Chapitre 38

Elle suivit Selena, qui était enthousiaste à l'idée de revêtir à nouveau une robe de bal. Cassiopée choisit dans son armoire une robe jaune simple qui faisait ressortir son teint métissé tandis que son amie opta pour une robe marine et or. "Plus marine qu'or" lui fit remarquer Selena :

- L'or est la couleur des nilées tandis que le bleu marine représente les terrestres. C'est ma façon à moi de parler de ma nature.

Elles se rendirent dans l'une des salles adjacentes à la salle à manger. Toute la salle était décorée avec des touches de bleu marine et doré. Les deux colocs retrouvèrent rapidement leur groupe d'amis. Évidemment, une place était libre à côté d'Alex. Elle n'allait pas s'en plaindre... La soirée se déroula dans une ambiance légère et enjouée, mais Cassiopée se remit à penser aux wagens. Quels étaient les autres ? Lesquels représentait elle avec Alex ? Elle fut sortie de ses pensées :

- Cela t'es déjà arrivée d'apprécier une soirée, princesse ?

Sa voix avait beau être posée, elle sentait la pointe de mesquinerie qui s'y cachait.

- Oh mon dieu O'connor, ne me dit pas que tu viens de m'appeler "princesse" comme si j'étais une de tes élues ?

Il semblait amusé.

- Tu n'aimes pas ?

- Ca fait très beauf.

- Tu n'as pas répondu à la question, remarqua O'Connor.

- Non, je n'aime pas.

- D'accord, mais tu n'as pas répondu à la question.

- Olala, râla-t-elle, je t'ai dit que non je n'aime pas ce surnom débile comme si j'etais une petite chose fragile.

- Toujours bon à savoir, je t'appellerai maintenant Berluette ou Berlue*, ça colle avec ta faculté.

Fier de sa trouvaille, Cassiopée lui répondit en grimaçant.

- Toujours est-il que ma question était si tu avais déjà apprécié une soirée ?

- Bien sûr, pourquoi ?

- Parce que tu as la tête ailleurs, remarqua-t-il. Dans un gros bouquin marron, je dirais.

Il avait vu juste, mais il était hors de question de l'avouer. Alors elle croisa les bras en regardant la foule qui dansait pour l'ignorer. En effet elle ne pensait qu'à une chose : retrouver son bouquin sur son divan. Pour céder à son caprice, elle sortit une excuse pour se rendre dans sa chambre. Une fois le livre récupéré, elle s'installa dans son divan de la bibliothèque et reprit sa lecture :

« Cinquième branche : le contrôle
Couple le plus connu : Moirai (F) et Kybélê (M)

« L'un contrôlait le début et la fin, l'autre ce qui s'y passait entre. ».

Cette phrase fut le premier écrit sur les wagens du contrôle. Kybélê et sa femme Moirai s'ennuyant sur le continent Mu, décidèrent d'aller jouer avec la vie des terrestres. Ils se rendirent ainsi en Grèce, jusque-là dépourvue de croyances et en firent un pays dont la gloire est encore connue actuellement. Toute la mythologie grecque a été inspirée par eux. En effet, lorsque cela lui plaisait, Moira permettait aux femmes d'enfanter des progénitures fortes, intelligentes ou encore coriaces selon le désir des terrestres. Mais lorsqu'elle était de mauvaise humeur elle était également capable de mettre fin à la vie d'un terrestre, de la manière dont elle le souhaitait. Les Grecs redoutaient cette femme qui fut ainsi érigée en Déesse ainsi que toutes les progénitures qu'elle avait « enfantées ». De même, lorsqu'une mort inhabituelle intervenait, on clamait que « la colère des Dieux s'était abattue ». Des Dieux, au pluriel, car son mari, Kybélê, contrôlait la vie de n'importe qui sans jamais pouvoir y mettre fin. S'il voulait que vous mangiez tel plat, alors vous vous exécutiez. Si Kybélê voulait que vous alliez à droite à un croisement, alors vous le faisiez, sans savoir pourquoi. Ainsi, lorsque Kybélê faisait face à un excès de colère, il pouvait mettre les Grecs dans des situations gênantes et humiliantes.

L'une des histoires les plus connues de l'époque de Moirai et Kybélê est également l'un des mythes les plus étudiés. À cette époque, Moirai et Kybélê régnaient en maître sur la Grèce Antique. Mais un jour, un Nilée venant de Mu débarqua dans le pays et décida de partager son don : le feu. Moirai et Kybélê, mécontents de l'apprentissage d'un savoir à leur peuple soumis, décidèrent d'enchainer ce Nilée et fréquemment une personne différente venait lui manger le foie, sous l'influence de Kybélê. Lorsqu'il était sur le point de mourir, Moirai se chargeait de le maintenir en vie jusqu'à guérison avant que Kybélê incite un nouvel habitant à commettre l'acte de cannibalisme sur ce Nilée. C'est ainsi qu'est né le mythe de Prométhée. »

Quel récit atroce...Cassiopée voulait développer le fond de sa pensée mais quelque chose l'en empêcha.
Elle n'eut pas besoin de lever les yeux pour savoir qu'il était là, les mains dans les poches de son costume. Sauf que cette fois-ci, il était planté devant elle.

- Eh bien ? Tu ne sais plus comment on s'assoit ? l'embêta-t-elle

- Lève toi.

- Je ne suis pas ton chien O'connor.

- Aller Berluette, tu vas voir.

Au son de sa voix, elle comprit qu'il était sérieux et que son déguisement de personnage public était resté à l'entrée de la bibliothèque. Intriguée, elle se leva et le regarda s'installer de tout son long sur son divan. Il se mit à son aise, les jambes allongées, mais écartées et il leva les yeux vers elle :

- Tu peux venir.

Cassiopée rigola et fit une courbette tout en s'exprimant :

- Trop de générosité votre Grâce, mais vous prenez toute la place.

- Non, viens. Entre mes jambes.

- Quoi ?

Elle rigola.

- Je suis sérieux, Cassiopée.

Elle arqua un sourcil tout en refreinant un sourire moqueur. Lui n'affichait rien d'autre qu'un air sérieux.

- Je te promets que tu seras plus à l'aise qu'avant et moi aussi. Je suis très confortable, tu vas voir.

- Non merci.

Il agrippa un pan de sa robe comme pour la retenir de partir vers un autre divan.

- Très bien princesse, tu essayes ma position et si ça te déplaît, je bouge.

- Arrête avec ce surnom débile !

- Alors viens t'asseoir ou je continue.

Exaspérée par le pigeon aux oreilles décollées, elle se plaça entre ses jambes et colla son dos contre son torse. Elle pouvait entendre les échos des battements de son cœur et le sien comme à l'unisson. Elle se sentit envahie par ce familier bien-être, comme une embrassade avec un ami de longue date, qu'il dut ressentir aussi.

- Alors on n'est pas bien là ?

Elle ne le voyait pas, mais elle sentait son sourire narquois et fier. Elle ne répondit pas et reprit sa lecture :

« Sixième branche : les sentiments
Couple le plus connu : Mumtaz Mahat (F) et Shah Jahan (M)

Au XVIIe siècle en Inde, l'empereur, Shah Jahan épousa Mumtaz Mahat. Le couple était très fusionnel et solidaire. Elle lui fit de merveilleux enfants aussi généreux que leur père et aussi beaux que leur mère. Mais à l'époque, les moyens n'étaient pas les mêmes et la plupart des femmes mourraient en couche. Malgré tout, Mumtaz Mahat donna naissance à 13 enfants grâce au don de son mari. À chaque accouchement, il était présent pour absorber la douleur de sa femme, seule émotion qu'il pouvait octroyer aux gens qui l'entouraient. Par amour, il accepta de souffrir à chaque fois qu'elle donnait naissance. L'accouchement était d'autant plus difficile à supporter pour Mumtaz car elle avait la faculté de ressentir les émotions des gens qui l'entouraient sauf la douleur absorbée par son mari et empereur Shah Jahan. Alors elle ne connut jamais la douleur d'un accouchement, même à travers son mari.

Lorsqu'elle fut enceinte du 14e enfant, tout allait bien mais elle perdit les eaux des semaines avant la date d'accouchement prévue. Son mari n'était pas présent, mais il fallait l'accoucher avant que l'enfant ne meure. Lorsqu'elle accoucha, elle ressentit pour la première fois la douleur atroce qu'était la naissance d'un enfant.Elle mourut dans la douleur et sans la présence de son mari. Chagriné à vie, Shah Jahan fit construire le Taj Mahal à l'effigie de la beauté et de la grandeur de sa femme, morte en couche. »

Elle avait tellement d'émotions et de questions après ces deux découvertes de wagens. Elle réalisa que les wagens étaient là pour prendre soin de l'autre, quand l'un souffrait l'autre était là, comme Mumtaz et Shah. Cassiopée voulut poursuivre sa réflexion, mais la fatigue s'immisça . C'est ainsi qu'elle s'endormit au rythme de la respiration de son propre wagen.

C'est d'ailleurs lui qui la réveilla :

- Debout la gueuse au bois dormant, si tu ne veux pas rater le petit-déjeuner, il faut y aller.

Il lui fallut un temps pour reprendre ses esprits. Elle était toujours dans le divan, mais seule, le livre sur le côté.

- Aller Wilson il est 10h, plus qu'une demi-heure pour prendre un petit dej.

Encore dans les vapes, elle le suivit jusque dans la salle à manger.

À sa grande surprise, Robert était le seul à table :

- Je commençais à m'inquiéter ! Et je me sentais seul .

Cassiopée s'installa entre les deux garçons.

- Vous avez dû passer une bonne soirée vu que vous portez tous les deux les mêmes vêtements que la veille .

- Plus ou moins, répondit Alex en se servant du café.

- Tu as passé une bonne soirée Robert ? tenta Cassiopée pour changer de sujet.

- Graaave !

Il commença à faire part de sa nuit remplie de frasques comme le moment où il s'était amusé à se transformer en chaise, et lorsqu'une personne s'asseyait, il se changeait en différents objets allant de la piscine gonflable à des toilettes. Son récit fut interrompu par l'arrivée de Selena et Taylor qui prirent place en face du trio :

- On a passé une bonne soirée ? les taquina Alex avec un sourire en coin.

- Pas autant que toi, on dirait, rebondit Taylor en insistant du regard sur ses vêtements. Alors tu as passé la nuit avec ta fameuse élue ?

- Si on veut, fut sa seule réponse.

Ce qui surpris Cassiopée, quoiqu'en fait non, il aimait jouer sur les ambiguïtés et puis de toute façon elle n'avait aucune garantie qu'il était resté avec elle à la bibliothèque. Si ça se trouvait, il avait attendu qu'elle s'endorme pour s'en aller et était revenu la chercher plus par pitié qu'autre chose. Pour éviter le sujet, Alex renchérit :

- Je veux pas dire mais Taylor porte des vêtements propres alors que Selena est venue pieds nus avec sa robe...

Elle lui lança un regard noir et, fier de sa remarque, Alex continua :

- Alors quelque chose à dire Mlle Keith?

Elle ne dit rien et Cassiopée en déduit qu'une nouvelle conversation avait lieu sous ses yeux. Piquée par sa curiosité, Cassiopée voulait en savoir plus sur la nuit de sa coloc, mais elle le gardait pour plus tard. Lorsqu'elle jeta un œil sur l'assemblée, elle se rendit compte qu'il n'y avait que très peu de personnes et parmi celles présentes beaucoup portaient encore leurs vêtements de soirée de la veille, ce qui rassura Cassiopée d'une certaine manière. Elle ne voulait pas qu'on croie qu'elle avait passé la nuit avec Alex.

- Et toi Cassiopée? Tu étais où vu que tu portes aussi les mêmes vêtements ? demanda Selena.

- Euh...

Elle ne savait pas si elle devait dire la vérité ou trouver un mensonge qui expliquerait pourquoi elle portait encore sa robe de la veille.

- Je suis allée à la bibliothèque et je me suis endormie sur un divan.

En soit c'était la vérité, pas entière certes mais la vérité. Cela eut l'air de satisfaire ses amis qui reportèrent leur attention sur les dernières rumeurs qui couraient.

- Vous avez prévu quoi aujourd'hui ? questionna Cassiopée

- Dormir ! répondit Selena

- Seule ou avec...

Alex ne put terminer sa phrase car il se reçut une tranche de pain à la figure, ce qui le fit rire de façon cynique. Tous gênés par la situation, Taylor tenta de recoudre le fil de la conversation :

- Je pense qu'on a tous passé une nuit épuisante, on va tous se reposer et on avisera tout à l'heure ?

Après s'être mis d'accord pour se retrouver à 14h, Cassiopée n'avait qu'une obsession c'était ce livre et les wagens qu'elle voulait terminer. Elle s'installa sur son lit pendant que Selena était sous la douche. Elle avait envie de s'allonger et tomber directement dans les bras de Morphée mais elle voulait aussi absolument savoir ce que Selena avait fait cette nuit.

De longues minutes passèrent pendant lesquelles Cassiopée tenta de résister au sommeil, à croire que Selena prenait intentionnellement tout son temps pour éviter de lui parler. Elle alla toquer à la porte de leur salle de bain personnelle. Aucune réponse. Elle l'appela et de même, aucun retour. Les filles avaient décidé de ne jamais fermer leur salle de bain à clé, par principe mais aussi puisqu'il n'y avait aucune raison puisqu'il n'y avait qu'elles. Elle ouvrit légèrement la porte et l'appela à nouveau. Toujours rien à part le son de l'eau qui coulait. Elle ouvrit grand la porte et découvrit avec horreur qu'il n'y avait personne. Le sang se figea dans son corps, son cerveau se mit à bouillir tentant de comprendre où elle était passée. Exceptée la porte, la seule issue de sortie était la fenêtre, qui était ouverte. Il n'en fallut pas plus pour établir une conclusion : on l'avait kidnappée.

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*Berlue vient de l'expression "avoir la berlue" qui se dit quand une personne croit voir des choses qui n'existent pas.

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