Chapitre 75
S'il y avait un moment pour perdre conscience, Cassiopée aurait choisi celui-ci, celui où elle a découvert que sa mère était la commanditaire de tout ce à quoi elle tentait d'échapper et de contrer. Et pourtant....Lawrence Wilson, alias Nelleson Warwick se tenait en face d'elle. Quand elle avait trouvé le journal à Paris, Cassiopée avait supposé qu'elle appartenait à l'EGN et non pas qu'elle le dirigeait.
Elle ne savait plus comment réagir face à cette nouvelle. Oui, elle aurait dû s'évanouir et souhaiter que tout ceci ne soit qu'un rêve, mais non, elle résistait encore et toujours. Sa mère était Warwick. L'homme qu'elle détestait n'était qu'une illusion. Depuis le début, c'est Lawrence qui manigançait tout et c'est pour ça qu'elle n'avait rien fait à Haile quand elle les avait croisé ! Elle ne voulait pas toucher à...ses enfants. Son cœur se brisa à l'idée que son frère n'était plus et qu'il n'avait même pas été aimé par sa propre mère.
- Ma fille, reprit Lawrence d'une douce voix. La Terre est un héritage qu'on laisse aux enfants, je n'allais pas te laisser ce lieu immonde ! Nous vivons en plein cauchemar, en pleine dystopie et ce n'est pas ça que je veux pour toi. C'est une utopie, un monde parfait qu'il te faut, là où tu pourras t'épanouir. Il faut faire table rase de la Terre et tout recommencer, mieux repartir, mieux vivre. Est-ce que tu comprends que je fais tout ça pour toi, ma petite fille ?
Rien que d'entendre sa voix sortir des infamies pareilles suffit à Cassiopée pour cracher son venin.
- Je ne suis pas ta fille.
On ne choisit pas sa famille certes, mais comment peut-on vivre quand on apprend que sa mère est une meurtrière, une assassine dont les idéologies sont acceptées par des centaines de personnes ? Comment peut-on accepter de...tuer son fils parce qu'on n'en veut pas ? Les mâchoires serrées pour tenter de ne pas déverser un torrent de larmes, Cassiopée continua :
- Tu as tué ton fils...tu as tué mon frère !!
Sa voix oscillait entre la rage et la tristesse, c'était quelque chose qu'elle n'arrivait pas à contrôler.
- Mais il ne vaut rien !
Lawrence se rapprocha du duo :
- Il n'a toujours été question que de toi et d'Alexander. Taylor et Zekaryah ne sont que vos substituts. Que dis-je ? Vos sbires, les premiers d'une longue lignée. Tu es ma fille et je serai fière de toi parce que ce charisme et ce pouvoir résident en toi. Mon héritage coule dans tes veines. Le phénix renaît toujours de ses cendres, ma princesse.
Instinctivement, Cassiopée et Alex reculèrent tout en remuant la tête de droite à gauche. Le dégoût se lisait sur le visage de Cassiopée :
- Non, je refuse. Tu es odieuse, et jamais je ne serais comme toi. Jamais.
Sans même attendre la réponse de sa mère, Cassiopée laissa le flot d'émotions se déverser dans son corps et libérer la noirceur de son être. Une vague immense la submergea, contenant la mort de Taylor, d'Adrastée mais aussi la rancœur et le dégoût envers sa mère, car elle savait que toutes ces sensations disparaîtraient à l'instant où elle ferait connaître l'enfer à sa mère. Il lui fallait une motivation et Cassiopée venait d'en avoir plus d'une.
Alors elle saisit le fil de peur noir de sa mère, qui paraissait plus doux qu'auparavant et elle tira délicatement dessus. C'était un plaisir vicieux que de se voir apparaître aux côtés de sa mère, qui répéta le même scénario qu'avant. Lawrence s'agenouilla serrant sa fille qui mourrait. Cassiopée s'adressa à la cheffe de l'EGN, qui ne semblait pas l'entendre :
- C'est mon frère que tu as tué.
Même s'il n'y avait plus que le plaisir malsain de voir quelqu'un souffrir qui vivait en elle, Cassiopée se souvint des autres morts qu'elle avait pu causer :
- C'est la mère d'un ami cher que tu as assassiné.
Robert avait perdu un parent à cause de cet être abject, et il ne le méritait pas. Personne ne méritait de perdre quelqu'un qu'on aime.
- Tu as ôté la vie à des personnes qui étaient aimés. À présent, c'est à toi de connaître ça. Je vais faire durer cette peur aussi longtemps que possible, suffisamment pour que tu oublies tout le reste et que tu meurs de la peur de perdre ton enfant. Un être cher à ton cœur, comme Taylor l'était pour moi.
Lawrence serrait de toutes ses forces le corps de sa fille et pleurait face à ce désastre. C'était un régal de ressentir cette souffrance, mais Cassiopée en voulait plus, elle ne pouvait pas se contenter de cela. Alors elle relâcha le fil quelques instants, le temps que sa mère comprenne qu'elle n'encerclait que le vide avant de recréer cette peur. Cassiopée voulait lui faire vivre ses plus sombres cauchemars, encore et encore. Elle comptait l'user jusqu'à ce qu'elle en meurt de peur.
Comme s'ils avaient compris son intention, Zeka et Alex prêtèrent mains fortes. Eux aussi allaient participer à l'anéantissement de cette abominable personne. Se contentant de jouer sur l'intensité de sa peur, Cassiopée sentit que Lawrence venait de perdre toute mémoire excepté celui de sa fille lorsque ses pleurs s'accentuèrent. Les cris de sa mère fendirent l'air d'une puissance telle, qu'on aurait pu l'entendre à travers tout le pays. Cassiopée aurait dû ressentir de l'empathie face à une telle tristesse mais que nenni. Elle se délectait de la douleur de sa mère, elle se nourrissait goulûment du chagrin de cette personne, bien plus qu'elle n'avait pu le ressentir naguère. Et de savoir qu'il s'agissait de son infanticide de mère, rendait la chose encore plus exaltante.
Cassiopée fut interrompue dans son festin d'émotions quand elle sentit que quelque chose avait changé chez sa proie. Elle comprit qu'Alex avait agi sur les pensées de la patronne de l'EGN car le corps de celle-ci se recroquevilla complètement sur l'illusion de sa fille morte. Le cordon de soie noir que Cassiopée tenait redoubla en intensité. Elle le sentait plus fort que les autres. Désormais, il n'y avait plus que ce fil, que cette peur chez cette meurtrière. Elle se rendit compte également que toutes les autres cordelettes qui entouraient sa victime avaient disparu et cette unique peur était bien plus forte.
Cassiopée savait que le supplice atteindrait son point de non-retour lorsqu'elle le briserait car maintenant, la vie de Lawrence ne tenait qu'à un fil. C'était une torture hédoniste que de voir sa mère souffrir ainsi de peur mais il fallait y mettre fin. Elle le devait pour son frère.
Alors, Cassiopée condamna sa victime en tirant d'un coup sec sur le fil noir et observa sa mère mourir de peur dans une grimace répugnante. La cordelette disparut de ses mains tout comme son illusion. Seul le corps de sa mère inerte, maigre et recroquevillé siégeait devant elle. Cela ne lui avait jamais fait autant plaisir que de tuer quelqu'un de cette façon.
C'en avait été jouissif d'autant plus qu'elle avait vengé son frère et tous ces autres morts injustes. Sa mère qu'elle aimait auparavant, celle qui l'avait éduqué et l'avait fait grandir n'était plus rien, depuis l'instant où elle était devenue une infanticide. Sa mère n'était qu'un être tout aussi égoïste que les autres, qui ne méritait certainement pas de vivre. Mais sa mère n'était plus. Sous ses yeux, se tenait simplement l'abominable et repoussant corps de l'être qui fut jadis une menace et une monstruosité pour leur monde.
Cassiopée n'avait aucun regret, elle ne tremblait même pas, et n'était même pas bouleversée par ce qu'elle avait commis. Elle avait tué sa mère mais elle avait rendu justice à Taylor.
À cet instant, Laurine, dont elle avait oublié la présence, libéra la coupole de protection. Cassiopée se détacha du corps sans vie de ce qui fut sa mère. Elle en était devenue presque insensible. Puis elle se tourna vers le terrain rocailleux qui les entourait. Elle pensait que le silence ne s'était installé que dans ce huit-clos mais lorsqu'elle découvrit le mont Cameroun, elle comprit que le silence résonnait en tout lieu.
La jeune fille subit un choc de plus en découvrant tout ce qui l'entourait. Le champ de bataille était présidée par la mort, à en juger par les corps. Elle repensa soudainement à ce qu'elle avait commis : ces innombrables peurs. Avait-elle été responsable de certains de ces êtres sans vie qui gisaient partout ?
Elle s'aventura avec précaution sur le terrain, passant par-dessus certaines personnes inanimées, et à côté d'autres pleurant leurs pertes. Il y avait une certaine odeur putride qui régnait, comme si cela faisait des années que ces corps étaient morts. À force d'errer sur ce terrain, Cassiopée comprit qu'il s'agissait principalement de femmes et d'hommes en tenues sombres au logo or et marine. L'EGN venait d'être combattue et ce, depuis longtemps.
Mais parmi tous ces nilées, Cassiopée tentait désespérément de chercher ses amis : Robert, Selena et Gianni, espérant qu'ils fassent partie des survivants. Au lieu de cela, elle reconnut avec horreur Valentine, la maîtresse des ombres, blanche comme un linge, ne respirant plus.
Plus loin, elle y trouva Ervelyne, agenouillée et en larmes. Elle aurait dû la reconnaître instantanément puisque sa professeur portait avec fierté le rouge dans ses cheveux comme dans ses vêtements. Mais sur le champ de bataille, parmi tous ces êtres, Cassiopée avait été attirée par quelque chose d'autre chez la femme. Ses longs cheveux de feu s'étaient éteints, désormais teinté d'un blanc terne. Elle s'attarda sur ce changement capillaire et sur cette femme sanglotant comme si la Terre continuait de vibrer.
- C'est.... Peeter, expliqua Alex. Quand on perd son wagen, on endure une transformation mentale mais aussi physique. C'est le symbole de la perte de sa moitié. Elle n'est désormais plus elle-même sans lui.
Bizarrement, cette mort, celle de Peeter fut l'une de celle qui brisa le plus le cœur de Cassiopée. Peeter avait été son terrifiant et attachant professeur mais il avait surtout été l'âme sœur d'Ervelyne. Le premier couple de Wagen qu'elle avait connu. Elle se souvint leur avoir fait presque vivre cette peur : celle de perdre l'être qui leur est cher, leur moitié. Et voilà, qu'elle s'était réalisée. Tout comme la sienne : celle de perdre Taylor. Intérieurement, elle s'en voulait puisque c'était en quelques sortes sa faute si Ervelyne était désormais seule et affectée à jamais.
Cassiopée s'apprêtait à rejoindre Ervelyne pour la consoler quand une voix fendit l'air :
- Cassiopée ! Cassiopée !!
Elle était familière, beaucoup trop.
- Cassiopée !
Le ton de cette voix se brisa lorsqu'elle se rapprocha de la concernée. Quand elle vit la silhouette d'un homme à leur hauteur, elle n'en crut pas ses yeux. Son père était en vie et il l'avait retrouvé. Lorsqu' il s'approcha d'elle, Cassiopée eut un mouvement de recul. Elle n'avait plus confiance en lui. Si sa mère l'avait trahi, son père le pouvait aussi. Il sembla comprendre son hésitation :
- Ma chérie, je n'ai rien à voir avec ça. Ta mère...Il y a très longtemps, je suis tombé sur son journal et j'ai arraché des extraits pour en faire des preuves. Je ne voulais pas le croire, j'étais dans le déni total. J'avais des soupçons sur le fait qu'elle appartienne à l'EGN mais jamais je n'aurais cru qu'elle était...Warwick. Elle s'est jouée de moi, Cassiopée. Elle s'est jouée de nous tous. Je lui en ai voulu et je lui en veux encore.
Cassiopée scruta son père. Elle était suffisamment proche de lui pour décrypter ses émotions et ses mimiques, parce qu'elle avait les mêmes. Elle pouvait y déceler la vérité dans le mensonge, la sincérité dans les cachotteries de son père. Elle n'avait pas besoin d'Alex pour confirmer les dires de Will. Car tout ce qu'elle voyait pour l'instant n'était que l'abominable vérité sur le visage de son père : il n'était pas au courant des agissements de sa femme.
- Quand elle est venue me chercher pour m'emprisonner avec les autres, c'est là qu'elle m'a tout avoué. Elle n'a fait tout ça que pour toi et Alex.
Il jeta un regard d'excuse vers son wagen.
- La dernière chose qu'elle m'ait dite, c'est qu'elle voulait un monde bien et en paix. Une...une sorte d'utopie pour sa fille et son wagen. Non pas le...chaos dans lequel nous vivons.
Son père se passa la main sur le visage, désemparé.
- Elle ne m'a jamais parlé de Taylor, je ne sais pas-
- Maman a tué Taylor.
Cassiopée l'avait sortie en un éclair et pourtant ce fut la phrase la plus dure qu'il lui fut permise de prononcer. Elle aurait voulu pleurer mais aucune larme ne s'échappa. Le choc les retenait. Et son père aussi semblait anéanti par la nouvelle.
Ils se fixèrent intensément pendant quelques secondes, plongés l'un comme l'autre dans le noir des yeux jusqu'à ce que, n'en tenant plus, Cassiopée fonce dans les bras de son père. S'en était trop, trop à encaisser. Sentir les bras de son tendre père la rassura. Elle avait perdu trop tôt son frère, elle avait tué sa mère et il n'y avait plus que lui et elle. En partant en vacances chez son père, il y a quelques semaines, jamais Cassiopée n'avait signé pour ce genre d'aventure.
Elle aurait souhaité faire les choses differements mais malheureusement elle ne pouvait revenir en arrière. Elle aurait voulu continuer à rester ainsi, lovée dans les bras de son père mais une gêne extérieure se fit ressentir. Alors Cassiopée se détacha de Will et découvrit un homme imposant au regard d'un bleu aussi clair que le ciel d'été qui les observait. À y regarder de plus près, elle comprit que ce n'était pas elle et son père mais Alex qu'il fixait et elle comprit l'origine de la gêne : Alex se trouvait face à son père biologique, Valentin Coden. Pour tenter de briser la glace, Will expliqua :
- Ta mère nous a tenu prisonniers avec Valentin et d'autres nilées. Tes amis sont venus nous libérer.
Mais personne ne répondit. Valentin comme Alex se jugeait dans le silence le plus complet et Cassiopée aurait tout donné pour assister à leur conversation intime.
Peu à peu, des murmures s'élevèrent autour d'eux, brisant ce silence pesant. Un sujet commun se propageait entre les survivants qui ne tardèrent pas à se diriger sur les bordures du champ de bataille qu'était le mont Cameroun. À quelques exceptions près, tout le monde leur tournait le dos, observant ce qui se trouvait en contrebas du volcan.
Tout aussi curieux que les autres, Alex attrapa la main de Cassiopée et ensemble, firent de même en se plaçant au bord du volcan. À ses côtés se tenaient leurs pères, Laurine et Zekaryah. Et l'incompréhension totale se lut sur le visage de tous lorsqu'ils découvrirent l'objet de l'attention :
- Qu'est-ce que ? s'interrogea Cassiopée.
En contrebas, la terre s'allongeait sur plusieurs kilomètres. Avec la distance il était difficile d'évaluer la superficie. Le mont Cameroun se trouvait à l'intérieur du pays et pourtant, tout autour se trouvait de l'eau, uniquement de l'eau à perte de vue. Un océan de bleu avait pris la place d'une majeure partie du pays. Ils n'étaient plus rattachés au continent africain.
De concert, Alex, Valentin et Will échangèrent un regard et comme s'il avait deviné, son père lui souffla :
- Voici l'héritage de ta mère, Cassiopée : une île dont tu es désormais la Reine.
FIN DU TOME 1
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top