𝟣𝟥 | 𝖥𝗅𝖺𝗌𝗁𝖻𝖺𝖼𝗄.
ACE
⋆.˚ ☾ .⭒˚
3 ans plus tôt, octobre 2021
Tokyo, arrondissement de Taitō, quartier de San'ya
Cela fait maintenant trois jours que je ne suis pas rentré à la maison, sans compter que j'ai évidemment séché le lycée. Je ne possède aucune excuse à offrir à Obaasan une fois que j'aurais passé le pas de cette foutue porte d'entrée. Je n'ai pas le choix. Je refuse de dormir dehors cette nuit, alors je dois affronter ma grand-mère.
— Je...
Je viens tout juste d'ouvrir la porte et je reçois déjà un saladier dans la figure. Il fallait m'y attendre, je vais probablement passer la soirée à me faire sermonner.
— La prochaine fois, n'envisage même pas d'entrer ! tonne Obaasan en trottinant vers moi, prête à me fouetter d'un coup de torchon. Ta sœur se retrouve seule pour m'aider ! Je te rappelle que tu es censé être l'homme de la maison, Yoru !
Non. Je ne peux pas être l'homme de la maison. Je ne veux pas être l'homme de la maison. Ce rôle appartenait à mon père, mais il a fui la pauvreté avec ma mère, nous abandonnant Mitzuki et moi chez nos grands-parents.
Mon grand-père a récupéré le titre d'"homme de la maison", et ce, jusqu'à sa mort, il y a six ans. Depuis, Obaasan cherche en moi un pilier capable de stabiliser notre vie à trois. L'inconvénient, c'est que je suis tout sauf stable.
Je tire le fusuma qui sépare la pièce principale de la chambre de Mitzuki, laquelle porte toujours son uniforme scolaire et a les yeux rivés sur ses devoirs.
— Ace !
Ma petite sœur se jette dans mes bras et m'enlace à m'étouffer. Ses cheveux bruns, bien que courts, viennent me fouetter le visage. Ses yeux bleus, caractéristiques de notre famille, brillent de joie.
— Tsuki, comment vas-tu ?
— J'ai adopté un lézard, m'annonce-t-elle fièrement.
— Un lézard, répété-je en clignant des yeux d'incompréhension.
— En fait, il est chez Yuki, je vais manger chez elle ce soir.
— Oh, tu passeras le bonjour à Eiji.
Je m'empresse d'envoyer un message à mon meilleur ami pour lui signifier mon plus grand intérêt envers la bestiole qui réside désormais chez lui.
Moi : 𝙸𝚕 𝚙𝚊𝚛𝚊𝚒𝚝 𝚚𝚞𝚎 𝚝𝚊 𝚋𝚊𝚛𝚊𝚚𝚞𝚎 𝚜'𝚎𝚜𝚝 𝚝𝚛𝚊𝚗𝚜𝚏𝚘𝚛𝚖𝚎́𝚎 𝚎𝚗 𝚟𝚒𝚟𝚊𝚛𝚒𝚞𝚖.
Eiji 🌊 : 𝙼'𝚎𝚗 𝚙𝚊𝚛𝚕𝚎 𝚙𝚊𝚜, 𝚌𝚎 𝚝𝚛𝚞𝚌 𝚑𝚊𝚋𝚒𝚝𝚎 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚖𝚊 𝚌𝚑𝚊𝚖𝚋𝚛𝚎. *𝚒𝚖𝚊𝚐𝚎*
Moi : 𝚃𝚛𝚘𝚙 𝚖𝚒𝚐𝚗𝚘𝚗 𝚝𝚘𝚗 𝚗𝚘𝚞𝚟𝚎𝚕
𝚊𝚗𝚒𝚖𝚊𝚕 𝚍𝚎 𝚌𝚘𝚖𝚙𝚊𝚐𝚗𝚒𝚎.
— J'ai besoin que tu m'aides pour mes devoirs, réclame Mitzuki, alors que j'ai encore le nez sur mon téléphone. Je dois les terminer avant de partir chez Yuki.
— Quelle matière ?
— Mathématiques, marmonne-t-elle.
Cela ne présage rien de bon. Mitzuki déteste les maths, et quand il s'agit de les réviser, elle devient alors très, très désagréable. Elle refuse de demander de l'aide à ses camarades, car elle a peur de passer pour une idiote. Pourtant, elle est première de sa classe depuis des années.
Travailler représente son quotidien. Chaque fois que je rentre à la maison, je la retrouve affalée sur sa chaise de bureau, la tête plongée dans ses livres scolaires. Les seules sorties qu'elle s'autorise sont celles chez Yuki, l'une de ses meilleures amies.
De mon côté, je n'ai jamais eu de difficultés à l'école, j'ai toujours eu de bonnes notes sans effort. J'ai eu la chance de naître doté d'un esprit logique et qui comprend rapidement. Les maths n'ont aucun secret pour moi, et c'est pour cela que j'ai reçu le titre de "professeur particulier personnel de Mitzuki."
— Quel est le programme de ce soir ? lui demandé-je une fois notre cours improvisé terminé.
— On a prévu de faire un live cooking sur Instagram, répond-elle ravie. Madame Shimo a acheté les ingrédients nécessaires pour préparer du yaki curry.
— Tu pourras m'en ramener ? tenté-je de la soudoyer.
— Seulement si tu es sage avec Obaasan, se moque-t-elle.
Je lui adresse un regard blasé et elle éclate de rire. J'adore la voir ainsi, cela me donne immédiatement le sourire aux lèvres.
La plupart des petites sœurs se révèlent insupportables au cours de leur croissance, et Mitzuki n'en fait pas exception. Étant donné que Obaasan la préfère – et de loin – à moi, elle ne l'a jamais remise à sa place.
J'ai donc été obligé de la torturer à coups de chatouilles, de vol de peluches et parfois même de pistolet à eau. Pour ma défense, elle a essayé de me noyer dans une piscine publique il y a deux ans. Bon, je me suis peut-être un peu laissé couler pour lui faire plaisir, mais tout de même !
Au Shogakkō, je lui ai fait croire que je l'avais vendue aux enchères sur Internet pour cinq mille yens. Elle a été plus choquée par le prix aussi bas qu'on lui avait attribué, que par sa mise aux enchères elle-même. J'ai poussé la blague jusqu'à demander à Eiji de se déguiser en kidnappeur et de venir l'enlever.
Lorsqu'il est arrivé chez nous, Mitzuki était tellement blasée par son déguisement affreusement raté, qu'elle s'est elle-même passé les menottes en soupirant.
Ce que j'aime chez elle, c'est que rien ne peut lui retirer son sourire. Un jour, elle a déclaré que tout le monde devrait être heureux, que chaque être humain le méritait. Elle s'est donc donné l'objectif de devenir psychologue afin de rendre leur sourire à ceux qui l'ont perdu. J'espère qu'elle réalisera son rêve.
Je me demande ce que ça fait d'avoir un but dans la vie. Une vocation à laquelle on est destiné. Que ce soit au lycée ou en dehors, je n'ai pas trouvé de but à atteindre, de désir à accomplir.
Bien sûr, j'ai des hobbies comme le skateboard, regarder des films ou la pâtisserie. Mais mis à part les petits tournois de quartiers, les compétitions de skate n'existent pas, ou du moins, pas à ma connaissance. Quant au visionnage de film ou à la pâtisserie, je ne pense pas trouver de championnats intéressants dans ces domaines.
Eiji, lui, a le hockey sur glace, les inter-lycées, les tournois d'hiver. Peut-être que je devrais me mettre à ce sport finalement. Quoique, je ne serais probablement pas assidu aux entraînements ; j'ai déjà du mal à me présenter au lycée qui est pourtant obligatoire.
Les cours ne m'intéressent pas, l'université non plus, d'ailleurs. Les professeurs me rabâchent tous les jours que les études sont importantes si je veux trouver un métier digne de ce nom, et que mon dossier doit être irréprochable si je souhaite, ne serait-ce que candidater dans une bonne université.
La seule matière qui pourrait m'intéresser dans le supérieur est l'astronomie. Je n'ai que faire du reste.
Obaasan ne comprend pas ce manque d'intérêt. Elle dit qu'il est de mon devoir d'aider la famille à remonter la pente financièrement, et que pour cela, les études sont nécessaires. Si jamais un jour, je me retrouve les pieds dans une université, ce sera uniquement à cause d'elle.
Toutefois, je ne suis pas idiot. Je suis au courant que notre situation financière est au plus bas et je ne peux évidemment pas laisser ma sœur et ma grand-mère ainsi. Cela dure depuis des années.
Lors de ma première année au Shogakko, mes parents nous ont laissés, ma sœur et moi à nos grands-parents, car ils ne pouvaient plus subvenir à nos besoins. Puis mon grand-père est décédé lorsque j'avais douze ans, laissant ma grand-mère sans le sou. C'est à cette époque que j'ai découvert le skateboard en traînant dans la rue.
Dès mon entrée au lycée, j'ai pris l'habitude de déserter la maison pour ne plus être un fardeau. Je me suis dit que si je prenais un minimum d'indépendance, Obaasan aurait moins de poids sur sa conscience. Une idée pour le moins idiote et qui n'aura servi à rien.
— Dis à ta sœur de rentrer avant onze heures, m'ordonne ma grand-mère alors que j'aspire bruyamment mes nouilles.
Je hoche la tête en fixant mon bol presque vide. J'espère que Mitzuki me ramènera une part de yaki curry à son retour.
— Et mange moins vite, me réprimande-t-elle. Tu vas te rendre malade.
— En parlant de ça, est-ce que ton état s'améliore ? me risqué-je à demander.
— Si tu t'inquiètes vraiment pour moi, tu ferais mieux de cesser de disparaître du jour au lendemain, tranche-t-elle en déposant ses baguettes sur la table.
— Tu me répètes toujours la même chose, grommelé-je en soupirant.
— Parce que tu agis toujours comme un enfant.
Comprenant que la conversation ne fera que tourner en rond, je débarrasse mes affaires de la petite table et les jette sans ménagement dans l'évier. Je lave rapidement ma vaisselle, puis je détale dans la chambre de Mitzuki, désormais vide de sa présence.
Je me laisse tomber en arrière sur son futon, bien plus confortable que le mien et je scrolle sur mon téléphone à la recherche d'une image drôle à envoyer aux Quatre Éléments.
Le contenu qui défile concerne en grande majorité le skateboard, que ce soit des vidéos de downhill, de la mécanique, ou encore des tricks dans la rue. En bas de la page web, je tombe sur un lien qui attire mon attention.
Skateboard : Une Descente aux Enfers à Tokyo
Je clique dessus et un forum s'affiche sous mes yeux. Des dizaines de personnes échangent des questions et des impressions sur un défi nommé Snake Race.
D'après ce qui est écrit, il s'agit d'une dangereuse course de skateboard qui aurait lieu au Mont Takao, à Hachioji, une ville située à l'ouest de la préfecture de Tokyo. En transport, il est facile d'y accéder.
Mon cœur se met à palpiter plus fort au fond de ma poitrine lorsque je lis les mots "sponsors", "Grand Prix", et "1,5 Millions de yens".
Aussitôt, je me redresse sur le futon, avec une idée des plus insensées en tête. Je dois remporter cette foutue course quoi qu'il m'en coûte. Seul problème : il faut avoir dix-huit au moment des qualifications... Et je n'ai pas encore l'âge requis. Tant pis, ça ne me coûte rien de me présenter là-bas pour voir à quoi ressemble cette fameuse Snake Race.
J'attrape mon skateboard en quatrième vitesse, lace mes chaussures et sors de la maison en trombe. En chemin, je reçois un selfie de Mitzuki en compagnie de Yuki et du lézard, suivi d'une photo d'Eiji qui tient une manette de jeux vidéo dans sa main, tandis qu'il tente de se cacher le visage de l'autre.
Je m'esclaffe en remontant ma capuche sur ma tête. J'ai hâte de voir la tête que mon meilleur ami va tirer quand je lui raconterai que j'ai la possibilité de remporter plus d'un million de yens.
Je n'arrive pas à croire que dans ce monde injuste, on me donne une chance de pouvoir considérablement aider ma famille. Dès que j'aurais dix-huit ans, je remporterai la Snake Race et son Grand Prix. J'en fais le serment.
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