𝟢𝟪 | 𝖵𝖺𝗅𝗂𝖺.
VALIA
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Tokyo, arrondissement de Toshima, supérette.
Les derniers articles passent devant le scanner. Je range la monnaie et tend le ticket de caisse à la cliente. Ma matinée se termine dans cinq petites minutes et je n'ai qu'une hâte, rentrer à l'appartement et partir avec Sky à Hikone. Le 17 septembre est enfin arrivé et ce soir, le pays célèbre la fête du Tsukimi.
Et dans quatre jours, je fêterai l'anniversaire de la mort de Mike.
Ace m'a proposé de l'y accompagner, ce que j'ai accepté, même si en soit, je ne lui ai pas donné de réponse. Il a plutôt intérêt à se souvenir de moi.
- Mademoiselle Whealin, arrêtez donc de rêvasser !
Ma patronne, Madame Aono, s'agite dans tous les sens derrière moi, sûrement encore à la recherche d'un papier.
- Vous devriez trier ça dans différentes pochettes, conseillé-je en désignant la pile de paperasse qui s'accumule derrière la caisse.
Madame Aono me jette un regard menaçant qui me cloue sur place. Elle n'est pas plus grande que moi, pourtant elle me domine complètement. Je n'avais pas l'intention de l'énerver, je déteste quand elle sort de ses gongs. Ce n'est que mon deuxième jour en tant qu'employée dans cette minuscule supérette, mais elle a déjà réussi à exploser à cinq reprises.
- Vous n'avez rien à me dire, Mademoiselle Whealin, tonne-t-elle, les poings posés sur le comptoir. Dois-je vous rappeler que vous venez d'arriver et que vous n'y connaissez rien ? Il me semble que j'ai plus d'expérience que vous, je vous conseille donc de vous taire. Faites votre travail correctement. Je ne veux pas d'une fainéante dans mon magasin qui en plus manque de respect aux adultes !
Je me retiens de lui répondre que je suis une adulte aussi, sinon j'empirerais la situation.
Ma patronne se retire dans la réserve et je l'entends grommeler :
- Les jeunes d'aujourd'hui, ce n'est plus que c'était. Je me demande ce que font les parents pour se retrouver avec des mômes pareils. Et ce sont eux qui représentent l'avenir ? Ha, la bonne blague. J'espère mourir avant d'en voir les dégâts.
La raison pour laquelle je travaille avec elle est simple : je ne suis pas obligée de parler japonais. De plus, il me fallait absolument du travail pour payer mon loyer. Mes parents ne comptent pas m'aider, ils m'en veulent toujours d'avoir quitté New Haven.
- Il est midi, déguerpis, m'ordonne Madame Aono.
Je ne me fais pas prier. Mes affaires en main, je me dépêche de quitter les lieux. J'enfonce mon casque sur les oreilles et lance Do Me A Favour de Arctic Monkeys. Toshima est animé ce midi, preuve que les beaux jours reviennent après une semaine de pluie. Par contre, le froid n'a pas quitté l'arrondissement.
Je défais ma longue natte qui tombe au milieu de mon dos et secoue mes cheveux à l'air libre. Enfin. Les heures en compagnie de Madame Aono sont interminables, comme si le temps faisait exprès de ralentir lorsque je me trouve en sa présence.
A la gare d'Ikebukuro, je monte dans le premier train direction Ueno. Sky m'attend à l'appartement avec un bon repas.
- T'as une heure pour manger et te préparer, me lance-t-elle à peine suis-je arrivée. Hikone est à plus de quatre heures d'ici, on dormira sur place.
- On n'est pas obligée si ça te dérange, la rassuré-je. Ça fait beaucoup de route pour une soirée.
Je m'installe par terre sur un coussin carré que Sky appelle zabuton. Je trouve ce mot particulièrement étrange.
- Ce n'est pas si mal, répond ma coloc' en me tendant mes baguettes. Fêter Tsukimi à Hikone est très populaire. Je n'y suis jamais allée, alors c'est l'occasion.
- Il y aura Zenko, lui rappelé-je.
- Ne me parle pas de cet abruti, je ne peux pas l'encadrer. C'est le pire des Quatre Éléments.
- Les quoi ?
- Le groupe d'Ace, si tu préfères. On les appelle comme ça parce qu'ils sont inséparables et se complètent super bien, m'explique-t-elle. Mais je le répète, Zenko est un connard.
- Un connard qui te procure de l'effet rétorqué-je avec un sourire en coin.
- Exactement, il me procure l'envie de le noyer dans sa propre piscine, de l'asphyxier dans son sauna et de l'enterrer sur son terrain de golf.
- Il possède vraiment tout ça ?
- Je n'en sais rien, mais vu la richesse de sa famille, ça ne m'étonnerait pas.
Génial. Il n'y a plus qu'à prier pour que la soirée se passe bien et que ces deux-là ne s'entretuent pas.
Une fois mon estomac rempli, je me précipite prendre une douche et enfile des vêtements propres. Jupe en jean, collants noirs et Doc Martens, me voilà avec une tenue sombre dans laquelle je me sens bien. J'applique un rouge à lèvres bordeau, du blush et du mascara avant de me parfumer. Puis, j'attrape mon tote bag, le skateboard de Mike, Sukie et des affaires pour mon hermine.
Sky a déjà démarré la voiture lorsque je ferme l'appartement à clefs. J'appréhende un peu cette soirée en compagnie de personnes que je ne connais pas. Cela me rassure de savoir Sky à mes côtés, jamais je n'y serais allée sans elle. Et puis, il y aura Ace. Je dois absolument tenter d'aborder le sujet du skateboard avec lui, c'est ma seule chance. Il a peut-être entendu parler de cette fameuse course à laquelle Nikki et mon frère ont participé.
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Hikone apparaît devant mes yeux ébahis aux alentours de dix-huit heures. La nuit recouvre la ville d'un épais voile sombre parsemé de billes lumineuses. Les bâtisses nippones, les banderoles et les multitudes de guirlandes colorées me transforment en une gamine émerveillée. Sky m'a expliqué que Tsukimi se fêtait plutôt en famille, mais à Hikone, cela ressemble à une fête de village.
- Au fait, où doit-on les rejoindre ? demandé-je en regardant l'heure.
- Eiji m'a envoyé un message sur Instagram, m'informe Sky. Rendez-vous au jardin Genkyuen à dix-huit heures trente.
- Qui est Eiji ?
- L'un des Quatre Éléments. Le moins pire si je peux me permettre. Les autres sont Kyo et Zenko.
- Ace n'est pas si terrible, dis-je tout bas.
- Je trouve que tu le défends beaucoup depuis que tu l'as rencontré, me charrie ma coloc'.
J'ignore son commentaire et pose ma tête contre la vitre embuée.
Ace. J'espère qu'il va bien. C'est idiot de penser ça, je ne le connais pas. Mais il y a quelques jours, un autre étudiant de l'Université de Tokyo a été retrouvé mort. Ace en a forcément pris un coup au moral.
Sky finit par se garer au bord d'une route et je peux enfin me dégourdir les jambes. Sukie sur mon épaule, nous marchons sur plusieurs centaines de mètres avant d'atteindre un endroit tout à fait irréel.
Les éclairages artificiels illuminent les couleurs automnales des arbres qui encerclent le plan d'eau éclatant. Les odeurs boisées mêlées au parfum des fleurs m'emportent dans une dimension féérique, dans laquelle la nature est reine. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau et spectaculaire. Dans les hauteurs, j'aperçois un bâtiment ancien que je devine être un château.
- C'est magnifique, n'est-ce pas ?
Mon cœur manque de s'arrêter au son de cette voix.
- Ace, je murmure.
Je ne l'avais absolument pas remarqué à mes côtés, trop absorbée par la contemplation de ce lieu enchanteresque. Mais surtout, j'avais oublié à quel point il était grand.
- Tsukimi signifie "regarder la lune", m'explique-t-il, le menton levé vers l'astre qui scintille au-dessus de nous. C'est une fête agricole chinoise très ancienne qui a perduré grâce aux légendes qui l'entourent.
Son visage brille sous la lumière des réverbères. Je ne l'ai jamais vu aussi clairement. La longue entaille qui traverse sa joue gauche me fait penser à un ruisseau qui a creusé son propre sillage dans la terre. Ce soir, il a un pansement sur le nez, probablement le résultat d'une chute en skate.
- Tu n'as pas de lentilles, remarqué-je en plongeant mes yeux dans les siens.
Un sourire charmeur étire ses lèvres. Il se penche afin que je puisse admirer ses iris en détail. En effet, de légers reflets violets apparaissent ici et là, au milieu d'un océan bleuté.
- Incroyable, soufflé-je à moi-même.
La réalité me rattrape de plein fouet lorsque des griffes s'enfoncent dans mon épaule.
- Ton écureuil des neiges t'a accompagnée jusqu'ici, comme c'est adorable, se moque Ace, les mains dans les poches.
- C'est une hermine blanche, grommelé-je, frustrée de répéter mille fois la même chose.
- C'est pareil.
Sukie couine contre mon oreille, elle veut se dégourdir les pattes. Je la laisse gambader dans l'herbe et rejoins Sky un peu plus loin, occupée à discuter avec deux autres silhouettes. Je reconnais Zenko qui tire une tête d'enterrement, et à côté de lui se trouve un homme aux cheveux blonds décolorés. Une chaîne pend autour de son cou, sur son t-shirt large.
- Je suis Eiji, me salue-t-il.
Je m'incline en retour.
- Valia, enchantée.
- Pourquoi est-ce qu'il a le droit de connaître ton prénom lors de votre première rencontre alors qu'avec moi, tu as refusé ? s'indigne Ace en arquant un sourcil.
Je vois. Il a prévu de me gonfler dès le départ, j'aurais dû m'en douter.
- Peut-être parce que tu étais un total inconnu, seul, dans la rue, à vingt-deux heures ?
- Eiji est aussi un inconnu pour toi.
- Mais qui n'est pas seul, dans la rue, à vingt-deux heures, tranché-je.
- C'est du favoritisme.
Je pousse un profond soupir pour calmer mes nerfs. Cette soirée va être longue.
- Au fait, où est Kyo ? s'enquiert Sky.
- Il s'entraîne pour le tournoi inter-universitaire de volley, lui répond Eiji. On devrait le revoir dans une petite semaine.
Nous finissons par installer des couvertures sur l'herbe et y déposer les différents plats que nous avons apportés. Sky a cuisiné des mochis à la framboise, ce qui ravit tout le monde sauf Zenko. Celui-ci a apparemment décidé qu'il ferait la tête toute la soirée. Eiji, lui, me demande de venir m'asseoir à côté de lui.
- Tu vois que tu fais du favoritisme, me lance Ace avec un grand sourire hypocrite, lorsque je change de place.
Je l'ignore et rejoins Eiji qui m'a préparé un bol rempli de morceaux de patate douce. Il place un burger sur une assiette qu'il me tend.
- Tsukimi est la fête de la lune, dit-il. Il y a un tas de traditions différentes qui l'entourent. Lors du repas, on utilise un jaune d'oeuf pour rappeler la lune.
Eiji casse un oeuf et y dépose le jaune au centre de mon burger.
- Tu peux aussi en mettre dans les nouilles.
- Merci beaucoup, soufflé-je. C'est presque poétique.
Il hausse les épaules, les yeux rieurs.
- Je suppose.
Ace s'est allongé dans l'herbe, les bras croisés derrière la nuque. Il semble ailleurs, perdu dans les profondeurs du ciel étoilé. Je me demande à quoi il pense, ce qu'il perçoit à travers ses iris violets, même si au fond, je me doute de ce qui accapare son esprit.
Nightbreaker.
- Sky, pour la dernière fois, passe-moi le saké, s'énerve Zenko, venu à bout de sa patience.
- Je n'ai pas fini, lâche ma coloc'.
- Ça fait dix minutes que t'y es, arrête de faire la grand-mère.
- Tiens, Ace, tu veux du saké ? propose Sky.
- Non merci, je ne bois pas.
L'odeur de la nourriture doit embaumer le parc puisque Sukie bondit vers nous en espérant tremper une patte dans les bouillons.
- Wow, je n'avais jamais vu de hermine blanche en vrai, s'émerveille Eiji.
- Il y en a au moins un qui suit, grommelé-je en jetant un coup d'œil accusateur à Sky et Ace.
Ce dernier retrouve soudainement son énergie et attrape Sukie avant que cette coquine ne renverse tous les plats. Il lui chatouille les pattes, inspecte sa queue et se met à lui gratouiller le ventre.
- Je te le déconseille, préviens-je en détachant mes baguettes.
Comme prévu, il ne m'écoute pas, et continue de jouer avec mon hermine. Dix secondes plus tard, il relève lentement la tête, une grimace sur les lèvres.
- Elle m'a mordu.
- Sans blague.
- Pauvre écureuil des neiges, ta maîtresse a déteint sur toi, dit-il à l'intention de Sukie.
- C'est une souris géante, se moque Sky.
Je vais m'asseoir près d'Ace, non sans soupirer de mécontentement. Le jeune homme dépose Sukie entre mes bras avant d'inspecter son doigt ensanglanté.
- Tu l'as mérité.
Il lève les yeux et c'est alors que je me noie complètement au fond de ses iris brillants. Je dois l'avouer, il est très beau. Un arc de cupidon prononcé marque sa lèvre supérieure et un grain de beauté se situe au creux de l'une de ses fossettes. J'aime aussi son look et notamment sa boucle d'oreille en argent en forme de lune. Dire qu'il gâche un physique pareil avec une personnalité des plus atroces. Quelle tragédie.
- Au fait, comment vous êtes-vous rencontrés ? nous demande Zenko.
- C'est une longue histoire, je réponds en repensant à cette soirée catastrophique.
- Pas du tout, me contredit Ace. Je l'ai trouvée au milieu d'un groupe de mecs qui l'emmerdaient et je lui ai sauvé la vie.
- Je n'irais pas jusque-là.
- Crois-moi, si je n'avais pas répondu présent, il y aurait peu de chances que tu sois avec nous ce soir.
- Ça n'aurait pas été plus mal, grincé-je les yeux au ciel.
- Tu vas encore me dire que tu n'avais pas besoin de mon aide, c'est ça ? dit-il avec un air supérieur.
- Exactement, je me débrouillais très bien seule, répliqué-je les bras croisés.
- Oui, c'est vrai qu'en t'entendant crier des insultes et en te voyant donner des coups de pied au hasard, j'ai eu l'impression que tu t'en sortais parfaitement bien. J'aurais mieux fait de te laisser là-bas, ces types t'auraient peut-être appris à être reconnaissante, parce que de toute évidence, ce n'est pas ton point fort. Je ne te jette pas la pierre, personne n'est par-
J'attrape un mochi et l'enfonce dans sa bouche afin de le faire taire. Sky et Zenko tentent de réprimer un fou rire tandis qu'Eiji continue d'agir comme si de rien n'était. Sur le coup, Ace paraît contrarié, mais il se console rapidement en avalant le reste du mochi.
Désormais, j'en suis certaine. Ace incarne tout ce que je déteste chez un homme. Vantard, arrogant, trop bavard, il va finir par me tuer.
Ça va aller, Val, rappelle-toi pourquoi tu es venue.
Après avoir enroulé son index dans un pansement, le jeune brun sort une boîte en plastique de son sac à dos. Sous le couvercle apparaissent d'épais gâteaux ronds sur lesquels un lapin est gravé dans la croûte. Il casse l'un d'eux entre ses doigts et me tend une moitié.
- C'est toi qui les as faits ?
Ace acquiesce fièrement. J'ai du mal à croire qu'un idiot pareil sache cuisiner.
- T'en fais pas, je ne les ai pas empoisonnés aujourd'hui, se moque-t-il.
Je me résigne à prendre le gâteau en soupirant. La garniture brune enveloppe un jaune d'œuf en son centre.
- Est-ce qu'il y a du chocolat ?
Il secoue négativement la tête.
- Pourquoi ?
- Je n'aime pas ça.
- Ne me dis pas que tu es du genre à préférer le café.
- J'en prends tous les matins en intraveineuse.
- Quelle horreur.
Plus les minutes passent, plus je me rends compte que parler avec lui ne me dérange pas tant que ça. Il est indéniablement exaspérant, et même s'il m'irrite au plus haut point, il est le premier homme avec lequel j'échange autant alors que je le connais à peine. Son charme est parvenu à m'envoûter en dépit des efforts de mon esprit pour lutter. J'imagine qu'il est habitué à utiliser son sourire enjôleur et ses yeux ensorcelants afin d'obtenir tout ce qu'il désire. Cela expliquerait pourquoi il a autant confiance en lui.
Lorsque mon attention se recentre sur le reste du groupe, une tension meurtrière plane au-dessus de nous. En effet, Sky et Zenko s'assassinent du regard dans un silence pesant, tandis qu'Eiji profite de l'ambiance peu chaleureuse pour embaumer le parc avec l'odeur âcre de sa cigarette. Finalement, le téléphone de Zenko sonne et ce dernier nous laisse pour répondre à l'appel de son père. Vu la tête qu'il fait, il ne doit pas très bien s'entendre avec lui.
Je n'ai pas le temps de me poser de question, car Ace m'attrape la main et me tire sur mes deux jambes. Le contact soudain de sa peau contre la mienne m'électrise comme si la foudre venait de s'abattre sur Hikone. Ce doit être parce que je le déteste.
- Suis-moi, dit-il simplement.
Nous marchons à travers le jardin, en suivant les contours du plan d'eau, bercés par le bruissement du feuillage. Nous nous arrêtons au milieu d'un petit pont en bois depuis lequel nous pouvons admirer nos reflets miroiter à la surface de l'eau.
- Sais-tu pourquoi le lapin est le symbole du Tsukimi ? me demande-t-il tout à coup.
Sa question résonne à l'intérieur de mon crâne, mais je ne l'entends pas. Ses iris violets scintillent intensément et je ne peux les lâcher une seule seconde du regard. Je crois que je viens de trouver un plus beau spectacle que la nuit étoilée.
Interprétant mon silence comme un "non", Ace se racle la gorge :
- La légende raconte qu'un dieu vint sur terre en prenant la forme d'un vieil homme qui mourrait de faim. Il demanda aux animaux de la forêt de lui apporter de quoi manger. Tous les animaux lui ramenèrent une proie, sauf le lapin qui ne pouvait pas chasser. À la place, il se donna en offrande au vieillard. Pour le récompenser, le dieu le ressuscita et l'envoya sur la lune.
- Est-ce qu'il y a un lien avec les zodiaques ?
- Non, pas vraiment. Les zodiaques sont plutôt en rapport avec les constellations. D'ailleurs, je pense qu'on peut voir celle du lièvre ce soir.
Accoudé à la rambarde du pont en bois, Ace détaille la voûte céleste comme s'il n'avait jamais rien vu d'aussi splendide. À cet instant, il représente la définition même d'avoir des étoiles dans les yeux et cela me donne le sourire aux lèvres. Il désigne la constellation d'Orion, puis celle du lièvre juste au-dessous, plus difficile à apercevoir.
- On dirait que les étoiles n'ont aucun secret pour toi, soufflé le menton toujours levé vers le ciel.
- J'aimerais que ce soit vrai, glousse-t-il. L'Université m'a permis de me rapprocher d'elles, de mieux les comprendre et de les observer. J'aurais aimé continuer à les étudier, mais en ce moment, je ne suis pas vraiment le bienvenu en ville.
- Ça ne t'a pas empêché de mettre le pied à Bunkyō la semaine dernière, le charrie-je.
- Je n'ai jamais dit que j'étais quelqu'un de responsable.
- C'est clair, je l'ai remarqué dès notre première rencontre.
Il arque un sourcil, la mine blasée.
- Comment ça ?
- Tu as retiré ton masque devant moi alors que j'aurais très bien pu te dénoncer.
- Mais tu ne l'as pas fait.
- Oui et j'aurais peut-être dû, finalement.
- Alors pourquoi tu m'as fait confiance ?
- Je ne t'ai pas fait confiance, soupiré-je face à cette évidence. Crois-le ou non, mais je t'ai imaginé plus d'une fois t'introduire chez moi et me tuer pendant mon sommeil.
- Donc tu penses souvent à moi ? dit-il avec un sourire en coin.
- Tu es insupportable, grommelé-je en plaquant ma main sur mon visage.
S'il y a bien une chose que j'ai comprise ce soir, c'est que plus je m'énerve, plus ça le fait rire. J'attrape mon paquet de cigarettes ainsi que mon briquet. J'en apporte une à mes lèvres et aspire la fumée toxique qui s'en échappe, sous le regard écoeuré de Ace. Celui-ci se retient de faire tout commentaire, un choix judicieux de sa part. Autrement, j'aurais écrasé mon mégot contre sa peau.
- Est-ce que tu as une idée de l'identité de Nightbreaker ? demandé-je de but en blanc.
- Aucune.
- En tout cas, il doit être bien content que tu te sois fait choper à sa place.
- Ouais, je m'attendais à un bouquet de fleurs de sa part en guise de remerciements, mais je n'ai toujours rien reçu. J'avoue que je suis un peu déçu, ironise-t-il.
- Compréhensible.
Il est difficile d'imaginer ce que Ace vit en ce moment. Fuir la police pour un crime que l'on n'a pas commis, tout en sachant que personne ne nous aidera à prouver notre innocence, parce qu'accuser un jeune des quartiers pauvres arrange tout le monde. Je commence à penser que la police détient une information qu'elle se garde de rendre public, une information qui sauverait peut-être Ace.
- Je peux te poser une question ?
Le clair de lune éclaire son visage rongé par la fatigue. Pourtant, les cernes violacés qui encerclent ses yeux n'enlèvent rien à sa beauté.
Je hoche la tête, soucieuse de ce qu'il peut bien avoir à me demander.
- Le skateboard que tu as amené, il est à toi ?
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