DOUZE - 11 septembre

Mois de septembre, le soir de la même journée.

« Hey ! Ça va ? Pas trop mal aux jambes ? »

Dans la pénombre de sa chambre, l'écran de son téléphone venait de s'illuminer, découvrant un pan de plafond couvert d'images en tous genres. Emma le  déverrouilla pour apercevoir la petite tête de Yanis, dans la bulle-photo collée à un message sans trop de sens. On pouvait l'y distinguer, ses dents contrastant sur sa peau de miel. Les yeux étrécis, il tenait une médaille de bronze bien en vue. Il avait réussi à gratter une place sur un podium, lors d'une course d'athlétisme.

Les pouces d'Emma se figèrent quelques instants au-dessus de son clavier. Elle devait faire attention à l'ongle de son index. Elle venait d'y remettre une couche d'un vernis offert par Anaëlle. Un vernis qui changeait de couleur au contact de drogues. Elle ne savait pas où cette dernière l'avait trouvé. Ses doigts cherchèrent un instant une réponse avant de s'agiter frénétiquement. 

« Hello ! C'est plutôt au dos que j'ai mal et toi ? »

Son téléphone rebondit sur son matelas. Allongée sur son lit, elle l'avait laissé retomber dans ses draps dans l'attente d'une explication. Son regard fixé sur les photos entre amis, de famille, qui avaient remplacé les étoiles de la veille, elle réfléchissait.

Le lendemain, elle débarquerait à l'Unif. Elle s'était inscrite dans la faculté de droit. Elle voulait profiter sereinement d'un des derniers moments qui la séparait de la reprise des cours dont l'excitation se mêlait de plus en plus à une légère angoisse.

La fenêtre grande ouverte, tout comme la porte, laissait rentrer les dernières lueurs du jour, créait un agréable courant d'air. Parfois, ses cheveux se soulevaient légèrement, menaçant de s'envoler avant de se rappeler qu'ils étaient rattachés à son crâne.

Elle était bien dans son cocon aux murs blancs tâchés de souvenirs. Ça n'était pas très meublé. Une grande armoire, son lit, un bureau parsemé de bibelots, de reliques paisibles. À vrai dire, elle n'aurait pas su y mettre grand-chose d'autre. L'espace était réduit dans la petite pièce déjà remplie de posters, de clichés, de cadres... Elle s'était donc résolue à accrocher ses photos restantes au plafond. Les plus récentes, ses préférées. Et puis, comme ça, Gribouille évitait de s'y aiguiser les griffes.

Sa mère détestait. Pour elle, sa chambre se transformait en une sorte de caverne peu lumineuse mais Emma s'en foutait un peu. Elle aimait bien sa petite grotte aux parois à moitié cachées sous les souvenirs.

L'écran la ramena rapidement à la réalité, dévoilant une photo d'Ana posant avec elle lors d'une fête organisée par leur ancienne école. Une notification barrait de nouveau leur visage, cachait leur sourire.

« T'arrêtes pas de me trotter dans la tête pourtant »

Un rire léger embellit la pièce, colorant ses dessins avec plus d'intensité. Les rayons du soleil qui se risquaient à réchauffer le parquet semblèrent étinceler plus fortement. Innocente, elle ne s'y était pas attendue. La disquette était pourtant assez connue.

« T'as beaucoup pensé à moi ? »

Son téléphone ne retomba pas dans ses draps, resta bien ancré entre ses doigts. Elle devait voir sa réponse. Son entrée à l'université qui était prévue pour le lendemain, son chat qui venait de faire une entrée remarquée dans sa chambre, saisi d'une folie soudaine, sautant sur son bureau pour atteindre la fenêtre... Tout ça n'avait plus vraiment d'importance.

« Surtout à nous »

Nouveau rire, étouffé entre ses dents dévoilées pour ne pas avertir ses parents qui regardait la télé dans la pièce juste à côté.

« Tu les as toutes étudiées par cœur ? »

Il en était certainement capable et ses rires redoublèrent silencieusement à l'imaginer les apprendre assidument.

« Je crois que je dois t'avouer que j'ai écrit les meilleurs sur un bout de papier »

Il était mignon. Honnête et mignon. Un livre ouvert qui n'aurait rien su cacher. Elle s'en était déjà rendue compte au fil de l'année. Ils s'étaient déjà retrouvé dans la même classe, en primaire et les rares fois où les instituteurs les avaient placés l'un à côté de l'autre, il s'était révélé être une vraie pipelette, impossible à canaliser. Un calvaire pour les enseignants qui devait sans cesse le réprimander. Alors, la mine penaude, il s'excusait, se taisait une dizaine de minutes avant de ne pouvoir s'empêcher de recommencer. Il parlait de tout, mitraillait de question. En grandissant, il s'était légèrement calmer, tout en restant ce qu'il était.

Alors, gardant le sourire qu'il avait réussi à coller sur son visage, elle ne tarda pas à répondre :

« C'était cool hier »

Le mot était faible, elle avait adoré. Elle le revoyait lui prendre la main, jouer avec et une multitude de frissons la parcoururent, son cœur battit la chamade.

Gribouille sauta sur son lit. Quittant le bureau d'un bond, il approcha sa tête de la sienne pour y observer l'expression idiote qui y était gravée.

« On pourrait se revoir pour refaire ça ? »

Son chat iaula, cherchant à comprendre l'état d'Emma. Ce n'était pas la première fois qu'il la traversait. Ça s'était déjà produit. Elle l'avait délaissé quelques longs mois avant de ne faire que de le prendre dans ses bras. Serait-ce la même chose ?

« J'aimerais beaucoup »

***

Je regarde les gros doigts boudinés d'Itzhak Perlman vibrer sur le manche de son violon. Il joue la plus belle version du thème principal de La Liste de Schindler. Je l'ai écouté en boucle, la reconnaitrait entre mille. Ma prof de violon revient à côté de moi pour tenter d'expliquer à la coquille vide que je suis – ou du moins, étais à l'époque – toutes les nuances du morceau. Grâce à elle, je remarque ce moment d'apaisement, au milieu. Elle me le présentait comme une éclaircie, je devais m'imaginer le soleil qui revenait. Puis, l'envolée, le tonnerre qui gronde, et le thème qui reprend en plus aigu.

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