6. ICE CREAM DATE

Embarrassé, il bafouilla :

« Elle est pas là, Mathilde ?»

Achille hocha négativement la tête, les traits du visage fermés. Ce dernier était assit sur le banc face au camion de glace, son badge épinglé à la poitrine, la casquette à l'effigie de l'enseigne retourné sur sa tête. Son tablier noir était noué à sa taille mais ne protégeait pas son t-shirt, également noir. Il tenait entre ses mains fines et délicates son téléphone qu'il glissa dans sa poche arrière.

Le vent soufflait un peu. On entendait le bruit des vagues s'éclater et lécher le sable froid.

« Elle est malade, expliqua Achille, je me retrouve tout seul pour le service de ce soir. »

Et ça le faisait terriblement chier. Deux fois plus de travail, deux fois plus de faux sourires, de relations sociales quand bien même brèves. C'était épuisant, mine de rien. Et il n'avait pas beaucoup dormi cette nuit.

Il soupira, agacé, puis se leva en direction du camion, dégainant les clés. Il ne fallait pas qu'il ouvre plus en retard que ça, au risque de se faire remonter sévèrement les bretelles.

Elvio marcha sur ses pas, l'air décidé. Quand Achille enfonça la clé dans la serrure, il déclara :

« Je vais t'aider. Je te dois bien ça.»

Bouche-bé, le glacier en détresse lui fit les gros yeux. Puis, quand il comprit qu'Elvio était sérieux, éclata d'un sourire joyeux.

« Pour de vrai ? »

En guise de réponse, Elvio avait déjà pénétré le camion. Achille, des étoiles dans les yeux, regarda le bel homme qui venait de lui sauver la mise avec admiration. Il déclencha machines, néons et musique.

« Je vais te trouver de quoi faire pro, fit Achille en fouillant des cartons. Tiens, ça doit être le tablier de Mathilde. Tu sais faire des glaces, c'est pas sorcier, hein. Le reste non plus, d'ailleurs. Tu donnes ce qu'on te demande. Les prix son affichés ici. »

Elvio plissa les yeux, incertain. Qu'est-ce qu'il lui avait prit ?

« Considère ça comme le remboursement, grinça t-il.

-Bon courage. »

Les affaires commencèrent. Il n'y avait pas beaucoup de monde ce soir, du moins beaucoup moins que d'habitude.

Durant le rush d'ouverture, Elvio s'occupait des glaces, le sourire aisé, la communication facile ; comme si le lien social était d'une évidence pour lui. Les clients semblaient plus raffoler du nouveau serveur que des glaces. Beaucoup lui demandaient s'il était nouveau dans l'équipe.

Achille s'occupait du reste, les granités, les gaufres et crêpes à faire chauffer, les barbe à papa improvisées... c'était plus de boulot que d'habitude, il n'allait pas laisser les tâches ingrates et compliquées à Elvio.

« Et un coca avec, monsieur. » Demanda une cliente d'environs seize ans à Achille.

Pour l'attraper, les mains d'Achille se posèrent sur le bassin d'Elvio et il se pencha pour attraper la canette dans le petit frigo aux pieds de l'espagnol.

Surprit, Elvio vira au rouge et se mit à bafouiller.

« Je...ah, euh, cinq euros cinquante s'il vous plaît. »

La cliente dévisagea Elvio en souriant un peu, le pensant nerveux. Elle lui tendit la monnaie avant de déguerpir avec ses précieux dans les mains.

Puis, après ce rush, le calme absolu. Un ou une cliente de temps en temps.

Elvio, ayant un peu chaud, se laissa tomber sur la chaise en plastique qui grinça contre le sol fait de fer du camion. Il s'épongea le front avec le dos de ses mains.

« Glace à la pistache ? Proposa Achille.

-On peut ?

-Qui va nous en empêcher, dis moi ? »

Il haussa les épaules et accepta l'offre. Un peu de fraîcheur ne serait pas de refus.

« Tu étais revenu voir Lola ? Demanda Achille, l'air de rien, en lui tendant la glace.

-Non.

-Tu es revenu pour quoi ?

-Mathilde, répondit Elvio.

-Pas moi ? »

Elvio sourit timidement, baissa la tête, lécha le dessus de la glace. Il adorait ce goût. Si délicieux, sucré, doux... pourtant, il n'aimait pas spécialement la pistache. Ses prunelles maronnées s'illuminèrent presque autant que les néons qui tapissaient le mur de fond pour attirer l'œil des clients.

« Pourquoi la pistache ? Demanda alors Elvio à son tour.

-C'est mon goût préféré.

-Comment tu savais que j'aimerai ?

-T'étais aussi à mon goût. »

Le cœur d'Elvio s'emballa si fort qu'il cru que toute la ville entendait ses battements irréguliers, paniqués et saccadés.

« Bonsoir, fit une cliente de l'autre côté du bar.

-Bonsoir. » Répondit Achille avec professionnalisme, comme s'il ne séduisait pas son collègue.

Quand elle quitta le camion de glaces, une bonne quarantaine de minutes s'écroula sans aucune clientèle. Achille consulta l'horloge murale.

« Dans ces cas-là, il n'y a plus qu'un de nous deux. Pas besoin de payer deux salariés à rien faire, expliqua Achille.

-Je suis pas payé, de toutes façons.

-C'est que je voulais dire c'est : on a cas fermer plus tôt.

-Ah ouais ?

-Ouais. »

Elvio acquiesça, Achille ferma le store du bar, empêchant ainsi tout potentiel client de s'approcher ou de commander. D'un coup, l'espace semblait plus clos et restreint.

« À mon tour d'avoir une glace. »

Tandis qu'il préparait sa fameuse glace à la pistache, il intima à Elvio qu'il pouvait se servir de ce qu'il voulait. Son choix se porta sur une bouteille d'eau fraîche. Il grimpa sur le comptoir pour s'y assoir, ses pieds ballants dans le vide. La première gorgée fut d'une satisfaction incroyable et spectaculaire. Achille se planta face à lui, léchant sa boule verte foncée, regardant son collègue dans les yeux.

« T'es pas mal, observa Achille.

-Euh...merci ?

-En tant que serveur, imbécile »

Les deux faux amis éclatèrent de rire.

« Tu m'embauches ? Demanda Elvio en buvant d'autres gorgées vitales.

- Oh oui...

-Moi ou Mathilde ? Renchérit le faux glacier.

-Mathilde, désolé, mais elle est plus dynamique, quand même. »

Elvio fit mine d'être horriblement vexé, croisant les bras, l'air fâché. Achille couina, le trouvant entre ridicule et attirant. Il se planta face à lui. L'espace restreint et limité faisait que les jambes d'Elvio touchaient ses côtes. Embarrassé et paniqué, Elvio ne savait plus où se mettre et serra si fort sa bouteille en plastique, nerveux, qu'elle se déforma entre ses doigts.

« Moi ou Lola ? » Demanda Achille, sur le même ton qu'Elvio l'instant d'avant.

Ses lèvres l'omnibulaient. Elvio n'arrivait pas à détourner son regard d'elles. Il en avait envie, encore. Évidemment. C'était certainement même cela qui l'avait poussé à être ici ce soir.

« Toi. » Osa t-il enfin, avec un peu plus d'assurance.

Achille se recula légèrement, satisfait de la réponse, de la malice plein les yeux. Évidemment qu'Elvio mourrait d'envie de l'embrasser. Alors, pour le faire languir un peu, il donna d'autres coups de langue à sa glace. Comprenant qu'il jouait avec ses envies fiévreuses, Elvio prit les devants et attrapa le cône, sa main par dessus celle d'Achille. Le cœur battant, un feu d'artifice dans le corps, il ne s'avait même plus quelle émotion le régissait. Certainement plus la raison. Elvio lécha la glace d'Achille en le regardant droit dans les yeux, lui lança un regard électrifiant. Touché. Achille cru s'écrouler sur place.

Il se précipita fougueusement sur Elvio et ses lèvres, qui lui rendit la pareille. Un baiser frais, sucré, gourmand ; sensuel, chargé, tourmenté de passion. Et surtout un arrière goût de pistache entre les glissements de langues.

La bouche d'Achille dérapa sur le cou d'Elvio qui se laissa glisser du comptoir, plaquant un peu sauvagement Achille contre le mur de fond et le plan de travail. Le coup fit mal à Achille mais il ne dit rien, bien trop absorbé par son activité de l'instant T.

La sonnerie de téléphone d'Elvio les coupa. Il jeta un coup d'œil vague et, quand il vu le prénom de sa petite sœur, s'empressa de répondre. Achille lui dévorait toujours le cou quand il dit :

« Allô ?

-Rentre à la maison, ordonna Maria.

-Quoi ? Pourquoi ? »

Sa voix était grave. Il fit signe à Achille de lui foutre la paix.

« Sofia a encore bu des litres, elle vomit beaucoup, elle est vraiment pas bien du tout, expliqua vite Maria. Ramona veut l'emmener à l'hôpital mais elle se débat. Dis pas à maman !

-Bordel, s'énerva Elvio. Ok. J'arrive, mais j'ai du trajet. »

Contrarié, il raccrocha et balança son téléphone sur le comptoir.

Sa sœur, Sofia, de presque son âge, semblait tout faire pour se ruiner la vie et la santé, ces derniers temps. De toutes évidences, elle n'allait pas bien.

Achille le dévisageait, un peu étonné et brusqué. Elvio retira son tablier et le remit entre les mains d'Achille.

« Je dois y aller, à bientôt. »

L'autre ne dit rien en le regardant partir, irrévocablement contrarié.

Une fois rentré à la maison Sofia était alitée, les deux sœurs jumelles, Ramona et Maria, dans le salon, devant la télé.

« Alors ? Fit Elvio en retirant ses chaussures.

-Elle est dans sa chambre.

-Elle exagère, grogna le seul garçon présent, il est même pas vingt trois heures trente.

-Maman rentre bientôt, l'informa Maria, pas un mot. Elle va se faire un sang d'encre, sinon. »

Elvio fit un signe positif de tête. Ses parents avaient beaucoup à gérer en ce moment. Il se dirigea vers la chambre de sa sœur Sofia, toqua à la porte et ouvrit sans attendre son accord. La jeune fille était allongée sur son lit, les jambes écartées, un gant de toilette humide sur le front. Il s'assied à son côté et elle roula sur son flanc pour lui tourner le dos, un peu honteuse.

« ¿ Como estas ? Lui demanda t-il en glissant sa main fraîche sur son cou brûlant.

-Mal...

-Sofia... Abuelita ne va pas aller mieux parce que tu te détériores. »

Sofia se releva avec ses dernières forces, la tête tournante. Depuis l'enfance, ils avaient vécus avec leur abuelita adorée. Cette femme avait une place importante et essentielle dans leurs vies et dans leurs cœurs. Elle avait du, avec leur père, retourner en Espagne, auprès du reste de la famille à cause d'un cancer. La dame était âgée, malade, mourante. Elle commençait même à perdre la mémoire. Sofia avait terriblement peur de perdre sa raison d'être.

« ¿ Quédate comingo esta noche ?

-Si. »

Sofia se décala douloureusement pour faire une place à son grand frère. Dans leur famille, les liens étaient soudés, forts, symbiotiques. On se soutenait, on s'aimait, peu importe les épreuves, peu importe les tourments. On s'aimait sans se le dire, plutôt en se le montrant.
Elvio se glissa dans le lit auprès de sa sœur malade et assommée par les effets de l'alcool sur son organisme fragile. Sofia préférait perdre toute notion de la vie, tout contrôle de son corps, plutôt que d'imaginer sa précieuse et adorée Abuelita souffrir loin d'elle. Ses yeux d'amandes brunes brillèrent de tristesse dans le noir. Elvio avait les mêmes yeux. Et ils brillaient de tristesse aussi.

« Merci, souffla Sofia en passant le gant frais sur son visage.
- T'as complètement zigouillé un des moments les plus intenses de ma vie.
- Désolée... »

Elvio ricana en prenant sa sœur dans ses bras. Ce n'était plus si important à présent. Sa famille était ce qui comptait le plus à cette heure-ci.

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