28. To forget (c)


Nathan

Tranquillement, je mets mes gants, mon bonnet et mon casque sur mes oreilles. J'enclenche ma playlist et enfourche mon vélo. Je ne sais pas mais ce matin j'ai envie de faire un petit tour à vélo avant de me rendre au lycée. Histoire de retarder l'échéance.

Même si j'ai passé un super week-end en compagnie de Todd et Olie, je ne peux pas m'empêcher de penser au message que Ash m'a envoyé samedi soir, tard dans la nuit. Il veut qu'on parle et je pense que c'est une bonne idée. On en a besoin tous les deux. Sauf que le ton employé dans son message, sans smiley, sans appel à la discussion, me fout légèrement les jetons. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai répondu à mon tour, par quelque chose de simple et qui ne portait pas à continuer de s'envoyer des messages.

Je traine un peu dans mon quartier, puis je prends la route qui mène vers Pacific High School. Lorsque j'arrive devant pour garer mon vélo, je vois toute notre équipe au coin fumeur, s'agiter et parler ensemble. Seul Ash semble un peu écarté et dans son monde. Il porte ses lunettes de vue toutes fines sur son nez qui lui donne un air sexy. Je l'observe regarder son portable, faisant tomber quelques mèches de ses cheveux bruns sur son front. Puis sa bouche se tord en grimace. Il tire longuement sur sa clope, tout en relevant les yeux vers le ciel. Je ne peux pas m'empêcher de le trouver beau encore une fois.

En fermant mon antivol sur ma roue, je me sermonne. Il ne faut pas que je pense à une telle chose, alors que sa mine paraît triste et sombre en me voyant devant lui, avancer. Tout à coup, les mots qu'ils m'a envoyé samedi soir, prennent un sens. Mon cœur bat vite dans ma poitrine. Je pense savoir ce qu'il veut me dire. Et dans un coin de ma tête, je me rappelle lui avoir dit qu'il était courageux. À présent, en me préparant à ces mots, je ne peux m'empêcher de le trouver à l'exact opposé de cette qualification. Mais je me souviens vite que si jamais il prononce ces mots auxquels je pense si fort, c'est que c'est sa décision et qu'en tant qu'ami, je ne peux que la respecter. Également être d'accord, théoriquement. Pourtant, je pense sincèrement que je ne le suis pas, même si c'est la meilleure chose à faire, en somme.

Je m'avance doucement vers le groupe, les mains tremblantes et les yeux figés dans ceux de Ash. Il ne me lâche pas du regard. Ses yeux continuent de me brûler la nuque, lorsque je fais la bise à tout le monde. Il me guette. J'ai envie de lui dire que ce n'est pas la peine de m'épier de cette façon si flagrante et brute, parce que j'arrive bientôt en face de lui, mais Paul me retient sur place.

— Alors tu t'es bien amusé dans ton salon de tattoo, samedi ?

Je jette un léger coup d'oeil vers Iliana qui se trouve dans les bras de Marcus. Elle me sourit, mais ça ressemble plus à une grimace. Ensuite, je risque un regard à Ash, qui a soudainement décidé de ne plus me regarder bizarrement.

Je fais de nouveau face à Paul, qui attend ma réponse, un sourire amical sur le visage. Je passe ma langue sur mes lèvres, ayant envie d'une cigarette moi aussi. Seulement, je vais devoir lui répondre avant de me saisir d'une de mes clopes et assouvir mon désir de nicotine dans mes poumons.

— Ouais. J'ai fait un essai de tatouage.

Je suis légèrement gêné parce que je n'ai parlé qu'à Ash et Iliana, de mon projet de devenir tatoueur dans les prochaines années venir. Les autres savent seulement que je travaille dans un salon de tatouage. Bon, je suppose que c'est le moment de leur en parler.

Le sourire de Paul s'agrandit et ses yeux pétillent. Je ne peux retenir mon petit rire.

— Mon pote, il se passe quoi dans ta tête là ?

— C'est l'explosion ! ricane Marcus.

— Ou plutôt le bug total, renchérit Luke.

Paul les ignore et me donne une tape sur l'épaule, tout en me faisant signe de me baisser vers lui. Puis, il me chuchote :

— Mec, j'ai toujours rêvé d'avoir un tatouage sur les fesses.

C'est à ce moment-là que j'éclate de rire. Tout le monde nous observe, pour bientôt me questionner sur les propos que Paul m'a sagement glissé à l'oreille. Je fais celui qui ne dira rien. Le concerné des commérages me fait un clin d'oeil, lui.

— En vrai, ça fait viril vous ne trouvez pas ? se rattrape Paul.

Iliana lève les yeux au ciel, en pouffant de rire. Les gars, eux, acquiescent silencieusement avant de revenir à leur occupation. Marcus taquine tranquillement Iliana. Quand je les vois tous les deux, je souris grandement. Ils sont beaux et vont très bien ensemble. Je suis sûr que ça durera.

Paul attire encore mon attention.

— Tu promets de me tatouer un jour, hein ?

— Ouais, mais je ne toucherai pas à tes fesses.

Le groupe arrête soudainement de parler entre eux, pour éclater de rire. Marcus et Luke le traitent d'obsédé et de débile, tandis que les filles semblent écœuré. Pourtant, j'ai déjà vu des types ou des filles se faire tatouer ici, et pas qu'une fois.

Ash n'a toujours pas parlé et ça m'inquiète de le sentir aussi silencieux. D'habitude, il participe et c'est parfois le premier à se moquer des autres. Toujours dans la gentillesse et la finesse. C'est pour ça, que lorsque j'arrive devant lui, je lui arrache sa cigarette de la bouche. Il me regarde, choqué, prendre une bouffée puis l'écraser sur le sol avec le bout de ma botte. Sans lui dire un seul mot, je lui attrape la main et l'attire à l'intérieur du lycée.

Je ne m'arrête pas au hall, non, je grimpe les deux étages, Ash à mes talons. Nous arrivons bientôt devant la porte qui donne sur le toit du lycée. Je n'hésite pas, je l'ouvre et nous enferme derrière, le vent fouettant violemment ma joue. Je suis content d'avoir enfilé un bonnet ce matin, dis-donc.

Ash se tient à quelque pas, dos à moi. Il ne parle toujours pas. Tout à coup, je prends le temps de me souvenir de la dernière fois où nous étions ici, lui et moi. C'était notre première vraie dispute, mais c'est également sur ce toit que nous avons mis en place des règles pour éviter de nous faire griller auprès de tout le monde. Elles ont dû marcher parce que je n'ai pas entendu de chuchotements dans les couloirs, ni même de plaintes de la part de Matt, depuis. Heureusement. Et puis...

Et puis, de toute façon, j'ai l'impression que bientôt nous n'en aurons plus besoin.

Mon cœur s'agite à une allure impressionnante à l'intérieur de ma poitrine, quand j'esquisse quelques pas vers Ash. À l'entente du bruit que font mes pas dans les graviers, Ash se retourne doucement. L'air froid qu'il arbore me dissuade de faire un autre pas. Je me sens mal tout à coup.

— Alors... ? Tu ne peux pas continuer à m'ignorer ou à seulement me fixer sans dire un mot, comme tu l'as fait tout de suite, Ash. Je suis là devant toi, maintenant à toi de me dire ce dont tu as envie de parler.

Ses yeux se figent aux miens. Contrairement à son expression du visage qui ne laisse rien paraître de bon, son regard le trahit. Il est désespérément perdu et triste. Ses yeux marrons reflètent le mal qu'il ressent lui aussi.

Ce mal qui est indispensable et envisageable pour lui.

Je reste silencieux en attendant sa réponse. Sauf qu'il reste muet. Nous nous affrontons du regard durant ce qui me semble une éternité, puis je ne tiens plus. Je franchis la distance qui nous sépare. Nos lèvres se frôlent. Je n'ai qu'à me pencher pour l'embrasser. Ash pense à la même chose, ses yeux s'enflamment.

Brutalement, c'est à son tour de me repousser durement. Je recule de quelques pas sous le choc. Je serre les poings, la colère se mêlant à mon sentiment de surprise. Je ne tiens plus, j'ai besoin de savoir. Besoin de savoir ce qu'il a à me dire et surtout savoir si ça aura un quelconque impact sur notre amitié. Notre amitié qui est si précieuse et qui ne tient qu'à un fil, à présent. Par notre faute.

— Tu veux bien me parler, Ash ?

— Maintenant, tu veux que je te parle ?

Il a l'air autant en colère que moi. Je fronce les sourcils. Je ne comprends pas pourquoi il s'en prend à moi sur ce sujet. De nous deux, c'est lui qui s'est fait le plus distant et niveau durée, il m'a surpassé.

— C'est toi qui m'a dit qu'on devait parler, tu te rappelle ? Tu te dégonfle ?

Ash rompt la distance à son tour, et serre ses points sur le col de mon manteau. Nos nez se touchent, tellement nous sommes près. Rien qu'à sentir son souffle contre mon visage, sa peau contre la mienne, la chaleur s'infiltre en moi et me consume littéralement. Je pousse un cri de rage pour évacuer toutes ces sensations dont je ne veux pas la présence, là, tout de suite.

Ash me relâche aussitôt, un air inquiet sur le visage à présent.

— Excuse-moi.

Je serre les mâchoires. Il a choisi d'être lunatique ce matin et de me faire chier par la même occasion ? Putain, je ressens tellement de sentiments contradictoires en moi. Est-ce que c'est ça qu'on ressent quand quelque chose se fissure ? Quand une relation se froisse, se casse la gueule ?

Je ferme les yeux, submergé. Mais surtout, je ne peux pas regarder Ash quand il me dira ce qu'il peine tant à me dire.

— Arrête Ash et crache le morceau, s'il te plait, je lâche à bout de souffle.

Je l'entends respirer un bon coup. Puis, il lâche d'une voix tremblante :

— Je veux qu'on arrête.

Je ferme si fort les yeux, lorsque les mots franchissent ses lèvres, et le son se porte jusqu'à mes oreilles, comme si je voulais me protéger de l'impact qu'ils auront sur moi. Mes muscles se crispent et mon cœur rate un battement. Mais ça se fait si rapidement, que je ne sens rien.

Non, je ne sens rien. Plus rien.

— Je suis désolée Nat, mais nous ne pouvons pas continuer les baisers en cachette, les taquineries sur ce genre de chose et les nuits beaucoup trop intimes que nous avons passé ensemble jusqu'à présent.

C'est maintenant. Je sens tout. Absolument tout.

J'entends au loin dans ma tête, un cri grave résonner tout entier. Ça vibre. Tout mon corps vibre et l'impact de ses mots, de tous ses mots vient me perforer de toute part. La colère grimpe en moi. J'avais raison. Je savais qu'il me dirait ça, et au fond de moi, tout à l'heure en avançant vers eux, vers son visage fermé, j'espérais avoir tort. J'espérais.

Comme sorti de nul part, un rire éclate de ma gorge. J'ouvre les yeux et je remarque que Ash n'a va pas bougé d'un poil. Il m'observe attentivement, pétrifié dans son coin.

Je ne sais pas ce qui me prend mais ma main part d'elle même et touche sa joue. Si brutalement. Mes doigts vibrent à leur tour et je ressens maintenant cette douleur physique. Elle me fait mal, mais elle est loin d'égaler celle de mon cœur. J'ai la sensation qui ne me répond plus. Il continue de battre, mais dans le vide. Et parce qu'il le doit.

Ash me regarde encore, mais cette fois, un air surpris sur le visage.

— Ne t'excuse pas, ça donne l'impression que tout ça était important pour toi, que tu regrette ton choix.

Ma voix est sèche. Je me rends compte que j'ai sous-estimé la force que j'ai mis dans nos échanges intimes et dans notre relation. Notre relation qui a dépassé le stade de l'amitié et pour qui, j'avais sûrement plus de considération que lui.

Il ne faut pas je parle au passé. Non, jamais. Cette amitié, elle vit encore.

Dans un coin dans ma tête, je crie vivement : putain mais pourquoi je réagis comme ça ? Comme s'il m'avait salement amoché avec ses mots. Comme si j'avais cru à quelque chose de plus puissant après nos baisers et toutes nos confidences.

Conclusion : je ne suis qu'un sombre idiot et je viens de frapper mon ami, celui à qui je tiens le plus après Iliana, parce que je me sens froissé de l'intérieur.

— Je m'excuse parce que j'ai mes fautes dans toute cette histoire, parce que je sais qu'on est tous les deux concernés, et que je tiens à toi Nat. Moi aussi, je me sens mal, j'ai mal. Et...

— Tais-toi.

Je vois la colère remonter en lui.

— Non, toi tais-toi et laisse-moi finir !

Je ne résiste pas, je me tais. J'encaisse.

— Je ne peux pas laisser plus de sentiments s'impliquer, je ne veux pas te blesser. On doit seulement être des amis, comme au début. Parce que...

Il s'arrête de parler soudainement, comme si les mots étaient bloqués dans sa gorge.

— J'ai compris, je souffle.

Dans ma tête, j'ai juste une seule envie, m'enfuir et prendre le temps de penser à tout ça. Je suis tellement perdu. Est-ce le cas pour lui aussi, au moins ? Parce que c'est lui qui a pris la décision, alors il doit mieux savoir dans quelle situation il se trouve que moi.

— Parce que je ne peux pas tomber amoureux de toi.

Je reste sous le choc, les yeux écarquillés. Tout ce que je me demande, tout de suite, c'est : et est-ce moi, je pourrais ? Puis, vient la question suivante : ai-je bien entendu ce qu'il vient de dire à l'instant ?

Je vois Ash décortiquer chacun de mes gestes, avec son œil affûté et son expression inquiète.

Tout ce que je trouve à répondre est ça :

— Pourquoi tu dis ça ?

Ash met quelques secondes à répondre.

— Tu le sais très bien pourquoi. Je ne suis pas assez courageux Nat, je te l'ai dit. Et... et comme tu l'as dit, il faut du temps à tout. En plus, le monde dans lequel je vis, ne me le permet pas.

— Non ! Pourquoi tu as dis "tomber amoureux" ? Pourquoi ces mots ?

Ma voix paraît toute petite.

— Parce que je me suis rendu compte que je ressentais des choses pour toi, que je ne devrais pas ressentir, merde. Voilà pourquoi.

J'ai envie de lui dire que moi aussi je ressens des choses fortes et inhabituelles pour lui, mais je ne le fais pas. Parce que moi aussi, je ne peux pas faire ça. J'en prends soudainement conscience tout en pensant à ma vie, mon père, à tout. J'ai trop peur et les peurs se résolvent une à la fois.

Pourquoi je lui ai fait cette promesse ? Celle que nous n'aurons plus jamais peur alors que je ne suis même pas capable de la tenir. Sur le moment, je me sens encore plus perdu et terriblement en colère contre moi, contre lui, contre tout. En colère de nous infliger toute cette nouveauté de sentiments qui nous perforent de part en part et qui refusent de quitter notre corps.

D'accord, je n'ai pas eu suffisamment de relation amoureuse dans ma vie, mais tout paraissait beaucoup plus facile, beaucoup plus doucereux. Aurait-on faux ? Peut-être que nous nous sommes trompés, peut-être que nous prenons la bonne décision, que Ash prend la bonne décision en réduisant notre lien à de l'amitié pure et dure. Oui, il a raison, nous ne pouvons pas nous permettre et tout ça, ça ne fait que blesser.

C'est pour ça que je m'entends chuchoter à la suite de lui :

— Est-ce qu'on peut oublier tout ça et redevenir ami ? Tu penses qu'on peut ?

Ash ne réfléchit pas lorsqu'il me prend dans ses bras. Je m'accroche à lui comme à une bouée sauvetage, et me sens verser une larme solitaire.

— Oui, bien-sûr qu'on peut, bien-sûr.

Je me sens soulagé, même si un doute persiste dans mon esprit. Comment peut-on s'avouer ce genre de chose et espérer les oublier une seconde après ? C'est impossible.

Je me sens lâche à cet instant précis. Parce que moi non plus, je suis loin d'être courageux. Vraiment très loin.

Bien-sûr que non, nous ne pouvions pas redevenir amis après tant de non-dits et de déclarations. J'étais bien trop bête et insouciant à l'âge de dix-sept ans. J'allais m'apercevoir plus tard, que notre amitié ne pourrait pas durer dans le temps avec quelque chose d'aussi fort caché bien au fond du trou. Nous avions bel et bien de l'amour l'un pour l'autre, et à cet instant précis où tout était censé être rentré dans l'ordre, les sentiments devenaient plus puissants, plus lourds, mais surtout étouffés. Et des sentiments étouffés ce n'est pas bon. Ce genre de chose donne naissance à la jalousie et à la haine de l'autre. Même si tout ce que nous désirons est d'aimer la personne qui a fait naître ce sentiment vil au fond de notre âme.

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Hello tout le monde ! Je reviens avec le chapitre 28 !! J'espère que vous l'avez aimé et que vous continuez d'aimer nos deux chouchous : Nat et Ash ! Ils souffrent et ils ont besoin de nous ! Alors quelle sera l'issue de ce premier tome ??? Réponse bientôt !

Merci d'être toujours aussi nombreux(ses) à lire Night, j'en suis très heureuse !

Bisous.

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