13-Angie
En Mai : Nine blessé à la main, est arrêté.
Nine
Evan est passé me voir sur l'heure du déjeuner.
─ Je t'emmène au restaurant, ordre du docteur Elvire Dambreuille.
Un lieu public c'est une bonne chose, pour m'éviter de faire une bêtise. Je ne dis rien et enfile un blouson, puis nous sortons.
─ Elvire n'a pas repris son nom de jeune fille ?
─ Elle s'appelle Elvire Poux, elle n'avait pas envie non !
Nous descendons l'escalier, côte à côte, tous les deux, j'aime l'avoir près de moi, masculin, séduisant. En bas, il m'ouvre la porte. J'aime ses attentions, sa présence discrète.
─ Et comment elles vont appeler leur fille ?
─ Elle ne me l'a pas dit, s'amuse Evan.
Nous respirons l'air marin.
─ Tu veux manger quoi ?
Je réfléchis sérieusement. Le problème c'est que je n'ai pas faim, qu'est-ce qu'il me ferait avoir faim ?
Je cogite un moment essayant de chasser l'autre faim, celle d'un corps nu et chaud contre le mien. Il faut absolument que j'arrête d'avoir ses idées indécentes !
─ Il y a une nouvelle crêperie qui a ouvert sur le port ? suggère Evan.
─ J'adore les crêpes, allons-y !
─ Tu me parles de ta famille ? demande Evan qui n'évoque pas l'autre sujet. Ton père ne risque pas de t'exploiter ?
─ Non, ne t'inquiètes pas, mon père est infernal, mais il sait s'arrêter. Il a toujours demandé de l'argent, c'est une sale manie chez lui. Il ne recommencera pas ou s'il recommence, je ne lui donnerai pas. Promis !
Nous sommes arrivés et il nous fait rentrer dans la petite crêperie, elle est déserte ce midi. La vieille femme qui tient le restaurant nous accueille contente. Ce sera une crêpe au saumon pour moi et Evan prend une campagnarde.
Nous avons mangé, parlé de nombreux sujets, sans jamais évoquer le sujet encore. Il a essayé, mais j'ai refusé, il a soupiré et cédé comme toujours.
***
Elvire m'a annoncé la naissance de sa petite fille, elles l'ont appelée Angie. Pas mal, j'aime bien le prénom. Elle a de la suite dans les idées en tout cas, car elle m'a invité le weekend suivant. Elle termine son invitation en me rappelant de manger.
Le problème c'est que je n'ai jamais faim. J'avais faim quand c'était Tom qui me préparait des petits plats. C'était si cool.
Je m'impose donc tous les jours de manger au moins trois trucs, cela se termine souvent par un yaourt, un fruit et un steak, dans cet ordre.
Elvire m'a demandé si elle invitait aussi Evan, j'ai refusé.
Les derniers jours, j'ai été voir mes parents aussi, maudissant ma main abimée qui m'empêche de les aider comme je le voudrais. Roseline en est à sa cinquième chimio, il ne lui reste que trois séances. Clara passe me voir presque tous les jours. Son concours de médecine est dans quelques jours mais elle n'a pas l'air de réviser. Je me sens malvenu pour lui donner des conseils alors que je suis dans la dèche encore.
Ça n'a pas manqué aujourd'hui, la voilà qui débarque encore chez moi en plein après-midi. Je ne pensais pas que c'était si cool la fac de médecine. Aujourd'hui je l'ai embarquée pour une séance shopping. Une inquiétude me taraude car ma petite sœur n'a pas l'air bien, elle me cache quelque chose. Est-ce la maladie de sa maman ? J'essaye de l'interroger mais elle botte toujours en touche et me réclame des histoires sur Tom et moi.
Nous nous baladons dans les boutiques, j'ai essayé de la convaincre de me laisser lui offrir un jean ou une veste, sans succès et nous terminons par un arrêt devant un magasin de puériculture, je veux acheter un cadeau pour le bébé d'Elvire.
À ma surprise, Clara a piqué une crise et elle s'est enfuie, me laissant ahuri. Je ne comprends pas ce qui ne va pas, j'ai l'impression d'être le plus nul des grands frères. Une vendeuse en pause clope me regarde alors que j'essaye de la joindre sur son portable.
─ Ben dit donc ! Ça va pas votre petite dame !
─ Ce n'est....
─ Je crois qu'elle refuse sa grossesse ! je dirais à vue de nez.
Une caissière, experte médicale et psychologue, pourquoi pas ?
Ma sœur a un peu de ventre, mais pas de quoi fouetter un chat ou parler de bébé.
─ Vous venez pour la chambre du bébé ?
Je me retiens d'éclater de rire. Ça me rappelle une vidéo sur la sensibilisation aux préjugés que j'avais vu à la fac, on y voyait une fille qui a l'air de tapiner avec un client un vieux pervers. Ensuite, la même vidéo repasse et on découvre qu'il s'agit d'une étudiante sage qui va à une soirée et qui parle à son père qui a fait le chauffeur.
Il faudrait diffuser en boucle ce genre de vidéo pour dénoncer les jugements hâtifs. Je sais bien d'ailleurs que je ne fais pas mieux que les autres.
─ Je cherche un cadeau, pour des amis qui viennent d'avoir un bébé, une petite fille.
─ Ils ont du matériel ?
Aucune idée, mais connaissant Elvire, elle a surement tout ce qu'il faut.
─ S'ils sont fauchés des habits cela peut les aider. Sinon un jouet cela peut marcher, poursuit mon experte-caissière.
─ Un jouet alors.
Elle aspire une énorme bouffée de cigarette avant d'écraser sa clope et elle m'entraine à l'intérieur, elle veut faire sa vente, elle. Nous arrivons au rayon des jouets premier âge, c'est coloré.
Les peluches, tient ça c'est bien !
Il y a un choix monstrueux sur un mur complet. Des nounours et les animaux classiques, tous les personnages de Disney. Je vais y passer ma journée à choisir. Il y a des peluches originales, des pieuvres, des crevettes, des dinosaures, des maitres Yoda.
Je craque pour une peluche pieuvre, elle a l'air si confortable et le bébé peut être tenue dedans. Si j'avais un enfant, je l'aurais acheté pour lui.
Au cas où cela ne plairait pas à Elvire et à sa compagne, je prends aussi un jouet plus classique, un nounours blanc.
Clara m'attend devant la boutique et me rejoint quand je sors.
─ Pardon, pour le pétage de plomb !
─ Pas de problème ma belle. Tu veux qu'on en parle ?
─ Non pas maintenant, je me sens ridicule, juste un câlin.
─ Je suis là si tu as besoin de parler, hein ?
***
Elvire habite une grande maison sur le bord de mer, dans le même quartier que les parents de Tom. Au moins ma main cicatrise doucement et je n'ai plus de pansement à faire. Une infirmière m'a retiré les fils hier.
Une belle jeune femme en legging et tee shirt beige, des cheveux blonds, et des lunettes qui agrandissent ses yeux bleus vient m'ouvrir.
─ Salut tu es Nine ? le copain d'Elvire, moi c'est Sophia. Tu ne vas pas le croire, elle sera en retard, alors on va commencer sans elle. Ils ont eu une urgence.
Je grimace, me demandant si je gène. Le bébé hurle me dispensant de répondre.
─ Viens, allons voir notre merveille ! Ils sont réquisitionnés, il y a eu un carambolage, et il y a plusieurs opérations à prévoir. Comme ils sont ensemble, finalement, Evan viendra aussi.
Je hoche la tête, conscient que mon cœur a un petit décroché, simplement de savoir qu'Eve sera là. Je craque pour lui, il faut que j'arrête de me voiler la face.
Elle s'éclipse, puis revient avec une petite crevette rose dans les bras.
Le salon chaleureux avec un parquet au sol donne sur une belle piscine. Un mur aquarium sépare la cuisine du salon, j'adore, je pourrais passer des heures à le regarder.
─ Tiens c'est pour Angie, je pose les paquets sur le buffet ?
Elle hoche la tête souriante.
─ Elvire m'a parlé de toi, il parait que tu es très doué, un ébéniste d'art c'est cela. J'adore les meubles anciens, bon pour ma part je suis psychiatre, déblatère Sophia horriblement bavarde.
─ Encore un médecin, c'est contagieux votre truc !
Elle éclate de rire et la glace est brisée. Nous prenons l'apéritif à deux, c'est cool, nous nous entendons bien. Elle trouve comme moi la pieuvre géniale. Plus tard, les deux lâcheurs nous rejoignent.
─ Vous avez sauvé des vies ? Sophia et moi l'avons dit en chœur et on explose de rire en se checkant.
Les deux médecins échangent un regard complice et crevé.
Sophia va embrasser Elvire, quand elles sont ensemble, c'est si évident leur couple. Evan me regarde en souriant.
Le repas est sympa, Evan et Elvire se sont donnés le mot pour m'obliger à manger. L'après-midi s'écoule tranquille. Très vite les deux femmes se sont rapprochées et Evan m'a rejoint dans le canapé en face. Nous avons sorti le bébé dans son landau tous les quatre. J'admire envieux les deux femmes qui se tiennent par le bras.
Le soir venu, nous repartons ensemble avec Evan. Le moment que je redoutais arrive quand il me propose qu'on parle.
─ Je ne préfère pas.
Je ne sais même pas vraiment pourquoi j'ai refusé, alors que je crève d'envie de coucher avec lui, conscient d'être complétement paumé.
Tout est mélangé dans ma tête, la peur que ça ne dure pas, car il est trop intelligent et va se lasser de moi, alors que j'ai besoin de lui. J'ai aussi une étrange culpabilité qui m'assaille avec l'impression de tromper Tom. Pour ne rien arranger, et il ne faut pas me voiler la face, j'ai aussi ce sentiment de gâchis en moi. Le souvenir de notre si merveilleux couple avec Tom, tellement mis à mal à l'occasion de la succession catastrophique.
─ Tu saoules Nine ! s'énerve Evan.
Il est parti, vexé, les épaules voutés il doit être crevé.
J'en ai assez de mes doutes, c'est décidé je veux le rattraper et m'excuser. Cependant mon portable sonne, c'est Clara qui m'appelle, puis me rappelles quand je ne décroche pas assez vite.
Evan
J'en ai marre de ce con ! Je ne sais plus quoi faire pour lui et il me jette encore et encore ! Tom doit se marrer. J'adresse un message à l'au-delà à mon frère. Je fais cela si souvent.
Je ne te le vole pas Tom ! je le protège !
La vérité toute bête, c'est que j'ai craqué pour lui, ce jour où je l'ai vu la première fois, si mignon. Le désir que j'aie ressenti pour lui m'a foudroyé.
Ce que Tom n'a jamais su, c'est que déjà, à ce moment-là je savais que j'étais bi. J'avais une liaison torride avec un couple de mes professeurs, l'homme et la femme. Nos expériences sexuelles à trois, intenses, m'aidaient à supporter la pression de mes études.
Avec Elvire, nous étions en réalité des amis d'études. Nous avons tenté le mariage sous la pression de nos familles. Nous avons obéi, essayé l'impossible, mais Tobias a enterré nos espoirs et nos efforts.
Quand j'ai annoncé notre divorce à mes parents, j'en ai profité pour leur avouer mon homosexualité. J'aurai tellement voulu joindre Tom, lui dire de rentrer. Je l'ai cherché longtemps, j'ai même engagé un détective privé exorbitant qui ne l'a jamais retrouvé. Egoïstement, j'aurais voulu l'appeler à l'aide quand cela n'allait pas.
C'est ma mère qui a reçu l'appel du responsable de la course. Un coureur, à qui elle avait fourni un certificat médical d'aptitude à la course, un dénommé Tom Dambreuille, venait de s'effondrer mort d'une crise cardiaque. Le gars était remonté et ne l'a pas ménagé.
Je l'ai trouvé par terre, évanouie.
Je me suis décarcassé pour m'occuper de tout, essayer de préserver Nine anéanti. Ce n'était pas beau à voir. Je devais aussi raisonner ma mère, ce chagrin de trop, lui avait fait perdre son bon sens. Elle avait besoin d'un bouc émissaire et décidé qu'il était le responsable de tous nos malheurs.
Nine va mieux et je commence à espérer. Voilà, il m'envoie promener. Je n'en peux plus de cet abruti qui me rend fou.
J'ai des amants occasionnels rencontrés dans des bars, je vais sortir ce soir pour me changer les idées.
Quelques minutes plus tard, j'appelle Nine, c'est plus fort que moi, je veux lui parler, m'excuser de dieu sait quoi, l'entendre.
Evidemment, il ne me répond pas.
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