Chapitre 51
Cassiopée soupçonnait ses amis de les avoir laissés intentionnellement ensemble. Le retournement de situation avait été trop brutal pour qu'il soit naturel. L'un comme l'autre se contentait de trouver un quelconque intérêt à la plage de sable blanc. Aucun ne parlait, car il n'y avait rien à dire. Il ne s'était rien passé de si extraordinaire, ou du moins, c'est ce que Cassiopée essayait de se dire. La légère brise faisait voler ses cheveux, mais la tension était si palpable qu'elle n'osait les remettre en place. Elle l'entendit se racler la gorge avant de lui demander:
- Tu vas pas te baigner Wilson ?
Elle lui jeta un regard furtif mais grave.
- Quoi ? Je n'ai rien dit de méchant, je te demande juste pourquoi tu ne rejoins pas les deux macaques qui tapent sur l'eau ?
- J'ai pas envie de me baigner c'est tout.
Cassiopée continuait de regarder ses amis patauger.
- T'es complexée quoi.
- C'est pas ce que j'ai dit.
- C'est ce que tu insinues, Wilson.
Elle roula des yeux plus pour elle que pour lui.
- Alors c'est quoi ? Un sixième orteil ? Des jambes pas épilées ?
- Qu'est-ce que ça peut te faire O'Connor ? l'agressa-t-elle en se tournant vers lui
Il fut surpris par son ton mais poursuivit son interrogatoire :
- Tu te trouves trop grosse ? Trop maigre ? Des boutons ? Des cicatrices ?
Il observait le moindre changement sur le visage de sa wagen qui se voulait impassible.
- Des cicatrices, répéta-t-il.
Cassiopée ferma son visage mais la curiosité d'O'Connor était bien plus forte :
- Par quelqu'un ? On t'a fait du mal ? demanda-t-il sérieusement. Cassiopée, si quelqu'un a levé la main sur-
- Mais non sombre idiot ! Ce sont des cicatrices naturelles .
Elle avait lâché ça sans le vouloir et elle le regretta instantanément. Il la poussait à bout même quand elle ne le voulait pas. Pendant qu'il était en pleine réflexion, Cassiopée, mal à l'aise, décida de le laisser pour rejoindre son frère.
- Attends Cassiopée, tu es en train de me dire que tu ne veux pas te baigner parce que tu as... des vergetures ?
Elle s'était arrêtée sur son chemin. C'était gênant et elle se sentait honteuse de parler d'un tel sujet avec lui. Elle redoutait sa prochaine parole qu'elle savait moqueuse accompagnée d'un sourire narquois. Ou bien, s'il était d'humeur, il lui lancerait des méchancetés infâmes. Pourtant, de ses mots, transparaissait une certaine douceur avec une once de confession :
- Il n'y a pas de quoi avoir honte, il faut s'accepter comme on est. On a des... marquages artificiels comme les piercings et tatouages et des naturels comme les vergetures ou un sixième orteil. Dans tous les cas, ils sont là pour nous rendre différents, nous rendre plus fort. À quoi ressemblerait le monde si nous étions tous pareils ?
Elle se retourna inexpressive, pour lui faire face. Aucune moquerie, aucune taquinerie. Elle retrouvait le Alex qui restait avec elle pendant sa lecture nocturne à Senner, celui qui laissait son masque d'être humain agaçant sur le perron. De la même voix sérieuse, il poursuivit :
- Il y a bien plus grave que ces petits défauts. Et puis...Personne n'est parfait, sauf moi bien sûr. Regarde l'Apollon qui se tient devant toi.
De sa main, il montra son propre corps, avec le sourire narquois qui n'avait pu s'empêcher d'apparaître, évidemment. Exaspérée, Cassiopée le menaça :
- Je vais te faire bouffer du sable jusqu'à ce que tu en meurs, tu vas voir.
Tandis qu'elle se dirigeait vers lui pour honorer sa parole, il répliqua :
- Si je meurs, je ne serai plus là pour te procurer le bonheur que tu as connu la veille.
Son sourire en coin s'élargit. Elle avait encore plus envie de lui faire ingurgiter du sable mais elle tiqua à sa remarque et se rassit à ses côtés :
- Bonheur ? C'est ce que tu as ressenti en m'embrassant O'Connor ?
Elle mima son sourire et son attitude, cette fois-ci, c'était lui qui semblait mal à l'aise.
- Ce n'est pas ce que j'ai ressenti Berluette, c'est...ce qui s'est passé après.
Il avait repris son air sérieux :
- Comment ça ? l'interrogea-t-elle
- Tu ne l'as pas vu ? En même temps, tu étais bien chamboulée après le merveilleux baiser que je t'ai accordé.
Elle le frappa sur le bras.
- Non ok, plus sérieusement, tu ne l'as pas vu ? Robert ?
- Qu'est-ce qu'il avait ?
- Il nous a montrés aux yeux de tous et je lui ai dit de retourner aux festivités.
- Oui et alors ?
- Alors il m'a obéi. Comme un automate.
Cassiopée commença à réaliser tout doucement ce que cela signifiait. Mais peut-être qu'il se trompait, peut-être que Robert voulait vraiment les laisser tranquille et profiter du feu de joie. Comprenant ses interrogations, Alex poursuivit :
- Quand tu es partie avec Taylor, Selena l'a remarqué aussi et j'ai réessayé sur elle. Je lui ai dit de se gratter la tête...et elle la fait. Je lui ai demandé de faire des flexions et elle s'est exécutée. Elle m'a obéit au doigt et à l'œil.
- Est-ce que...est-ce que ta faculté se serait comme... étendue ?
Étonné par sa question, il lui répondit instantanément :
- Comment tu sais ?
- Parce que ça m'a fait la même chose.
Ses gros yeux suffirent à exprimer ce qu'il pensait.
- Quand j'étais avec Taylor dans la case, j'ai vu des fils, différents et similaires à la fois de ceux qui me permettent de créer une illusion de la peur. Et lorsqu'il m'a autorisé à tirer sur l'un...c'était une illusion de bonheur. Elle a duré quoi... dix secondes mais quand Taylor a...pris connaissance de la réalité, il était désorienté, il ne savait même pas combien de temps s'était écoulé.
Elle le voyait sur sa mine qu'il était perplexe et il devait en venir à la même conclusion qu'elle :
- On a un second pouvoir...
- Qui s'est déclenché grâce à une émotion forte.
- Émotion forte ? répéta Cassiopée, taquine.
- Tu vois ce que je veux dire, Wilson, ne va pas t'imaginer des choses.
Cassiopée eut du mal à retenir son sourire lorsqu'il leva les yeux au ciel. C'était un automatisme qu'elle avait quand O'Connor l'agaçait et apparemment elle avait déteint sur lui.
- Tu veux voir ? lui demanda-t-il soudainement.
- Ton second pouvoir ?
Il hocha de la tête et Cassiopée l'imita.
- Attend O'Connor, comment je peux être sûre que c'est bien de l'obéissance ? Et non pas que tu vas manigancer quelque chose avec ton complice ? Que ce n'est pas qu'une vulgaire blague pour m'embête?
Il scruta l'horizon et s'arrêta sur Selena et Robert qui nageaient tranquillement.
- Selena n'oserait jamais m'embrasser. Elle a eu un faible pour moi il y a très longtemps, mais son cœur est complètement dévoué à Taylor. Et devant lui de surcroît, elle n'osera jamais. Alors c'est ce que je vais lui demander de faire.
Cassiopée réalisa que ce garçon n'avait aucune limite.
- Non mais t'es fou O'Connor, va pas compromettre leur couple juste pour me prouver que tu as raison !
- Relax, Wilson, je l'arrêterai à temps.
Inquiète, Cassiopée porta son regard vers son frère qui se reposait sous un arbre. Si ça se trouve, O'Connor se prendrait une claque de la part de Taylor, et ça, ça serait vraiment drôle.
- Montre-moi, alors, céda-t-elle.
O'Connor se concentra longuement sur les deux silhouettes. Le temps parut si long qu'elle désirait lui lancer une vanne simplement pour l'enquiquiner. Puis quelque chose changea et Cassiopée vit son amie se lever subitement. Sa démarche n'était pas naturelle ni son visage, qui semblait inexpressif. La distance qui les séparait fut vite réduite à une peau de chagrin. Tel un robot, Selena s'agenouilla pour être à la hauteur d'O'Connor et se pencha pour l'embrasser. Au dernier moment, Alex lui ordonna de s'arrêter à voix haute. La seconde d'après, Selena reprit vie et semblait perdue :
- Qu'est-ce que je fais là ?
- T'es ma démonstration, lâche-t-il simplement.
- Quoi ?
Taylor, que personne n'avait vu venir s'immisça dans la conversation :
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Selena ?
Il semblait fâché.
- Calme toi Taylor, lui demanda Alex. Je voulais prouver à Cassiopée que moi aussi, j'ai un second pouvoir. Et quoi d'autre que de faire faire quelque chose que Selena n'exécuterait pour rien au monde ?
Son frère s'adoucit et le visage rayonnant d'intelligence de Selena refit surface.
- Tu as donc...la capacité de contrôler les gens par la pensée ? Récapitula son frère.
Pour toute réponse, le blondinet leva les sourcils tandis que le sourire narquois qui s'affichait sur sa tête de décoloré ne servait qu'à les narguer.
- Tu en as un aussi Cassie ? voulut savoir Selena.
- Oui...je peux créer des illusions de bonheur. Tu veux voir ?
Avant même qu'elle ne réponde, Cassiopée se concentra sur Robert qui les fixait depuis l'océan. Elle repensa aux mille sensations qui l'avaient envahie pendant son baiser et comme par magie des ficelles apparurent sur la chevelure de Robert. Elle se saisit du rose, inspira profondément et tira dessus tout doucement. Elle ne connaissait pas encore la limite de ce nouveau don alors elle ne voulait pas briser cette chaînette d'illusion.
Une jeune femme aux cheveux coupés à la garçonne, aussi fine que grande apparut au bord du rivage. Robert hébété pendant quelques secondes, traversa l'océan et accourut vers elle pour la prendre dans ses bras. Enlacés ainsi, il était difficile de dire qui était vivant et qui n'était qu'une illusion tellement cela paraissait réel. Elle devina qu'il s'agissait de sa mère quand elle le vit pleurer et sourire. À contre cœur, Cassiopée relâcha le ruban rose et fit disparaître la femme. Robert se retrouva seul, regardant autour de lui, perdu. Cassiopée, éprise d'un élan de culpabilité, accourut vers lui pour l'enlacer.
- Je suis désolée Robert.
Ce dernier s'était laissé faire, encore chamboulé par ce qu'il venait de se passer. La tête enfouie dans son cou, elle ne le voyait pas mais elle le sentait pleurer plus fort. Ce n'était pas son corps trempé par l'eau, elle se sentait que c'était des larmes. Il lui fallut quelques secondes pour la serrer dans ses bras, signe qu'il avait pleinement conscience de l'endroit ou il se trouvait.
- Cette fois-ci, c'est à moi de te remercier.
Ne comprenant pas, Cassiopée le regarda dans les yeux et elle se rendit compte que malgré les larmes, il était apaisé. Des gouttes perlaient de ses boucles, se mélangeant aux larmes sur ses joues, qu'il essuya d'un revers de main.
- J'ai passé un moment avec l'être le plus cher à mon monde, celle qui m'a été arraché trop tôt et rien n'égalera cette sensation. J'aimerai le revivre encore et encore mais si cela se fait alors je ne ferais pas honneur à celle qui s'est sacrifiée pour moi.
Son sourire naissant fut contagieux et Cassiopée ne put que sourire devant le raisonnement de Robert, encore une fois, il avait su penser autrement que la norme, trouver le positif même dans le négatif. Ils furent rejoints par les autres qui interrompirent leur moment d'intimité :
- C'est bien beau tout ça mais je pense que Taylor aimerait récupérer sa sœur.
Elle était de dos alors elle se permit de rouler des yeux à la voix désobligeante du pigeon aux oreilles décollées, ce qui fit rire Robert. Cassiopée se détacha de son ami et d'un sourire narquois elle lâcha à l'encontre d'Alex :
- Jaloux.
Cela n'avait duré qu'une micro-seconde, mais elle le connaissait tellement bien maintenant qu'elle savait qu'il avait été déstabilisé.
- Tu veux un câlin toi aussi ? l'embêta-t-elle en refreinant son fou rire.
Il la fixait et pour la première fois, Cassiopée voyait son assurance se dissipait peu à peu. Elle ne put se retenir plus longtemps et rigola.
- Aller, viens.
Elle fonça vers son torse pour l'enlacer du mieux qu'elle le put. Il était gêné ça se sentait, mais elle n'en avait que faire.
- Moi, je dis câlin général, s'exclama Robert.
À peine eut-il terminé sa recommandation qu'il se jeta sur le duo, rapidement suivi de Taylor et Selena. Avec cette union, Cassiopée se sentit entourée par des gens qui comptaient pour elle. Elle les connaissait à peine et pourtant ils avaient traversé la moitié du monde ensemble et s'étaient battus ensemble, pour la même cause, la même raison : empêcher des personnes aux idées malsaines de dominer. Ils s'aimaient tous, chacun à leur manière. Elle n'aimait peut-être pas Alex de la même façon que Selena aimait Taylor mais elle tenait à lui, c'était certain. Tout comme elle tenait à Robert. C'est à cet instant que ce qu'il lui avait dit lui revint en tête : avec amour, le mortel donne le meilleur de soi. C'était le sens qu'elle voulait donner à cette phrase : c'est uni dans l'amour de l'amitié qu'ils parviendraient à repousser leurs limites pour battre des idéaux qui ne leur correspondaient pas.
- Aller tous à l'eau maintenant, vous m'étouffez, se plaignit Alex.
Tous se dirigèrent vers l'océan mais Cassiopée redoutait cet instant. Elle n'avait pas suffisamment confiance en elle pour ça. Mais Alex en décida autrement, il lui attrapa le poignet et l'emmena vers l'eau :
- Je m'en fous, profite de cet instant car tu ne sais pas ce que l'avenir nous réserve.
Rien que son contact et sa manière de la rassurer lui donnèrent un peu plus confiance de façon éphémère et c'est ainsi qu'ils profitèrent du soleil et de l'eau à température ambiante. Ils furent vite rejoints par les enfants ni-vanuatais avec qui ils passèrent un moment merveilleux à regarder les poissons dans l'eau transparente et simplement jouer dans les vagues.
Lorsque Gianni revint avec les hommes du village, ils dégustèrent le même plat que la veille. Les hommes repartirent aux champs tandis que les femmes vaquaient à différentes tâches pour le village. Gianni se retrouva avec les cinq jeunes nilées. Il avait un air sérieux :
- Il faut que je vous montre quelque chose.
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Ce chapitre est pour toi, jeune lectrice complexée, qui m'a dit ne pas s'être baignée de tout l'été à cause de l'apparition de ces "choses répugnantes". Je ne suis pas une auteure publiée mais je souhaite te prouver que les héroïnes de roman ne sont pas toutes parfaites, tout comme chaque femme et homme sur Terre. Je sais que je n'ai pas réussi à te convaincre que ces cicatrices naturelles ne sont pas si importantes, surtout dans le monde dans lequel nous évoluons actuellement. Mais j'espère qu'un jour, tu surpasseras ce complexe et que tu t'accepteras comme tu es, belle et imparfaite, comme tout le monde :)
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