Prologue


PROLOGUE

(Waiting Game_BANKS)

Adelaide.

Je regarde mon reflet dans à travers le miroir de l'ascenseur. Mes cheveux sont plaqués dans un chignon parfait. Aucune mèche ne s'en échappe. Mon teint est maquillé, on ne se doute pas des cernes en forme de poches sous mes yeux. Ma robe bleue me colle à la peau, et je déteste ça. Mais ça fait bien longtemps que je dois oublier ce que j'aime ou n'aime pas. Je dois juste agir. Je crois que même mon organe le plus important a apprit à jouer la comédie. Ou alors il s'est juste habitué. Je ne le sens pas s'emballer comme il le devrait. Peut-être parce que mon cerveau me répète que tout est sous contrôle. Comme toujours. Ce qu'il s'est passé ne sera ni le premier ni le dernier échec. Nous avons une longueur d'avance. Mike aime me rappeler que ça ne fait que me rajouter du sang sur les mains. Son image ne m'atteint pas comme il l'aimerait.

Parce que ça fait bien longtemps que je me lave les mains sans m'inquiéter de la couleur de l'eau.

Une musique retentit, rapidement suivie par cette voix robotique.

Vous êtes arrivé dans le hall des bureaux de la base une. Merci de vous identifier une fois les portes ouvertes. Gloire à la base une, gloire aux...

« Aux survivants. » Je murmure en chœur.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent, laissant apparaître une nouvelle porte transparente. On peut voir à travers elle le grand hall où les personnes les plus haut placées travaillent. Habillées avec des tenues blanches et bleues. Les couleurs de la base une. Je pose ma main sur la porte. La partie de la porte où j'ai posé ma main se met alors à briller en bleu, traçant le contour de ma main. Un son retentit pour confirmer l'identification et la porte s'ouvre enfin pour me laisser placer.

Certains regards se tournent vers moi, je les sens, mais je n'y fais pas attention. Je continue d'avancer, le dos droit et la tête haute. Je connais le chemin par coeur. Je dois traverser plusieurs allées aux murs bleus et blancs. Cinq ascenseur où je dois de nouveau m'identifier. Pour enfin accéder à l'étage où je suis attendu.

Je toque deux fois au bureau du commandant et ce sont ses gardes du corps qui m'ouvrent. Ils me regardent de haut en bas, me font m'identifier une nouvelle fois sur une tablette. Ça me donne toujours envie de rire. Si quelqu'un apprenait un jour à se transformer en une autre personne, ça serait moi. Tant que je ne l'ai pas inventé, leur dispositif de sécurité est ridicule.

Les gardes du corps me laissent finalement rentrés, prenant ma place en sortant du bureau et en refermant les portes derrière eux.

Le bureau du commandant est entièrement vitré. On peut voir toute la base d'ici mais elle ne peut pas nous voir. En plus d'être tout en haut de la tour, les baies vitrées ont été teintées d'un côté, afin d'empêcher de voir l'intérieur du bureau par les drones d'autres bases, même si seule la base deux est censée en avoir aujourd'hui.

« Bonjour Adelaide. »

Je sors de mes pensées en entendant la voix du commandant. Je tourne la tête vers ce dernier, debout à côté de son bureau, une coupe à la main. Son regard noir croise le mien et le sourire qu'il m'offre est aussi faux que celui que je lui rend.

« Commandant Cooper. »

Je m'incline, parce que c'est ce qu'on m'a toujours apprit depuis enfant. Le commandant Cooper a soixante cinq ans mais ses dernières injections font que, physiquement, il en paraît vingt de moins. Il a tout de même tenu a garder ses cheveux blancs. Sûrement pour nous rappeler depuis quand il est le commandant de notre base. Pour nous rappeler depuis quand on lui obéit.

Et personnellement pour me rappeler ce qui a déjà coûté à ma famille de le décevoir.

« Je vous sers un verre? » Il me demande en montrant le second qu'il avait déjà préparé à côté du sien.

« Merci, commandant, mais j'ai encore du travail qui m'attend. »

Ma réponse le fait sourire. Et je sais déjà pourquoi il m'a demandé aujourd'hui. C'est pourquoi je ne suis pas étonnée lorsque je l'entends me dire:

« Justement, je me demandais comment avançait notre projet.

-Il avance bien, commandant.

-Ce n'est pas ce que le test de cette semaine m'a fait comprendre. »

La voix du commandant reste neutre, voir réconfortante. Pourtant je sais que c'est tout le contraire qui se cache derrière. Juste là, derrière ses yeux, derrière son sourire se trouve la personne la plus dangereuse que je connaisse.

Mais si vous lui demandiez, je pense qu'il dirait la même chose sur moi. Je pense que, même si nous faisons encore semblant, le commandant et moi avons arrêtés de nous sous-estimer. Je sais de quoi il est capable mais il sait que, s'il réussit, c'est parce que j'en suis capable aussi. Mettez nous tous les deux dans l'ascenseur et vous pourriez peut-être confondre nos reflets.

« Je savais que ce test allait échouer. Mais nous en avions besoin pour tout de même avancer.

-La dernière personne qui m'a dit ça était votre père. »

Cette fois, mon sang se glace. Mais je dois rester imperturbable. Je regarde le commandant qui continue de me sourire avant de prendre une nouvelle gorgée. Il me voit comme son pantin actuellement. Me rappelant que, même s'il a besoin de moi, ça ne l'a pas empêché de couper les fils de ces derniers pantins, les laissant se démembrer sous ses yeux sans aucune once de culpabilité.

« La rébellion sonnera bientôt à notre porte, Adelaide. Et je crains que nous manquions de temps. »

Il fait quelques pas vers moi et son sourire s'efface lorsqu'il me dit:

« Il est temps de partager aux autres bases le projet NINE. »

Cette fois, malgré moi, mon masque se fissure lorsque je fronce légèrement les sourcils en répondant directement:

« Nous nous étions mit d'accord sur le fait d'attendre vingt ans.

-Ça en fait déjà dix huit.

-Nous n'avons pas terminé tous les tests.

-Vos tests ne font qu'échouer! »

Cette fois, le commandant lève la voix en me lançant un regard noir. Et, là, je la vois. La peur dans son regard. Ça pourrait me faire sourire si je n'étais pas en train de cacher ce sentiment moi aussi.

« Nous en perdons un de plus à chaque test qui échoue. Nous n'avons plus de temps à perdre. Il est temps de passer à la deuxième phase du projet.

-La rencontre. » Je comprends.

Le commandant hoche la tête et s'approche un peu plus de moi, passant ses doigts sur le haut de mes cheveux, faisant s'échapper une seule mèche qui me retombe alors sur le front.

« Faites en sorte qu'ils soient prêts, Adelaide. C'est une longue année qui les attend.

-Qui nous attend. » J'ose le reprendre.

Parce que, une fois que le projet sera dévoilé, une fois qu'on aura commencé à mettre en place notre plan, le commandant sait que si j'échoue, il échouera avec moi. C'est comme faire un pacte avec la mort.

Le commandant sourit légèrement avant de hocher la tête. Puis, sans que je m'y attende, il retourne vers son bureau tout en me disant:

« Je ne vous ai pas fait venir seulement pour ça. »

Je ne comprends pas tout de suite. Je le vois attraper sur son bureau une tablette aussi fine qu'une feuille de papier. Puis il se rapproche de moi et, en appuyant sur la tablette, fait apparaître un hologramme entre nous, prenant la forme d'un écran. On y voit un bâtiment abandonné et délabré dans un lieu où il ne semble avoir rien aux alentours à part des buttes de terre, plus ou moins grandes, tout en longueur.

Je comprends rapidement qu'il s'agit d'un orphelinat filmé par un drone de la base une. Vu l'état, je dirais que c'est un orphelinat de la base neuf ou dix.  

« Qu'est-ce que je suis censée voir? » Je demande.

Le commandant sourit à l'entente de ma question avant de me répondre:

« Votre plus grosse erreur, Adelaide. »

Je fronce les sourcils et je n'ai pas le temps de me poser plus de questions que je vois soudainement des enfants sortir de l'orphelinat en courant. Il y a un petit garçon à qui il ne reste qu'une jambe qui tente d'avancer avec deux battons qui lui servent de béquilles. La gardienne derrière lui fait de grands gestes, comme si elle le disputait, avant de donner un coup de pied dans ses béquilles pour le laisser retomber lourdement. L'enfant ne doit avoir que huit ou neuf ans. Il pleure et, même si je n'ai pas le son, je devine qu'il essaie de s'excuser. A ce moment là, une jeune fille arrive. Une jeune fille avec une main en moins et un cache oeil. Elle veut se mettre entre la gardienne et le petit garçon mais la gardienne récupère une béquille pour frapper la jeune fille avec.

A ce moment-là, je ne comprends pas pourquoi le commandant me montre ça. Je sais que ça se passe dans les bases les plus proches de la grande explosion. Il ne m'apprend rien. Et ça m'étonnerait qu'il s'attende à me voir pleurer à ses pieds pour ça.

Puis, soudainement, un autre garçon en sort. Un garçon dont je ne vois pas le visage à cause de ses long cheveux bouclés. Il fait de grand gestes en tentant de protéger le petit garçon et le jeune fille. Mais la gardienne continue de les frapper, tous les trois. Jusqu'à ce que le vent se mette soudainement à souffler, très fort, trop fort pour que ça soit naturel. La gardienne s'arrête, sous la surprise, et d'autres enfants sortent de l'orphelinat pour voir ce qu'il se passe. Une autre gardienne en sort également, un enfant de deux ans peut-être dans les bras mais au visage défiguré.

Le garçon aux cheveux long serre les poings et la gardienne qui les battait se fait soudainement propulser contre le mur à cause de la puissance du vent. Je vois sa nuque craquer et l'arrière de sa tête se mettre à saigner sous les regards choqués des enfants. Le vent s'arrête en même temps que le garçon tombe à genoux, épuisé. Puis il relève la tête vers la jeune fille et le petit garçon et j'arrive à apercevoir son visage affolé.

Mon coeur rate un battement.

Ce n'est pas possible.

L'image s'arrête sur ça. L'hologramme disparait et mon regard tombe alors directement dans celui du commandant.

« Je ne vais pas vous demander comment c'est possible puisque je sais que vous n'en avez aucune idée. »

Il a raison. Et je déteste ça.

« Alors je compte sur vous, Adelaide, pour réparer votre propre erreur et en faire un avantage. »

Je hoche la tête. Parce que je n'ai pas le choix. Parce que, même si des milliers de questions tournent en boucle dans ma tête actuellement, je dois me ressaisir et trouver des solutions, comme toujours.

Je reprends mon air imperturbable, comme si cette vidéo n'était pas une bombe m'éclatant en pleine face. Mon regard s'ancre dans celui du commandant et je demande:

« De quand date la vidéo?

-D'il y a une heure.

-Bien. J'envoie une équipe le récupérer.

-Une équipe est déjà en route. »

Il a une longueur d'avance sur moi. Et il adore me le rappeler.

« Combien de témoins?

-Les gardiennes. » Il répond.

Avant de rajouter sans me lâcher du regard:

« Et tous les enfants. »

Je hoche de nouveau la tête. Comme un robot.

« Le projet NINE a intérêt à nous sauver, Adelaide. »

Le commandant tourne autour de moi, lentement, passant à nouveau son doigt autour de ma mèche de cheveux. Puis il se penche à mon oreille pour me murmurer:

« Sinon les retrouvailles avec votre papa se feront plus tôt que prévu. »

Je reste de marbre, faisant comme si l'image de mon père ici même à mes cotés, des années en arrières, ne revenait pas me hanter. Le commandant m'a vu enfant, accrochée à mon père comme à ma bouée de sauvetage. Mais l'idée de me voir me noyer ne le dérange pas non plus. La seule raison pour laquelle je suis encore ici c'est qu'il a encore l'espoir que je puisse lui servir à quelque chose.

« Le projet NINE va nous sauver. » Est ma seule réponse.

Ça fait sourire le commandant qui finit par s'éloigner de moi, me donnant l'impression de pouvoir respirer à nouveau.

« Alors je vous laisse aller annoncer à la sous-base que le projet NINE commence dès maintenant. »

Ce n'est pas une proposition, c'est un ordre. Je hoche de nouveau la tête avant de la relever pour regarder une dernière fois le commandant. Il lève son verre vers moi, comme si c'était en mon honneur, avant d'en prendre une dernière gorgée. J'aurais bien pris un verre, finalement.

A la place, je fais une référence en signe d'au revoir, avant de lui tourner le dos et de me diriger vers la sortie de son bureau. Juste à côté de sa porte se trouve un miroir. C'est alors que je me vois, mon chignon parfait maintenant gâché par cette simple mèche. Comme une faille dans le système.

Si seulement il n'y en avait qu'une.

Avant de sortir, j'entend le commandant dire derrière moi:

« Gloire à la base une. »

Ce à quoi je réponds en regardant mon reflet avec un sourire ironique:

« Gloire aux survivants. »

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