6- Cérémonie funéraire

TW : chapitre triste

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─ Nine ? Tu peux te lever, il va être l'heure ? chuchote Sam embêté devant ma porte de chambre.

Il se dandine dans un costume endimanché, les yeux rouges.

─ Je ne peux pas !

J'entends des murmures, des gens en bas de chez moi. La porte s'ouvre et se referme, il parait qu'ils seront tous là quel toupet ! Achevez-moi !

─ Je veux mourir.

Soudain Tom arrive et me sourit, il écarte les rideaux que je laissais fermer. Je soupire, soulagé, c'était un cauchemar. Je me lève péniblement shooté aux antidépresseurs depuis trois jours.

─ Tom !

─ Nine il faut te ressaisir !

La voix plus grave, plus sévère, c'est Evan son frère qui n'a pas changé et qui ressemble toujours à Tom.

─ Pourquoi tu es là ?

─ C'est mon frère ! Va te doucher !

Je remarque qu'il n'a même pas les yeux rougis, quel monstre ! Il a l'air d'avoir chaud et il doit se démener.

Le problème dans la salle de bains c'est que tout me rappelle notre amour, c'est insupportable ! Ici il m'a baisé comme une brute, là contre ce mur il m'a porté et embrassé un si long moment. Ici nous nous sommes disputés comme des chiffonniers, car je trouvais qu'il a mal posé le carrelage. Et là, il m'a porté comme un sac de patate, car j'avais fait une crise, pour je ne sais plus quoi.

L'eau de la douche coule sur mon corps, accompagné par mes larmes sur mes joues. J'imagine qu'il va me rejoindre sous la douche, puis je l'entends rouspéter que j'utilise trop d'eau chaude. Je l'entends même râler car je lambine.

Quand je retourne dans la chambre, Evan est assis à mon bureau et il y a un costume posé sur mon lit. J'ai souvent rêvé de mon mariage, et personne ne le sait, mais j'ai en tête l'image de mon costume de marié installé en travers du lit avant la cérémonie.

J'en rêvais tellement de me marier. Je ne le verrais jamais et CELA à la place ! Je m'écroule nu par terre, mes résolutions chancellent.

Evan me rejoint et me redresse.

─ Allez habille-toi mon grand ! Je sais que tu aimes trainer nu, mais il faut y aller !

─ Je ne peux pas !

─ Mais si, pour Tom, allez du courage !

J'enfile mon caleçon, mes chaussettes et il m'aide à mettre ma chemise puis la boutonne. Je mets mon pantalon. Tom me déshabillait et lui me rhabille.

─ Tu as un traitement ?

Je lui montre de la main ma coiffeuse, une de mes réalisations, une reproduction d'une pièce du quinzième siècle en marqueterie en étable et noyer, la pile de médicaments des anti-dépresseurs avec l'ordonnance.

Il va jouer au docteur et lire. Si Tom était là il l'aurait envoyé promener méchamment.

─ Tu as tout pris ?

Je hoche la tête, admirant les traits de Tom en lui.

─ Allez mets cette veste et ta cravate !

Il m'aide alors que je m'assois sur le lit.

─ Bon sang Nine on va être en retard !

─ Je ne veux pas descendre ! Il n'est pas mort.

─ Viens suis moi, répond Evan sans discuter.

En bas, c'est horrible ! Tous ces étrangers chez nous, et Tom n'est pas là. Tous ces gens qui l'ont abandonné se permettent d'envahir les lieux comme des hyènes qui achèvent un cadavre, ils me répugnent tous.

Ses parents, Elvire la dragon, des oncles et tantes inconnus. Il y a aussi tous mes amis. Sam m'appelle et je m'accroche à lui.

C'est une journée aussi épouvantable que cela devait l'être.

Pour aller à la maison funéraire, je suis monté en voiture avec Eve, puisque je n'ai pas mon permis. J'ai toujours eu la flemme de le passer et pourquoi m'embêter, Tom s'occupait des courses et lui il adore conduire.

Elvire suit avec sa propre voiture. Je regarde Evan conduire m'imaginant que c'est Tom. Ils ont la même montre.

Quand nous arrivons dans le grand bâtiment moderne de bois noir et de vitre, des employés, en costumes noirs, compassés et solennels nous conduisent dans une des salles.

Tom est allongé dans un cercueil capitonné de blanc, c'est une blague ! Que fait-il là-dedans, si calme et paisible, alors que moi je souffre tant ! Comment ose t'il me faire cela et me laisser, il sait bien pourtant que je compte sur lui.

Il est mon prince charmant et mon protecteur, qu'est-ce que je vais devenir ?

Ce qui me frappe, c'est combien il est beau.

Il n'est pas mort il dort, c'est ce que je voudrais croire et pourtant je sens que ce n'est déjà plus lui. L'absence de respiration change tout !

Evan vient me chercher et m'assoit de force à côté de lui, avant que je ne fasse un scandale en me ridiculisant. Assis à côté du frangin, je me rappelle un de nos souvenirs celui qui fait que j'aime tant le mois de novembre. Quelle ironie qu'il soit mort en novembre.

C'était la nuit d'halloween, je me suis déguisé en démon avec un pantalon noir, une chemise transparente et un serre tête avec des petites cornes rouges. Nous allions à une soirée chez une ancienne amie du lycée. Tom était là aussi, lui en footballer zombie.

Quand je l'ai vu mon cœur a fait boom.

J'ai senti son regard sur moi, nous étions chacun avec nos groupes d'amis. Notre relation était étrange, il passait souvent au mac do et il m'aidait de temps à autre. J'hésitais de moins en moins à le déranger pour lui demander de l'aide alors que nous n'étions pas vraiment amis.

Tom est venu me voir gêné, il m'a expliqué en bafouillant qu'il joue avec ses amis à des défis. Il a eu comme action de m'embrasser, tous ses copains ricanent en nous regardant. Je les connais de vue pour la plupart, je souris amusé, car c'est gagnant pour moi aussi.

Morgan, Sébastien, Alexandre la grande gueule et Sofia la copine autoritaire, Linette est là aussi et boude, sans doute à cause de ce que Tom doit faire.

J'aime le mois de novembre j'aime ce mois et je lui souris farceur, cachant mes emmerdes.

─ Je veux bien t'aider à gagner ton gage haut la main.

Il sourit soulagé sans savoir à quoi il s'est engagé avec mon moi petit démon.

Je m'approche de lui et passe mes mains sur ses épaules musclées, mais quel mec ! Ma jambe s'accroche sur sa cuisse comme une sangsue et je fonds sur sa bouche pour l'exaucer et m'exhausser au passage. Je caresse d'abord ses lèvres, histoire de vérifier qu'il n'est pas trop choqué. Il est souriant et m'a attrapé par la taille en regardant ses copains victorieux.

Je butine ses lèvres pour lui rappeler que j'existe, cela marche, car j'ai toute son attention. Je presse mes lèvres contre cette bouche si tentante. Ma langue affamée caresse la sienne, son souffle percute le mien et nos torses se frottent. Il voulait un baiser de moi pour son pari il va être servi.

Nous nous embrassons un long moment, je suis décidé à faire durer indéfiniment ce moment, mais je suis trahi par ma nature humaine et mon besoin de reprendre mon souffle.

Nous nous séparons doucement, pour ma part je n'entends plus rien et je ne vois que lui. Je chancelle maladroit incapable de défaire ma jambe.

Tom me regarde surpris et me soutiens, m'empêchant de m'écrouler. Il attend patient que je retire ma jambe. J'apprécie la chance qu'il ne m'ait pas envoyée valdinguer à l'autre bout de la pièce.

Quand je suis stabilisé sur mes jambes, il me demande s'il peut me lâcher.

Je hoche la tête en l'agrippant encore et il se penche encore vers moi et me murmure :

─ Merci pour m'avoir aidé à gagner.

─ Pas de quoi ! Quand tu veux ! j'arrive à frimer ému.

Il est retourné vers ses copains et moi avec les miens. Dans notre groupe à nous, nous dansons et comme il fait chaud, très vite, j'ai ôté ma chemise. Je plane je crois que le cachet que m'a donné Adrien m'a envoyé direct au septième ciel.

J'adore le mois de novembre à cause de notre premier baiser.

Tom participait à une course, cela lui arrive souvent et je ne l'ai pas accompagné. Il fait froid et je n'aurais encouragé Tom que quelques secondes quand il serait passé devant moi. J'avais un meuble à terminer avant de m'avancer dans mes lectures pour la faculté.

Nous n'avons même pas fait l'amour avant son départ.

Mon téléphone était sur mode avion, j'ai passé une bonne dernière journée à faire pleins de projets. J'avais envie de le voir et d'un gros câlin. C'est son ancien patron Maximilien, qui est arrivé le soir, je n'ai pas compris pourquoi il était en larmes.

─ Qu'est ce qu'il se passe, Max ?

J'étais inquiet pour lui. Je ne savais pas que c'est sur Tom et moi qu'il pleurait.

Les mots ont commencé à être tiré, des balles qui m'ont foudroyé :

Tom a fait une crise cardiaque ce matin au quinzième kilomètre, la mort a été instantanée !

Les organisateurs n'arrivaient pas à me joindre, alors ils ont prévenu son médecin. Je réalise déjà qu'ils ont prévenu sa famille, puisque Tom leur a piqué des ordonnances vierges et qu'il s'en sert pour se faire des faux certificats.

Je n'y croyais pas, il n'a que trente ans, comment on peut mourir si jeune ?

J'ai ricané, refusé de le croire devant l'absurdité de ce qu'il me disait. Malheureusement Evan m'a appelé, un revenant d'outre-tombe.

Il a tenté de me parler d'obsèques, j'ai craqué et j'ai sombré. Mon médecin m'a prescrit de quoi tenir le coup et je suis complétement shooté. Les sans-cœurs, sa famille, ont organisés les obsèques, pendant que j'agonisais de chagrin dans mon lit. Trop content sans doute de ma faiblesse lamentable.

Je tiens à peine debout à la maison funéraire, j'assiste sans y croire à la crémation, une longue attente derrière un panneau écran opaque orange qui me rappelle les flammes de son fer à souder. Pendant tout ce temps de cérémonie, de nombreuses personnes se succèdent pour venir faire des discours. Des films sont passés, je les reconnais, ce sont les nôtres. Je suppose qu'Evan a fouillé dans nos affaires.

Je me vois beaucoup à l'écran j'ai presque l'impression que c'est moi qu'on enterre en même temps que lui. Il est si beau à l'écran, si drôle. Je pleure comme une madeleine, mais je ne suis pas le seul, sa mère aussi pleure à chaudes larmes en découvrant les images de notre vie :

Un Tom heureux, qui rit, danse, travaille. Il y a des passages ou il parle, il est si drôle. Il y a un passage émouvant sur notre voyage en Chine, quand il sculpte, quand il court. Il a fait tellement de chose à trente ans.

Je le vois chargé de paquet cadeau pour moi. Nos noëls ensembles, les travaux, la visite au Japon nos vacances au ski, toujours Tom et Nine inséparable.

Depuis ce jour d'avril où nous nous sommes avoué notre amour, je n'ai jamais regretté une seule fois. Nous avons eu dix années de bonheur.

A la fin de la cérémonie l'officier nous rapporte l'urne funéraire, je tends les bras, sans en avoir envie, mais il le faut. Je réalise le malaise quand il va vers ses parents, pour la leur donner.

Je ne suis pas vraiment en état de réfléchir, juste cette urne est à moi.

Je me lève tremblant, pas très sûr de ce que je veux faire, décidé à la reprendre quand Eve m'arrête et me fait assoir. Il dit quelques mots à son épouse et m'entraine. Je ne quitte pas l'urne des yeux, que sa voleuse de mère est en train de me voler.

─ Elle me prend Tom !

─ Nine, il n'est plus à personne ! Tu pourras aller le voir au cimetière de La Rochelle dans notre caveau. Tu iras quand tu voudras, répond Eve.

─ Mais je veux qu'il reste à la maison.

Je ne me bats pas beaucoup, je dois fournir des efforts monstres pour formuler quelques phrases à travers le brouillard anesthésiant des antidépresseurs.

─ Nine on ne mélange pas les vivants et les morts. Allez viens je te ramène chez toi.

Tout le monde nous a suivi et un camion de traiteur arrive qui installe un buffet et des petits fours.

─ Ça veut dire quoi ?

─ Il faut bien que les gens qui ont fait la route pour dire adieu à Tom, puissent se restaurer, rétorque Evan.

C'est tellement choquant et ignoble !

Je n'arrive même plus à respirer, comment on peut songer à manger quand l'univers s'est écroulé.

─ Viens Nine je vais te coucher.

Ah tiens il me déshabille, mais ce n'est pas Tom.

Je me remets dans notre lit. Si ces draps pouvaient parler ils en raconteraient des histoires sur l'amour de cet homme pour moi.

─ Il me faudrait d'autres cachets.

─ Je vais te monter la dose à trois, cela fera deux grammes par jour, mais pas plus Nine ! C'est énorme déjà. Je te refais une ordonnance.

Je prends le cachet et je sens que le pouvoir chimique des médicaments m'anesthésie enfin. 

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