Troisième chapitre : Hoseok


Soir de Noël. Je ne connais quasiment plus personne ici. C'est pour ça que je vais le passer seul, chez moi. Ca ne me dérange pas plus que ça. Avec le temps et les coups durs, j'ai appris à aimer la solitude. Elle est calme et reposante, parfois. Et puis, ce soir, je n'ai pas envie d'être accompagné. Noël, c'est une fête familiale et chrétienne. Je n'ai plus de famille depuis bien longtemps. Et je me suis détourné de Dieu pour ne pas lui faire honte.

Alors, ma soirée, je la passe devant la télévision, à manger un petit quelque chose que je me suis préparé. J'ai fait un repas un peu moins ordinaire, histoire de marquer le coup, mais rien d'exceptionnel non plus. Une fois le tout avalé et l'émission sur mon écran lassante, je décide de travailler un peu l'un de mes textes. Si je suis revenu, c'est bien pour me faire un petit nom avec mon nouveau boulot. Même si ce n'est que sur internet, ça peut m'aider.J'espère faire du bon travail à leurs côtés, j'aime la comédie. C'est elle qui m'a sauvé alors que j'étais déjà à moitié mort.

Je soupire, agacé. Je connais mes textes par coeur alors que je ne commence que dans deux semaines. Avant de tourner avec eux, j'ai droit à quelques jours de visite dans leurs locaux, d'explications et d'observation. Je suis pressé et stressé en même temps. Alors que je coupe mon ordinateur, j'entends la porte de mon voisin claquer et ses pas dévalent les escaliers. Je soupire encore. Je devrais peut-être aller me présenter à lui un jour, je ne l'ai toujours pas fait. Je ne l'ai pas encore croisé depuis que je suis là. Mais en même temps, son appartement me rappelle de mauvais souvenirs et je n'ai pas encore le courage de l'affronter. S'il sort passer le réveillon avec sa famille et ses amis, il va sûrement rentrer tard. J'espère qu'il ne va pas me réveiller comme ça a déjà été le cas. Moi, je suis très en avance sur l'heure et j'ai déjà fini quand d'autres ont à peine commencé. Je regarde encore un peu la télévision pour me forcer à ne pas me coucher trop tôt. Mais je m'ennuie. Finalement, c'est démotivé que je finis par céder et aller dormir.

Mon portable sonne. Mon portable sonne, et moi, je ne dors plus. Je tends la main vers lui en grognant. Il doit être quatre heures du matin et je n'ai pas assez dormi. Je me suis couché tôt, mais quand même. C'est un numéro inconnu, ce qui me pousse à décrocher.

- Oui, allô ?

- Vous êtes bien Hoseok ?

- C'est exact.

- Pardonnez-moi de vous déranger en pleine nuit mais ... Je suis le docteur Choi Kyang Ja. Je vous appelle car je viens de prendre un patient en charge. Vous êtes son unique numéro d'urgence, et je pense qu'il est préférable que je vous prévienne de son état.

- Numéro d'urgence ? M'étonnai-je.

- Oui, monsieur ...

- Jung.

- Monsieur Jung. Et comme nous ne connaissons pas son identité, nous ne pouvons pas contacter sa famille. Pourriez-vous vous déplacer rapidement s'il vous plaît ? Vu son état, j'ai bien peur qu'il ne passe pas la nuit, et j'aimerais qu'il soit accompagné.

- Oh, euh ... Oui ... Oui, bien sûr.

Il m'indique rapidement le nom de l'hôpital, m'apprenant aussi que son patient n'est pas encore sorti du bloc opératoire. Agacé, je me prépare lentement. Je vais dans un hôpital en plein milieu de la nuit de Noël pour voir un homme, que je ne connais même pas, mourir. Magnifique. Je secoue la tête, passant ma main dans mes cheveux avant de fermer ma porte à clefs. Bien sûr que si je le connais. Du moins, je le connaissais. Mais je n'ai pas la moindre idée de qui il peut être. Je n'ai plus de contacts avec mes anciens amis, et c'est à Séoul qu'il se trouve. Ils se sont éloignés de moi à cette époque et le fait que j'aille vivre ailleurs n'a pas vraiment aidé. A cette heure, je suis obligé de prendre ma voiture.

Il ne me faut que quelques minutes pour rejoindre l'hôpital. Il n'y a presque personne sur les routes, soit parce que les gens sont déjà rentrés chez eux, soit parce qu'ils font encore la fête. Je ne me dépêche pas plus que ça non plus, je ne veux pas risquer de me trouver dans un lit à côté de ce gars dont je ne connais pas l'identité. A chaque minute qui passe, mon ventre se tord de plus en plus. C'est quelqu'un que je connais. Un homme que je connais. Il va certainement mourir. Et moi, j'y vais comme ça, avec peu de volonté alors qu'il passe ses derniers instants. Je l'ai connu, bordel. Assez pour que mon numéro soit le seul parmi ses numéros d'urgence. Qui est-il ? Qui est cet homme ? Une fois arrivé, je me garre et souffle, anxieux. J'étais agacé tout à l'heure mais maintenant je suis plutôt en proie à l'angoisse. Une fois dans le hall, j'explique ma situation à l'accueil. Elle semble avoir une note me concernant et m'indique un étage ainsi qu'une chambre. Elle m'explique que je dois rester devant la porte et attendre quelqu'un sans chercher à entrer. Le médecin veut me parler avant que je ne voie celui qui vient tout juste d'être amené en soins intensifs. Je m'exécute, jouant nerveusement avec mes doigts dans l'ascenseur.

Avec une extrême lenteur, je me rends devant la porte de la chambre qu'on m'a indiquée. Elle est très légèrement ouverte mais pas assez pour que je puisse voir quelque chose. J'entends seulement. J'entends un bip sonore qui exprime des battements de coeur. Alors, ce rythme, c'est celui du coeur de quelqu'un que je connais. Quelqu'un que je connais qui est pour l'instant encore en vie, mais qui pourrait ne plus l'être avant la fin de la nuit. Du moins, c'est ce que pense le médecin que j'ai eu au téléphone. Déboussolé, je passe ma main sur mon visage. C'est irréaliste ce qu'il se passe. Si j'essayais de le raconter à quelqu'un, on me rirait sûrement au nez. Je soupire. Je suis sorti de mon état entre deux eaux quand quelqu'un se présente à moi. Il me salue et je lui rends son geste respectueusement en fronçant les sourcils.

- Merci d'être venu aussi rapidement monsieur Jung. Je ... Je ne pensais pas que vous le feriez, vous n'aviez pas l'air de tout comprendre.

- Je ne suis pas sûr de tout comprendre même maintenant.

- Et bien ... Nous avons trouvé un jeune homme entre la vie et la mort et il n'avait rien d'autre que son téléphone sur lui. Nous ne savons pas qui il est. Par chance, nous avons pu accéder à ses numéros et le vôtre était dans la liste des numéros à contacter d'urgence.

- Que ... Que lui est-il arrivé ?

Le médecin soupire et son visage se ferme. Je sens que ça ne va pas me plaire.

- Il semblerait qu'il ait été tabassé et qu'on ait essayé de l'égorger. Il a perdu beaucoup de sang et son cou est très abîmé mais nous avons pu l'opérer et le stabiliser pour le moment. Il a de grosses difficultés à respirer et son coeur est sous surveillance. Il a ... Il a aussi ... Son agresseur l'a ... violé.

Je le regarde, complètement choqué par la violence de ce qu'il a subi. Un viol, des coups, un égorgement. Quelqu'un en avait vraiment après lui. Les larmes me montent au yeux sans même que je ne comprenne trop. Je ne sais même pas encore qui c'est. Mon ventre se tord de douleur, je le connais. Je le connaissais, du moins. C'est quelqu'un qui a fait partie de ma vie. Et il est derrière cette porte, à l'agonie, en train de s'éteindre à petit feu. Ce monde est vraiment moche. Le médecin reprend.

- Monsieur Jung ? Je sais que la situation est difficile et vous pourriez ne pas vouloir rester dans cette chambre. Ce que vous allez voir est difficile à supporter. Mais j'aimerais ... J'aimerais que vous gardiez à l'esprit qu'il vit très certainement ses derniers instants et que même s'il n'est pas conscient, son corps sent ce qui l'entoure. Tout le monde a besoin de ne pas partir seul. Mais si vous n'êtes pas capable de rester, je peux le comprendre. Je voudrais seulement connaître son nom, vous comprenez ?

Je déglutis. Ses paroles me font du mal et mon coeur bat à tout rompre. Il pense vraiment qu'il va mourir. Il me lance un dernier sourire pour me donner du courage. Bien sûr, si je le reconnais, je lui donnerai son nom. Il mérite de ne pas mourir seul, mais ce n'est pas avec moi qu'il doit être. C'est sa famille qui doit l'accompagner dans ses derniers moments. Je l'ai connu, ça ne fait pas de doute, mais ça doit faire presque cinq ans que nos chemins se sont séparés. C'était que nous n'étions pas de vrais amis. Alors je n'ai pas ma place ici, pas si quelqu'un d'autre peut lui apporter une dernière présence rassurante. J'inspire fortement avant de passer la porte. Mon regard est attiré vers la gauche, où se trouve un lit. La première chose qui me choque, ce sont les fils. Et l'énorme tube qui ressort de sa gorge. Evidemment, il est sous respirateur, j'aurais dû m'en douter. Je m'approche un peu, n'osant pas vraiment le faire mais je suis poussé par ma curiosité. J'aperçois un bandage au niveau de sa gorge et un autre au niveau de sa tête. Il a quelques pansements sur les bras. Je me sens tremblant. Mes yeux se perdent sur sa tignasse dont certaines mèches dépassent de ses bandages. Ils sont gris. Original. Je finis sur sa gauche et observe ses traits. Ses yeux fermés sont gonflés et sa pommette droite est ouverte. Il a vraiment été salement amoché. Un instant, je suis pris d'une bouffée de colère. Comment quelqu'un, comment un autre être humain, a pu le laisser dans cet état ? Comment peut-on faire subir ça à un être vivant qui ressent la douleur ? Il doit souffrir le martyre même s'il est inconscient, et il a dû souffrir bien plus encore avant qu'on ne le trouve. Alors que je suis sur le point de m'asseoir, la colère disparaît totalement et mon coeur panique. Les larmes passent enfin mes yeux et j'éclate en sanglots.

- Yoongi ...

Il est défiguré, mais je suis sûr de moi. C'est lui. Je ne l'ai pas vu depuis des années mais quelque part il n'a pas changé. Son visage est marqué, bien sûr, et j'ai l'impression qu'il n'y a pas que les coups qu'il a reçus. Son corps semble plus maigre, aussi, mais c'est difficile d'en juger sous une couverture. Je me laisse tomber sur la chaise que je visais avant de le reconnaître. Mes jambes ne veulent plus me porter. J'attrape sa main, la mienne est moite et j'ai peur de lui faire du mal. Mais il faut que je le touche, je veux qu'il ressente ma présence. Je dois être le dernier qu'il voudrait dans cette chambre, mais je ne peux pas le laisser seul. Alors je pleure, je pleure encore et encore et j'écoute le bip de son coeur. Il ne va pas passer la nuit. C'est ce que pense le médecin. Yoongi va mourir dans quelques heures, sous mes yeux. Je ne peux pas accepter ça. Malgré tout le mal qu'il m'a fait, je crois que je l'aimerai toujours. C'est insupportable de le savoir dans cet état. Après une bonne demie heure, une infirmière vient vérifier ses constantes et me demande son nom. Je lui dis ce que je sais, mais si ses parents n'ont pas déménagés, ils ne seront pas là avant de nombreuses heures. Il va mourir sans eux.

Yoongi, par pitié, tiens la nuit. Tiens la nuit et survis. Une heure de silence supplémentaire et je me décide enfin à lui adresser la parole. C'est stupide mais je sais que parfois, ils peuvent nous entendre et que ça les aide à se battre. Sur le coup, je ne réfléchis pas plus et je ne me dis pas que s'il s'en souvient après, ça risque de poser problème. Je lui raconte tout ce que j'ai fait pendant ce temps passé sans lui, je lui dis pourquoi je suis revenu ici. Je lui pose quelques questions parfois mais je sais qu'il ne me répondra pas. J'ai envie de savoir ce qu'il a fait, j'ai envie de savoir ce qu'il est devenu et pourquoi il est dans ce lit d'hôpital. La nuit est presque terminée et le soleil commence déjà à montrer le bout de son museau. Je soupire, désespéré. Je ne veux pas qu'il meure. Son médecin finit par revenir vers moi. Il me fait remplir quelques papiers simplement pour attester de son identité. Si j'en étais sûr dès la première seconde, je le suis encore plus maintenant que j'ai passé des heures à observer son visage meurtri. Il hausse un sourcil en lisant mes données.

- Oh, vous êtes voisins.

- Comment ça ?

- Vous avez la même adresse. Il semblerait que vous ayez un numéro d'écart pour vos appartements. C'est comme ça que vous vous connaissez ?

- Hum, son adresse doit être fausse, il habitait là-bas il y a cinq ans mais il a quitté cet appartement depuis.

- C'est étrange ... D'après son dossier informatique, il a été hospitalisé il y a quelques jours pour des blessures et cette adresse est celle qu'il a renseignée.

Je souffle, étonné. Il y a quelques jours ? Alors ce voisin que je ne connais pas encore et qui est souvent à l'hôpital parce qu'il a des problèmes de santé, c'est lui ? C'était lui depuis le début ? Il n'a donc jamais quitté cet appartement. Il soupire et semble épuisé. Il n'a pas dû passer une très bonne nuit non plus. Tout ça fait beaucoup pour moi. J'ai conscience que je ne devrais pas savoir tout ça mais le médecin en face de moi est vraiment fatigué et au bout de ses forces. Si Yoongi est si souvent à l'hôpital, pourquoi est-ce la première fois qu'on m'appelle en urgence ? Peut-être que d'habitude, il n'est pas entre la vie et la mort. Pourquoi avoir gardé mon numéro comme urgence alors qu'il m'a abandonné comme si je n'avais jamais rien représenté pour lui ? Je reste encore quelques heures dans cette chambre, à lui tenir la main, à lui parler, mais je n'arrive plus à pleurer. En milieu de matinée, je me résouds à partir. Je n'ai plus le droit d'être à ses côtés, il me l'a retiré il y a cinq ans. Abattu et vide de toute énergie, je quitte la pièce sans me retourner. Il a survécu à cette nuit, il survivra aux prochaines. Je ne peux pas me permettre de me donner d'avantage le concernant, je n'ai pas la force de revivre ça. Yoongi appartient au passé.


~~~~~~~~~~


J'espère que ce chapitre vous aura plu, je vous dis à la semaine prochaine ♥

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top