DIX BIS - 25 au 26 février
Mois de février, mercredi soir.
— Allée ! Allée ! Allée, allée, a-allée ! Une route, avec des arbres, ça s'appelle une allée ! Allée...
Dans la navette pleine à craquer qui les reconduisait dans le centre-ville, Emma était mollement accrochée à Yanis. Son teint était verdâtre et il espérait qu'elle ne vomirait pas une nouvelle fois. Son estomac se vidait facilement quand elle buvait.
C'était le dernier bus. Ils avaient failli le rater de peu. La jeune fille avait été difficile à retrouver. À côté d'eux, Alex tenait une barre d'une main, sa tête de l'autre. Lui non plus, n'avait pas bonne mine.
Il avait d'abord tenter de suivre la cadence de son amie. Les heures n'avaient pas eu besoin de se succéder pour qu'il vomisse, sans prévenir et droit devant lui. Ses amis s'étaient moqués, un peu plaint aussi. Et tandis que Thibault lui avait recollé un verre dans la main, il avait décidé de ne plus boire de la soirée. Même si vomir, c'était repartir.
Peu après, ou pas — il avait un peu perdu la notion du temps — Yanis était venu le trouver, paniqué. Il lui demandait s'il avait vu Emma.
Ce fut à ce moment-là qu'Alex avait compris que voler les verres de son amie n'était pas une méthode très efficace pour lui empêcher les bêtises. Il avait rarement été dans un état aussi lamentable. Son unique black-out remontait à une soirée de septembre. Ses coéquipiers du foot avaient entreprit de lui offrir une cuite mémorable après avoir entendu qu'il n'avait pas pour habitude de boire. Alex s'était juré de ne plus en vivre de pareille.
Ils firent le tour du hangar un nombre incalculable de fois, elle ne répondait pas au téléphone. Cependant, en tentant de lui envoyer un énième message, Yanis vit une publication sur le groupe des étudiants de leur ville qui la mentionnait. Il y avait une photo d'elle qui datait de moins d'une heure avec une légende.
« À qui appartient ce détritus ? On vous le rend contre un arrosoir rempli. UPDATE : On est pas des baby-sitters. Dépêchez-vous ou on la dépose au parc à déchets. » Le tout était moins compréhensible. Les fautes d'orthographe crevaient les yeux et des mots manquaient, parfois trop déformés pour pouvoir les comprendre. Ni l'un ni l'autre ne savait exactement ce qu'était un parc à déchets. Cependant, le nom était suffisamment explicite pour ne pas vouloir qu'Emma y traine.
Voler un arrosoir de bière leur avait posé moins de problème que convaincre ses gardiennes de leur rendre Emma. Cette dernière semblait avoir été adoptée par un groupe de filles aux tabliers si sales qu'on n'était pas sûr qu'ils aient été blancs un jour.
Ils leur avaient donné l'arrosoir mais, au lieu de les laisser simplement repartir avec Emma, elles avaient voulu s'assurer qu'ils étaient bien amis et qu'elle ne risquait rien. Elles avaient demandé des photos avec elle. Yanis en avait montré quelques-unes et elles s'étaient plaintes qu'elles n'étaient pas assez récentes. Ils avaient commencé à désespérer quand Yanis les avait suppliées de lui passer le téléphone d'Emma. Alors, soulagé, il leur avait montré le fond d'écran, une capture d'un texte qu'il avait lui-même rédigé.
« Bonjour, si vous retrouvez ce téléphone, merci de le rendre à ma copine, Emma. Si ma copine est toujours au bout de ce dernier, merci de me contacter au 0477... »
Elles sonnèrent au numéro et purent voir que Yanis était bien le copain du chiot égaré qu'elles avaient trouvé.
Dans la navette, la musique n'avait pas changé et continuait de tourner en boucle. Alex n'en pouvait plus, il voulait que le trajet se termine. Il devait aider Yanis à ramener Emma chez lui et se concentrait pour envoyer un message à sa propre copine. Il essayait de lui expliquer la situation et le pourquoi il ne saurait pas la rejoindre de suite.
En regardant un moment au loin pour ne pas vomir, Alex aperçut un type recroquevillé sur un siège. Il ressemblait étrangement à celui à qui il avait gentiment volé un arrosoir, se contentant de sauter au-dessus des barrières nadar pour le rejoindre dans son triangle, lui prendre son bien en lui disant que c'était le sien. Le garçon avait déjà du mal à viser les verres pour les remplir. Il s'était excusé avant de rendre l'arrosoir à Alex.
Même lui s'était étonné que ça soit si facile.
— VOS GUEULES !
Une petite brune avait hurlé. Les chants redoublèrent de volume. Une fille avait volé des lunettes de soleil sur la tête d'un gars. Elle jouait avec, le narguait quand il l'embrassa. La chanson s'interrompit une seconde pour laisser place à des applaudissement avant de reprendre de plus belle.
— ALLÉE ! ALLÉE ! ALLÉE, ALLÉE, A-ALLÉE ! UNE ROUTE, AVEC DES ARBRES, ÇA S'APPELLE UNE ALLÉE ! ALLEÉ...
Quand Yanis lui indiqua qu'ils devaient descendre ici, le soulagement envahit Alex. Il n'en pouvait plus. Le vent frais lui fit du bien. La température était élevée dans la navette, l'air lourd et les vitres embuées.
Ils n'étaient pas les seuls à s'être arrêté là et Emma n'était pas la seule dans cet état. Elle n'était pas du genre bourrée-chiante non plus, se contentait de rester silencieuse et de produire de temps en temps des sons bizarres. Alex s'en estima chanceux. Certains semblaient avoir plus de difficulté avec leurs amis.
Les étudiants se dispersèrent et ils atteignirent rapidement le bas de l'immeuble de Yanis.
Les escaliers qui menaient au kot n'avaient pas de fin. Yanis habitait au dernier étage. Aider Emma à monter tout là-haut relevait du clavaire. Ils mirent du temps à arriver au sommet. Alex dut la tenir pendant que Yanis cherchait ses clés pour ouvrir la porte.
Emma chercha alors à lui dire quelques choses. Ça sembla important pour elle. Cependant, le grand blond eu bon y mettre toute sa volonté. Le discours haché, interrompu de grognements, gémissements étranges, n'avaient aucun sens.
Ils retirèrent leurs chaussures à l'entrée, voulurent en faire de même pour Emma mais s'aperçurent rapidement que ce serait impossible en la maintenant debout. Yanis se résolut à ce qu'elle rentre comme ça. Tant pis, il nettoierait le mélange boueux qui laissait des empruntes sur son parquet le lendemain.
Avec l'aide d'Alex, il parvint à rentrer dans sa chambre sans faire trop de bruit, réussit à déposer sa copine en douceur sur son lit. Méthodiquement, il enleva ses bottes et chaussettes, avisa son jean plein de boue et Alexis compris qu'il devrait aller faire un tour dans la cuisine. Il referma la porte derrière lui pour laisser un peu d'intimité à Emma.
La pièce n'était pas bien grande, surtout quand on savait qu'ils étaient trois à se la partager. Pas de table, une plaque de cuisson, un frigo, quelques armoires et un évier. Un petit divan y était également casé, donnant une impression de salon. Son dossier, un peu trop haut, débordait devant la fenêtre. Alex s'y assit. Il se demanda comment ils faisaient pour aérer la pièce.
S'il s'en souvenait bien, Yanis partageait le kot avec sa grande sœur et une amie à elle. Leurs parents avaient investi dans un petit appartement une personne et avaient construit quelques murs supplémentaires pour pouvoir y loger plus de monde. Yanis ne s'en plaignait pas. Ce n'était d'ailleurs pas rare que la population de la coloc se voit doublée ou plus, au grand plaisir des voisins.
Néanmoins, de tous les kots qu'Alex avait pu visiter, celui de Yanis était de loin le pire. Même si la liste n'était pas bien longue.
La porte de chambre se réouvrit et Yanis en sortit, la laissant entrouverte sur une masse sombre cachée sous une couette. Alex observa le jeune homme passer devant lui, entrer dans une autre pièce et en ressortir directement, une petite bassine dans les mains. Il repartit dans sa chambre, déposa le récipient devant sa copine inerte qu'il replaça correctement, la tête en dehors de la couverture et le corps couché sur le côté. Les gestes étaient mécaniques. Pas brutaux mais machinaux.
- Ça me fait toujours peur qu'elle s'étouffe dans son vomis, quand elle est dans cet état. Je l'ai mise en PLS.
Yanis se laissa tomber à côté de lui, lessivé.
- Au fait, si t'as soif, fais comme chez toi. On a des trucs dans le frigo et les verres à côté de l'évier sont propres.
Le corps d'Alex se pencha vers l'avant. Ses coudes sur ses cuisses et une main soutenant son crâne, il avait l'esprit encore embrouillé. Il devrait peut-être boire de l'eau.
- Je m'attendais pas à finir la soirée comme ça, annonça-t-il à la place.
Yanis serra les dents, gêné.
- Désolé, Alex. Merci de m'avoir aider à la ramener. Tu peux rester dormir. Le canapé est un peu petit mais j'ai un matelas gonflable, si tu veux.
- Tracasse, mec. C'est normal.
Il resta un instant sans rien dire. Tellement inquiet qu'il n'avait pas fait attention à la proposition de Yanis.
- Mec, reprit-il à la place. Je pense qu'Emma va vraiment mal...
Un bruit nauséeux parvint de la chambre, le coupa. Yanis bondit, n'écoutant plus Alex.
***
Mourir étouffer dans son vomis après une consommation excessive d'alcool est vraiment une mort nulle. Et stupide.
***
PLS ( ou position latérale de sécurité) : geste de premier secours à pratiquer systématiquement lorsque l'on est en présence d'une personne inconsciente, qui respire normalement et qui est couchée sur le dos.
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