Chapitre 2


Le lendemain matin, à dix heures, elle attendait sur le perron que le malade imaginaire vienne la chercher. Certes, la soirée lui avait paru différente mais elle n'avait pas eu l'occasion d'échanger avec le fils. Il fallait donc lui donner une seconde chance pour voir ce qu'il valait. Si son père l'avait désigné pour passer ses vacances avec elle, c'est qu'il le méritait. Quelques minutes plus tard, le portail s'ouvrit pour y laisser entrer une voiture. Le moteur tournait toujours quand le conducteur se contenta de baisser la fenêtre :

— Monte.

Sur le coup, Cassiopée ne sut quoi répondre : devait-elle lui répondre sur le même ton condescendant ou bien lui demander ce qui le dérangeait ? En grimpant dans le véhicule, la jeune fille lui répliqua ironiquement :

— Bonjour à toi aussi Alex. Toujours malade ?

Pour toute réponse, il la détailla rapidement, avant de se concentrer sur la route.

— Alors comme ça, tu conduis.

— Finement observé.

— Donc tu as plus de dix-huit ans ?

— C'est fou comme tu es perspicace, Wilson.

Au moins, le ton était donné avec lui. Mais Cassiopée ne comptait pas se laisser faire et s'il l'avait appelé par son nom de famille, c'était clairement pour mettre de la distance avec elle. Pourquoi ? Complètement plongée dans ses pensées, elle réalisa qu'inconsciemment elle s'était mise à le fixer.

— Je sais que je suis particulièrement beau mais si tu pouvais arrêter de me reluquer...

— Non c'est pas vraiment ce à quoi je pensais, rétorqua Cassiopée. Je t'imaginais plus comme un ours mal léché. T'es ronchon dans la vie de tous les jours ou quoi ?

Rien dans le visage du conducteur n'avait changé excepté ses yeux qui roulèrent, comme agacé par les propos de la brune.

— Je suis venu passer des vacances, pas faire du baby-sitting, râla-t-il.

Elle s'apprêtait à rétorquer jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'ils se trouvaient postés devant un portail noir qui commençait à s'ouvrir. Alex O'Connor déclara alors :

— Nous sommes arrivés.

— C'est fou comme tu es perspicace, O'Connor.

S'il voulait placer de la distance entre les deux, cela convenait à la vacancière. Une fois de plus, il ne fit que la regarder avec dédain avant de garer la voiture à l'intérieur de la maison. Cette dernière était d'une mignonne simplicité. Sur la terrasse se tenaient deux adolescents, qui se levèrent promptement à la vue des nouveaux arrivants. La seule ressemblance entre ces deux inconnus de sexe opposé était la noirceur intense de leurs cheveux. L'un les avait bouclé et emmêlés tandis que la jeune fille portait un carré frôlant ses épaules. Quand Cassiopée et Alex s'approchèrent des deux individus, le garçon prit la parole :

— Ici Robert et là Selena.

Apparemment, Cassiopée semblait la seule à être dérangée par la façon dont il les avait présentés, comme s'ils n'étaient que de vulgaires objets.

— Et ça, continua-t-il, c'est Cassiopée, la fille de...

— Will, répondit le jeune homme.

L'éclat vert de ses immenses yeux scrutait Cassiopée comme un enfant excité à l'idée de se rendre dans un parc d'attractions. Sa frêle silhouette accentuait cette image enfantine qu'elle se faisait de lui, de prime abords. Robert commenta à nouveau :

— Ah il n'y a aucun doute sur la ressemblance.

Celui-ci se tourna vers ses deux amis, en étant sur le point de rire, mais Alex comme Selena ne semblait pas partager ce moment de rigolade.

— Quoi ? J'ai pas raison ? Questionna Robert.

Alors qu'Alex leva les yeux au ciel, la mâchoire serrée, les bras croisés, Selena parut bien plus avenante :

— Ne te formalise pas de Robert, il a parfois une vision des choses...différente.

Ses yeux noirs se voulaient rassurant tout comme son sourire que dessinaient ses fines lèvres asséchées par le climat.

— Oh non pas tant que ça, rassura Cassiopée. On me dit souvent que je ressemble à mon père.

Un regard gêné sembla se transmettre entre les trois qui faisaient face à Cassiopée, puis Robert rectifia rapidement ce qu'elle venait de dire :

— Ah mais je parlais pas de son père, je pensais à-

— Des chimpanzés, coupa O'Connor. C'est vrai que la ressemblance est frappante.

A cet instant précis, Cassiopée aurait voulu lui mettre son poing à la figure, bien qu'elle ne soit pas de nature violente.

— Je reviens sur ce que j'ai dit dans la voiture. Tu n'es pas ronchon mais désagréable ! Est-ce que je peux savoir ce que je t'ai fait pour que tu me traites comme ça ?

— Oh la petite Wilson est susceptible, gémit-il. Pauvre petite créature sans défense, on se moque de toi.

— Alex, avertit Selena.

— Oui, tu ne fais que ça, lança Cassiopée. Mais saches que ça ne m'atteint pas.

— Alors pourquoi tu te plains ? interrogea O'Connor.

Cassiopée eut un élan de frustration qu'elle évacua en soufflant fortement.

— Tu as faim ? changea Selena de sujet.

Cette dernière invita ses amis à s'asseoir sur la table à l'abri du soleil sans attendre de réponse particulière. Mais ce fut sans compter sur Alex :

— Wilson fait partie de ces gens d'une débilité profonde mais qui font tout pour faire croire le contraire.

Cassiopée ne comptait pas se laisser faire :

— Et O'Connor fait partie de ceux qui souffrent d'un complexe d'infériorité et se sentent obligés de rabaisser tout le monde.

Le visage d'O'Connor se durcit, tout comme le sien :

— Qu'est-ce que je disais ? Madame fait dans la psychologie maintenant. Si tu peux tout faire, est-ce que tu peux la fermer ?

Elle commençait à s'emporter, mais comment ne pouvait-on pas face à lui ?

— De un, je ne vais pas t'obéir, je ne vois pas pourquoi. De deux, je n'ai jamais prétendu être mieux que toi, alors arrête un peu tes simagrées, ordonna la brune.

Les deux se regardaient en chiens de faïence

— Tu ne me donnes pas d'ordre, signala O'Connor.

— Du jus ? proposa Robert.

Il montrait la carafe afin d'apaiser la tension, en vain.

— Non ! s'exclamèrent en cœur les deux énervés.

— Qui t'a dit que c'était à toi qu'il s'adressait ? récria O'Connor

— Je pourrais te retourner la question, répondit Cassiopée du tac au tac.

— Parce que c'est mon ami !

— Mais, s'étonna Cassiopée.

Elle avait envie de rire tellement la situation était ubuesque.

— Tu t'entends parler O'Connor ? On dirait un vrai gamin. Tu vas aller pleurer dans les jupes de ta mère après ?

Cassiopée était certaine d'avoir touché un point sensible mais à part une légère crispation sur le visage du jeune homme, il n'en laissa rien paraître.

— Je t'interdis de parler de ma mère.

Elle prenait un malin plaisir à le provoquer alors elle continua :

— Pourquoi ? Tu vas te mettre à pleurer sinon ?

— Cassiopée, tenta Robert

Cette derni!re éclipsa l'appel de Robert. O'Connor s'était moqué d'elle, lui avait dit des choses offusquant et n'eut donc aucun scrupule à en faire de même :

— D'ailleurs, elle est où ? Elle est partie quand elle a découvert les horribles convictions de ton père ?

Cette pique l'avait blessé mais le faciès d'O'Connor tenta de rester impassible.

— Tu ne sais rien de ma famille, insolente comme son...

— Alex, stop, l'interrompit Selena. N'en rajoutes pas. Elle est là pour passer de bonnes vacances et non se chamailler.

— Mais c'est elle qui a commencé, se justifia-t-il.

— Alex, ça suffit, commanda Selena.

Cassiopée se rendit compte que Selena avait ce ton qu'emploie les mères qui réprimandent leurs enfants. C'était mignon et amusant à la fois. Passant à autre chose, Selena pressa Cassiopée de leur raconter sa vie quotidienne en dehors des cours et ses loisirs en Angleterre. Ce qui fit tiquer la vacancière fut qu'elle sache le pays où elle habitait, alors qu'elle n'en avait pas parlé. Peut-être était-ce O'Connor qui lui en avait parlé ou même son propre père. Selena insista tant, qu'elle s'exécuta :

— Rien de bien extraordinaire. Je lis la plupart du temps.

— Tu lis quoi, s'intéressa la petite brune.

— Un peu de tout, ce que je trouve dans la bibliothèque de ma mère ou à la librairie municipale.

— Ta mère a une bibliothèque ? répéta-t-elle.

— Oui, avec pleins de livres. La majorité est accessible mais il y a une rangée de vieux livres que ma mère ne m'autorise pas à toucher. Ce sont d'anciens ouvrages originaux.

Alors qu'elle allait poursuivre sa description, Cassiopée remarqua qu'Alex la dévisageait aussi bizarrement que la veille. Elle décida de lui en faire part :

— Et après c'est moi qui te fixe. La discrétion, tu connais ?

Il lui adressa un sourire machinal dénué de toute chaleur qui aurait presque put la faire tressaillir :

— C'est toi qui parles, il est donc normal que je te regarde.

Après l'avoir considéré pendant un certain temps où seul le silence régnait, Cassiopée se tourna vers Selena et Robert, prête à leur demander comment ils pouvaient supporter un tel personnage. Au lieu de cela, ses yeux s'attardèrent sur Robert occupé à étaler de la confiture sur une tartine. Il s'y attelait avec tant de vivacité qu'elle crut que son couteau et sa main ne formaient plus qu'un. C'était étrange. 

Son visage se rapprocha de plus en plus de la main pour tenter d'y décerner les doigts du manche à couteau sans y parvenir. Les sourcils froncés, Cassiopée était plus que confuse. Cela était sûrement dû à la vitesse à laquelle le bouclé exécutait son geste mais c'était étonnant de voir à quel point la main et le couteau se confondaient. D'ailleurs, à force de s'attarder dessus, Cassiopée n'y voyait plus une main, simplement un poignet au bout duquel se trouvait un couteau. Alors que Robert semblait bien trop pressé de manger sa tartine au point d'en oublier ses amis, Selena capta immédiatement le sujet d'intérêt de la jeune fille.

— En parlant chimpanzés, Cassie.

Cette dernière dirigea son regard vers l'énonciatrice quand celle-ci frappa dans ses mains dans le but d'attirer son attention.

— Il y a une réserve pas très loin qui s'occupe de soigner les primates victimes de braconnage. C'est le parc Mefou, ça te dirait d'y aller ?

Il lui fallut quelques secondes pour retrouver ses esprits et se convaincre qu'être mal réveillée pouvait la faire voir des choses impossibles.

— Oui bien sûr.

— Bien, on ira demain. En attendant, on peut passer la journée à l'intérieur, il fait trop chaud là.

Selena n'attendit pas la réponse de ses amis, les invitant simplement à rentrer.

— Pas toi, Robert. Toi, tu ranges ton couteau et tant qu'à faire tu peux débarrasser la table. Merci.

— Oui, maman, se moqua Robert.

La journée fut assez normale pour les adolescents qu'ils étaient. Cassiopée en avait profité pour faire plus ample connaissance avec les trois concernés. Il n'avait pas été bien compliqué de cerner les traits dominants de chacun. Tout le long, Robert avait tenté de faire des blagues qu'elle ne comprenait pas forcément. Alex O'Connor avait continué à la fixer d'un œil froid et calculateur, parfois réprimandé par Selena sur ses manières de faire. Peut-être qu'elle en découvrirait plus sur eux, les jours d'après.

Le lendemain, comme convenu, O'Connor les avait conduits jusqu'au Parc Mefou. Tapi dans la forêt camerounaise, seuls quelques panneaux indiquaient brièvement l'emplacement de cette réserve. La route avait été difficile mais le jeu en valait la chandelle, lorsqu'elle y découvrit une faune et flore luxuriante. Le vert bouteille qui dominait en était presque étonnant puisque les arbres étaient si haut qu'on aurait dit que même le ciel en portait la teinte. Un guide les accompagna et leur expliqua rapidement la raison de l'autre couleur dominante : le gris métallique des enclos.

— Si on pose un grillage, ce n'est pas pour en faire un zoo et vous permettre de les voir, non. C'est pour les protéger des éventuels vols d'animaux.

Il n'y avait pas grand monde à cette heure de la journée et ils se tenaient tous les cinq devant un enclos où des macaques imposants se mouvaient en toute tranquillité dans les dizaines de mètres carré à leur disposition. C'était très intéressant ce qu'il racontait :

— La viande de chimpanzés fait fureur. Ils sont souvent victimes de braconnages et ici, nous nous chargeons de les soigner-

Le Camerounais fut interrompu dans ses explications de la manière la plus surprenante. Cassiopée ne perçut que le bruit d'un objet volant, atterrissant lourdement quelques mètres plus loin. Robert était le seul à s'être agenouillé et quand il se releva, la surprise se lut sur son visage :

— Vous avez vu ? Le singe m'a balancé ses excréments !

Comme s'il les avait entendus, le singe réitéra son geste. Robert évita le colis à nouveau, avant de s'avancer vers la cage et de s'engueuler avec l'animal.

— Tu as un souci avec moi ? Je suis un grand garçon, je suis majeur. Alors, viens me le dire de face si t'es un homme.

— Robert, tenta Selena.

— Alex, interpella Robert, tu ne comprendrais pas le chimpanzé par hasard ?

— Non.

— Non mais je veux dire, vu que tu peux-

— Robert ! s'écria Selena.

Quand tout le monde se tourna vers elle, cette dernière parut mal à l'aise.

— On continue ?

Mais rien n'y faisait, Robert continua à se chamailler avec un chimpanzé sous les rires de ses amis et de leur guide. Après cela, ils rentrèrent à Yaoundé, où O'Connor déposa en premier Robert, puis Selena. Lorsqu'ils se retrouvèrent tous les deux, un silence pesant prit place, c'en était tellement insoutenable que Cassiopée tenta de trouver un sujet de discussion :

— Il est plutôt marrant Robert.

Le regard toujours concentré sur la route, il répondit sur un ton sans appel :

— Ne te fatigue pas à faire la conversation, je n'ai pas envie de te parler.

— Pourquoi ?

— Parce que tu ne m'intéresses pas.

— Pourquoi ?

Au final, elle s'amusait à l'embêter de cette façon. O'Connor lui lança un rapide coup d'œil toujours avec cet air de dégoût qui ne semblait jamais le quitter quand il s'adressait à elle :

— Parce que tu es bien trop fade à mon goût.

Sans même savoir de quoi il parlait précisément, Cassiopée ne put qu'admettre que cette pique l'avait blessée. Mais l'insensible qu'elle était reprit très vite le dessus pour remplacer ce sentiment par de l'indifférence. Pour le coup, elle n'avait plus envie de perdre son temps avec lui, alors elle l'imita et se concentra sur la route.

Les minutes furent longues avant qu'ils n'arrivent à destination. La nuit était déjà bien entamée et le fait qu'aucune lumière ne soit allumée dans sa maison lui prouva qu'une fois de plus, son père était aux abonnés absents pour la soirée.

— Ça va aller toute seule ? s'enquit O'Connor

— Tu t'inquiètes pour moi maintenant ?

Cela ne faisait que deux jours qu'ils se côtoyaient mais Cassiopée commençait à le connaître. Face à une telle réplique, il allait soit lui en lancer une en retour avec mépris soit la dévisager avec dédain. Sauf que cette fois-ci, ce ne fut ni l'un ni l'autre. Son visage transmettait une inquiétude certaine doublée d'un dilemme mental olympien. Il était comme figé depuis quelques secondes jusqu'à ce que Cassiopée ne le charrie à nouveau :

— Tu as l'air débile comme ça.

Soudain, il parut reprendre vie. Il éteignit le moteur de sa voiture tandis qu'il lui répondit :

— Je te signale que c'est toi la débile de nous deux.

Lorsqu'il claqua la porte et se retrouva à ses côtés, Cassiopée se renseigna :

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je ne te laisse pas seul. Selena et Robert ne vont pas tarder à arriver.

— Tu es au courant que je suis une grande fille, je peux rester toute seule jusqu'à ce que mon père rentre.

Sans même l'attendre pour se diriger sur le pas de la porte, il énonça simplement :

— Oui mais non. Je n'ai pas le droit de te laisser toute seule.

Cette dernière phrase l'intrigua :

— Comment ça ?

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