𝟢𝟦 | 𝖠𝖼𝖾.
ACE
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Tokyo, arrondissement d'Arakawa, quartier de Minami-Senju
Kyo et Zenko sont venus me rendre visite en cette fin de soirée après avoir insisté pendant deux heures sur notre groupe WhatsApp afin que j'accepte de leur donner mon adresse. J'ai cédé à condition qu'ils ne restent pas plus d'une heure. Je n'ai pas envie de les impliquer davantage dans ma situation. Et puis, je dois me rendre au Mont Takao avant vingt-trois heures pour accueillir les nouveaux participants de la Snake Race.
— Eurk, c'est encore plus crade que dans mon imagination, s'étouffe Zenko en entrant dans mon appartement. T'es au courant qu'on a changé d'ère et que les hommes aussi peuvent faire le ménage ?
— Surtout ne te retiens pas, lancé-je alors que je cadenasse la porte derrière lui.
Kyo, qui est arrivé plus tôt, est déjà recroquevillé sur mon canapé, les yeux rivés sur son jeu mobile. Quand il s'aperçoit de la présence de Zenko, il fronce les sourcils, marmonne un "salut" désagréable, puis se reconcentre sur son jeu.
Un coup d'œil rapide à Zenko suffit à nous jeter tous les deux sur notre ami afin de lui arracher son téléphone.
— Les gars, putain ! s'énerve Kyo en donnant des coups de pied au hasard.
Zenko intercepte ses mouvements en lui attrapant les chevilles.
— T'as pas intérêt à salir mon pull en cachemir préféré Akashi, parce que je te jure que tu vas le regretter.
Kyo lui balance une nuée d'insultes et se dégage de son emprise.
— Attention, Angry Bird n'est pas content, il pourrait sortir une clope à tout moment, ironisé-je en me penchant par-dessus le canapé.
En effet, la tignasse rouge de Kyo et son caractère grincheux lui ont valu le surnom d'Angry Bird, qui, je dois l'avouer, lui va comme un gant.
— T'imagines, il veut corrompre nos royaux poumons, ajouté-je à l'intention de Zenko.
— On doit trouver une solution avant qu'il ne nous asphyxie, affirme ce dernier d'un ton sérieux.
Kyo se redresse d'un bon et s'échappe à l'autre bout de la pièce.
— Je vous interdis de toucher à mon paquet, grogne-t-il.
— De quel paquet tu parles, mon grand ? pouffé-je sur le point d'exploser de rire.
— J'ai pas spécialement envie de vous voir vous tripoter, alors si c'est ça, je m'en vais, dit Zenko écoeuré.
Je ne peux m'empêcher de passer mon bras autour de son cou pour l'obliger à rester.
— Kazuyo, dégage ! s'écrit-il. Je t'aime bien mais pas dans ce sens-là !
— Fermez-là ! clame Kyo les poings serrés. Ou j'appelle Eiji.
Cette phrase suffit à nous faire taire sur le champ. En effet, je n'ai pas revu celui-ci depuis trois jours, il a dû rentrer chez lui. Eiji est sûrement le plus responsable et adulte d'entre nous, au risque de jouer parfois les rabat-joies.
Il est toujours là pour apaiser les tensions ou stabiliser le niveau d'énergie global du groupe. Il a beau être quelqu'un de très gentil, Kyo, Zenko et moi ne ressentons aucune envie de nous attirer ses foudres.
— Quel est le programme, ce soir ? demande Zenko en passant une main sur ses cheveux bruns impeccablement plaqués.
— Me laisser tranquille, maugrée Kyo.
— Perso, je dois me rendre à la Snake Race tout à l'heure donc dépêchez-vous de trouver une activité avant que je ne vous mette dehors, dis-je en m'affalant la tête en bas sur le canapé.
— Ah oui, la Snake Race, cette course de skateboard qui reprend chaque année en septembre, clarifie Zenko. Il paraît que t'es le champion.
— Deux fois de suite, ajouté-je fièrement. Je suis littéralement le plus fort là-bas.
— Heureusement pour toi que c'est pas une course à l'intelligence, raille Kyo.
— Je te ferais dire que j'ai le QI le plus élevé d'entre-nous ! m'exclamé-je scandalisé.
— A mon avis, t'as mal lu le papier de ton psychiatre, me chambre Zenko. Ce n'est pas "Haut Potentiel Intellectuel" qu'il a écrit, mais "Hyperactif".
— Je ne suis pas hyperactif.
— Oh si, tu l'es, affirme Kyo.
— Une vraie pile électrique, enchaîne Zenko.
— On devrait l'enfermer dans un générateur, se moque Kyo. Il pourrait créer du courant à lui tout seul.
— Je l'imaginais plutôt dans une cage à hamster, fit Zenko l'air pensif. On relie la roue au circuit électrique et quand il la fait tourner, la lumière s'allume.
— Attends, je visualise, dit Kyo.
Celui-ci ferme les yeux et explose de rire.
Mon hyperactivité n'est un secret pour personne, et encore moins pour les professeurs de l'université qui ont eu un mal de chien à capter mon intérêt pendant leurs cours. Certains ont proposé de m'attacher les jambes aux pieds de ma chaise quand d'autres m'ont tout simplement foutu dehors parce que je faisais trop de bruit.
J'ai eu le droit au fameux "arrêtez de vous balancer sur votre chaise", ainsi qu'à l'incroyable "le cours ne se passe pas dehors, monsieur Kazuyo" ou encore au "si vous continuez à vous agiter dans tous les sens, je vous fais passer en fac de sport".
Le pire dans tout ça, c'est que je ne le faisais jamais exprès. J'ai toujours débordé d'énergie, mais je ne pensais pas qu'un jour cela me poserait problème. J'ai fini par aller voir un psychiatre qui m'a diagnostiqué un trouble de l'attention et de l'hyperactivité. Il m'a proposé un traitement médicamenteux que j'ai immédiatement refusé. Ce n'est pas une maladie, je n'ai donc pas besoin de médicament.
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Arakawa est plongé dans l'obscurité lorsque je sors de chez moi après le départ de mes deux amis et que je traverse l'arrondissement en direction du Mont Takao.
Mon skateboard sous les pieds, je mets peu de temps à rejoindre Toshima et ses maisons à l'architecture nippone. A partir de là, je compte monter dans le premier bus qui pourra m'emmener à l'ouest de la ville.
C'est pourquoi je me vêts de mon épais masque noir que je remonte sur mon nez. L'avantage de Tokyo, c'est que la plupart des gens y portent un masque.
Quant au mien, il est un peu différent. Il semble tout droit sorti d'un univers cyberpunk et ses reflets violets font échos à ceux de mes yeux. Je ne suis cependant pas idiot et je n'oublie pas de porter mes lentilles de contact.
Lorsque j'arrive près de Komagome, je suis stoppé par des cris aigus qui retentissent derrière l'angle d'une ruelle. Je fais passer mon skate sous mon bras et penche la tête afin d'apercevoir l'origine de ces éclats de voix. Un groupe de jeunes est attroupé autour d'une chevelure rousse qui leur crache des injures en tentant de s'échapper.
Cette situation n'a rien d'une nouveauté à Tokyo. Les bastonnades de quartier, les agressions sexuelles et le crime organisé sont monnaie courante. Je pourrais donc très bien continuer mon chemin en me disant que ce n'est pas en sauvant un cas que ça changera grand chose. Pourtant, je n'ai pas l'intention de laisser cette pauvre fille aux mains de ces sales types qui ont tout l'air d'étudiants.
Je m'avance, les mains dans mes poches, le visage toujours planqué derrière mon masque, avant de les interpeller :
— Hé, je peux savoir ce que vous foutez ?
Tous tournent leurs sales tronches vers moi tandis que je fais craquer mes phalanges. Je suis seul contre cinq. Pourtant, celui que je suppose être le chef de la bande demande à ses complices de reculer.
Mon masque est plus célèbre que je ne le croyais, surtout dans le coin. Beaucoup de gamins dans ce quartier ont entendu parler de la Snake Race et nombreux sont à vouloir y participer. Ils connaissent donc forcément mon masque associé à mon pseudonyme Yoru, bien qu'ils n'aient aucune idée de mon réel visage. Eh oui, c'est ça l'effet que ça produit d'être le champion.
Cela dit, je n'ai pas l'intention de me battre. Je déteste me battre. Je préfère régler les conflits par une course de skateboard, mais j'ai la forte impression que ces cinq-là n'ont pas envie de se frotter à moi.
Ils finissent par déguerpir à la vitesse de l'éclair, laissant la demoiselle aux longs cheveux roux derrière eux. J'en profite pour m'approcher d'elle afin de m'assurer qu'il ne lui est rien arrivé de grave. Heureusement, elle semble aller bien, elle est juste un peu choquée... et incroyablement mignonne.
Je retire alors mon masque ainsi que ma capuche et je secoue mes cheveux noirs à l'air libre. La jeune fille scrute l'entaille qui parcourt ma joue.
— Par hasard, tu ne serais pas Ace Kazuyo ? me demande-t-elle dans un anglais américain.
Oh, elle m'a vite reconnu. Elle pourrait très bien me dénoncer à la police, mais j'ai le sentiment qu'elle n'en fera rien. Je lui sors alors mon plus beau sourire, ce qui me vaut une expression dépitée de sa part.
— Et toi, tu es...?
Elle hausse un sourcil avant de détourner la tête.
— Une femme en colère, je conclus amusé.
— De toute façon, tu n'as pas besoin de savoir, marmonne-t-elle.
Un porte-clef pend sur l'une des anses de son tote bag et je parviens à y lire un prénom.
— Valia, articulé-je.
Son regard meurtrier me foudroie sur place, et je comprends vite que de nous deux, je suis censé être celui qui craint le plus pour sa vie.
— Bon, j'aimerais y aller, reprend-elle les bras croisés. C'est gentil de m'avoir aidée, mais j'aurais pu m'en sortir toute seule.
— Tu devrais revoir ta manière de remercier les autres, je réplique face à son audace.
— Et toi ta manière de refermer ta braguette.
Je jette un coup d'œil horrifié à mon jean sombre, mais je constate avec soulagement que sa fermeture est bien remontée jusqu'en haut. Je relève la tête et croise le regard moqueur de Valia qui prend un malin plaisir à se foutre de moi. Je ne pouvais pas tomber plus mal. Ça m'apprendra à ne plus me mêler de ce qui ne me regarde pas.
— OK, fiche le camp d'ici et j'espère ne plus jamais te revoir, tranché-je avant de faire demi-tour.
— C'est à moi de décider quand je repars, rétorque-t-elle le menton levé.
Son insolence me donne envie de lui faire ravaler ses mots par la force, mais je sais que la violence, physique ou verbale, n'est jamais la solution. Néanmoins, je ne compte sûrement pas laisser une fille haute comme trois pommes me marcher dessus.
— Il y a deux secondes tu comptais t'enfuir alors je t'en prie, la voie est libre, dis-je en désignant la route.
— Excuse-moi, mais ce n'est pas parce que tu es monsieur Ace Kazuyo que ça te donne le droit de me dire quoi faire.
— Je disais ça pour ta sécurité, idiote ! On ne t'a jamais appris à éviter de traîner seule la nuit ? m'exclamé-je à bout de nerfs.
— Je m'occupe très bien de ma sécurité moi-même ! explose-t-elle à son tour.
— Ben visiblement, non !
Ses yeux verts pétillent de rage, ce qui la rend aussi jolie que flippante. C'est alors que son tote bag se met à bouger tout seul et que le museau d'un drôle d'animal blanc fait son apparaition.
— C'est quoi, ça ? Un genre d'écureuil des neiges ? je grimace.
— Une hermine blanche, répond-elle sèchement.
— Super, dans ce cas, prends ton écureuil et vas-t-en.
— Je n'ai pas d'ordre à recevoir d'un criminel qui en plus n'a même pas les yeux violets.
Des yeux violets ? Comment sait-elle ça, d'abord ?
— Ils le sont, je peux te les montrer !
— C'est super glauque ce que tu dis, tu t'en rends compte ? s'étouffe Valia, écoeurée.
Elle me jette un regard noir et se tire d'un pas résolu.
— Je ne suis pas Nightbreaker !
— Si tu l'es !
— Non ! Et je te raccompagne parce que si tu crèves, c'est moi qu'on va accuser.
J'accours vers elle en soupirant, jusqu'à ce que j'atteigne son niveau. Je remarque qu'elle effectue de petits pas rapides en espérant me distancer.
— T'as raison, en fait tu ne peux pas être Nightbreaker, lâche-t-elle tout à coup.
Intrigué par son affirmation, je demande :
— Ah ouais ? Et pourquoi pas ?
Elle se plante au milieu de la route et se tourne vers moi.
— Parce que t'es qu'un triple idiot. Sincèrement j'ai jamais croisé quelqu'un d'aussi stupide !
Pardon ? Pour qui se prend-elle au juste ? Je viens littéralement de lui sauver la vie, elle n'a quand même pas oublié ?
— Pense ce que tu veux, je te garantie que je suis assez intelligent pour être Nightbreaker, riposté-je en pointant mon crâne du doigt.
— Je croyais que tu ne l'étais pas ?
Elle me tourne le dos et se remet à marcher.
— Mais je ne le suis pas !
Encore une fois, je suis obligé de la rattraper au pas de course. Cette fille est infernale. Je pensais que Kyo était le pire dans la catégorie "têtu", mais il s'avère que j'étais loin du compte.
— Ne m'approche pas, connard, peste Valia tout bas.
— Je ne t'ai même pas encore insultée et tu me traites de connard ? m'exclamé-je outré.
— Comment ça "pas encore" ? Parce que tu comptais m'insulter en plus ? s'écrie-t-elle en attrapant le col de ma veste.
— C'est pas possible, tu le fais exprès d'être aussi chiante ?
— Et toi tu le fais exprès d'être aussi con ?
Cette fois, c'en est trop. Elle n'a pas besoin de moi ? Tant pis pour elle, elle va se démerder comme une grande puisque c'est ce qu'elle veut.
— OK, concédé-je en la repoussant. T'as qu'à rentrer chez toi toute seule, mais ne viens pas pleurer si un timbré te demande un petit bisou de bonne nuit.
La mâchoire contractée, je rabats ma capuche et remonte sur mon skate. Toutefois, je garde une allure suffisamment lente afin ne pas trop m'éloigner d'elle. Je parierais n'importe quoi qu'elle va réfléchir à ce que je viens de lui dire, constater que j'ai raison, prendre peur, et pour finir en beauté, m'appeler dans trois, deux, un...
— Ace ?
Qu'est-ce que je disais.
Mes lèvres s'étirent et je lance :
— J'arrive.
⋆.˚ ☾ .⭒˚
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