16. DÉCLARATION DATE
Le temps d'un été, le temps d'une vie, ce n'est pas important. Une seconde suffit, une minute suffit. Tout notre cœur entier peut se retrouver changé en un claquement de doigt. Notre entièreté totale. Un battement de paupière et le monde est different. L'être humain, pièce élémentaire à ce monde en mouvements, n'est fait que de contradictions. Héraclite disait d'ailleurs que jamais on ne se baigne deux fois dans le même fleuve. Nous sommes prit dans une spirale de perpétuels changements.
Elvio n'était plus le même que ce soir là, assit au bord de la plage avec Lola, ennuyé par ce rendez-vous très peu galant à son goût.
Parfois, le hasard, les coïncidences ou le destin dynamisent les changements. Ceux du monde et ceux de l'âme.
Le nombre d'années est insignifiant. L'amour s'en moque. Personne ne sait réellement sur quoi se base ce sentiment pour exister et perdurer. Certainement pas le temps passé. La rencontre entre Achille et Elvio les avait tous les deux profondément bouleversés. Ces quelques moments avaient suffit pour y laisser leurs empruntes au fer rouge en chacun d'eux. Un souvenir éternel, un moment terminé, qui continuerait d'exister dans les abysses de leurs âmes.
Fébrile, Elvio attendait les pieds dans l'eau de la fontaine d'où la lune se reflétait. On la voyait se métamorphoser au gré des vagues que créait Elvio ainsi que son compagnon le vent. L'obscurité était tombée, sa fidèle alliée la nuit aussi. Les étoiles scintillaient au dessus de sa tête, éclaircissant la belle ville balnéaire.
À quelques pas de là, les mains dans les poches, d'une marche hésitante, s'avançait doucement Achille, sa capuche sur la tête.
Les souvenirs de la fête de la ville revenaient et, pourtant, l'endroit semblait si différent. Changé. Comme ce fleuve dans lequel on ne se baigne jamais deux fois. Plus de stands, de chants, de musique, de rires, de belles décorations, d'excitation générale et partagée, de fête. Juste le calme total, un centre ville désertique, une nuit sombre et étoilée. Elvio toujours les pieds dans l'eau, face à la fontaine, dos à l'univers.
« Hey. » salua Achille dans un chuchotement fatigué.
Il était près de trois heures du matin. Elvio tourna la tête vers lui, le visage tiré par la même fatigue qui rendait la voix d'Achille plus faible. Ils se sourirent tendrement et nouèrent leurs doigts ensembles.
« Comme ça je te manque ? » taquina le tatoué ponctuant sa phrase d'un clin d'œil séducteur.
Imitant son prétendu ami d'enfance, il retira ses chaussures pour plonger ses pieds dans l'eau froide de la fontaine. La fraîcheur secoua son corps d'un énorme frisson. Pour se réchauffer, il s'approcha au plus près d'Elvio qui lui avait l'air tourmenté. Achille posa sa tête contre l'épaule de l'autre garçon, resserrant ses doigts autour des siens. Il sentit un nœud naître dans son estomac. Il sentait les non-dits d'Elvio qui vibraient en lui, des non-dits qui allaient les bouleverser. Déglutir devenait douloureux.
Il n'avait pas envie de lui demander ce qu'il se passait car le pressentiment d'être concerné par cette possible mauvaise nouvelle ne l'enchantait pas du tout.
Elvio reposa sa tête contre celle d'Achille, fermant les yeux pendant un instant en se focalisant sur le bruit léger de l'eau et du vent, le bruit du ciel, des cigales.
« Tu crois plus au destin ou aux coïncidences ? Demanda alors Elvio.
- Coïncidences, répondit Achille en cachant son étonnement.
- Notre rencontre est une coïncidence ?
- Ouais.
- J'aime mieux croire que c'est le destin et qu'on va se retrouver. »
Achille s'éloigna d'Elvio qui ouvrit les yeux, nageant dans l'incompréhension et la terreur d'un tel sous-entendu, ne manquant pas au passage de le dévisager.
« C-comment ça ? »
Il semblait perplexe. Elvio fronça les sourcils, se racla la gorge, tourna difficilement la tête vers son camarade de primaire, les yeux brillants de tristesse. Dans ses belles prunelles brune charbonneuse s'y mouvait la lune. Dans les larmes naissantes au bord de ses yeux s'y mouvait les étoiles. Le cœur d'Achille fit un grand huit, il ne montra rien. Les mots avaient du mal à sortir de la bouche de l'argentin.
« Je vais partir en Espagne la semaine prochaine, je ne sais pas pour combien de temps, expliqua t-il enfin. Ma grand-mère est malade, ce sont certainement ces derniers jours... »
Figé comme une statue, les lèvres d'Achilles se scellèrent entre elles. Son visage semblait de glace, les traits pourtant contrariés, la reliure de ses lèvres tirés vers le bas.
« Il y a un trou dans mon cœur, souffla Elvio terriblement desépéré et souffrant. Je ne veux pas... partir. Ni te perdre. Tu glisses tellement facilement entre mes doigts. »
Achille se senti ramollir, mourir de chaud, submergé au fur et à mesure qu'Elvio parlait.
« On ne s'est peut-être pas connu aussi jeunes qu'on le fait croire, mais j'ai la sensation que tu as toujours été là, ici, poursuivit-il en montrant son cœur. Avec toi, je me sens... tellement vrai, tellement moi, tellement exalté et passionné. »
Une étoile glissa sur sa joue qu'il balaya bien vite d'un revers de main. Un silence aussi léger que la brise s'installa pendant lequel on entendait leurs deux cœurs battre à tout rompre. Elvio, ses deux mains noués sur ses cuisses, fixait l'eau, encore incapable d'affronter Achille et la moindre de ses réactions, la moindre mimique qu'il pourrait interpréter hâtivement.
« J'ai l'impression de crever en m'éloignant de toi. »
Mordant l'intérieur de ses joues, nerveux, tremblant, Achille chancela et ses pieds glissèrent contre le sol rugueux qui tapissait la fontaine. D'un geste brusque et anxieux, il se massa les tempes aussi fort qu'il pouvait. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres.
« Je dois être honnête avec toi, Elvio. »
Entendre son prénom de sa bouche le rendait ardent.
« Je vais déménager... bientôt. »
La nouvelle fit l'effet d'une bombe. Elvio se redressa, ce fut son tour de le dévisager, sidéré, désireux d'avoir plus de détails. Un bruit bourdonnant venait d'éclater dans ses tympans. Il avait l'épouvantable et abominable impression de perdre les pédales, ce soir. Il avait mal au cœur, dans tous les sens du terme.
« Je vais habiter chez une de mes tantes. »
Abasourdi, Elvio se leva, s'essaya de nouveau, de releva encore... Face au silence et au semblant d'impassibilité d'Achille, Elvio vrilla pour de bon et haussa la voix :
« ! No me jodas ¡
- M'engueule pas en espagnol, je comprends pas. »
Quand la colère le gagnait, l'espagnol prenait inévitablement le dessus. Plus franchement, plus naturellement, les mots sortaient tout simplement. Elvio bafouilla, encore plus frustré.
« Écoute, je voulais te le dire mais je n'ai pas eu le courage.»
Achille, quant à lui, essayait de modérer ses émotions, son vécu, d'être le plus clair et cohérent possible. Il détestait se mettre à nu. Montrer ce qu'il ressentait, à quel point ses émotions pouvaient le torturer. Tout ce processus lui demandait un effort surhumain qu'il avait peur de ne plus pouvoir faire.
« J'en savais rien, que j'allais croiser ta route juste avant de prendre mon envol, déclara Achille. Moi aussi, j'ai le cœur en lambeaux. Moi aussi, j'aimerai mieux mourir que d'être loin de toi. »
C'était était trop. Elvio lâcha une pluie d'étoiles, de belles comètes. Habituellement, il n'était pas particulièrement émotif, assez neutre, modéré, dans la norme. Avant cette rencontre, il se trouvait tellement dans la norme. Toute sa vie entière était banale, normée. Surtout lui, sa façon d'être, sa personne. Personne ne l'avait touché en plein cœur comme Achille l'avait fait.
Tout son être était en vrac. Comme noyé dans un océan capricieux et dangereux, un océan fait d'émotions fortes, de passion, de tendresse, d'amour, de douleur, d'adieux et de perte.
Ce n'était pas une belle soirée. Il n'arrivait pas à sourire. Comme pour se soulager du poids qui le faisait couler dans cet mer de souffrances, ces deux mots sortirent d'eux-même alors qu'ils étaient si bien logés au chaud, dans l'évident secret de son cœur :
« Te quiero... »
Elvio se laissa retomber sur le rebord de la fontaine, cachant son visage avec ses mains, les joues trempées d'une tempête d'astres. La lune se cachait toujours dans l'absurde beauté de ses prunelles. Confus, Achille se frotta de nouveau le visage si fort, comme pour le masser, se détendre, cruellement nerveux.
« Te quiero mucho. » répondit Achille, la voix tremblante.
L'intéressé leva la tête, boulversé. Cette fois, il n'était plus inquiet de regarder Achille dans les yeux, de se retrouver face à lui. Elvio n'arrivait pas à croire que ce qu'il venait d'entendre était réel. Si bref, si rapide, juste trois petits mots qui avaient filés à la vitesse de la lumière, insaisissables.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top