Chapitre 46




Cassiopée dormait profondément, sans rêve.

- Non seulement tu t'es collée à moi toute la nuit mais en plus t'es super difficile à réveiller.

Elle n'avait aucun autre repère que cette voix traînante si caractéristique qu'elle aurait pu identifier même dans un brouhaha. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser où elle se trouvait. Encore vexée par ce qu'il avait dit la veille, elle se leva en l'ignorant.

- Tu m'en veux encore Wilson ?

Il fallait qu'elle trouve quelque chose pour s'occuper en attendant que les autres arrivent. Il était hors de question qu'elle lui pardonne. Hier, elle avait peut-être craqué mais c'était loin d'être terminé. Il ne pouvait pas jouer avec elle ainsi. Tandis qu'elle le dépassait pour se diriger vers le couloir afin d'y trouver une occupation, il la retint :

- Cassiopée...

- Non pas de "Cassiopée", l'intima-t-elle.

Elle avait employé le même ton que lui la veille ce qui l'étonna.

- Je ne suis pas une de tes fichues groupies à qui tu peux balancer des choses horribles et ensuite l'appeler comme un chien. Si c'est ce que tu cherches, retourne voir Adrastée. Depuis le temps, tu n'as toujours pas compris que je n'attends rien de toi ? Malheureusement, on va devoir se supporter et c'est comme ça. Tu n'aimais pas une matière à l'école et pourtant tu la suivais, et bien là c'est pareil.

- Ça dépend du prof que tu as, intervint-il.

- O'Connor ! Je suis sérieuse là.

Elle était outrée, il ne pouvait s'empêcher d'y ajouter son grain de sel.

- Tu n'as aucun droit de me traiter ainsi ! Mon don je ne l'ai pas choisi et ne m'en veux pas parce qu'après un seul entraînement je n'arrive pas à le maîtriser.

Elle bouillait, il fallait qu'elle lui déballe tout.

- Toi, tu as eu des années d'entraînement et je n'en ai eu qu'un. Un seul, O'Connor. Dis-toi qu'il y a deux semaines, j'étais tranquillement en vacances. Est-ce que tu te rends compte de tout ce que je viens de traverser depuis ? L'attaque, l'école, les Stimulations, les cours, Taylor, toi, l'EGN, tout ça.

- Je...

- Non, j'ai pas fini !

Elle se mit à faire les cent pas, elle explosait.

- Il va falloir que tu arrêtes de ne penser qu'à toi. Je n'ai rien choisi de tout ça, alors ne m'en veux pas. Ce n'est pas ma faute ! Tu peux me traiter d'imbécile, de laideron, de ce que tu veux mais je ne suis pas responsable de ce qui nous arrive! Il va falloir que tu réalises que tout ça c'est nouveau pour moi, sinon on ne va pas s'en sortir.

Cassiopée était si plongée dans ses pensées qu'elle ne comprit pas quand il la prit dans ses bras. Son torse l'empêchait de voir quoique ce soit :

- Ça aussi c'est nouveau pour moi, souffla-t-il.

Il lui fallut gesticuler pour respirer et s'exprimer :

- Ça quoi ?

D'habitude, c'était son sourire qui pouvait être indéchiffrable, cette fois-ci ses yeux avaient revêtu le côté mystique et incompréhensible. À cette proximité, elle voyait clairement le bleu de ses iris changer de nuance malgré ses pupilles dilatées. Cassiopée était obnubilée par ses yeux. Elle en oubliait le « ça » auquel il pouvait faire référence et leur dispute. Il n'y avait, en cet instant, que ses iris dévorant l'océan de ses yeux.

- Ah pardon ! Désolé, je dérange, j'arrive au mauvais moment, je retourne dans la chambre, finissez ce que vous avez commencé.

Les deux se tournèrent vers Robert qui rebroussait chemin vers le couloir. C'est vrai que de l'extérieur, cette embrassade ne reflétait pas leur sujet de discussion. Réalisant ce qu'il avait sous-entendu, peu importe ce qu'il pensait qu'ils faisaient, Cassiopée se sépara avec quelques difficultés d'O'Connor.

- Robert revient, on ne faisait rien, l'interpella Cassiopée.

Il avait déjà disparu. Son frère, par contre, était apparu à l'embrasure de leur chambre. Piqué par la curiosité, il en sortit en compagnie de son compagnon de chambre.

- Dis-moi, Robert, que faisaient ma sœur et mon meilleur ami ?

Il n'était vraiment pas doué pour dissimuler un sourire. Si elle était pareille, elle comprenait mieux pourquoi Alex parvenait à lire en elle aussi facilement. Robert, dont la chevelure bouclée restait intacte jour comme nuit, alterna son regard sur les deux concernés. Vu la façon dont il regardait O'Connor, c'était certain qu'il conversait silencieusement avec le bouseux aux cheveux peroxydés sur sa droite.

Selena fit son entrée, suivie par Adrastée, coupant court à leur discussion. Cassiopée remarqua clairement son regard langoureux adressé au seul blond du groupe. Ne comprenant pas de quoi il en ressortait, Selena voulut savoir :

- De quoi vous parliez ?

- De l'effet papillon, expliqua Taylor, comment un simple battement d'ailes peut te-

- Te mener sous Terre, l'interrompit Robert.

Tout le monde s'esclaffa, même Cassiopée. Cela ne l'avait pas empêché de le voir. Il paraît que quand on rit en groupe, la première personne qu'on regarde, inconsciemment, est la plus importante à nos yeux. On veut savoir si elle aussi rigole, si elle aussi nous regarde. Et elle l'avait vu. Elle avait vu Adrastée regarder O'Connor au moment où elle avait rigolé. Cassiopée tentait de se convaincre que ce ne la touchait pas mais c'était faux. Elle ressentait quelque chose qui contractait presque son cœur. L'explication résidait sûrement dans leur récente dispute, rien d'autre. Sa réaction à elle fut de pincer les lèvres et regarder par la fenêtre. Ce fut son frère qui rappela tout le monde à l'ordre :

- On devrait y aller, on n'a pas de temps à perdre.

Tous acquiescèrent et se préparèrent puisque c'était déjà la fin de la matinée. Sans tarder, ils rebroussèrent chemin pour se retrouver dans un bâtiment adjacent au Gaiarin, la pyramide donnant le souffle au continent englouti. L'intérieur du bâtiment ressemblait étrangement à n'importe quel bâtiment municipal : insipide avec pleins de bureaux et de chaises. Ils longèrent un couloir long et fin avant de rentrer dans une salle, identique aux autres. Au bout de la salle, un bureau et derrière un homme à la carrure imposante, comme presque tous les hommes qu'elle avait vus ces dernières 24 heures. Il se présenta comme Oko.

- Oko est un Élémentaire, il peut vous envoyer en haut.

- Exact. Cependant, j'ai une réunion. Pouvons-nous faire ça après le déjeuner ?

Les jeunes ne pouvaient qu'accepter et se rendirent dans une cantine tout aussi banale :

- Je suis choqué par la ressemblance avec le monde... d'en haut, même les repas sont les mêmes, constata Taylor.

- C'est que nous prenons le meilleur des deux mondes, répondit Adrastée.

Elle jeta un regard oblique vers Alex, qui fit semblant de n'avoir rien vu. Clairement, elle tentait de lui faire passer un message avec son histoire du « meilleur des deux mondes », mais Cassiopée s'en fichait, c'était entre Alex et elle. Elle nota tout de même qu'il n'avait rien dit depuis qu'ils s'étaient séparés. Tant mieux, il devait réfléchir à tout ce qu'elle avait dit. Ils s'installèrent à une table, après avoir rempli leurs plateaux de différents mets. À cette heure-ci de la journée, il n'y avait personne.

- Adra, tout à l'heure, tu as dit que vous fonctionnez comme un pays.

Selena laissa le temps à son amie de hocher de la tête pour le lui confirmer avant de continuer :

- Cela veut dire qu'il n'y a pas que l'Atlantide ?

- Non, bien sûr que non. Il y a minimum un pays immergé par mer. On les repère à leur structure dans l'eau : bien souvent des pyramides, à l'image du Gaiarin ici.

- Quels sont les autres ? voulut savoir Taylor.

Adrastée arrêta de manger pour prolonger ses explications :

- Je n'en connais que certains mais je sais qu'il y a Yonaguni au Japon. Leur antenne d'oxygène est une terrasse carrée qui sert aussi d'observatoire. De ce qu'on m'en dit, on peut y apercevoir les plongeurs à travers la paroi.

- Trop cool, s'extasia Robert, comme les tunnels dans les aquariums.

- Il y a aussi le Lac Titicaca qui cache le Tihuanacu, c'est le nom de leur pays dont la porte d'entrée est un temple englouti. Hum... ah ! Bimini aux Bahamas, plutôt similaire à Atlantide.

Pendant qu'ils continuaient de discuter, Cassiopée n'avait pipé mot, elle cogitait. Pour tenter de se changer les idées, elle se leva, prétextant vouloir prendre de l'eau. Elle se rendit vers un écriteau annonçant la fontaine d'eau potable. Le seul problème était qu'il n'y avait qu'un plateau gris comme une assiette en métal. Cassiopée regarda autour d'elle, cherchant la véritable source. C'est Alex qui vint lui donner la réponse :

- Lève les yeux.

Elle s'exécuta. Le plafond du bâtiment était troué juste au-dessus du cercle métallique, pour donner une vue sur l'eau de mer qui servait de ciel. Cassiopée n'eut pas le temps de voir ce qu'Alex avait actionné mais vit de l'eau s'échapper de la voûte, passer à travers une passoire et tomber dans un filet transparent qu'elle n'avait pas remarqué auparavant. Le filet atterrit sur la plaque sous forme de carafe.

- C'est génial, tu ne trouves pas ?

Sa question était dénuée de mesquinerie. Elle ne savait pas quoi répondre et face à son silence, la voix d'Alex changea. Il lui parla sur un ton de confession :

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Je veux dire, en dehors de mon comportement abject de la veille. Je t'ai connu beaucoup plus bavarde. Il y a autre chose.

Soudainement, la carafe lui parut bien intéressante.

- Aller Cassiopée, ça se voit, tu es absente, tu ne parles pas aux autres depuis notre arrivée et tu ne te donnes même pas la peine de m'envoyer bouler en public. Tu peux me faire la gueule mais...non.

Il ferma ses yeux d'une main.

- Non ne me fais plus la gueule, tu m'as dit ce que tu avais à me dire. Je t'ai dit que je le regrettais, mais... ce n'est pas une raison pour ne pas parler aux autres. Je le vois bien qu'il y a autre chose que notre dispute, alors dis moi ce qui ne va pas ?

Elle lui fit non de la tête, car elle n'avait pas les mots pour exprimer ce qu'elle ressentait. Certes, il y avait eu les coups de poignard d'O'Connor mais il avait raison, il n'y avait pas que ça. Elle était encore malade des évènements à Wallis-et-Futuna et se sentait exclue quand Adrastée était là, sans savoir pourquoi. Cassiopée se contenta de prendre la carafe et de rejoindre les autres. Ce qu'elle n'avait pas anticipé, c'était Alex.

Il claqua sa langue contre son palais et l'arrêta pour la prendre dans ses bras. De primes abords, elle fut surprise par un tel geste venant de lui, mais bien évidemment, un voile de chaleur parcourut son corps. Le malaise qu'elle ressentait à l'égard de la situation disparut, alors elle ne contesta pas non plus quand il embrassa le haut de son crâne. La sensation de complétude lui fut arrachée quand ils se séparèrent. Aucun des deux ne fit de remarque vis-à-vis de ce qui venait de se produire et c'est en silence qu'ils atteignirent la table. Adrastée était en pleine démonstration :

- Ici, pas de problème de réchauffement climatique ou de guerre pour savoir qui a le pouvoir sur les autres. Il y a un problème de surpopulation sur Terre que nous n'avons pas en Atlantide. Nous avons eu la décence de trouver une solution et s'adapter : c'est la sélection naturelle de Darwin.

Le sujet était intéressant, car c'était leur avenir, mais elle n'arrivait pas à participer. Dans l'immédiat, elle repensait à cette sensation qu'elle affectionnait tant quand elle était en contact avec O'Connor.

- Je ne sais pas si c'est vraiment ça, confessa Taylor, j'ai plutôt l'impression que vous ne voulez pas vous mélanger.

- C'est justement ça !

Adrastée était engagée dans son argumentaire tandis que Cassiopée repensait de plus en plus à sa relation avec l'autre abruti. Tant qu'à être exclue en présence d'Adrastée, autant penser à quelque chose qui la réconfortait. Elle voulait juste le toucher, ou du moins l'effleurer, car quand c'était le cas, un sentiment de bien-être l'envahissait et c'est ce dont elle avait besoin maintenant. Il était en partie la cause de sa mauvaise humeur mais il était aussi son remède. Adrastée semblait faire une démonstration :

- L'agriculture est incapable de suivre la croissance démographique sur Terre. Et quand on sait que 30% de la production de l'industrie agroalimentaire est gaspillé, on se pose beaucoup de questions quant à l'avenir de la Terre. Nous, atlantidiens, avons su trouver une autre manière de nous nourrir, une autre manière de se loger et de vivre. Nous avons aussi d'autres principes de vie. Peut-être que nous retournerons à la surface quand les terrestres seront moins nombreux.

- Tu penses donc comme l'EGN ? accusa Selena, que seuls les nilées méritent de vivre et que les terrestres ne sont qu'une plaie ?

Le sujet de conversation lui parvenait comme un bruit de fond. C'était cette sensation qui l'obsédait pour l'instant. Comme s'il avait entendu ses désirs, il posa discrètement sa main sur la sienne, sous la table. Cassiopée osa jeter un regard sur sa gauche. Il restait le même à la surface : préoccupé par la conversation alors qu'en dessous, il était en contact avec elle, physiquement présent à table à discuter mais mentalement ailleurs, avec elle. Ça lui procurait un bien fou. Il fallait quand même ne pas le lui montrer afin qu'il culpabilise encore un peu alors elle tenta de refréner son sourire.

- Non, pas du tout ! Je pense qu'il faut un juste-milieu, qu'il faut réguler. Il n'y a pas de « qui mérite de vivre ou mourir ? » . L'explosion démographique a lieu dans les pays émergents comme l'Afrique.

Bien qu'écoutant d'une oreille la discussion vive, Cassiopée décida d'intervenir :

- L'Afrique n'est pas un pays, indiqua-t-elle sèchement.

Adrastée l'ignora presque. Finalement, elle avait trouvé quelqu'un de plus agaçant qu'O'Connor.

- Tout ça pour dire que parce qu'il y a des pays émergents, cela ne signifie pas que ce sont eux qu'on doit empêcher de vivre. Il faut un équilibre. Comme il n'existe pas, nous vivons dans un monde qui nous convient, sous l'eau.

Cassiopée se mordit l'intérieur de la joue et tapota inconsciemment de ses doigts. Comment ses amis pouvaient-ils s'entendre avec une fille pareille ? Alex dut saisir son énervement et toutes ses ondes négatives qui s'accumulaient, car il tenta de l'apaiser en caressant de son pouce sa main. Elle aurait probablement rougi si elle en était capable. Oui, cela lui faisait du bien, et non elle n'était pas contente que ce soit grâce à lui. Alex avait sûrement compris cela aussi car de son autre main, il cacha son sourire. Ils restèrent un long moment comme cela, jouant avec les doigts de l'autre sans prêter attention à la conversation. Ou du moins, elle car Alex continuait de hocher la tête de temps à autre. Leur sujet de conversation avait encore changé.

- Préparez-vous à découvrir le peuple le plus heureux du monde, sourit Adrastée.

- Je croyais que c'étaient les pays nordiques ?

Selena n'aimait pas qu'on remette en question ses connaissances.

- Si on parle de PIB et de revenus effectivement. Mais si on parle de vrai bonheur c'est l'archipel du Vanuatu.

Sur ces mots, le sourire bienveillant d'Adrastée fut contagieux à toute la troupe à l'exception de Cassiopée. Elle avait déjà le sourire au bord des lèvres mais certainement pas grâce à Adrastée. Ce petit bonheur fut de courte durée : une alarme grave et stridente retentit dans tout l'immeuble. Adrastée sur ses gardes, s'égosilla pour se faire entendre malgré le bruit :

- Il faut y aller.

Au moment de se lever, Alex s'arrêta en serrant la main de sa wagen :

- C'est l'E.G.N., je les entends. Ils viennent pour nous.


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Bonjour à tous!

Aujourd'hui ce n'est qu'un chapitre de transition entre la dispute et un petit peu d'action à venir 😊

Je n'ai pas eu le temps de faire un article sur les autres pays sous-marins, je le fais aujourd'hui sans faute ! 😉

J'espère que ça vous a plu quand même !

PS: notez qu'après le bisou sur l'épaule, on passe au bisou sur la tête. On avance 😉

Bisous sur vos petits yeux de lecteurs!

Ariel

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