un vingt et unième chapitre


Chapitre 21

La vérité, c'est que j'ai cru un instant pouvoir être l'héroïne d'un roman. Dit comme ça, on pourrait me prendre pour une idiote qui cherche juste un peu d'attention, mais en y réfléchissant j'ai tenté de comprendre ce qui pourrait faire de moi une sacrée bonne héroïne.

L'argument le plus simple est que ma vie est tellement compliquée mais pas compliquée à la fois qu'on pourrait en écrire des pavés dessus. Alors j'ai essayé. Mais ça n'a pas marché parce que romancer cette histoire stupide relève de l'ennuyeux et que ça n'intéresserait personne de savoir que ma rentrée s'est bien passée et que je m'intègre plus ou moins.

« Reina s'est fait deux nouveaux amis. Incroyable, des personnes qui mettent autant de déo qu'elle, qui sont aussi en terminale L et qui adorent faire des collages en classe. »

Première phrase et je suis déjà ennuyée. J'ai bien cru pouvoir faire l'affaire sur le coup, mais limpidement, j'ai compris que ça ne servait à rien de tenter de raconter une histoire sans intérêt.

J'ai même fait une liste d'évènements et de rappels à résumer sur ce premier long mois au pensionnat. C'est aussi inintéressant que pratique. Je n'ai pas osé le mettre en rapport, doutant encore de son utilité.

Voici la liste :

- Ici, Olivia est une reine.

- Olivia a un an de moins que moi mais je l'oublie tout le temps.

- Quelques fois des mouches entrent dans ma chambre et c'est in-sup-por-ta-ble. Tellement chiant que j'hésite presqu'à les tuer, mais par appréhension vis-à-vis de la réincarnation en animal, j'évite ce méchant traitement.

- Théophile et Lucien, mes nouveaux « amis » ont des prénoms de garçons en L.

- Neville a des partiels et on se voit de moins en moins.

- Je suis encore amoureuse de lui, mais ça va mieux de ce côté-ci.

- Je ne sais pas si je vais mieux.

- C'est les vacances de Noël et Olivia m'invite à passer un merveilleux dîner à la ville à l'océan avec sa famille. Neville n'y sera malheureusement pas, il a des révisions à faire.

J'ai tenté plusieurs fois d'écrire sur NIB pour compenser mon manque d'inspiration sur mon propre roman. Je voulais gagner des sous, bah c'est raté. Les rapports n'ont pas fonctionné, je ne sais plus quoi dire, tout est pareil de jour en jour, je me réveille, mange, dors aux horaires fixes ; fais mes devoirs pendant les études obligatoires et traîne à des soirées absurdes le week-end. Rien de fascinant.

Mais aujourd'hui, je suis dans le car, et je m'embarque dans l'aventure d'une nuit avec la jolie blonde aux cheveux bouclés. Elle est prête à tout pour trouver ses beaux cadeaux et manger la bûche préparée par sa tante. La voir sourire me permet de tenir, ça remotive.

- Et donc je lui disais que... Reina, je rêve où tu baves sur moi ? Demande-t-elle en me donnant un petit coup.

Je me réveille, les yeux plissés, mi-ouverts. Merde, j'ai failli m'endormir.

- Je sais que l'histoire de moi et l'autre poufiasse est fascinante mais ce n'est pas une raison pour baver sur Olivia chérie ! Se moque-t-elle avec une petite pichenette.

Je me moque d'elle également en essayant d'imiter le ton qu'elle prend lorsqu'elle raconte ses histoires. Olivia a tellemeeeeent d'histoires à raconter, c'est une fontaines d'anecdotes, de rumeurs, de dramas et de blablas croustillants. Elle est extraordinaire et je manque souvent d'idées de discussion quand elle finit par déballer tout le stock d'histoires du jour.

- Alors cette nouvelle vie ? Interroge-t-elle lorsqu'on reprend nos esprits.

Je grimace.

- Ennuyant mais rassurant. Avoué-je honnêtement.

Elle me sourit.

- C'est l'effet post-fugue, tu m'étonnes. T'es quand même passée de la fille qui s'en branle de tout, qui va jusqu'aux falaises d'un trou paumé pour rechercher un sens à sa vie pour finir dans une pension de merde où les gens hésitent entre avoir son bac avec mention ou remplir son dossier APB pour éviter la fin des temps.

Je ne peux m'empêcher de répondre à son sourire.

- Pour le sens de ma vie, c'est encore flou. Répliqué-je pour la rectifier.

Olivia m'a fait son clin d'œil légendaire et m'a montré ses deux pouces en l'air.

- N'oublie pas que t'es la meilleure, Reina. Et que le sens de la vie, ça viendra. Moi je n'y pense plus.

On a passé le reste du trajet à parler du garçon de nos rêves, de l'épilation du maillot, des crampes après le sport et de la mauvaise blague du ruquier que Douglas a faite il y a peu de temps. Il a même fait une vidéo qu'il m'a partagée par message.

- Eh bah dis donc ça se parle pas mal du tout avec Doug', je sais que Neville et toi vous êtes des âmes sœurs mais avoue que Douggie est une petite bombe au masculin. Murmure-t-elle avec des levers de sourcils très expressifs.

Je me mets à rire légèrement, en étouffant le son émis avec ma main.

- La première fois qu'on s'est parlé, il m'a sorti trois mille disquettes. Je ne sors pas avec les gars à disquettes. Renchéris-je sûre de moi.


Olivia ne s'étonne pas et ajoute :

- Tu dis ça mais t'es bien tombée in love des phrases trop poétiques de mon demi-frère. Reina préfère donc les L refoulés de la vie !

Son constat m'arrache un grand sourire. Tout est plus simple avec Olivia, on parle, on se confie, on donne notre avis. Avec elle, je sais que je peux oublier un temps mes tracas, soucis, faiblesses. Il n'y a qu'à lui sourire pour me rendre compte qu'elle est une vraie amie.

- Pour ma défense, je suis tombée in love d'un regard ! Tenté-je en me redressant du siège.

Oli' se recoiffe avec les doigts.

- Je crois que je vais cramer des sièges plus souvent. Rencontrer des personnes topissimes comme Reina Lyange, c'est un grand honneur ! Assure la blonde avec une mini révérence.

Je ferme les yeux et fais mine de m'endormir. Au fond, les paroles d'Olivia sont réconfortantes. Elles ne soignent pas tout mais estompent la douleur avant que celle-ci ne se cicatrise.

***

Le bar des Sylvani est fermé en ce soir de réveillon. Ils ont sorti une énorme table et ont posé dans un coin les énormes paquets emballés sous un énorme sapin. J'ai trouvé ça formidable de fêter Noël en famille. Après tout, c'est la première fois que ça m'arrive même si ce n'est pas ma vraie famille.

La tante d'Olivia a su me mettre à l'aise et j'ai aidé à dresser les tables. Oli' a insisté pour que l'on soit sur la table des enfants pour avoir plus de gâteaux et moins de plats infects. J'ai écouté ses conseils et ai attendu patiemment la bonne buche.

Ma part bien découpée a été délicieuse en bouche.

L'ambiance était chaleureuse tout le long. Des adultes ont même placé des blagues de cul déplacées et Olivia a raconté à ses petits cousins à quel point grandir craint.

On est sortie toutes les deux du bar par la porte de derrière, celle qui fait office d'accès pour les deux chambres. Olivia s'est assise sur la terrasse, je l'ai suivie et elle s'est allumée une clope.

On a fumé en silence. On espère au fond que, peut-être que regarder les étoiles ce soir servirait à quelque chose, peut-être que comme dans les bouquins on aurait le déclic qui changerait la donne, qui donnerait un sens à la vie.

J'étais morose parce qu'il neigeait pas, qu'il faisait froid et que je ne tirais pas assez fort sur ma roulée qui s'éteignait toutes les trente secondes. J'ai perdu mes mots quand Olivia s'est mise à pleurer en silence.

On ne va pas bien.

La vérité c'est que j'ai tenté de me faire passer pour une héroïne de roman parce que je ne suis pas assez bien pour être une héroïne dans la réalité. La réalité c'est qu'Oli' passe le premier Noël de sa vie sans son père – sa tante avait même laissé un siège vide pour le fantôme – et que je ne suis toujours pas passée à autre chose.

Ça ne sert à rien d'aller regarder les étoiles, d'étaler la philosophie de la vie si on ne sait rien sur celle-ci. Peut-être qu'au fond de moi, je le sais. Mais là je ne suis capable que d'exister, de sentir mon souffle, d'entendre mon cœur et attendre le déclic.

J'ai sorti de ma poche un paquet de mouchoirs. Je lui en ai tendu un silencieusement. Elle l'a attrapé d'une main tremblante, l'autre avec sa clope et elle a essuyé les petites larmes qui ruisselaient sur ses joues.

Pour une fois, je n'ai pas pleuré parce que j'ai arrêté de pleurer depuis la promesse. J'attends juste le moment où les larmes de joie couleront. Parce que pleurer me fait trop mal ces derniers temps.

La nuit, la lune, les nuages et le firmament nous poussent à nous ressasser nos maux les plus profonds. Le jour, on passe à autre chose, on avance. La nuit, on est vulnérable et on recule. Au final, on n'avance plus dans cette illusion. Le jour ou la nuit. On s'accroche ou on fuit.

Olivia parle toujours. Elle adore parler. Et ce soir, je sais qu'elle va le faire, quoi qu'il arrive. Elle parlera.

- Reina ?

Sa voix est étouffée, lasse, fatiguée. Elle n'a rien à voir avec la jolie voix enjouée d'Oli'.

Je m'élance :

- J'ai lu un bouquin plus si récent que ça. Tu sais, ça parlait d'un Grand Peut-Être, d'un gars en pensionnat qui affronte le deuil d'une personne clef de sa vie. Et je me suis remise en question. J'ai trouvé ça bête de me remettre en question après un simple bouquin, mais voilà, je me suis mise à réfléchir et je n'ai rien trouvé à dire sur ce Grand Peut-Être parce que je n'ai rien à trouver, à chercher, à vivre pour de vrai. Raconté-je de but en blanc.

Olivia et moi nous nous sommes tues et avons écouté le bruit du vent, fumé les taffes inutiles et réfléchis à des longues tirades à raconter.

- Mon père m'a offert un sablier l'année dernière. Je l'ai trouvé vachement con, à quoi ça lui servait de m'offrir un cadeau de Noël pourri du genre. À Neville, il lui avait quand même donné une montre de famille qui date de plusieurs générations. Et moi j'ai eu un sablier. Tu sais que je lui en veux encore ? Parce que ce cadeau faisait aussi office de cadeau d'anniversaire et je ne comprenais pas comment on pouvait offrir un truc aussi nul à sa fille adorée. Je n'ai toujours pas compris. Mais en tout cas, c'est le dernier souvenir de Noël que j'ai de lui.

Elle m'a raconté à quel point son père adorait les pères Noël en chocolat et qu'il lui en offrait tout le temps quand l'occasion était possible. Ça m'a tuée de l'entendre raconter ses souvenirs.

J'ai fait mon égoïste et ai pensé à mon père. Moi je n'ai jamais eu de sablier ou de père Noël en chocolat. Il ne m'a rien laissé derrière.

- On est mal-lunée pas vrai ? Remarque-t-elle en me souriant faiblement.

Le contraste avec l'Olivia du car me coupe le souffle. J'ai l'habitude et je la connais. Mais ce soir, c'est grave. Elle me fait penser à l'Olivia de l'enterrement.

- On devrait surtout arrêter de paraître trop ensoleillée le jour. La nuit, on se prend tout dans la face. Continué-je tristement.

Elle a acquiescé. Les masques tombent toujours.

- Ce n'est pas facile de donner la meilleure image de soi-même. Je veux que les autres m'apprécient parce que les ondes positives qu'on me renvoie me réchauffent le cœur. Mais ces derniers-temps, ça ne va plus du tout. Et c'est de plus en plus dur de me mentir à moi-même. Je fais souvent la fille parfaite, exemplaire, avec un copain, des amies sur qui compter et une famille en or. Mais en réalité, je suis une petite conne qui attend juste que son papa poule lui envoie un message le week-end pour lui demander quand venir la chercher.

Ce genre de conversations fait partie de notre routine.

Au soleil, on parle de sujets anodins.

À la lumière de la lune, on parle de nos papas.

Et ça, depuis plus d'un mois.


Et lors d'un jour d'éclipse, tout ira mal pour de bon.



nda: désolée pour le retard, la panne d'inspi persiste c'est très relou

merciii sinon de me lire <3 j'vous nem


elo

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top