un treizième chapitre
Chapitre 13
Il est adossé contre un arbre, un casque sur les oreilles et les doigts feuilletant son carnet. Olivia m'a amenée jusqu'à lui ce matin, séchant toute sa matinée de sport. Elle ne regrette rien : éviter la natation, c'est ce qu'il y a d'après elle, de plus fantastique.
J'ai demandé à Olivia de ne pas me raconter l'histoire de ce couple. Je veux l'entendre sortir de la bouche du trouduc' qui s'est joué de moi. Mais au fond, j'appréhende.
Ça ne m'est arrivé trois fois d'avoir la boule au ventre ainsi. La première fois, c'est quand j'ai compris qui était mon père, la deuxième fois, le jour où j'ai avoué à mon ex que je ne l'aimais pas, la troisième, à la station service, le regard de Neville ce jour-là. Cette quatrième fois, elle m'irrite l'esprit. Mes poils se hérissent, mes pas flanchent et mon souffle trouve une irrégularité que je ne perçois même plus. C'est étrange d'avoir la boule au ventre, comme une sensation d'impesanteur qui te noue chaque partie du corps.
Ce n'était pas futé de ma part de tomber aussi facilement amoureuse. C'est même déconseillé – sérieusement si un jour je re-rencontre un gars comme Neville, je l'éviterai à tout prix ; faut bien que j'apprenne de mes erreurs –.
Le problème reste le fait qu'une petite part de moi pense que ça n'a jamais été une erreur, que j'ai eu raison d'apprécier la beauté de ses yeux, de ses cheveux et de ses mots –maux ? –.
Et puis, pendant une escapade, deux baisers, la solitude m'avait quittée. Subitement.
L'autre partie s'en veut, terriblement. Plus jamais Reina, plus jamais tu ne t'exposeras à la souffrance comme ça. Quelqu'un d'intelligent avait dit qu'aimer c'était donner à quelqu'un la possibilité de te faire souffrir. Et moi, je crois que j'ignore cette souffrance. J'ignore le dramatique et pathétique de cette scène où j'attends que quelque chose se passe dans cette cour. Je l'attends mais il ne me remarquera jamais, plantée derrière l'entrée à le surveiller de loin.
- On passe la matinée à le stalker ou on lui botte le cul ? Lance Olivia déterminée.
Au final, je ne sais même pas si je suis la plus accablée par ce qui se passe. J'ai l'impression d'être dans une pitoyable transe. Il y a eu un court instant où j'ai cru mourir intérieurement à l'entente du prénom de cette petite-amie précieuse. Maintenant, j'ai laissé ma rancœur et incompréhension de côté pour comprendre mes idées embrouillées.
- Reina, tu as tes mots en tête ?
J'y ai réfléchi toute la nuit. Les mots qui briseraient la glace, qui finiraient par le perdre. Je les ai sur le bout de la langue. Toutefois mes doutes me rappellent que devant lui je les oublierai tous. C'est bête.
J'ai menti en hochant la tête de haut en bas. J'ai perdu mon souffle quand elle m'a pris le poignet et m'a dirigée vers lui. J'ai arrêté de réfléchir quand son regard a croisé le mien.
Oli' a enlevé le casque des oreilles de son demi-frère et lui a tapoté l'épaule avec agacement.
- Tiens frérot, j'ai ramené ta « copine » oubliée à la mer. Marmonne-t-elle alors que je lève mon regard vers lui.
Je tente de fuir ses yeux mais la Reina de surface me pousse à les diriger vers les siens. Je dois tenir tête à ce gars. Même moi je sais que j'en ai le courage. Reina Lyange porte toujours ses couilles, quoi qu'il arrive.
Mais jamais en amour. Ça ne va jamais dans le sens que je veux ou que la Reina forte veut. Rien ne peut nous pousser, elle et mon for intérieur à sortir les mots que j'ai en bouche.
Il n'a pas l'air surpris, ni décontenancé. Neville affiche une expression neutre, inconnue. Comme si rien ne le frappait dans le fait de me revoir. Ça ne lui fait rien, alors qu'au fond, ça complique tout.
- Salut Reina.
Sa salutation sort de sa bouche si distinctement que j'en perds de la vitalité. Il n'a aucune raison de me saluer, de me parler ainsi. Il devrait être effaré, déstabilisé. Là, il ressemble au Neville que je connais.
Brusquement, tout sort. La rage enfouie en moi gonfle, mes yeux se gorgent de larmes et mes tremblements cessent. Mes yeux sombres croisent finalement les siens et la claque retentit dans toute la cour.
Olivia recule pour nous laisser seuls.
- On ne joue pas avec les sentiments. Quoi qu'il arrive, Neville Morel, ça ne se fait pas de jouer avec des sentiments. Je suis humaine, je ressens des trucs que les humains ressentent. On s'est croisé, je suis tombée amoureuse et toi tu m'as prise pour une moins que rien. C'est toi qui m'a embrassée, c'est toi qui m'a dessinée. Je suis toute aussi fautive que toi. Mais tu vois, te voir disparaître du jour au lendemain, me demander si j'ai fait quelque chose de mal pendant des nuits avant de me dire qu'il faudrait que je te retrouve pour mettre les points sur i : ça ronge l'esprit. Puis j'ai appris l'existence de cette fille, cette Calypso. On se connaît pas Neville, tu ne sais rien de concret sur moi. Moi je n'arrive même pas à comprendre un centième de toi. Mais à chaque fois que je croise ton regard. Je...
Ma colère retombe subitement pour faire place à cette douce mélancolie.
- J'ai cru que...
Ses yeux ne fuient pas les miens, son mutisme apparaît dans ses traits.
- ... ça valait le coup de renaître grâce à toi.
Ce qui a suivi, je m'en souviens très bien. Tous les souvenirs perceptibles s'embrouillent et deviennent vagues. J'ai tout mémorisé de ses réactions, de ses gestes. Un obstacle m'a interrompue dans la recherche de vérité. Cette fille est arrivée en accourant, les cheveux attachés dégringolant en cascade sur son dos. Et puis, voilà, ce flou permanent.
Calypso.
J'ai reculé de trois pas et suis partie. C'est fini Neville et moi. Malgré tout, je n'ai pas encore eu le temps de le comprendre, d'assouvir la soif de savoir et de connaissances. Elle est arrivée avec cet air inquiet et ne m'a même pas remarquée en décoiffant les cheveux de Neville devant moi. Les yeux de son petit-copain se perdent totalement dans les miens mais elle ne voit rien.
Quoi qu'elle pense. Quoi qu'il croit. Le regard qu'il vient de me lancer prouve qu'une part de lui n'a rien à faire d'elle et qu'il est affecté par ce qui se passe.
Olivia me rejoint en accourant, fière de moi. Ça m'a bouleversée d'entendre ses encouragements. J'ai encore la paume de la main rougeâtre, les yeux aveuglés par ce que je viens de percevoir.
Neville et moi, ça a toujours été des regards. Des regards longs, brefs, sentimentaux, insistants. J'en ai échangé très peu en l'espace de 10 jours. Mais assez quand même pour faire resurgir la vraie Reina.
***
Quelques heures vides sont apparues dans cette journée où j'ai ressemblé à un être végétatif.
Puis il m'a appelé à vingt-trois heures. La station de bus, un lieu de rendez-vous pour s'expliquer pour de bon. Moi aussi, j'ai besoin de comprendre pourquoi et qu'est-ce qui lui a pris de me regarder comme ça. Comme si tout avait eu du sens, que je n'avais rien compris à cette escapade cette nuit-là. Ce regard qui m'attache à mes illusions. Ça m'obsède.
Je suis descendue sans maquillage, avec un sweat grotesque, un jean trop grand et un k-way comme seule protection face au vent.
Il fait froid et tout me rappelle le soir où j'ai décidé de quitter pour la cinquième fois, mon prétendu chez-moi. Ça fait tellement cliché de le rejoindre tard dans la soirée alors qu'il a cours le lendemain. Ça fait tellement cliché de croire en l'impossible avec toutes ces bouffées d'espoir. Il est assis dans une voiture, au volant, garé à quelques mètres de la station. J'inspire plusieurs fois avant de m'asseoir sur le siège passager.
Avec une déception invisible, je comprends qu'il ne m'emmènera nulle part.
Quelques jeunes passent par là, se demandent qu'est-ce que deux rigolos foutent dans une voiture à ne pas se parler à la lumière des clignotants.
Il est habillé simplement. Tout lui va bien.
Sa beauté vibre dans l'endroit.
Après tout, c'est lui qui mène la valse.
- J'ai merdé, vraiment.
Mon rire emplit l'espace, la voiture et les cieux. C'est si nerveux, si tendu qu'un frisson passe au niveau de mon cou.
- J'ai trompé ma copine avec toi.
Il baisse la vitre, s'allume une clope devant moi.
- C'est clair que ça n'avait rien de respectueux ou d'intelligent.
Ma remarque est suivie de ce regard fusillé que je n'aurais jamais cru pouvoir faire dans ce genre de situation. Le sourire bête qu'il affiche me paraît troublé.
- J'ai écrit ce qui s'est passé pour t'expliquer. J'ai tout noté dans un message que je voulais t'envoyer le matin où je suis partie avec Olivia. Tout était prêt pour t'avouer à quel point j'avais fait du mal au monde en te laissant derrière tout ça. Mais tu vois Reina, j'ai compris qu'après le baiser sur la plage, ça ne se faisait pas de t'envoyer un message comme ça. Ce n'était pas juste de le faire ainsi.
Son visage blêmit quand je serre les poings.
- Es-tu vraiment en train de me dire que ne rien m'expliquer était plus raisonnable que m'abandonner sans rien ?
Sa respiration s'alourdit au rythme de la mienne.
- Tu fugues, tu l'as même écrit dans ton carnet de rapports. T'as déjà fait des rencontres, tu les avais déjà laissées derrière toi. Tu t'en sortirais sans une rencontre nommée Neville que tu ne connaissais même pas.
J'ai tourné ma tête vers lui, perdant le peu de sang-froid qui me restait.
- Donc si j'ai bien compris, tu penses qu'en fuguant je signe un contrat pour un monde éphémère ? Je suis égoïste Neville, les rencontres de mes anciennes fugues, elles n'ont rien à voir avec ce qui se passe là. C'est moi qui les ai laissés derrière, en les prévenant avec des adieux. De toute ma vie, on m'a laissée deux fois en plan comme ça. La première fois, j'ai perdu une figure paternelle. Cette deuxième fois, j'ai perdu tout l'espoir que j'avais dans une cinquième fugue.
Il tire une taffe, lance la cigarette par terre, le mégot sur le trottoir.
- Qu'est-ce que tu veux faire finalement ?
Sa question est prononcée avec une telle franchise. Il est aussi perdu que moi, ça s'entend dans sa voix.
- Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Ma réponse est si ridicule. Rien de très aguicheur. On est resté une dizaine de minutes à écouter le silence de l'endroit.
- Est-ce que tu penses être vraiment amoureuse de moi ?
Sa question reste en suspens un temps. Je n'ai plus la force de répondre à quoi que ce soit.
J'ai senti sa main me prendre par la taille, au gré des bidules du véhicule qui nous séparaient l'un de l'autre. Mon cœur n'a pas explosé dans ma poitrine, il est resté intact un temps avant de me rendre compte qu'il me demandait de se rapprocher de lui. C'était malsain de rejouer à ça.
- Viens, j'ai besoin de te faire comprendre quelque chose.
La Reina courageuse n'aurait pas réagi, elle serait restée sur le siège à quelques mètres de lui. Mais je n'arrive pas toujours à endosser parfaitement ce rôle et la Reina insouciante lui obéit une dernière fois.
Je grimpe sur lui. C'est la première fois que je suis aussi proche de lui. La voiture beaucoup trop étroite ne nous aide pas.
Ses doigts passent dans mes cheveux, frôlent mes paupières, ma joue gauche, puis droite. Une des mains s'arrête pour me caresser les cheveux, l'autre s'approche de mon menton.
- Reina, je ne crois pas être amoureux de toi.
Tout tourne à cet instant, assise sur lui, les larmes coulant sur ses doigts. Je n'arrive pas à le croire. Je n'arrive pas à m'y faire.
Nos fronts se sont collés et j'ai serré mes lèvres pour arrêter de pleurer. Je suis plus forte que ça. Plus forte qu'un minable chagrin amoureux. Je me suis décollée pour reprendre de l'air et j'ai glissé une main sous son pull, touchant la peau de son buste pour la première fois.
Le contact est électrisant et je ne suis pas la seule à le ressentir. Ses yeux s'assombrissent.
Dans les scènes de film, les deux s'embrassent passionnément et baisent sur les sièges arrières de la voiture. Moi, j'ai juste plongé mes yeux dans les siens une dernière fois en lui chuchotant tout bas :
- Ce soir, je te laisse derrière moi.
Je suis sortie de la voiture en pleurs parce que je ne suis qu'une fille qui s'est faite larguer comme une moins que rien. Je pleure parce que j'en ai le droit. Je pleure parce que même si j'en ai honte, ça me tue d'avouer que j'ai cru qu'il m'embrasserait une dernière fois.
Je ne saisis toujours pas ce qui vient de se passer. La raison valable pour me laisser derrière est le fait de ne pas m'aimer.
Est-ce qu'un jour l'amour ne fanera pas?
Ce soir-là, marchant seule sur le pavé des trottoirs, j'ai compris que Neville Morel avait réussi à disloquer les restes de cette pitoyable confiance en soi.
nda: merci pour les 10k, vous êtes extraordinaires, chez moi il pleut et ça m'a fait pensé à reina <3
j'trouve que le livre part vraiment dans le côté très dramatique et compliqué, un peu beaucoup romancé et pas réaliste, mais je ne sais pas pourquoi je fais ça comme ça, mais j'espère que ça vous plaira c:
e/o
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