02 | Droit devant

(Lewis)

Il y a toujours eu trois mondes, reliés par les océans et par l'esprit. La Terre, Diképhios et Treikomos.

Les livres d'Histoire de Lewis étaient tous d'accord sur un point : dieux ou non, les premiers habitants de Diképhios venaient de la Terre.

Mais cela faisait bien des siècles que plus aucun échange entre les mondes ne s'était produit.

Lewis saisi l'unique carton qui regroupait toutes ses affaires pour le placer dans le coffre de sa voiture. Le jeune homme claqua la portière du coffre, trop fort. Le bruit résonna dans le quartier d'habitations ; il grimaça.

Le Roi de Diképhios, Hedmond Leidster, avait corsé la sélection pour rentrer dans ses armées, alors qu'il manquait cruellement de personnel. Même pour les Régiment d'Attaque et de Garde, qui étaient réputés pour être les plus faciles à intégrer. Le Régiment d'Attaque était seulement composé des soldats d'infanterie : de la force brute uniquement. Quant-au Régiment de Garde, c'était juste des patrouilleurs, chargés de surveiller les frontières. Rien de bien compliqué, en somme.

Pourtant Lewis s'était quand même débrouillé pour réussir l'examen d'entrée. A la plus grande fierté de sa mère, qui l'avait serré dans ses bras.

Lewis saisit la clé de la voiture et la verrouilla. Il ensuite prit la direction de sa maison, à la recherche de sa mère uniquement. Suite à sa dispute avec son père, ce dernier était parti tôt ce matin. Lewis l'avait entendu descendre les escaliers mais le jeune homme n'avait rien fait pour l'arrêter.

Il tenait à dire "au revoir" à sa mère avant de partir pour Korolya.

Korolya était le cœur de Diképhios, la ville du Roi, là où se trouvait les quartiers généraux de son armée. La ville était également neutre, lieu de refuge dans la guerre civile qui opposait les différentes nations de mages.

Lewis en était autant plus heureux de venir s'installer à Korolya.

Le jeune passa dans le salon aux murs beiges. Ne voyant aucun signe de sa mère, il continua dans la pièce suivante. La porte était entrouverte. En se penchant, le jeune homme pouvait apercevoir que les volets de la cuisine étaient remontés, baignant ainsi la salle d'une lumière blanche.

Un bruit de couteau frappant régulièrement le bois résonnait dans la petite pièce. Sans hésiter, Lewis poussa la porte l'ouvrant en grand.

Dès qu'elle entendit du bruit, Méloée Horton releva la tête. La peau chocolaté de sa mère, semblable à la sienne, se démarquait de la blancheur des murs. Quand elle remarqua son fils dans l'encadrement, elle cessa toute activité.

Sa mère poussa sur le côté la planche à découper et les carottes dessus. Ses orbes vertes se plantèrent dans celles de Lewis.

— Tu es déjà prêt, mon cœur ? (Méloée lui sourit, les yeux remplis d'étincelles)

Lewis voulut ouvrir la bouche, parler, dire quelque chose. Mais il ne trouva rien d'intelligent à prononcer. Alors il hocha simplement la tête,de haut en bas comme un pantin.

— Tu penses partir quand, mon chéri ?

Maintenant, pensa t-il. Maintenant voulut-il dire.

Voyant que son fils ne répondait pas, Méloée se poussa en arrière sur sa chaise. Elle se leva et alla à la rencontre de Lewis. Une fois face à lui, sa mère ouvrit ses bras, des pattes de mouches se formant au coin de ses yeux.

Lewis se jeta dans l'étreinte maternelle comme sa vie en dépendait. Il posa son front dans le cou de sa mère. L'odeur mentholée qui l'avait guidée pendant toute son enfance, lui emplit les narines. Le jeune homme inspira profondément, essayant de capturer la senteur. Qu'il lui reste au moins un souvenir de sa mère, de sa maison.

Petit à petit, Méloée recula, brisant doucement l'étreinte. Lewis fit lui aussi un pas en arrière, bien qu'à contrecœur.

— Tu veux faire un dernier tour ? s'enquit sa mère.

— Non... (le jeune homme hésita un court instant. Il reprit plus sûr de lui) Non. Ça ira.

— C'est toi qui voit. (Sa mère prit un ton joyeux, qui se voulait sincère) De toute façon, tu es le bienvenu ici quand tu veux, et à n'importe quelle heure !

Lewis ne put empêcher la vague de culpabilité qui le submergea. Essayant de contrôler sa nervosité, il résista à la tentation de se craquer les doigts : sa mère avait horreur de cette habitude.

— Ça ira, répéta t-il, un peu plus fort. Sa mère n'insista pas, hochant simplement la tête.

— J'arrive dans deux petites secondes, le temps de me laver les mains. (Sa mère leva ses bras, pour justifier ses propos).

Méloée disparut de son champ de vision et un bruit d'eau se fit entendre. Le jeune homme de retrouva seul entre la porte et le couloir, les bras ballants. Se sentant idiot à attendre sans rien faire, il décida de retourner directement à sa voiture.

Lewis se tournait, quand son regard fût attiré par un renforcement au coin du couloir. Les escaliers.

Avec une démarche digne d'un automate, il s'avança, posant un pied après l'autre comme si le sol était miné. Lewis commença à monter, une marche après une marche.

Une fois en haut, il s'avança, attiré comme par un aimant vers la porte de sa chambre, à demi entrouverte.

Sa veste était jetée sur le dossier de la chaise du bureau. Quelques cahiers traînaient ça et là, sur le sol de sa chambre. Les dix livres qui attendaient d'être lu, reposaient toujours sur la petite table de chevet.

Tout était resté dans la même position qu'il y a une heure.

Même son lit, la couette défaite reposait en travers, encore froissé après une nuit de sommeil. Et seuls les Dieux Fondateurs savaient que sa mère ne supportait pas les couvertures froissées.

Il se rappelait encore ces soirs d'orages, où la pluie tambourinait contre les vitres. Caché sous sa couette, son père était assis à ses côtés sur le bord du lit. Ce dernier adorait lui raconter des histoires à glacer le sang, ces soirs-là. Les préférées de Lewis étaient celles sur les Familles. Certains disaient que ce n'étaient qu'un ramassis d'histoires à dormir debout pour effrayer les petits enfants têtus. Mais d'autres croyaient dur comme du fer que les Familles existaient et qu'elles manipulaient les peuples en douce.

Selon l'avis de Lewis, c'étaient juste des théorie du complot, faîtes par des personnes pensant être plus intelligentes que les autres.

On disait qu'il y avait quatre familles. Une pour chaque peuple de mages : eau, feu, terre et air. On disait aussi que c'étaient elles qui contrôlaient les royaumes, et même le Roi.

Généralement, quand un enfant refusait de manger sa soupe, on lui répondait "Mange ou sinon les Familles viendront t'emporter". Et cela marchait plutôt bien.

Il était aussi question d'anecdotes plus glauques, où la torture et le sang dominaient le récit. Son père avait toujours eu un don pour raconter ces histoires, mimant et sur-jouant. Mais cela ne changeait rien : petit, le jeune homme adorait les nuits d'orages.

Ses yeux balayèrent sa chambre pour finir par s'attarder sur les cadres de photos, posés sur les étagères. Lewis fit un pas en leur direction quand il réalisa que le bruit d'eau s'était arrêté. Et il ne savait pas depuis combien de temps.

Il battit des paupières, encore hébété, avant de faire volte-face. Lewis claqua la porte avec peu de considération, faisant trembler les murs. Il descendit les marches quatre à quatre, s'enfuyant le plus rapidement possible de cette chambre remplie de souvenir. Avant qu'il commence à remettre en question ses choix.

Quand le jeune mage sortit dans la rue, sa mère était déjà accoudée à la voiture. Elle leva la tête quand elle entendit ses pas. A la plus grande gratitude de Lewis, elle ne fit aucun commentaire.

Sa mère lui tendit un sac où des tupperware étaient visibles à travers le plastique.

— J'ai trouvé des restes d'hier soir en ouvrant le frigo, mon cœur. (Méloée lui tendit le sachet sous le nez) Comme ça tu as de quoi manger. Quelque chose qui est bon, hein. Et pas trop gras, aussi.

Avant que Lewis ait pu répondre, elle continua sur sa lancée :

— N'oublie pas de repasser tes vêtements. Ça fait mauvais genre de venir aux cérémonies avec une chemise toute froissée. Et aussi...

— Maman, la coupa le jeune homme, saisissant doucement ses poignets, Ça va aller, je suis grand, d'accord ?

Méloée ne chercha pas à se dégager. Elle opina, ses yeux brillants vinrent rencontrer ceux de Lewis. Son menton et ses lèvres étaient parcourus de légers tremblements qui passeraient presque inaperçus. Presque.

Son cœur se serra un peu plus : ce n'était pas l'image d'une femme au bord du gouffre qu'il voulait garder de sa mère. C'était celle d'une femme forte et indépendante.

Pour s'épargner une vision proche de sa mère en larmes, ce fût lui qui initia leur seconde étreinte.

"Mon enfant, mon unique enfant" murmurait sa mère, le visage niché dans son cou. En guise de réponse, Lewis la serra un peu plus fort contre lui. Quand il la relâcha enfin, les orbes vertes de sa mère semblaient anormalement étincelantes à la lumière du soleil. Il ne fit aucun commentaire, comme s'il n'avait pas remarqué ; comme s'il n'y avait rien à voir.

— Je vais y aller, Maman. (Lewis essaya de mettre autant de douceur possible dans le ton de sa voix) Ça ira d'accord ? Je t'appellerai toutes semaines, ça te vas ?
— Et avec quoi ? Le vieux téléphone fixe du coin ? se moqua Méloée, Ne te préoccupe pas tant de ta vieille mère, mon cœur ! (Elle le poussa vers la voiture) Aller, dépêche toi ! Je t'en voudrais si tu arrivais en retard !

Mais Lewis insista :

— Toutes les semaines. Promis.

Méloée acquiesça, un petit sourire sur les lèvres, comme si elle ne croyait pas une seule seconde que son fils l'appellerait. Lewis ne put s'empêcher de se sentir un peu vexé par le manque de confiance en lui de sa mère.

Le jeune mage rentra dans l'habitacle. Il s'installa à la place du conducteur ; posa les mains à plats sur le volant.

Tout ira bien, tout ira bien, se répéta t-il.

Il ouvrit les fenêtres, et un courant d'air frais dissipant la chaleur de l'été, vint jouer avec ses boucles brunes. Le jeune homme mit le contact : les vrombissement du moteur commencèrent à résonner dans le véhicule.

Pourtant, cela n'empêcha pas la dernière phrase de sa mère, bien qu'atténuée, de parvenir à ses oreilles :

— Je t'aime, mon cœur.

Lewis avait cru que son cœur ne pouvait pas se serrer d'avantage. Apparemment, il avait tort. Inspiration. Son souffle était bloqué dans sa gorge. Un filet d'air parvint difficilement à se faufiler dans ses poumons.

Lewis lâcha la pédale d'embrayage : la voiture bondit en avant, pleine de secousses.

Malgré le danger de son geste, il continua à surveiller du coin de l'œil la silhouette de sa mère, qui rapetissait au fur et à mesure qu'il prenait de la distance.

Méloée avait les bras serré autour de la taille, le corps agité de soubresauts discrets.

Quand enfin, il ne parvint plus à distinguer les gestes de sa mère et que cette dernière n'était plus qu'un point noir à l'horizon, il se focalisa entièrement sur la route devant lui.

Je t'aime, murmura Lewis, pour lui-même. Il aurait juré qu'une larme était passé sur sa joue. Qui aurait pu dire ?

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Coucou ! j'ai conscience qu'il ne se passe pas vraiment beaucoup de chance, mais promis, ça va s'accélérer x)
Merci à vous de lire et encore plus si vous votez !
Bisous :)

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