un vingt-deuxième chapitre
Chapitre 22
La fête pourrait battre son plein, mais la plupart du monde reste regroupée dans un coin du salon à parler des histoires interminables de leurs facs, lycées et vies. Ils ne profitent pas, ils n'attendent que le moment propice pour caser une remarque sur tel cursus, sur tel prof de lycée qui serait devenu chauve d'un été à l'autre. J'ai trouvé ça chiant à en mourir alors je me suis mise à boire.
Pas de shoots, juste des petits mélanges que j'avais l'habitude de faire en soirée dans ma cambrousse. J'ai regardé les personnes autour et me suis soudainement sentie terriblement ennuyée : Olivia traînait avec son copain, Neville était introuvable parmi la foule de monde et Douglas essayait désespérément d'allumer un joint.
Vers vingt-deux heures, un petit groupe de jeunes est apparu comme par magie derrière la porte. Je me souviens encore du nom d'Aris, de Chrystal, de Diana ou Diane et de Théodore. C'est un bon début. Le blond aux cernes énormes a examiné du regard le monde autour et m'a aperçue. Je l'ai peut-être repéré en première, mais c'est bien lui qui me décoche un petit sourire en premier. Craquant.
J'ai soupiré. Ce n'est même pas drôle de le draguer pour de faux étant donné qu'il est complètement fou de sa petite-amie. Mais comme je me le répète à chaque fois, ce gars et moi, ça aurait pu coller dans un autre espace-temps. Douglas a lâché sa clope et a rejoint le groupe de nouveaux arrivants. Le brun nommé Théodore a brandi en l'air des packs de bière et a sifflé à « WOOHOO » sonore. Un autre blond, plus grand, tout aussi charmant s'est mis à danser sur la piste sans gêne. J'ai commencé à rire en voyant ce duo de déglingués commencer à danser la Zumba. Ils ont bel et bien des couilles.
Neville s'est sûrement perdu dans sa propre soirée ou a juste complètement oublié mon existence. Ce matin-même, on s'était dit par message qu'on allait enfin se voir après trois semaines. Finalement, il n'est même pas présent – ou alors, il se prend pour un fantôme chez lui.
J'ai marqué une pause dans mon jeu des cocktails et me suis laissée entraîner par la musique qui passe. Un truc pas ouf, un peu miteux mais qui me fait danser raisonnablement. Douglas m'a prise sous son aile et j'ai ri aux éclats. Il est malin ce brave Doug', il sait me faire rire. Celui-ci danse tellement mal qu'il n'a même pas besoin de m'écraser les pieds pour que je remarque la catastrophe. Un vrai poisson dans le désert sur cette piste de danse.
- Ô Douglas-sensei ! Deviens mon prof de danse ! Me moqué-je de lui d'une voix suave qui imite les bombes amoureuses des films.
Le brun me donne une bourrade à l'épaule et me propose un petit moonwalk revisité. Nos rires fusent. En ce soir de réveillon, l'alcool me détend et j'adore ça.
J'arrête de boire lucidement, sachant clairement qu'un vodka-coca en plus provoquerait l'état saoul de Reina Lyange. Mes yeux se posent facilement sur Aris, assis sur le canapé, une bouteille pure dans les mains. Chaotiquement dans la foule de gens – qui se sont enfin mis à danser – j'avance vers lui. Après de longs efforts, je parviens à poser mon postérieur à côté du beau blond. Promis, je ne flirte pas cette fois-ci.
- Toujours en pleine tempête ? Débute-t-il en me voyant.
Je lève les yeux au plafond et mime une réflexion profonde.
- Après la fugue, arrive le beau temps d'après les prévisions.
Il a caché son sourire en buvant une gorgée de sa bouteille. Je l'ai trouvé courageux de boire tout ce rhum pur. Une fois, j'avais fini par dégueuler dans des WC publics à cause d'une consommation trop forte de cet alcool non dilué, résultat : je suis répugnée à vie du pur.
Aris a allumé sa clope en intérieur sans se soucier du reste du monde. Il me l'a tendue, j'ai tiré une taffe, il a fait de même et j'ai attendu que la nicotine fasse effet sur moi. On a tiré à tour de rôles et j'ai rompu le silence planant.
- Un témoignage d'ancien brisé si possible ce soir, que je révise le sens de ma vie ?
Il a de longs cils blonds et ferme souvent les yeux le temps de réfléchir.
- Pas de témoignage ce soir, pas le temps d'improviser mais note bien ce que je vais te dire. Je le dis tellement rarement que ça me dépasse souvent. Mais ouais, t'es plutôt cool comme inconnue de soirée. Assure-t-il en terminant sa cigarette.
Je me moque de sa remarque.
- Je suis une fille géniale. Je suis même carrément cool ! Comment oses-tu prétendre que je suis juste « plutôt cool » ? À revoir comme notion, le grand blond. Tenté-je d'un air enjoué.
Finalement, il s'est mis à rouler en souriant.
- Mets plus de vigueur et tu la tiens la perception de la vie de mon grand-frère. Moi je vois plutôt la vie en nuances de gris. Tu tombes sur du noir ou du blanc que très rarement. Les niveaux de gris, il n'y a rien de plus intéressant. Peut-être une pointe de rouge, à revoir également.
Je l'ai écouté attentivement, concentrée à boire ses paroles qui me guident à travers ma tempête intérieure.
- Où est ton copain ? Interroge-t-il en cherchant quelqu'un du regard.
Il cherche Neville. Ce n'est pas théoriquement mon copain mais il pourrait compter pour. J'ai haussé les épaules et soudainement, je me suis mise à flipper. Merde, Neville.
Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Et s'il avait retenté quelque chose.
S'il est absent, peut-être que c'est juste moi qui n'ai pas fait assez gaffe.
Il n'oserait pas, pas vrai ?
Ma panique se lit partout sur mon visage et Aris relève la tête et tente de me calmer.
- Je connais le cas de Neville, Chrystal m'en a parlé. Ils se ressemblent. C'est pour ça que Neville n'apprécie pas ma tempête rouge, c'est parce qu'elle était encore plus suicidaire que lui.
J'ai ouvert grand mes oreilles, à l'affut du moindre son prononcé par Aris. Mon attention a été fatalement captée par ce sujet de discussion. Je me suis calmée progressivement en l'écoutant s'exprimer.
- Tu penses que tu ne contrôles pas la situation car la personne que t'accompagnes est encore plus perdue que toi. En réalité, moi j'étais tellement paumé avec elle que je me suis dit que j'allais juste servir de soutien. Tout dépend de la personne. Certains ont besoin d'un prince charmant, d'autres d'un pilier. Chrystal avait juste besoin de quelqu'un qui ne l'abandonnerait pas. Alors j'ai tout essayé et ça a marché. Regarde, elle s'en sort bien, elle danse, rayonne et sourit.
Aris essaye de me rassurer et c'est réussi.
- Neville est plus compliqué que ça je crois. Je n'ai pas l'impression d'être un pilier ou un soutien. Alors je ne sais pas. À chaque fois, je me dis que cette relation est terminée, qu'il n'y a plus rien à faire parce qu'il n'y a plus d'espoir. Mais au fond, loin de là. C'est confus. Le problème c'est qu'aujourd'hui il n'a pas l'air d'avoir besoin d'aide, il va mieux mais pas moi.
Il a l'air de me comprendre.
- C'est dur de vivre dans l'imprévisible, mais vivre dans le prévisible peut être encore plus déroutant pour certaines personnes comme toi. L'imprévisible te va bien. Ça se voit.
J'affiche un sourire triste.
- Merci.
Se confier à Aris est si simple, si léger et naturel que j'en oublie le contenu de mes propres propos la seconde qui suit. Il assure, confiant :
- Il reviendra vers toi.
*
J'ai passé le reste de ma dernière soirée de 2016 avec Aris avant de quitter le canapé pour crier le décompte avec Olivia. Neville n'est toujours pas là. 2017, les feux d'artifices explosent dans le ciel.
Tout le monde est sorti dehors, bruyants, heureux ou malheureux. Tout un amas de galaxies qui constitue l'univers d'un jardin. Des fêtards comptent à voix haute, d'autres attendent le bon moment pour envoyer des messages de groupe.
À 00:10, j'ai quitté le jardin et suis montée à l'étage pour attendre sur le balcon. Il fait frisquet mais je l'attends. Je suis sûre que Neville arrivera, après tout, Aris m'a presque fait un lavage de cerveau pour que je comprenne cela.
J'ai regardé le ciel en silence et ai attendu longtemps avant de mettre mes écouteurs dans mes oreilles. La musique grouillait. Des sons doux, mélodieux embellissaient chaque seconde passée dehors, en ce premier janvier hivernal.
Même pas un message disant « bonne année » ou un appel. J'ai tenté de l'appeler, sans succès. Je tombe sur son maudit répondeur. Je m'inquiète de longues heures.
Entre-temps il a même arrêté de neiger et je ne suis plus saoule du tout.
1:10, 1:57, 2:15.
À 3:04, je l'aperçois.
Le portail vibre légèrement avant de s'ouvrir à moitié pour le laisser entrer. Je le reconnais, même à l'ombre des jolies lumières de la rue piétonne. Il porte un grand parka et traîne des pieds jusqu'à l'entrée. Je n'ai pas le temps de le regarder de loin avec détails. Il marche beaucoup trop rapidement ce maudit Morel.
Il est entré dans sa chambre une dizaine de minutes plus tard, décoiffé avec un bonnet toujours sur la tête. Je me retourne et il me voit. Les secondes prennent soudainement de longues minutes à s'écouler et j'ai du mal à respirer.
Neville est adorable avec son nez rouge et ses joues rosées.
Le brun me rejoint rapidement, une enveloppe familière et une boîte dans les mains. Il a retiré ses gants entre-temps, ferme la porte derrière lui et se pose à côté de moi.
La température remonte soudainement, il est là, vivant assis contre moi. Il ne s'est pas suicidé ou quoi. Neville Morel est vivant et j'ai osé douter de cela.
- Où t'étais ? Je t'ai attendu et cherché partout. Avoué-je sans lui dire bonsoir.
Il grimace en me prenant la main, encore plus froide que la sienne.
- Je suis passé voir ma mère et ai récupéré quelques trucs. Désolé du retard, j'aurais bien voulu faire le décompte de la nouvelle année avec toi.
Je me serre contre lui, rassurée et frigorifiée.
- Tu vas tomber malade Reina, t'aurais dû rester à l'intérieur. Gronde-t-il en me caressant la joue.
J'ai soupiré, reconnaissant ma défaite sur le coup. J'aurais carrément dû rester dans sa chambre. Demain, je vais attraper le plus gros rhume de l'année.
- Pourquoi tu ne répondais pas au téléphone ? J'ai eu peur, vraiment. Bredouillé-je gênée.
Ses sourcils se sont froncés.
- Il n'avait plus de batterie et j'avais pas de quoi le charger sur le trajet.
Comme d'habitude, il caresse mes cheveux et je me laisse emporter par sa bonne odeur. Je ne sais pas si je pue mais on est pas du tout du même niveau, niveau parfum.
- Ça fait trois semaines quand même et pile le soir où on se promet de nous revoir, tu disparais durant toute la soirée. Ça m'a inquiétée. Me justifié-je en me redressant.
Neville m'inspecte du regard, comme perdu dans une sorte de contemplation. J'aimerais bien le dévorer du regard également mais trouve ma position beaucoup trop confortable, la tête enfouie dans son cou. Tout est familier auprès de lui.
- Neville ?
Il m'écoute.
- Ce soir, je crois que... pour la première fois depuis des mois, je me sens bien.
Il me regarde.
- Je vais mal. C'est comme si je perdais chaque jour goût à la vie. J'essaye d'oublier mon père, mais à force je ne trouve aucune raison valable pour l'oublier, comme ça d'un coup. Je me suis renseigné sur les étapes du deuil mais rien à faire, j'ai l'impression d'être un cas particulier. Je déprime, te pardonne et n'arrive plus à me retrouver. J'ai des instants de doute tellement intenses que j'arrête de vivre sur le miment. C'est affreux Neville.
Il respire gravement.
- Je croyais que notre promesse me faisait tenir parce qu'elle était la seule chose positive qui m'arriverait finalement. Mais ça me tue. Parce que je ne peux pas me cramponner qu'à elle et faire comme si de rien était autour de moi. Je me sens mal dans mon sweat, devant le miroir, j'ai même plus de larmes pour faire croire au monde que ma souffrance est telle qu'il suffit de pleurer pour le prouver. Puis toi tu vas mieux, c'est génial, c'est flamboyant pour moi. Mais... je m'éloigne de ce bonheur-là alors que toi tu t'y approches. Et j'ai peur de te barrer la route tu vois. J'ai peur d'être un obstacle à ton bonheur. Un ami m'a dit que dans son couple il était un soutien. Je me suis remise en question et ce soir, j'ai compris que... je ne sais pas... Je suis juste... tellement perdue.
Ses yeux s'accrochent aux miens tout au long de cette longue complainte. Je viens de me confier, de me mettre à nu pour une fois.
- Je voulais te dire ça avant le décompte pour qu'on puisse compter et oublier ce que j'ai dit, reprendre à zéro, nouvelle année, nouvelle vie, hein. Même moi j'y crois plus tant que ça.
Neville me relève le visage par le menton pour s'assurer que je ne pleure pas. Je pourrais flancher mais ma gorge est si sèche que je ne me focalise que sur ma tremblante voix.
- Reina. C'est que des foutaises ces vieux proverbes de merde. Nouvelle année, nouveau départ, nouvelle connerie surtout. Ça ne change rien, juste la date qui monte d'un chiffre. Puis, n'importe quel jour peut être une source de renouveau.
Il s'éclaircie la voix.
- C'est vrai que je vais mieux. Mais ça ne veut pas dire que je ne souffre pas. Je vais t'aider, j'ai tellement de choses à te faire comprendre dans ce cas-là. Dans deux jours c'est ton anniversaire, je t'ai ramené un truc de la ville à l'océan comme tu l'appelles si bien. Attends deux jours, combats encore deux jours de plus et promis, tu verras, tout sera plus simple après ça. N'essaye pas d'oublier ton père, ça ne sert à rien. Il faut se relever et aller de l'avant, comme tu le fais, mais sans reculer parfois.
Je me cramponne à lui avant de poser mes lèvres sur les siennes une énième fois. Ça fait des mois que je n'ai pas pu goûter à ce contact. Ça fait des mois que j'attends ce moment-là.
Neville me fait me sentir bien, comme si j'avais une chance d'être une étoile. La comète Lyange va mieux subitement.
D'une voix plus douce, il poursuit :
- Hé ma jolie reine, je suis là.
Il termine :
- Et je te promets que je ne te lâcherai pas.
*
Vers le milieu de la nuit, Olivia nous a rejoint. Elle a des clopes à fumer et on a tout partagé. Elle chantonne du Serge Gainsbourg et du Edith Piaf. C'est monté à la tête.
On a ri en écoutant les perles de la soirée.
- Et je vous jure que Douglas a tiré la jambe coincée de Calypso après l'action et vérité. Et mon dieu la tête qu'elle affichait, c'était énorme. Douggie s'en est bien sorti, il a réussi à récolter vingt numéros de boulets de canon. Affirme-t-elle en rigolant.
Ce soir, il n'est plus question d'être fatiguée. La lune nous berce sans nous attrister.
J'ai commencé à réfléchir au monde, à la vie et à qui je suis. J'ai compris que j'étais une adolescente sur le point de grandir. Dans deux jours, j'aurai la majorité, je dépasserai un cap encore flou. J'ai compris que ma vie prendrait le tournant que j'espérais tôt ou tard. Je me suis mise à penser à ces levers de soleil dans la nature, sur le balcon d'un hôtel, à l'océan. Je me suis rappelée des souvenirs de cette longue fugue perdue entre des vagues et des pétales de coquelicots. J'ai plongé dans une nostalgie éphémère.
La rosée du matin a pointé son nez et j'ai souri aux deux personnes emmitouflées à côté de moi sous les fines gouttelettes d'eau.
Pour une fois, à l'aube, Reina Lyange ne se sent pas seule au monde.
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