03 | Valia.

"𝑳𝒆 𝒈𝒓𝒂𝒏𝒅 𝒋𝒐𝒖𝒓 𝒃𝒍𝒂𝒏𝒄 𝒎𝒆 𝒅𝒆́𝒏𝒖𝒅𝒆 𝒍'𝒂̂𝒎𝒆 - 𝒇𝒆𝒖𝒊𝒍𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒓𝒕𝒆𝒔"
𝑾𝒂𝒕𝒂𝒏𝒂𝒃𝒆 𝑺𝒖𝒊𝒉𝒂



𝑽𝑨𝑳𝑰𝑨


Tokyo, arrondissement de Toshima, auberge

— Je vous ai déjà dit non. Partez ou j'appelle la police !

— Vous vous foutez de moi ? fulminé-je en tentant de contourner le quinquagénaire qui me barre le passage. J'ai payé pour cette nuit alors vous avez intérêt à me laisser entrer !

— Il est bien écrit sur le site que nous n'autorisons pas les allers et venues des clients après vingt-deux heures. Désolé mais c'est trop tard.

Le gérant de l'auberge me claque la porte au nez sans la moindre pitié. Quel bel enfoiré. Cette journée est définitivement une catastrophe. A peine arrivée dans une ville inconnue, que je me retrouve déjà à la rue, sans argent, ni nourriture. Il est clair que le karma a ses favoris.

J'accepte de laisser Sukie sortir de ma veste afin qu'elle puisse grimper sur mon épaule. Ses moustaches me chatouillent la joue chaque fois qu'elle remue sa petite tête. Elle semble intriguée par tout ce qu'il se passe autour d'elle.

A vrai dire, elle n'a pas l'habitude de voyager. Après un an à mes côtés, les seuls endroits qu'elle a côtoyés sont la maison de mes parents, ma chambre et le jardin. En somme, rien d'extraordinaire.

Contrairement à Shibuya, le centre de l'arrondissement de Toshima est beaucoup moins lumineux et animé. Je croise des sans-abris assis devant les magasins qui n'ouvriront leurs portes qu'au matin. Je traverse des rues étroites dont les pavés trempés réfléchissent à peine la lumière tamisée des enseignes multicolores.

De larges affiches publicitaires à moitié déchirées s'étendent sur les façades des bâtiments déformés par la pollution et le temps. De nombreux câbles électriques se tressent aux gouttières rouillées qui serpentent le long des immeubles avachis.

Un cycliste manque de me renverser lorsqu'il passe à côté de moi à une allure folle sans prendre la peine de s'excuser. Je marmonne un juron et souffle bruyamment avant de me concentrer de nouveau sur la route.

Après avoir demandé mon chemin à un couple qui – pour mon plus grand soulagement – parlait anglais, j'arrive à Komagome, le quartier dans lequel se trouve l'appartement que je suis censée occuper pour le reste de l'année.

Je ne me souviens plus de sa localisation exacte, et je ne peux pas effectuer de recherche sur mon téléphone étant donné que sa batterie est à plat.

La bonne nouvelle, c'est que ce quartier de Toshima est plus sympa que le précédent. Quelques arbres se tiennent maladroitement près des lampadaires qui habillent les ruelles. Le goudron sous mes pieds est étonnamment propre et les marquages ont été repeints récemment.

Je scrute les résidences qui défilent devant moi et je repère des maisons traditionnelles japonaises avec leur structure en bois surélevée et leur toit de tuiles.

Un chat noir s'échappe par-dessus un muret et vient miauler contre mes mollets. Je pose ma valise et mon skateboard au beau milieu de la rue afin de le prendre dans mes bras.

Je comprends rapidement que le matou est davantage intéressé par Sukie que par moi. Mon hermine le renifle durant une bonne minute avant de lui asséner un coup de griffe non mérité.

— Sukie ! je m'exclame en reposant le chat sur ses pattes.

Mon hermine grogne et décide de se cacher dans la capuche de ma veste.

— Tu abuses, soufflé-je en m'asseyant sur les marches d'un escalier de pierre.

Je suppose qu'il ne me reste plus qu'à attendre que ma future colocataire se pointe demain après-midi avec les clefs de l'appartement. C'est pour cette raison que j'avais réservé une nuit dans une auberge, je savais que ma coloc' ne serait pas là pour m'accueillir ce soir.

Toutefois, je n'avais pas prévu le fait que le gérant de l'auberge serait un abruti fini. Tant pis, je passerai la nuit dehors, en espérant que l'air glacial ne me dévore pas les membres pendant mon sommeil.

— Est-ce que je peux t'aider ?

Je sursaute presque au son de cette voix. Une jeune femme se tient derrière moi, debout sur les marches, l'air inquiet. Les réverbères éclairent sa peau brune et ses épais cheveux frisés qui tombent en cascade sur ses épaules.

— Non, ça va aller, j'attends quelqu'un, je réponds avec un demi-sourire.

— C'est vrai ? Moi aussi. Je peux attendre avec toi ?

Sa proposition ne me fait ni chaud ni froid.

— Pourquoi pas, dis-je en haussant les épaules.

L'inconnue s'assoit à côté de moi, les coudes sur les genoux.

— D'où tu viens ?

D'abord surprise par sa question, je me retiens de lui répondre un "qu'est-ce que ça peut te faire ?". Après tout, elle n'a pas l'air méchante, peut-être juste un peu pot de colle.

— New Haven dans le Connecticut.

— Je m'en doutais, je t'ai entendue parler anglais, avoue-t-elle en enroulant une mèche de cheveux autour de son doigt. Qui est Sukie ?

Et voilà pourquoi je déteste parler avec des inconnus. Ils se mêlent toujours de ce qui ne les regarde pas, posent trop de questions inutiles et finissent par me coller à la peau comme des sangsues. S'il y a bien deux choses que je refuse de donner, ce sont mon intimité et mon espace vital.

— Excuse-moi, se reprend la jeune femme à la vue de mon expression renfrognée. Je suis un peu stressée ce soir, je dois accueillir ma nouvelle coloc', mais elle a disparu. Elle ne répond pas à mes messages depuis plus de deux jours.

Sur ces mots, un éclair fuse à l'intérieur de mon esprit et ma gorge se comprime. Je murmure :

— Sky Moanaiti ?

Ses yeux s'écarquillent tandis qu'elle plaque une main devant sa bouche.

— Valia Whealin ?

Je cligne des yeux une bonne dizaine de fois le temps que mon cerveau assimile ce qui est en train de produire.

Et j'éclate de rire. Sky explose à son tour et nous nous retrouvons comme deux idiotes à nous tordre dans tous les sens au beau milieu de la nuit.

Une fois que nous avons repris notre souffle, Sky m'aide à faire grimper ma valise et mon skateboard jusqu'en haut des escaliers.

Je lui explique que j'ai changé de numéro de téléphone juste avant mon départ pour le Japon et que j'ai oublié de la prévenir. Pas très futé de ma part, je vous l'accorde. En entrant dans l'appartement, Sky me demande :

— Alors, qui est Sukie ?

Mon hermine sort la tête de ma capuche en entendant son nom. Sky la fixe avec horreur, paralysée comme si elle avait vu un revenant.

— Va-Valia... Surtout ne crie pas, mais... il y a une souris géante sur ton épaule, chuchote-t-elle en pointant Sukie du doigt.

Sky recule instinctivement jusqu'à ce qu'elle se cogne contre une étagère.

— C'est mon hermine, je la corrige en retenant un rire. Sukie.

— Ta quoi ? s'exclame-t-elle terrifiée. Elle v-va vivre avec nous ?

— Tu m'avais dit que les animaux étaient autorisés.

— Oui... Mais jamais je n'aurais pensé à ça.

Ma nouvelle coloc' se frotte les yeux et secoue la tête pour reprendre ses esprits.

— Elle a intérêt à rester de ton côté de la chambre, ajoute-t-elle plus calmement.

J'acquiesce brièvement et fais rouler ma valise jusqu'à mon lit sur lequel je dépose mon sac à dos. L'appartement est en réalité un studio séparé en deux à l'aide d'un rideau rose.

D'un côté, on y trouve la pièce à vivre et de l'autre, notre chambre. Sky a installé une commode en bois clair au centre de la pièce afin de nous donner à chacune un espace personnel.

Des coquillages décorent les étagères remplies de bibelots et les murs sont parcourus de cadres photos et de polaroïds représentant des groupes d'amis ainsi que des plages et des palmiers.

— C'est Sydney, m'informe Sky alors que je m'attarde sur l'image d'une ville en bord de mer. Et là, Tahiti, ajoute-t-elle en désignant une autre photo. Je suis Australienne, mais mon père est né et a vécu à Tahiti. J'ai toujours adoré cette île, je la trouve magnifique.

En effet, maintenant que j'y fais attention, les boucles brunes de Sky présentent de légers reflets couleur sable. Je les trouve superbes. Non pas que j'aimerais avoir les mêmes, je suis très fière de mes cheveux roux, bien qu'ils aient été un sujet de moquerie à l'école élémentaire et même au collège. Tout comme mon poids d'ailleurs.

Mes parents ont été et sont toujours les premiers à me rabâcher qu'il faut que je maigrisse. Que mon poids est trop élevé pour mon mètre cinquante-sept. Que porter des vêtements taille L voire XL  à presque vingt ans est inacceptable.

J'ai toujours pensé que mes parents étaient de parfaits imbéciles alors leurs commentaires déplacés me passent bien au-dessus. J'aime mes rondeurs, mes formes généreuses et le premier qui y trouve un truc à redire se prend mon poing dans la figure.

— Au fait Valia, m'interpelle Sky. Évite de traîner seule dans Tokyo, surtout en ce moment. Heureusement que je t'ai trouvée avant qu'il ne t'arrive quoi que ce soit.

Je repense au message que j'ai entendu à la gare de Shibuya il y a quelques heures.

— A cause de Nightbreaker, c'est ça ?

— Exact, affirme-t-elle en me tendant un verre d'eau. On ne connaît toujours pas son identité ni l'endroit où il se cache. Je te demande seulement de faire attention quand tu sors.

— Il a vraiment les yeux violets ? je demande curieuse.

A vrai dire, j'ai beaucoup de mal à y croire.

— Non. Enfin, c'est une histoire compliqué, répond ma coloc' en me faisant signe de m'asseoir sur le lit.

Je m'installe sur les couvertures et avale mon verre d'eau d'une traite.

— Celui que la police traque s'appelle Ace Kazuyo, reprend Sky. Il n'a pas les yeux entièrement violets, je te rassure. Lui et sa bande d'amis sont à l'Université de Tokyo alors je les connais un peu. Ace a été mis en examen il y a six mois, quand on a découvert le corps de la première victime de Nightbreaker. Apparemment, Ace se tenait près d'elle avec l'arme du crime entre les mains. Mais je suis persuadée qu'il ne l'a pas tué. Tout le monde connaît Ace à la fac et on sait tous que c'est impossible. Jamais il ne ferait une chose pareille. La police, par contre, n'est pas de notre avis. Elle continue de traquer un innocent alors que le coupable se trouve ailleurs.

D'une certaine façon, je comprends la police. Difficile de ne pas accuser quelqu'un qu'on surprend en flagrant délit en possession de l'arme du crime. Et puis, Sky ne semble pas avoir de preuves qui démontrent l'innocence de cet Ace.

— Il y a eu d'autres victimes ensuite ? m'enquiers-je la gorge nouée.

— Quatre, murmure Sky le menton baissé. Tous des étudiants de l'Université de Tokyo.

Cette dernière information me provoque un haut-le-cœur que je peine à cacher. Peut-être que je suis plus liée à Nightbreaker que je ne le croyais. Peut-être que c'est lui qui m'a pris mon frère.

Après tout, Mike était aussi un étudiant de l'Université de Tokyo.

Non, mon frère est mort parce qu'il a été mêlé à un règlement de compte. Je le sais parfaitement bien.

D'ailleurs, c'est pour lui que je me suis envolée au Japon en emportant son skateboard fétiche. Mon frère adorait ce pays, et il y a trois ans et demi, il a pris la décision de poursuivre ses études à Tokyo.

Après sa mort, j'ai attendu de terminer ma première année en chimie à Yale avant de suivre ses traces. Je voulais comprendre ce qu'il aimait autant dans ce pays pour m'en parler avec des milliers d'étoiles dans les yeux. En fin de compte, c'est ma manière à moi de lui rendre hommage.

— Tout ça pour te dire qu'il vaut mieux éviter certains arrondissements, poursuit Sky. Taitō et Arakawa en particulier. Ils ne sont pas très loin de l'Université,  mais ce n'est pas pour autant qu'il faut y aller. Je te déconseille aussi ceux qui sont trop éloignés du centre comme Ōta et Adachi.

Je note leurs noms dans un coin de mon esprit. J'espère un jour pouvoir réciter les vingt-trois arrondissements de Tokyo par cœur et les placer sur une carte. En tout cas, pour le moment, ce n'est pas gagné.

Dans la cuisine, Sky se met à préparer le repas tout en me donnant des recommandations de lieux à visiter. Elle me fait télécharger l'application Tokyo Metro afin de m'éviter de me perdre dans le labyrinthe du métro tokyoïte.

Je l'écoute d'une oreille, mes pensées étant accaparées par un tout autre sujet.

Ace Kazuyo.

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Bonsoir les Breakers !
Oui j'ai décidé de ce surnom pour cette era et vous n'allez rien faire hahahaha

Avez vous aimé ce chapitre ? La rencontre avec Sky ? Sukie ? Cette petite hermine est le meilleur personnage, personne ne peut rivaliser avec sa bouille. Genre -

Bref, adoptez des hermines ! Mais le hic c'est qu'apparemment, elles ne sentent pas très bon, un peu comme les furets... Et elles mangent des petits rongeurs... RIP les rats de Paris 😔🪦

Lily 🍂

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