie se fondit dans la foule passant dans le couloir.
Elle n’avait définitivement pas envie de parler de son altercation avec Maël.
~
Angie se saisit du verre à moitié rempli d'eau, et le but d'une seule traite.
— Tu vas finir par t’étouffer.
La jeune fille jeta un regard mauvais à son petit frère assis en face d'elle.
Ils se trouvaient dans la cantine des Quartiers Généraux. Si Angie avait fait l'effort de constituer un plateau varié et équilibré, ce n’était pas le cas de son frère.
Il faisait beau aujourd’hui. Comme tous les autres jours sans nuages, l’équipe de direction avait déplacé le réfectoire de la cantine à l’extérieur.
Angie aimait particulièrement ces jours-là.
Elle pouvait se perdre pendant de longues minutes dans ce bleu épuré de toutes traces de nuages. Cela avait un effet étrangement calmant sur elle, comme si le ciel avait la capacité d’absorber toutes ses pensées.
Par moment, elle aurait aimé réussir à couper le flot incessant de ses réflexions.
— Angie ?
La jeune fille releva brutalement la tête : elle n'avait pas eu conscience de se perdre dans ses pensées.
— Oui ?
Son petit frère sembla hésiter pendant quelques instant avant de se lancer.
— Tu devrais parler à Lewis. Je crois qu'il attend des explications de ta part depuis au moins une bonne semaine.
— Très bien. J’irai confronter Lewis, même s'il n'y a rien à dire, quand tu seras allé parler avec Taale.
Le brun s’étouffa avec sa boisson. Sans délicatesse, il reposa son verre avec force contre la table.
— C'est déloyal Angie, protesta t-il faiblement. C'est bien plus urgent pour toi de toute manière.
La blonde haussa un de ses sourcils bien haut pour marquer un faux étonnement.
— Qu'est ce qui est urgent ? Lewis ne sait strictement rien. Ça ne sert pas à grand-chose d'attirer son attention en essayant de trouver les informations qu’il possède ou non.
Elo tira une moue, peu ravi qu'elle refuse sa proposition, mais étonnamment, la crise de colère de son petit frère ne vint pas.
La jeune fille observa le profil que lui offrait le brun : ses mèches moins en désordre que les autres jours, les légers cernes sous ses yeux bleus, et son visage étroit, similaire à celui de Sol. Il n'y avait aucun doute que les deux garçons avaient hérité leur physionomie de leur mère.
Angie, elle, se contentait des joues rebondies et du visage en cœur de leur père. Même si tout le monde lui assurait que cela mettait en valeur sa tête angélique de poupée qui allait si bien avec son prénom, la jeune fille n'en était pas si sûre.
Par moment, elle aurait aimé être plus facilement prise au sérieux au lieu d’être considéré comme un modèle d'innocence.
— Angie ? répéta son frère en remarquant son air absent. Quelque chose ne va pas ?
La blonde cligna des paupières.
— Rien. Tout va très bien. Je me demandais s'il allait neiger demain, puisque tu t'obstines à rester calme aujourd’hui.
— Tu devrais me remercier alors.
Angie émit un petit rire, tout en secouant la tête.
— Impossible. Tu prendrais la grosse tête à coup sûr.
Elo lui tira la langue en guise de réponse, et la jeune fille vint ébouriffer les cheveux de son frère en tant que contre-attaque.
Elle ne s’était pas rendue compte à quel point ces moments avec son frère lui avaient manqué.
Malgré les apparences, Angie avait trop souvent tendance à oublier qu'Elo n'était juste qu'un gamin de quinze ans avec toute la fragilité qui allait avec.
— Tout ira bien, fit elle en continuant à sourire.
Elle le pensait vraiment. Son frère leva un regard interrogateur sur elle.
— Maël a beau appartenir à la Famille des Néro, des mages de l'eau, Sol saura se charger de lui correctement.
Elo s'appuya doucement sur son épaule, comme pour lui faire part de son soutien inconditionnel.
— Evidemment, répondit-il, un sourire dans la voix.
~
Merci beaucoup de continuer à lire !
(Et pour une certaine personne :)
N'hésitez pas à appuyer sur la petite étoile jaune ou à me laisser un avis si ça vous a plu !)
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