Chapitre 10

Hi! J'espère que vous allez bien?
Encore merci du fond du coeur pour vos commentaires, merci pour votre soutien et votre amour. Je suis si heureuse de vivre les aventures de nos petites planètes, j'espère que ce chapitre vous plaira !

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CHAPITRE 10

(Tomorrow Land_Leon Else)

Harry.

Ils pleurent. Ils ne font que pleurer. Ces pleurs d'enfants, de bébés. C'est insupportable. Ils résonnent en boucle dans ma tête, me donnant envie de m'étouffer dans les draps pour les faire cesser. Mais quels draps? Il n'y a jamais eu de draps. Alors je veux m'étouffer contre mes bras. Je veux appuyer si fort contre mon nez jusqu'à en avoir mal au visage. Je veux appuyer mes mains sur mes oreilles jusqu'à n'entendre que mes pensées. Même si je ne sais pas si c'est mieux. Parce que peut-être que moi aussi je pleure de l'intérieur.

Ils continuent de pleurer, de crier. Je me retourne, sentant la sueur couler dans ma nuque et me persuadant que c'est ça aussi qui coule le long de mes joues. Je cherche la main de Gwendoline à côté de moi mais ne la trouve pas. Je continue de la chercher, désespéré, mais je ne sens que le vide. J'ouvre alors les yeux pour regarder sa place habituelle à côté de moi. Mais elle n'est pas là.

« Gwendoline? »

C'est le silence qui me répond.

Le silence?

Je réalise soudainement que les bébés ont cessés de pleurer. Et je devrais en être soulagé. Pourtant c'est tout le contraire. Parce que je sais ce que ça veut dire, lorsqu'on ne les entend plus. Ça ne veut pas dire que ça va mieux. Parce que ça n'ira jamais mieux. Pas ici. Pas pour nous.

Je déglutis difficilement et tourne violemment la tête en voyant Esha entrer dans le dortoir. Elle soupire tristement et m'annonce, comme pratiquement chaque matin:

« Je suis désolée Harry mais il faut aller creuser. »

Je hoche simplement la tête en me relevant par automatisme. A partir de ce moment-là, tout n'est qu'automatisme. Du moins c'est ce que j'aime me faire croire. Que l'être humain peut se persuader que les choses l'atteignent moins qu'il ne le faudrait. Qu'il peut choisir d'éteindre son âme le temps de quelques minutes, de quelques heures voir de plusieurs jours, mois ou années. Qu'il peut seulement passer le relais à son corps comme si tout ce qui était à l'intérieur était en veille, ignorant ce qu'il se passe à l'extérieur.

Je traverse les couloirs de l'orphelinat, enchaînant ces gestes comme une danse qu'on apprend par coeur. Pourtant je n'ai jamais dansé. Je traverse la cuisine sans chercher quelque chose à manger. Parce que je sais d'avance qu'il n'y a rien et que le creux dans mon estomac ne sera jamais réellement comblé. Je pousse la porte qui mène à l'arrière de l'orphelinat, enfouissant mon visage dans le creux de mon bras pour ne pas sentir l'odeur des cadavres. Je sais qu'ils m'attendent, ces bébés qui pleuraient encore de faim, de soif, de douleur, cette nuit.

J'attends quelques secondes avant de relever mes yeux vers le tas qui attend que je les enterre, étouffant leurs pleurs pour l'éternité.

Sauf que, dans ce tas, je reconnais une chevelure blonde.

Je sens mon corps se figer et les battements de mon coeur s'arrêter. Mon regard est fixé sur ce corps entassé avec les autres. Je regarde sa peau qui a toujours été pâle mais jamais aussi terne. Je regarde ses jambes tordues et cachées par les autres corps d'enfants. Je remonte mon regard le long de son corps maigre jusqu'à tomber sur son visage creuser. Sa bouche est entrouverte, ses lèvres presque grises. Elle ne porte plus son cache oeil, laissant à découvert la profonde cicatrice qui a tiraillée sa peau à la perte de son oeil. L'autre oeil est ouvert, mais complètement vide. Ce bleu foncé sans étincelles, sans lueurs. Comme tous les regards éteints que j'ai pu croiser depuis ma naissance. Mais ce n'est pas n'importe quel regard. C'est le sien. Et ça ne peut pas arriver. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas pensable.

La douleur qui traverse mon corps à cet instant est insoutenable. Comme un coup de poignard qui ne cesse jamais de s'enfoncer, nous faisant réaliser à quel point ça peut être long d'atteindre un coeur brisé. Parce que ça laisse le temps de tout déchiqueter sur son passage. Mon souffle se coupe, je ne respire plus. Je suis en apnée, sentant tout mon corps trembler jusqu'à ce que je retombe à genoux devant le tas de corps. Devant son corps. Le poignard continue de s'enfoncer, je le sens remonter, transperçant mes entrailles et n'ayant aucune pitié à tout laisser en morceaux derrière lui. Mes yeux commencent à se noyer et, pourtant, je continue de voir son corps. Et même si je fermais les yeux, je continuerais de le voir.

La lame atteindra bientôt ma gorge, je le sens.

Alors, avant de ne plus être capable de le faire, je lâche enfin ce hurlement qui était emprisonné dans ma poitrine:

« Gwen! »

Mon hurlement résonne autour de moi en même temps que je me redresse soudainement. Je me remets à respirer, difficilement, écoutant ma respiration saccadée briser le silence. Je sens les larmes dans mes yeux, sur mes joues, mais je ne vois rien. Je suis complètement dans le noir, la sueur continuant de couler le long de ma nuque. J'ai mal à la poitrine, mal à la gorge suite à ce hurlement qui m'a échappé.

Soudain, une lumière apparaît sur ma gauche. Je plisse mes yeux humides et tourne instinctivement la tête vers cette source de lumière, ne comprenant plus rien à ce qu'il se passe. Du moins, jusqu'à ce que je vois Louis se redresser sur son lit, son visage faiblement éclairé par sa lampe de chevet.

« Est-ce que ça va? » Il murmure, inquiet.

Au même moment, d'autres lumières s'allument. Je tourne la tête pour voir Liam, Niall et Zayn se réveiller à leurs tours. Liam se redresse rapidement, regardant partout autour de lui avant de poser son regard sur moi. Niall, lui, se frotte les yeux avant de me regarder puis d'interroger Louis du regard. Zayn l'imite, semblant à moitié endormi.

Puis il y a du mouvement vers le rideau qui nous sépare des filles. Polly apparaît, les yeux plissés comme si elle essayait de s'habituer à la lumière. Elle est suivie d'Eden puis de Chiara qui tente de passer une main dans ses cheveux emmêlés. Elle passe son regard sur nous tous avant de demander:

« Un de vous a crié? »

Je sens mon coeur se serrer en réalisant soudainement ce qu'il s'est passé. Je réalise que je n'ai pas rêvé mon cri, ni mes larmes qui menacent de se remettre à couler. A l'entente de la question de Chiara, tous les regards se tournent vers moi et je déglutis difficilement, me sentant soudainement oppressé. Je croise une nouvelle fois le regard de Louis qui ne me quitte pas des yeux, se pinçant discrètement les lèvres.

Les images de ce cauchemars reviennent me hanter et je secoue rapidement la tête avant de pousser ma couette pour sortir du lit. Je me mets debout si rapidement qu'un vertige me prend, brouillant ma vue le temps de quelques secondes.

« Harry? » J'entends Louis m'appeler à nouveau.

Je l'ignore, avançant le plus rapidement possible vers la sortie du dortoir. J'aurais alors aimé sentir l'air frais sur mon visage. Mais ce n'est pas le cas. Parce que sortir du dortoir ne fait que m'emprisonner dans un autre couloir, une autre pièce. Parce que ça fait un mois qu'on est pas sorti d'ici et que j'étouffe. Même si, dans la base dix, on étouffait à l'extérieur aussi. L'air était pollué, la terre toxique, le ciel rarement assez dégagé pour apercevoir les étoiles. Mais j'étais dehors. Et lorsque les températures étaient plus fraiches, je tentais d'en profiter avant d'aller me coucher en sachant que je finirais frigorifié. Mais ça ne me faisait pas aimer la chaleur pour autant. Car cette chaleur était toujours extreme, nous faisant subir des périodes de canicules mortelles.

De toute façon, je ne sais pas ce qui ne l'était pas. Mortel.

Et alors que je traverse les couloirs, je réalise que même dans le confort qu'on nous offre, je ne me sens pas bien. Parce qu'il y a ces cauchemars, ces cours, ce règlement, ce projet NINE et la pression qui va avec. Parce qu'il y a le manque. Et c'est ça le pire. Le manque de Gwendoline. De Ismael. De Esha. De ces personnes avec qui j'ai grandi et qui étaient littéralement toute ma vie. Ma seule source de bonheur dans une vie où on aurait pu penser ne jamais y goûter.

Je prends une grande inspiration, essuyant mes yeux avant de tourner dans le halle avec le toit en verre. Je décide de m'arrêter là, réalisant que je n'ai de toute façon nul part où aller. Nul part où m'échapper. Je réalise que si je ne me sentais pas libre dans la base dix, ça y ressemblait pourtant plus qu'ici. Mais dans les deux cas, je suis enfermé. Subissant une histoire qu'on ne me laisse pas écrire. Mon histoire. On me coupe les mains et on ne me laisse que mes yeux pour voir ce qui m'attend. Sans oublier de me scotcher les lèvres, au cas où j'aurais l'audace de donner mon avis.

Je m'assois à même le sol, repliant mes jambes sur moi-même. Je viens entourer mes bras autour de mes genoux, prenant une nouvelle inspiration. Je peux sentir mon coeur battre encore trop fort dans ma poitrine. Trop fort et trop lentement à la fois. Je relève la tête vers le toit d'où je peux voir la lune et les étoiles à cette heure-ci. Comme si, elles aussi, étaient enfermées dans du verre. Alors que c'est l'inverse.

C'est elles qui me regardent et moi qui suis enfermé.

Je pourrais presque les entendre rire, se moquer.

Je secoue la tête, réalisant la pensée qui vient de me traverser. Une lune et des étoiles qui rient? Je deviens complètement fou. Je passe une main dans mes cheveux, faisant exprès de les tirer en même temps. Juste pour ressentir. Ressentir une douleur physique. Une douleur différente de celle que je ressens à l'intérieur.

Ne plus avoir de nouvelles de Gwendoline est de plus en plus dur. La semaine dernière, j'en ai parlé à Adelaide mais elle m'a dit que ce n'était pas possible d'entrer en contact avec l'orphelinat. Que les règles sont trop strictes pour le projet NINE. On ne doit entrer en contact avec personne. C'est pourquoi je ne peux pas envoyer mes lettres non plus. Personne ne doit savoir ce qu'il se passe dans la sous-base. L'enjeu est trop important alors ils disent que ça serait trop dangereux de dévoiler quoi que ce soit, même le moindre petit détail. Et ça m'énerve. Ça me met en rage. Il y a des moments où je pense sérieusement à me barrer, à m'échapper. Avant de réaliser que, même si j'arrivais à passer entre les mailles du filet, ce qui est mission impossible avec la sécurité qu'on a ici, je ne saurais pas où aller ni par où passer. Je serais arrêté dès la base deux qui ne me ferait jamais entré et qui préviendrait la base une. Traverser neuf bases à pieds est impossible et encore moins lorsqu'on est recherché par la base une.

Alors je me sens coincé et j'ai juste envie de leur faire payer à chaque fois que je me mets à y penser. La seule chose qui me calme, c'est de me dire que, si ce projet réussit, Gwendoline, Ismael et Esha auront aussi le droit à leur nouveau départ sur cette planète. Même si ça me paraît trop idyllique. Je n'oublie pas ce que Esha m'a dit. Ne pas leur faire confiance. Cette simple phrase me fait revenir sur Terre à chaque fois. Mais ça fait un mois que je suis ici et je ne découvre rien. Je n'en apprend pas plus, coincé dans une routine qui ne m'en laisse ni le temps ni l'opportunité. Je suis juste complètement paumé.

Et terrifié. Terrifié d'un jour me retrouver dans cette fusée en réalisant que c'est trop tard. Qu'ils auront réussit à avoir ce qu'ils veulent de moi. Terrifié à l'idée d'être endoctriné sans le voir arriver. Encore plus terrifié à l'idée de leur faire confiance un jour.

Mais ça n'arrivera pas. Parce que ça ne peut pas arriver. Les derniers mots de Esha ne cesseront jamais de me hanter.

J'aurais aimé qu'elle soit là pour m'en dire plus. Pour me donner au moins un indice sur ce que je suis censé découvrir. Sur ce que je suis censé chercher. Je ne dois pas leur faire confiance? Ok. Mais pourquoi? Ils veulent sauver l'humanité et même si leur projet est discutable pourquoi je devrais autant me méfier de gens qui veulent tous nous sauver?

La seule raison qui me vient est le fait que je reste persuadé qu'ils n'ont jamais fait l'effort de vouloir nous venir en aide, dans la base dix. Ils disent qu'ils n'ont pas assez de ressources mais qu'ils y travaillent, qu'ils ont justement mit en place ce projet pour qu'on finisse tous par être à égalité. C'est bien beau quand on oublie les milliers de gens morts avant la mise en place de ce si beau projet.

Mais aussi quand on oublie ceux qui meurent et survivent en même temps.

Parce que c'est ce que je fais depuis ma naissance, survivre. Mais ce mot ne va tellement pas avec sa définition. Parce que c'est quoi survivre? C'est rester en vie. C'est continuer à vivre. C'est continuer d'exister, de ressentir. C'est être dans le présent et non coincé dans le passé.

Moi, j'ai ce creux dans l'estomac, ce trou dans ma poitrine, ces larmes qui me donnent l'impression de me noyer de l'intérieur. Chaque nouvelle journée me donne un peu plus l'impression de cesser d'être, d'exister qu'aux yeux des autres. Parce que lorsque je me regarde dans le miroir, je ne vois qu'un corps, qu'une carapace qui tente de cacher toute cette rage, cette douleur, cette tristesse. Alors ça veut dire que je ressens encore.

Mais si je devais expliquer à un mort ce que je ressens en étant vivant, je pense qu'il réaliserait qu'il n'a rien à m'envier.

Ouais, je serais peut-être capable de conforter un mort.

Gloire aux survivants. Disent-ils.

Ils ne comprennent pas qu'on peut survivre mais n'avoir plus rien à sauver.

(Carry You_Ruelle, Fleurie)

Je ne sais pas combien de temps je reste comme ça, assis sous le toit en verre, ignorant les étoiles qui, elles, ne cessent de briller. Mais yeux ont cessés de briller, eux. Ils ont cessé de briller de ses larmes que je ravale difficilement, ne voulant pas les sentir rafraichir mes joues et laisser cette trace qu'on ressent même lorsqu'elle disparaît. Comme une caresse douloureuse. Deux mots qui ne devraient pas se suivre mais qui sont les seuls qui me viennent à cet instant.

Je me demande si mes yeux ont déjà brillé d'autre chose que de larmes. D'une autre émotion que la tristesse, la douleur. Gwendoline est la seule à connaître la réponse. Parce que si quelqu'un sur cette Terre a déjà vu mes yeux briller d'une quelconque étincelle, c'est bien elle. Même si c'était rare et fragile, ces lueurs de joies lui étaient réservées.

Ma gorge se noue à ces pensées.

Aujourd'hui, ce sont mes larmes également qui lui sont réservées.

Je prends une grande inspiration, écoutant les pas qui se rapprochent de moi. Je me surprends à savoir qui c'est sans avoir à me retourner. Au fond de moi, je sais qu'il est là depuis le début. Depuis que je suis sorti dortoir. Il a dû se cacher dans la pénombre, hésitant à me rejoindre jusqu'à maintenant. Et je lui suis reconnaissant de m'avoir laissé seul un moment. Parce que, sur le coup de la colère, de la tristesse suite à ce cauchemar, je pense que je lui aurais demandé de me laisser. Ça ne devrait pas m'étonner qu'il l'ai compris aussi. Il commence à me connaître.

Et je commence à le connaître aussi.

C'est pourquoi je ne suis pas surpris de réaliser que je ne me suis pas trompé, lorsque je le sens s'asseoir à mes côtés. Je sens son odeur. Je ne parle pas forcément de l'odeur du gel douche qu'on a ici, ou des crèmes hydratantes qu'on nous propose. Non. Je parle de son odeur à lui. Une odeur plutôt douce et assez unique pour que je sache que c'est lui. Une odeur que je reconnais à chaque fois qu'il se retrouve près de moi, même lorsque je n'ai pas eu le temps de le voir arriver.

Je tourne la tête vers lui, mes bras entourant toujours mes genoux recroquevillés. Mes yeux parcourent son profil, les traits de son visage fin, la façon dont se dessine son nez, sa mâchoire. Ses grains de beauté sur sa joue, ses long cils relevés lorsqu'il regarde les étoiles au dessus de nos têtes. Puis mon regard percute le sien lorsqu'il tourne enfin la tête vers moi. Nous nous regardons sans rien dire durant de longue secondes, un silence apaisant s'installant entre nous.

Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, mais cette sensation de réconfort a finit par s'installer entre nous. Une sensation que je ne ressens qu'avec lui ici. Malgré ma colère, malgré ma haine et ma douleur, l'envie de le repousser est rare. Et lorsque je la ressens, je culpabilise peu de temps après. Un mois c'est peu et beaucoup en même temps lorsqu'on se retrouve h24 en présence d'inconnus qui deviennent tout ce qu'on connaît. Qui deviennent notre quotidien.

Evidemment, j'ai plus ou moins d'attaches avec certains. C'est toujours tendu avec Liam mais je remarque les efforts qu'il tente de faire depuis l'exercice du drapeau il y a deux semaines. Il a toujours ce réflexe de vouloir diriger mais il tente de le tempérer. Je pense que voir que personne ne lui faisait confiance lors de l'exercice du drapeau lui a mit un coup. Et je suis peut-être égoïste, mais je ne ressens aucune pitié pour lui. Je remarque ses efforts, mais je ne l'applaudirais pas pour autant. Même s'il fait plus d'efforts que moi pour s'intégrer. Parce que ce projet lui tient plus à coeur que moi, tout simplement. Parce que lui ne se méfie de personne ici. A part peut-être de Chiara et moi.

Chiara est la personne dont je me sens le plus proche ici, avec Louis. Même si c'est pourtant si différent. Je crois qu'on se rapproche naturellement avec Chiara parce qu'on a cette colère en commun même si on en parle pas. Même si elle ne connaît pas mes raisons et que je ne connais pas les siennes. On a pas forcément besoin de le comprendre. On a juste à se regarder pour le voir.

Je crois que Chiara déteste Eden. Si elles s'ignorent la plupart du temps, il leur arrive souvent de s'envoyer des piques ou de se lancer des regards noirs. En même temps, Eden est la version féminine de Liam à mes yeux. Je déteste ses grands discours d'héroïne. La dernière fois elle pensait bien faire en disant à table qu'on était légitime de se sentir triste parfois parce qu'on a rien d'autre que le projet. Ça m'a fait doucement rire. Elle a tout. Depuis toujours. Absolument tout. De la nourriture, de l'eau, une douche, un lit, du divertissement, du confort. Et je sais que, même si elle avait le choix, elle choisirait de participer à ce projet. Alors c'est peut-être égoïste, rancunier, mais j'en ai rien à foutre de la moindre raison de sa tristesse.

Zayn, lui, est la définition de la neutralité à mes yeux. Je ne sais même pas ce qu'il pense de tout ça. Il est discret mais présent à la fois. Il reste souvent avec Chiara et moi et, s'il ne parle pas beaucoup, j'ai cru comprendre qu'il devait forcément partager certaines de nos idées pour préférer notre présence. Chiara l'aime bien aussi. Leurs réparties s'accordent et Zayn se lâche un peu plus avec elle, même s'ils ne parlent jamais de sujets sérieux. Lorsque Chiara s'énerve ou s'isole soudainement, comme elle a l'habitude de faire, Zayn reste simplement avec elle. Sans un mot. Il est juste là. Mais je crois que c'est déjà beaucoup pour Chiara.

Niall me donne l'impression de venir d'une autre planète. Il rit. Lâche des blagues. Agit comme si on était à l'école et qu'on avait aucune pression sur les épaules. Je n'arrive pas à savoir s'il adore ce projet ou s'il est dans le déni de ce qui nous attend. Il est proche de Luna qui semble apprécier les blagues de Niall. Du moins je la soupçonne de faire semblant de rire lorsque personne ne le fait autour. Ou peut-être que Niall la fait vraiment rire. Je ne sais pas. Luna me paraît pourtant moins naïve que Niall. Elle a cette insouciance également mais elle est la première à fuir la conversation lorsque Eden ou Liam se mettent à parler du projet. C'est peut-être pour ça qu'elle se tourne vers Niall dans ces moments-là. Parce qu'il réussit à lui faire penser à autre chose.

Polly est la plus discrète, encore plus que Zayn. Pourtant, on a vu qu'elle lorsqu'elle a brandi ce drapeau. Sa discrétion a été un avantage et j'ai été surpris d'apprendre qu'elle avait croisé certains d'entre nous durant l'exercice. Personne ne l'a remarqué et c'est assez triste mais je pense aussi que c'est parce que personne ne s'en méfiait. Moi le premier. Si on m'avait dit de faire une équipe, ce n'est pas vers elle que je me serais tourné. Pourtant elle est très intelligente et plus maligne qu'on ne le croit. Et qu'elle ne le croit elle-même, je pense. Parce que là où Liam se serait vanté d'avoir attrapé le drapeau, Polly n'en a pas parlé à moins qu'on le lui demande.

Polly parle beaucoup avec Louis. Ils passent pas mal de temps ensemble, surtout lorsqu'il s'agit de lire dans la salle de loisirs et d'échanger sur leurs lectures. La dernière fois, j'ai vu qu'ils lisaient le même livre et Louis m'a dit qu'ils avaient décidé de faire des lectures communes pour pouvoir encore mieux en parler une fois le livre terminé. Mais, plus le temps passe, plus ils semblent se rapprocher même en dehors de cette passion commune. Je les surprends souvent se mettre à côté en cours et se mettre à discuter en chuchotant. Dans ces moments là, je me demande de quoi ils parlent et si Louis ressent avec Polly cette sensation de réconfort que moi je ressens avec lui.

Je continue de regarder Louis à cette pensée. Et cette douce chaleur se répand en moi, passant de ma poitrine au creux de mon ventre. Je me pince les lèvres et m'oblige à détourner le regard pour le perdre quelque part sur les murs en face de nous. C'est contradictoire, mais la présence de Louis me réconforte comme elle peut me déstabiliser. Parce que j'ai peur de cette chaleur qui me donne parfois l'impression de pouvoir envoyer valser toutes les barrières que je m'impose ici. Que je m'impose avec tout le monde. Mais c'est comme si on finissait toujours par se retrouver. Peut-être parce qu'on ne cesse de se chercher, même si j'ai du mal à me l'avouer.

J'essaie de faire comme si ce n'est pas le regard de Louis que je cherche lorsque Niall lâche une blague discutable qu'on a pas envie d'avouer être plus marrante qu'on ne le montre. J'essaie de faire comme si nos entrainements n'étaient pas les moments que je préfère de la journée. Parce que même si on les prend au sérieux, il y a toujours ces phrases qu'on lâche et qui arrachent un sourire à l'autre. Peut-être pour détendre l'atmosphère qui semble changer lorsqu'on se retrouve seulement tous les deux. Encore plus lorsque nos regards s'accrochent plus longtemps que prévu sans qu'on ne sache pourquoi. Sans aucune raison réelle. Presque comme un réflexe, un besoin, même si je n'aime pas penser ce dernier mot.

Je ne veux pas dire que j'ai besoin de Louis ici. Et, en même temps, lorsque je m'imagine sans lui, sans ces moments, sans ces regards volés, sans cette chaleur,  cette sensation d'étouffement devient plus violente.

Je sors de mes pensées lorsque cette chaleur réapparaît soudainement. Mais pas dans ma poitrine ni dans mon estomac. Non. Je la ressens physiquement. Littéralement. Je ressens cette chaleur sur l'un de mes genoux et, lorsque je baisse le regard, je découvre la main de Louis posée sur moi. Je regarde ses doigts envelopper mon genoux et, surpris, je tourne la tête vers lui. A l'instant où il croise mon regard, il se pince les lèvres et retire sa main, comme s'il regrettait son geste. Ou peut-être qu'il voulait juste attirer mon attention. Si c'est le cas, il a réussi.

« Il y a un jeu que je faisais avec Paul après un cauchemars. » Il lâche soudainement.

Je ne m'attendais pas à ça. Et, en même temps, je préfère une phrase inattendue qu'un « ça va? » qu'on demande automatiquement en sachant très bien qu'on a une chance sur deux d'avoir un mensonge comme réponse. Louis l'a compris avec moi. Il sait que j'aurais simplement ignoré sa question ou haussé les épaules l'air de dire que ce n'est pas important. Parce que ça ne l'est pas. Non ça ne va pas et Louis ne peut rien faire pour ça. Je ne suis pas sûr non plus de ce qu'il répondrait à ma place. Il ne parle toujours pas à son mentor mais, comme à cet instant, il me parle quelques fois de lui. Sûrement parce qu'il est le seul avec qui il partageait des souvenirs avant d'arriver ici. Je ne sais pas comment Louis se sent ici. Je ne sais pas ce qu'il pense du projet même s'il se donne à fond lors des cours. Est-ce qu'il accepte qu'on ait pas le choix? Ou est-ce que c'est le choix qu'il aurait fait dans tous les cas?

« Un jeu? » Je répète.

Louis sourit légèrement, un sourire nostalgique, avant de m'expliquer:

« En gros on se mettait à inventer une histoire à deux. Sans se concerter. On devait improviser la suite sans savoir avec quoi allait renchérir l'autre.

-Je crois que j'ai pas assez dormi parce que je ne comprends rien... » J'avoue.

Louis rit doucement à mon aveu et, sans pouvoir le contrôler, un très léger sourire vient trahir mon visage.

« En gros on a le droit à une phrase chacun. Je sais pas, par exemple je commence par il était une fois un petit chat et tu continues par...

-Je ne sais pas, j'ai jamais vu un chat.

-Moi non plus, enfin pas autrement qu'en photo. Mais c'est pas la question, tu inventes juste!

-Tu veux qu'on écrit un livre imaginaire à deux?

-En quelque sorte. Une petite histoire, quoi. Ça permet de s'évader, même si ça reste imaginaire. C'est ce que recherche un auteur, finalement. Et ce qu'on recherche aussi en lisant.

-Ce que tu recherches toi. » Je comprends.

Louis me lance un regard et se mord légèrement la lèvre. Mes yeux suivent le mouvement mais, lorsque le regard de Louis se pose à nouveau sur moi, je me concentre de nouveau sur le bleu de ses yeux.

« Sûrement. » Il m'avoue en haussant les épaules.

Avant de continuer:

« Je ne te vois jamais lire.

-Parce que je ne lis jamais.

-Merci de m'éclairer. » Pouffe Louis.

Je souris un peu plus et reprend pour lui faire plaisir, même si je n'avais pas prévu d'avoir une conversation plus poussée à cette heure de la nuit et après le pire cauchemars de mes nuits, défiant même ceux qui ont prit vie:

« Je suis pas sûr que m'évader servirait à grand chose.

-Pourquoi?

-Je pense qu'on a déjà assez de choses à raconter dans la réalité. »

Louis continue de me regarder mais ne dit rien, comme s'il attendait silencieusement que je donne plus d'arguments. Pourtant ça me paraît évident:

« Peut-être que si les humains d'avant avaient plus fait attention à la réalité qu'à la fiction, on ne serait pas là. Sérieusement, la planète était en train de pourrir mais les gens préféraient s'évader. J'ai vu les livres que vous lisiez avec Polly. Je suis allé lire leurs résumés et, sérieux, certains parlent d'apocalypse. L'humain écrivait des histoires sur une fin de monde pour aider des gens à s'évader, à se divertir, comme si ce n'était pas évident que c'est exactement ce qui allait nous arriver également. Je veux dire, c'est comme lire une histoire de ce qui t'attend en pensant que refermer le livre avec un sourire allait suffire. Comme si nos pages à nous ne continuaient pas de se tourner, nous rapprochant de plus en plus de notre propre dénouement. Et je leur en veux. J'en veux à ces gens qui voulaient s'évader sans penser aux personnes qui, plus tard, n'en auraient plus l'opportunité. Parce que c'est tout de suite moins marrant lorsque tu te retrouves coincé dans ces pages, entre ses lignes infinies qui ne t'indiquent aucune sortie. Parce que tu fais parti de l'histoire, que tu le veuilles ou non. »

Lorsque je cesse de parler, Louis me regarde d'abord sans rien dire, surpris. En même temps, il peut l'être. C'est la première fois en un mois que je laisse les mots sortir de ma poitrine avec autant de sincérité. Je n'ai pas vraiment su le contrôler. La mâchoire serrée, je déglutis difficilement, regardant toujours le mur en face de moi.

« Qu'est-ce que tu aurais fais, à leur place? » Me demande soudainement Louis.

Sa voix est calme, posée. Il me pose sincèrement la question. Ce n'est pas un sorte de reproche déguisé dans une question. Je tourne alors la tête vers lui et réfléchis à sa question. Qu'est-ce que j'aurais fais à leur place? J'ai envie de répondre que j'aurais tout fait différemment. Et, en même temps, j'en sais foutrement rien. Je n'ai pas vécu dans leur monde. Sur la même planète peut-être mais pas dans le même état d'esprit ni dans la même société.

« Je ne sais pas. » J'avoue. « Mais je reste persuadé que beaucoup d'entre eux ont préféré ignorer ce qu'ils voyaient pourtant arriver.

-Je le pense aussi. Mais je me dis que j'aurais peut-être fait comme eux. Parce que je le fais encore dans notre monde actuel. Lire et inventer des histoires me réconforte. J'essaie de m'évader, d'oublier cette réalité. Et ça sonne comme une fatalité mais je crois que c'est parce que cette réalité ne satisfera jamais tout le monde. Alors ces humains d'avant cherchaient au moins une fausse réalité, à la télé ou dans un livre. Une fausse réalité qui leur correspond mieux, au lieu d'ouvrir les yeux sur la leur. Peut-être qu'ils n'ont pas été assez à essayer d'arranger cette réalité plutôt que d'en chercher une autre pour se sentir mieux, quitte à vivre dans l'illusion. Mais c'est plus facile. C'est triste aussi, mais plus facile. »

J'écoute les mots de Louis. Je les laisse résonner dans mon esprit. J'essaie de me mettre sincèrement à sa place. A la place d'une âme qui a encore la chance de s'évader. Je pourrais presque lui en vouloir pour ça. Parce que lui n'a pas ces images de notre réalité qui nous enferme dans des souvenirs beaucoup trop sombres pour avoir la chance de s'évader. C'est pourquoi je réponds, espérant que Louis ne le prenne pas personnellement, parce que ce n'est pas mon but de le blesser:

« Je trouve ça lâche.

-Je trouve ça humain.

-Ça n'a jamais été contradictoire. » Je murmure.

Louis me regarde, souriant tristement avant de soupirer longuement. Peut-être que je l'ai blessé avec ma vérité. Mais je préfère ça que réconforter avec un mensonge. Pourtant j'ai déjà été obligé de le faire, plus d'une fois, lorsque j'avais ces enfants dans mes bras, leur murmurant que tout ira bien alors que je savais qu'ils ne verraient pas le soleil se lever le lendemain.

« Il n'y avait pas que les films ou les livres pour s'évader. Il n'y avait pas que des choses illusoires. Il y avait aussi des choses réelles.» Lâche soudainement Louis.

Je tourne la tête dans sa direction et, s'il avait l'air sûr de lui il y a quelques secondes, son regard semble maintenant me fuir. J'ai l'impression qu'il réfléchit, ou plutôt qu'il hésite, avant d'avouer d'une voix basse, sans me regarder:

« Il y avait les autres. Ces liens qui se créaient. L'amitié... »

Louis hésite quelques secondes de plus et, au frisson qui traverse ma nuque, je devine ce qui suit avant même qu'il continue dans un murmure:

« L'amour aussi. »

Je ne tourne pas la tête vers Louis et, du coin de l'oeil, je remarque qu'il ne me regarde pas non plus. Mais si mon regard est fixé sur le mur en face de nous, le sien est relevé vers la lune et les étoiles qui nous surplombent. L'atmosphère qui s'installe entre nous et cette légère tension me donnerait presque l'impression de ne plus être enfermé dans cette sous-base. Je pourrais presque oublier le plafond en verre et avoir l'impression de...

De m'évader.

Un nouveau frisson me traverse. Et je n'ose toujours pas regarder Louis. Il a parlé d'amour mais je pense que c'est un mot qui en cache tant d'autres. L'attirance. Le désir. Les sentiments. Le mot amour me paraît si idyllique. Comme s'il n'était pas composé justement de toutes ces complexités. Je me souviens avoir eu cette réflexion suite à une conversation avec Gwendoline qui, elle, rêvait d'amour. Même si elle était persuadée de ne pas le trouver dans cette vie. L'amour qu'on partageait n'était pas celui dont elle parlait, dont elle rêvait. Moi je n'en rêvais pas. Ce qu'on partageait me suffisait. Même s'il n'y avait pas de désir, pas de sentiment amoureux, j'aimais et j'aime Gwendoline comme on aime la personne la plus importante de notre vie.

Mais j'ai goûté à l'attirance, au désir, avec le fameux frère de l'infirmière. Même si ce n'est jamais allé plus loin que des regards et sourires volés. Je savais que c'était ça. Que c'étaient les mots que Gwendoline trouvait dans ses rares livres abimés. Au final, elle aussi s'évadait. Et ça lui permettait de voir à quoi aurait dû ressembler notre réalité. Mais ça nous rappelait surtout ce qu'elle n'était pas.

Les mots désir et attirance continuent de résonner dans mon esprit en même temps que cette chaleur familière retourne mon estomac. Je tourne lentement la tête vers Louis pour le voir toujours contempler les étoiles au dessus de nous. Mais je suis persuadé qu'il sait que je le regarde.

Alors qu'il commençait à tourner la tête vers moi, on entend soudainement du bruit derrière nous. On se retourne en même temps et je fronce les sourcils en voyant des silhouettes s'approcher de nous. Lorsque ces silhouettes sortent de la pénombre du couloir menant au dortoir, je suis surpris de constater qu'il s'agit des autres. Ils sont tous là.

« Qu'est-ce que vous faites? » Demande instinctivement Louis, un peu perdu.

« On pourrait vous poser la même question. » Répond Luna en haussant les épaules.

Cette dernière tient son oreiller contre elle et s'approche pour venir s'asseoir en face de nous avant de carrément s'allonger à même le sol, positionnant son oreiller sous sa tête. Louis et moi la regardons sans comprendre et elle lâche en regardant le toit en verre:

« J'ai toujours voulu passer une nuit à la belle étoile. »

Sa réflexion fait rire Niall qui part s'asseoir à côté d'elle. Il est rapidement suivi de Polly qui sourit tendrement à Louis, frottant ses yeux avant de s'asseoir à côté de lui, sur sa gauche tandis que je reste sur sa droite. Liam et Eden passent entre nous pour aller s'asseoir à leur tour, continuant le cercle qui est en train de se former sous le toit en verre. Lorsque je tourne la tête vers Zayn et Chiara, cette dernière vient s'installer sur ma droite en marmonnant:

« Ils m'ont forcés.

-C'est faux. » La contredis directement Zayn en s'asseyant à côté d'elle.

Je souris légèrement et Chiara lance un regard noir à Zayn qui ne semble pas du tout impressionné.

Nous nous retrouvons soudainement neuf, assis en rond, et je lance un regard à Louis qui parle doucement avec Polly. Un sentiment égoïste me traverse mais je l'ignore. Je me pince les lèvres, relevant la tête vers Luna lorsque cette dernière nous demande:

« Vous faisiez quoi? »

Cette fois, c'est Louis qui tourne la tête vers moi, me questionnant silencieusement du regard. Qu'est-ce qu'on faisait? On parlait. C'est tout. Et, en même temps, le regard que nous échangeons me donne l'impression que ce n'était pas que ça. Et que je n'ai pas forcément envie de partager tout ce qu'on s'est dit. C'est peut-être égoïste, voir possessif. Tout comme le fait de regretter ne plus être seul avec lui.

« Vous voulez jouer à un jeu? » Finit par demander Louis après m'avoir lâché du regard.

Je baisse la tête, cachant le léger sourire qui me trahit lorsque je comprends que Louis n'avait pas envie de leur partager notre moment non plus. Je l'écoute répéter les règles de ce jeu dont il m'a parlé un peu plus tôt et, contrairement à moi, les autres ne cherchent pas à comprendre et acceptent directement.

« C'est l'histoire d'un...

-Groupe de neuf personnes qui veulent sauver l'humanité? » Propose Liam.

Chiara ne cache pas son long soupir blasé et, à sa surprise, ça fait sourire Liam qui avoue:

« Je déconnais, ça va.

-Attends, tu sais donc ce qu'est une blague? » Le pique Chiara en posant une main sur son coeur.

Liam lève les yeux au ciel, n'arrêtant pas de sourire pour autant. Et j'avoue que ça me surprend. C'est comme s'il avait oublié son masque imperturbable dans le dortoir.

« Même les héros de l'humanité savent plaisanter, apparement. » Il lui répond.

Même si Chiara tente de le cacher, elle sourit très légèrement alors que Eden reprend:

« Du coup, c'est l'histoire d'un... chat? »

A ce mot, je ne peux m'empêcher de regarder Louis qui a le même réflexe. Nos regards se retrouvent et un sourire complice apparaît sur nos deux visages sans qu'on puisse le contrôler.

« Un chat qui était... roux? » Propose alors Niall.

« Et avec des pouvoirs! » Renchérit Luna, passant une main sous son oreiller.

« Tu me fais une place? » Lui demande alors Niall.

Luna relève les yeux vers lui et soupire avant de tout de même pousser sa tête, laissant une place pour Niall.

« Je vois plus personne avec ta grosse tête! » Elle râle en riant.

« On s'en fout t'es censé regarder les étoiles. »

Les deux rient en continuant de se chamailler et c'est finalement Louis qui reprend à côté de moi:

« Du coup on en est à un chat roux avec des pouvoirs?

-Un chat roux avec comme pouvoir de traverser les époques. » Rajoute Polly.

« A quoi ça va lui servir? » Demande Chiara. « Il bouffera des souris dans n'importe quelle époque.

-Peut-être qu'il y a une époque qui nous est inconnue où les chats portaient des costumes et des perruques. » Intervient Zayn en haussant les épaules.

Sa remarque fait rire le groupe tandis que Chiara secoue la tête en répondant:

« Si les chats existaient encore en 2150 ça aurait peut-être été eux qu'on aurait envoyé sauver l'humanité à notre place.

-Projet NINE devient projet CAT. » Lâche Niall.

Il se met à rire tout seul de sa blague mais je remarque Luna rire discrètement elle aussi, sans lâcher la lune du regard.

Le jeu reprend et, même si je ne participe pas, je me surprend à prendre du plaisir à tous les écouter. L'histoire n'a aucun sens et pourtant je me la visualise. J'imagine ce chat roux passer d'époque en époque, dansant dans un bal masqué avec une perruque et un costume avant de se retrouver en rendez-vous professionnel avec un dinosaure, comme décide de le suggérer Niall. Liam fait avancer l'histoire en annonçant dramatiquement que le chat tombe amoureux d'un autre chat vers les années deux mille et Eden rajoute que, retournement de situation, ce chat lui avoue voyager dans le temps également. A ce moment là, Polly décide que les deux chats décident de voyager dans le temps ensemble et Chiara intervient étonnement pour dire qu'ils finiront par trouver une époque où les chats gouvernent le monde.

A la fin de l'histoire, je remarque que Luna s'est endormie et que Niall la regarde en souriant discrètement, nous partageant l'idée de la réveiller en criant au feu tout en mettant une flamme sous ses yeux. Eden l'engueule en disant de laisser Luna tranquille et Chiara avoue être d'accord avec Eden même si elle donne l'impression de vomir ses mots.

Tout le monde se remet à parler et, alors que je sens la fatigue m'assommer de plus en plus, je pose ma joue sur mes bras croisés contre mes genoux. Ma tête est alors tournée vers Louis que je regarde sourire, apparemment heureux de voir tout le monde participer à son jeu. Je souris un peu aussi.

Parce que si s'évader c'est être lâche comme j'ai pu le dire plus tôt, alors on l'est tous cette nuit.

Et lorsque je me perds dans mes pensées en regardant Louis, je me dis que je le suis un peu aussi.

(Can't Pretend_Tom Odell)

Adelaide.

Je quitte le hall de la base une, ignorant les têtes qui se tournent vers moi. Je continue de marcher, la tête haute et mes talons claquant sur le sol. Ils résonnent dans les couloirs, m'empêchant presque d'oublier la façon dont mon coeur bat sur le même rythme. Beaucoup trop rapidement. J'accélère le pas, ma cage thoracique comprimée. Ses mots continuent de tourner en boucle dans ma tête.

Ce n'est pas une proposition mais un ordre, Adelaide. Votre père ne savait pas faire la différence mais vous, vous saurez la faire. Pas vrai?

J'arrive devant l'ascenseur dont seuls les membres de la sous-base ont accès. Je plaque ma main contre la tablette, faisant comme si je ne voyais pas la trace de sueur que je laisse sur cette dernière. Les portes s'ouvrent et je m'engouffre à l'intérieur, regardant les portes se fermer sous mes yeux.

Une fois seule dans l'ascenseur, j'arrache presque l'élastique de mes cheveux, laissant ma chevelure blonde et emmêlées retomber sur mes épaules. J'ouvre les premiers boutons de ma chemine, glissant ma main jusqu'à ma poitrine. Je tente de reprendre ma respiration malgré l'angoisse qui vient lacérer mon coeur, me donnant l'impression de pouvoir assister à tout moment à son propre arrêt. Et je sais ce que c'est, qu'un coeur qui cesse de battre.

Je prends de grandes inspirations, sachant exactement combien de temps j'ai devant moi. Et j'en ai peu. Très peu. Je compte dans ma tête les secondes qui me séparent de l'arrivée et même si ça ne sera jamais assez pour me calmer, je n'ai pas le choix.

Alors j'accroche de nouveau les boutons de ma chemise que je tente de lisser également, la rentrant mieux dans ma longue jupe serrée. Je continue de prendre de grandes inspirations en même temps que j'attrape mes cheveux pour les plaquer au mieux sur ma tête, m'appliquant pour refaire un chignon parfait. Je me retourne pour me regarder dans le miroir de l'ascenseur, fixant ce reflet que j'ai évité en entrant. Parce que c'est le reflet que j'ai maintenant en face de moi, le plus important. Un reflet où on voit à peine ma poitrine se soulever malgré la tempête qui se passe à l'intérieur.

Je pourrais presque revoir le reflet de mon père à côté de moi, sa main posée sur mon épaule.

Je déglutis difficilement en même temps que l'ascenseur s'arrête plusieurs mètres plus bas, au niveau de la sous-base.

Gloire à la base une. Résonne dans l'ascenseur.

« Gloire aux survivants. » Je termine en effaçant le reflet de mon père.

Je sors de l'ascenseur, me concentrant à nouveau sur le bruit de mes talons. Je ne pense qu'à ça. Je n'entends que ça. Un pas. Deux pas. Trois pas. Un battement. Deux battements. Trois battements.

J'arrive dans la base de contrôle où Michael se trouve déjà, regardant les écrans face à lui avec les images des caméras de surveillance. Je laisse mon regard dévier sur l'image que Michael regarde également, un léger sourire sur les lèvres. Je remarque alors les neuf assis au niveau du petit hall du projet NINE, juste en dessous du toit en verre. Luna et Niall sont endormis, leurs têtes sur le même oreiller. Eden semble s'endormir aussi, sa tête retombant sur l'épaule de Liam qui continue de parler avec les autres toujours éveillés. Mes yeux se posent sur le visage fatigué d'Harry, qui semble se battre pour ne pas s'endormir, son visage appuyé contre sa main alors qu'il écoute les autres, lançant quelques regards vers Louis assis à côté de lui.

« Adelaide? » Lâche soudainement Michael en remarquant seulement maintenant ma présence.

Il tourne la tête vers moi et, comme d'autres membres du projet se trouvent autour de nous, notamment des gardes, je ne dis rien. Mais Michael travaille avec moi depuis assez longtemps pour comprendre mes silences. Alors il se contente d'ordonner à une femme de prendre sa place devant les écrans.

« Doit-on aller leur dire de retourner aux dortoirs? » Me demande Michael.

Je regarde l'écran une nouvelle fois avant de répondre:

« Non. »

Michael hoche la tête et finit enfin par sortir de la base de contrôle, marchant silencieusement derrière moi. Je ralentis le pas afin qu'il puisse me rattraper et, une fois à ma hauteur, je lui dis en même temps qu'on continue de traverser les couloirs:

« Il faut que tu réveilles les mentors pour les prévenir qu'on a une réunion d'urgence. »

Michael s'arrête à l'entente de ma demande et je soupire en m'arrêtant quelques pas plus loin. Lorsque je me retourne vers lui, Michael me regarde en fronçant légèrement les sourcils. Je ne suis pas obligé de lui dire avant la réunion. Je ne lui dois rien. Son rôle est de faire ce que je lui ordonne. Et, ici, on ne peut que rester dans nos rôles si on veut continuer de se persuader qu'on ne devient pas fous. Mais Michael est également la personne qui me connaît le mieux ici. Qui a vu mes failles les rares fois où je n'ai pas su les cacher. C'est pourquoi je ne suis pas étonnée qu'il réussisse à lire l'angoisse cachée derrière ce masque pourtant si précieux.

« Qu'est-ce qu'il se passe, Adelaide? »

Je déglutis difficilement et réussit pourtant à dire d'un air détaché:

« Le commandant veut les voir. »

Michael ouvre un peu plus les yeux et, alors qu'il passe une main sur son front, je précise comme si ce n'était déjà pas assez clair pour nous deux:

« Il veut voir les neuf. »

...

J'espère que ce chapitre vous aura plu..?

Un moment plus intime pour Harry et Louis mais également pour nos neuf petites planètes !

Et une annonce de la part d'Adelaide... il fallait bien que l'action commence quand même.

On se retrouve la semaine prochaine pour le prochain chapitre !

Encore merci infiniment d'être là.❤️

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