ONZE - 11 septembre

Mois de septembre, une nuit.

- Regarde ! Je crois que c'est le Gros Oursin !

Le rire cristallin d'Emma s'envola, rejoignit les étoiles qui les surplombaient. Le sourire de Yanis était indélébile tandis qu'il pointait son doigt dans le ciel étincelant. Il ne savait pas exactement ce qu'il lui montrait. Son index s'était contenté de se tendre au hasard.

Son ancienne camarade de classe se calma, ses éclats se tarirent, la laissant demander doucement :

- Le Gros Oursin ? Tu es sûr que ce soit le nom d'une constellation ?

Elle était étendue à ses côtés sur la grande couverture qu'ils avaient déployée dans la prairie. Le froid de l'automne commençait à se ressentir en cette fin d'été. Le soleil avait brillé toute la journée, sans nuage pour le contrarier. Il avait apporté une douce chaleur qui désormais s'évaporait. Ces mêmes nuages, dont l'absence les avaient réchauffés, n'étaient pas là pour conserver les degrés gagnés. Néanmoins, sans leur écharpe brumeuse, ils pouvaient admirer le ciel scintiller.

C'était Emma qui l'avait entrainé là, dans le froid. Le lendemain, il serait sûrement malade, à l'article de la mort. Mais ça en valait la peine car, à cet instant, il se sentait vivant.

Des élèves de leur anciennes classes avaient voulu organiser une dernière soirée tous ensemble avant leur entrée en supérieur. Quand il l'avait vu supplier une amie pour qu'elle vienne dormir avec elle sous les étoiles, il n'avait pu s'empêcher de se joindre à la conversation. Il aimait l'idée et voulait les accompagner. Ange avait sauté sur l'occasion pour dire qu'ils n'avaient qu'à y aller tous les deux. Emma ne s'en était pas formalisée. Ils étaient partis.

Trouver un endroit où s'installer n'avait pas été facile. Ils avaient d'abord dû quitter le jardin, bien trop raide, de leur ancien camarade. Ils n'avaient aucune envie de glisser, ou encore de rouler, dans leur sommeil. Ils avaient donc franchi fil barbelé sur fil barbelé, traversant les prés à la recherche d'une prairie qui n'hébergerait pas de vaches, qui ne sentirait pas le purin et qui serait relativement plate.

Essayant vainement d'être silencieux afin d'éviter de réveiller les troupeaux endormis, ils avaient passé leur temps à rigoler, se lançant la lourde couverture par-dessus les clôtures. Alors, à plusieurs reprises, ils avaient traversé le bétail, les énormes têtes bovines braquées dans leur direction. Leurs rires n'avaient cessé de redoubler car, même si l'effet de l'alcool avaient commencé à retomber, l'euphorie de leur balade improvisée le remplaçait.

Passant près d'un gigantesque chêne au tronc large et à l'écorce noueuse, Emma s'était finalement figée, le nez dans les étoiles. Ils avaient arrêté de marcher. La couverture s'était étendue dans l'herbe haute qui avait été fauchée de longs mois plus tôt, peu avant l'été.

- Bah oui, le Gros Oursin. Tu connais pas ? Je crois que c'est la constellation la plus connue pourtant. Y a le Petit Oursin aussi, non ?

Son bras resté figé retomba lourdement sur la couverture. Ses doigts frôlèrent ceux de son acolyte nocturne. Seuls quelques misérables millimètres les séparaient. Sans s'en apercevoir, il avait pris sa main, sa tête tournée vers la sienne, ses yeux rivés dans les siens.

Mais ce contact si agréable ne dura pas.

Les doigts de la jeune fille s'étaient crispés. Sa main, son bras et le reste de son corps aussi, il pouvait le sentir. Elle se dégagea d'un mouvement brusque et un léger malaise s'installa.

Il avait dû mal interpréter ce qu'il avait pris pour des signes. Sa gorge se serra un peu.

Emma regardait à nouveau les étoiles. Elle n'était plus aussi détendue, plus droite que si elle se tenait debout. Son dos ne touchait plus vraiment la couverture. Elle semblait plongée dans de profondes réflexions. Peut-être cherchait-elle la constellation qu'il avait prétendu lui montrer ?

Il vit les lèvres de la jeune fille s'ouvrir prudemment et sa voix  s'éleva dans la nuit, donnant l'impression de venir d'ailleurs.

- La Grande et la Petite Ourse. C'est ça, les noms corrects. Je sais qu'elles ont la forme de casserole et qu'à l'extrémité du manche de la Petite Ourse il y a l'Étoile Polaire, l'étoile la plus brillante. Mais je n'ai jamais réussi à les repérer dans le ciel.

Il l'observa encore plus attentivement. Elle hésitait, son regard ne lâchait pas le bleu nocturne. Sa main, qu'elle avait déposé sur son ventre, s'agitait presque imperceptiblement, sans même qu'elle en ait conscience.

Ses pensées à lui aussi le dévorait entièrement. Son geste anodin ne pouvait pas avoir gâché toute amitié, si ?

Mais à peine cette idée commençait à raisonner en lui qu'il sentit des doigts froids se saisirent timidement des siens.

Avec intensité, il chercha vainement son regard. Mais ses yeux étaient désespérément accrochés au fin croissant de lune, semblable à une larme. Alors, il se contenta de resserrer leur maigre étreinte, nouant un peu plus leurs phalanges, emprisonnant sa peau gelée dans sa paume pour la réchauffer.

De quoi parlaient-ils déjà ? Ah oui, des étoiles...

- Pourquoi on les appelle Petite Ourse et Grande Ourse si elles ressemblent plus à des casseroles ? On devrait pas dire Petite Casserole et Grande Casserole à la place ?

Emma réfléchit, recommençant à parcourir le ciel de son doux regard, une nouvelle fois à la recherche des constellations.

- Mmmh... Ça a un rapport avec la mythologie. Une histoire entre Artemis et Zeus, si je me souviens bien. Zeus a changé une chasseresse d'Artemis en ourse et l'a placée dans le ciel mais je ne sais plus exactement pourquoi.

Yanis inspecta à son tour l'endroit qu'il avait pointé plus tôt.

- Zeus s'est sûrement raté et l'a transformée en casserole à la place mais comme les historiens ont préféré ne pas le contrarier, ils ont dit que ça ressemblait quand même pas mal à un ours.

Le silence plana à nouveau. Les écarts entre leurs paroles étaient de plus en plus important. Dans le froid automnale, l'alcool aidant, ils ne tarderaient pas à plonger dans les bras de Morphée.

- On m'a toujours dit que si je voulais trouver la Grande et la Petite Ourses, je devais chercher les casseroles, confia Emma. Mais je t'avoue que, sur les photos que j'ai vue, elles ressemblaient plus à des poêlons.

Sur sa remarque incongrue, son visage se tourna enfin vers lui. Même dans l'obscurité, il sut distinguer la couleur de ses iris, le vert qui valsait avec le brun en une danse éternelle. Ses traits fins et délicats, ses lèvres qu'il savait rosée, sa main dans la sienne... Il avait envie de s'approcher plus prêts.

- On devrait peut-être les appeler Grand et Petit Poêlons ?

Sa voix cristalline avait tranché, le ramenant sur Terre alors qu'il s'envolait vers les étoiles. Emma regardait à nouveau vers le ciel et il ne put remarquer ses joues rougies, son souffle qui s'emballait.

- Je pense que je préfère garder le nom d'Oursin, déclara-t-il rêveusement.

Son esprit commençait à s'évader et il avait de plus en plus de mal à le retenir, une brume épaisse envahissait ses pensées.

La main d'Emma était dans la sienne, il aurait voulu profiter de l'instant, mais il avait sommeil. La fatigue refermait ses bras sur lui, l'enlaçant comme il aurait voulu l'enlacer.

Elle était là, juste à côté de lui mais pourtant si loin, comme si Zeus l'avait également déposée dans les étoiles. Il remarqua que les poils de son avant-bras était hérissés. Elle ne portait qu'un haut moulant qui s'arrêtait un peu après ses coudes et un pantalon d'une taille tellement haute qu'il devait lui recouvrir le nombril.

- T'as pas froid ?

À ses mots, elle frissonna, comme si elle se rappelait à la réalité.

- Oui, un peu. Mais ça va, le soleil se lèvera dans quelques heures. Il nous réchauffera. Et toi, tu n'as pas froid ?

- Non, je crois que ça va.

Il porta leur main liée devant ses yeux. Si semblables et différentes à la fois. Deux amas d'os joints de nerfs, couverts de chairs. La première tellement grande qu'elle en paraissait disproportionnée par rapport à la seconde. Des ongles rongés jusqu'au sang chez l'une, une teinte légèrement plus foncée chez l'autre. La peau claire de la petite main s'harmonisait avec le vernis pâle qui n'ornait que l'index, lui rappelant les tâches de rousseurs qui constellaient discrètement le visage de la jeune fille.

Inconsciemment, il se retourna à nouveau vers Emma. Il voulait l'admirer directement, la voir plus que dans un souvenir. Il ne s'était même pas rendu compte qu'elle le fixait, intriguée par son étrange manège. Il observa ses lèvres qui s'entrouvrirent.

- Dis ?

Un son. Un simple son qui obligea à son cœur à battre la chamade. Leur main retombèrent, reposant à nouveau sur la couverture. Il n'osait plus bouger, la peur qu'elle ne s'envole vers les étoiles lui nouait les tripes. Une mèche de cheveux auburn lui barrait le front, il aurait donné cher pour pouvoir la replacer derrière son oreille. Mais, comme elle, il se contenta d'une syllabe :

- Oui ?

- Pourquoi un Oursin ?

Il resserra un peu sa prise sur sa main. Il était terrorisé à l'idée qu'elle ne l'enlève, se dégage pour repartir. Son sang pulsait avec plus d'ardeur, ordonnant à son cœur de tambouriner dans sa poitrine.

Quand il parvint enfin à se ressaisir pour sortir une de ses idioties habituelles, ses paroles franchirent ses lèvres avec moins de force qu'un murmure :

- Je sais pas. Il y a dix minutes, j'aurais sûrement dit que le ciel ressemble plus à un océan qu'à une forêt. Mais là, je crois que c'est plutôt parce que tu as piqué mon coeur.

Il avait l'air stupide mais il s'en foutait. Dans le champs recouvert par la Voie Lactée, un nouvel éclat résonnait dans la nuit

***

Attention. Quand tu es amoureux, il est possible d'avoir l'air con. Pour éviter cela, au premier symptôme, réfléchis bien à ce qui veut sortir de ta bouche.

***

En supérieur : passage à l'Université ou Haute École.

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