Je décochais une nouvelle flèche mais elle vint se ficher dans le tronc à côté de ma cible. C'était la sixième que je ratais aujourd'hui. Énervée, je retentais ma chance mais le résultat ne fut pas plus convaincant. Ma respirant se saccada. L'image de Jojen se présenta à mon esprit et un sanglot m'échappa. Voilà pourquoi je n'arrivais pas à bien tirer. Je pensais à lui, encore.

Ma vue se brouilla et je tombais à genou, lâchant mon arc et fondant en larmes. Depuis sa mort je n'avais pas réussi à le pleurer, c'était comme si je ne réalisais pas. Mais plus les jours passaient et plus mon cœur se serrait, se rendant compte d'un manque évidant : l'amour. Alors aujourd'hui, je craquais. Les larmes dévalaient mes joues sans que je ne puisse les arrêter, venant s'écraser sur le sol de la forêt qui bordait mon château. Je n'arrivais pas à bien respirer et mes pleurs devaient s'entendre à plus d'un kilomètre à la ronde.

Tout ça c'était de ma faute... Si je n'avais pas croisé son chemin, il serait toujours en vie. Je n'aurais pas vécu les plus beaux moments de ma vie mais au moins, il serait en vie. Et Cora aussi. Je ne serais certainement pas celle que je suis devenue aujourd'hui mais au moins, personne ne serait mort, et je n'aurais pas ce lourd poids à porter sur mon cœur désormais en miettes.

Une main ferme mais douce à la fois se posa sur mon épaule, me faisant sursauter. Je continuais néanmoins de pleurer, ne pouvant me résoudre à m'arrêter. Alors la personne qui avait posé sa main sur mon épaule exerça une légère pression et je me figeais, relevant mon regard. Au début, je ne vis qu'une silhouette diforme à cause des larmes. Je clignais plusieurs fois des yeux et bientôt, la forme devint nette et je me relevais d'un bond, récupérant mon arc et pointant l'individu d'une flèche, l'air menaçante.

- Qui es-tu ?!

- Allons Luna, tu le sais très bien. Ne me dis pas que tu m'as déjà oublié...

- Non, en effet. Mais tu n'es pas lui. Alors qui es-tu ?! Je n'aime pas les usurpateurs ! Dépêche-toi !

- Arrête Luna. Je sais très bien que tu m'as reconnu, sourit-il.

Il s'avança vers moi mais je tirais un peu plus la corde de mon arc, le menaçant encore plus.

- Tu ne le feras pas.

- Ah ouais ? Et comment tu peux en être aussi sûr ?

- Parce que je te connais. Et toi aussi. Et ne le nie pas, je le vois.

Les larmes me remontèrent aux yeux et un sanglot s'étouffa dans ma gorge. Bien sûr que je l'avais reconnu. Il n'y avait qu'une seule personne qui exerçait cette pression sur mes épaules pour me rassurer, qu'une seule personne qui me souriait ainsi, qu'une seule personne qui restait calme alors même que je pointais une flèche vers lui. Et cette personne avait réussi à percer la carapace que je m'étais forgée. Il avait réussi à me faire aimer à nouveau. Mais il m'avait abandonnée, je ne pouvais l'oublier...

- Pourquoi ?

- J'avais le choix. Et je l'ai pris.

- Et tu en es fier ?! hurlai-je tandis que les larmes se déversaient sur mes joues en un torrent abondant.

- Oui. Parce que je t'ai écoutée. Tu m'as dis qu'on avait toujours le choix, que c'était à nous de faire le bon. Et bien je l'ai fais. Tu m'en veux, et je le comprends. Mais si je t'ai laissée dans les bois c'était pour t'éloigner le plus de moi, pour te protéger.

- Je n'ai pas besoin que l'on me protège, répliquais-je acerbement.

- C'est ce que tu prétends. Mais je te connais assez pour savoir l'inverse. Tu as envie d'être protégée. Alors ne me reproche pas de l'avoir fait, surtout que tu mettrais ta vie en péril pour moi.

- Mais c'est différent !

- En quoi ça l'est ? J'ai juste fais en sorte que les Marcheurs Blancs ne te tuent pas. Tandis que toi, tu as renversé toute une famille afin de me venger. Qui de nous deux a le plus risqué sa vie pour l'autre ?

J'ouvris la bouche et la refermais, ne trouvant rien à répliquer. Jojen s'avança après une certaine hésitation mais fit quelques pas supplémentaires en voyant que je ne réagissais pas.

- Luna... Je suis désolé, crois moi. Je t'aime. Et si j'ai fais ça, c'était parce qu'il n'y avait pas d'autre issue et que je ne voulais pas qu'il t'arrive quoi que ce soit. Et j'ai bien fais.

Il avait malheureusement raison. Grâce à lui, j'avais pu découvrir l'étendue de mes pouvoirs lorsque j'avais tué les Marcheurs Blancs grâce à une simple émotion. Cette émotion avait développé mes sens, augmentant ma capacité de vers-vue. Et puis, je l'aimais, et lui aussi. Alors je ne pourrais pas lui en vouloir indéfiniment. Tout ce que je souhaitais, c'était qu'il aille bien et qu'il soit auprès de moi.

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas remarqué qu'il était juste devant moi et que j'avais lâché mon arc. Il posa une main douce sur ma joue, plongeant son regard dans le mien, et je pus y lire toute sa peine, et d'autres émotions diverses et variées. Il s'en voulait. Terriblement. Et il avait peur. Peur que je le rejette. Mais je ne comptais pas le faire, pas alors que mon cœur s'était emballé à la minute où je l'avais senti auprès de moi. Pas après ces longs mois passés sans lui.

- Je ne te laisserai plus jamais Luna Muponesi Bumhi, Louve sauveuse du Nord et détentrice de mon cœur.

Et, dans un élan de tendresse, je réduisais l'infime espace qu'il restait entre nos lèvres, les scellant et permettant aux multiples papillons enfermés dans mon ventre de s'envoler, libres.