un huitième chapitre



Chapitre 8

Avez-vous déjà rencontré une personne les joues rouges de froid, la main sur le cœur et les pieds ancrés dans le sable ? Je regarde l'océan et évite de céder à la tentation de tremper mes pieds. Je tomberai malade, assaillie d'un lourd rhume et d'une terrible sensation de malheur. J'ai l'esprit ailleurs.

Les vagues sont aussi désirables que la pluie. Le parfum de l'océan est irremplaçable, extrapolé d'une couleur bleutée inerte. Le cœur ailleurs, les yeux fuyants, je lâche des soupirs à chacun de mes pas.

Je suis déçue. Franchement. Ce n'est pas grand chose, mais, je m'attendais à ce qu'il vienne discuter. Pas que sa présence m'est essentielle. Mais au fond, le fait de le voir, je le souhaitais et le souhaite encore. Neville est une personne mystérieuse qui fume des clopes, accroupi sur des terrasses et qui te montre une facette de lui-même aussi manifestement qu'un livre ouvert. De quoi te donner le tournis rien qu'en pensant à lui.

Puis il est beau, et c'est dramatique d'être aussi beau.

Au final, peut-être qu'il est juste un con qui se crée des problèmes dans la vie. Mais je ne le pense pas. C'est sûrement parce que même moi je n'y crois pas.

En me tournant vers les pavés, j'ai eu un pincement au cœur à l'idée de retourner à l'auberge en saluant, au loin, une nouvelle fois l'océan qui m'ouvre toujours autant les bras. Mais à chaque fois que je regarde ce doux paysage, tout m'inspire beauté, délicatesse et subtilité. Mais pas l'agonie. Et c'est risqué de vouloir voir cette face du monde mais, il faut oser pour comprendre cette période de sa vie.

L'auberge est à dix minutes de marche si je traverse le rond-point. Les gens me regardent tous, comme étonnés par la présence d'une adolescente perdue au milieu de ces pâtés de taudis. Il faut traverser la ruelle du bistrot avant d'arriver à ma destination où j'ai calé, dans un sac plastique, trois clémentines bien appétissantes.

Je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un coup d'œil à la fenêtre, obsédée par l'idée de le croiser. Ça ne va vraiment plus Reina, tu deviens folle. Les rideaux sont fermés, les portes closes et aucune ombre se trémousse derrière les rayons onduleux du soleil d'octobre. Il fait beau aujourd'hui.

Et c'est en traversant une rue piétonne que je me suis remise en question. Et précipitamment, je manque de trébucher en laissant recours à mon intuition.

Je tombe amoureuse. Voilà, tout simplement. Je sais ce que ça fait d'aimer, d'avoir éprouvé quelque chose d'aussi réel qu'un torrent de larmes. Je sais ce que ça fait de se prendre l'airbag de l'amour dans la gueule sans le vouloir. « Tomber amoureuse » restent de grands mots mais rien ne me semble plus dérisoire que de penser le contraire. Et je suis irrémédiablement tombée dans la phase une du plan d'attaque des plans foireux amoureux à la Reina Lyange.

Très subjectivement, il y a toujours trois phases. La première, c'est l'obsession. Mon esprit fait une fixette sur la personne, ses gestes, son tempérament avant de le foutre quelque part dans mon corps pour le recycler. Dans ce cas-là, c'est pour l'envoyer dans mon cœur en battements. La deuxième phase, c'est le doute. Je me pose des questions tordues sans aucun sens dans le seul but de comprendre. Comprendre, toujours ce même verbe qui hante mes pensées sans délaisser mes maux. Puis la dernière phase, la fuite. J'aime mais je fuis. Tout simplement.

Mais rien n'est simple en soit car ça me jette toujours un sentiment d'horreur dans l'échine et les membres. Puis ça craint toujours de devoir laisser échafauder mes phases sans mon accord. C'est pour ça que j'essaye toujours d'anticiper la chose sans jamais réussir à la contrôler entièrement.

Maintenant, je n'ai plus du tout envie de le revoir. Reina est bien paumée au fond, je suis un sacré et terrible paradoxe.

***

En rentrant dans la chambre, les pelures de clémentines dans la poubelle et les jambes se balançant dans tous les sens, j'ai appelé Tristan.

Il n'a pas décroché mais il m'a rappelé. Je n'ai pas non plus décroché. L'appeler n'était vraiment pas futé de ma part mais je ne regrette pas trop non plus, vu que je me suis rattrapée en ne décrochant pas.

Je n'ai jamais réellement aimé Tristan mais j'ai toujours aimé son frère. Ce n'est toujours pas très malin de ma part mais faut s'y faire, la vie n'est pas maline et les humains ne le sont pas non plus.

C'est dur de repenser à Isaac sans avoir mal au cœur. C'est encore pire que de penser à Tristan. Les deux vont de pair avec mon malheur et ce n'est pas pratique parce que je les croisais toujours dans le détour d'un couloir, sur les allées d'un supermarché ou bon dieu, dans la queue des toilettes publiques.

Et le plus bête dans toute cette histoire, c'est qu'ils sont jumeaux. Les deux se ressemblent comme deux gouttes d'eau et j'ai dû tomber folle amoureuse de l'autre. Reina est un paradoxe, j'vous dis !

J'ai réfléchi longtemps à ma minable vie amoureuse le temps de trouver un moyen de joindre Olivia. Je quitte la ville pour un autre bourg un peu plus loin peut-être demain. Ce sera moins difficile. Surtout pour contrecarrer mes débuts de sentiments pour le mauvais gars au mauvais moment.

Elle a décroché comme toujours, la voix claire et étouffée par des sanglots dans ses alentours.

« Je suis à l'enterrement de mon père, ce n'est pas la joie, tout le monde pleure beaucoup, j'ai l'impression d'être la seule qui ne voit pas son monde tanguer ! » M'avoue-t-elle à l'autre bout du fil.

Ce n'est vraiment pas le meilleur moment pour l'appeler mais je n'aurais jamais cru que son père se faisait enterrer aujourd'hui, à l'heure où je mangeais mes quarts de clémentine.

Olivia sonne étrangement fausse cette fois-ci. Elle a toujours l'air enthousiaste, pleine de sourires et de remarques alléchantes à revendre. Mais sa voix a perdu une étincelle, comme si quelque chose s'était brisé au fond d'elle.

Elle tangue aussi dans ce monde brisé sans s'en rendre compte et c'est bien ce qu'on appelle la première phase du deuil : le déni.

« Tu veux que je vienne te voir ? » Proposé-je légèrement inquiète en me relevant du lit.

Elle m'a filé l'adresse par message et m'a demandé de patienter quelques minutes, arrivée là-bas si je ne la vois pas. Mon portable a encore un peu de batterie et j'espère sincèrement que ça fera l'affaire.

J'ai attrapé mes converses d'une main et suis repartie vers une adresse inconnue. Arrivée au cimetière, j'ai eu mal au cœur. Tout le monde était habillé en noir, toute une petite famille allant des plus petits aux plus grands. Tous pleuraient sauf Neville et Olivia, assis contre un tronc d'arbre. L'un lisant un livre, l'autre en train d'appeler quelqu'un qui n'était autre que moi.

Elle m'a reconnue de loin et m'a presque sauté dans les bras.

- Je déteste voir les gens pleurer. Se justifie-t-elle en me voyant loucher sur ses yeux rougis.

Neville est arrivé après elle et j'ai beaucoup sué sur le coup parce qu'à force d'anticiper toute cette affaire de sentiments niais, je l'accélère. J'ai tendu mes bras vers elle et elle a posé ma tête sur mon épaule. Je ne fais jamais ça aux inconnus mais j'aurais aimé qu'on me donne l'occasion de le vivre un jour.

Tout cette atmosphère pesante mortelle qui rôde autour, j'l'ai foutue dans les larmes qu'elle laisse couler sans faire exprès. Et en frottant ma main contre son dos, je me suis dit que ça irait sûrement mieux si je lui transmets de bonnes ondes.

Alors je lui ai souri. Pas du sourire moqueur à la Reina Lyange ou le sourire con que j'arbore quand je m'en branle. Non, le vrai sourire désolé que j'affiche dans le monde des faux-semblants. Le sourire sous la pluie, le sourire face au monde, le sourire de l'enfant.

- Je lui en veux tellement. Il s'est barré au ciel sans me laisser la possibilité de lui dire un « au revoir » digne de ce nom ! Crache-t-elle en me serrant encore plus fort.

Seconde phase : la colère. J'ai essayé de calmer sa rage, sa rancœur en sortant un rouge à lèvres de ma poche, comme pour qu'elle se maquille, pour lui faire penser à autre chose. Elle l'a pris et en a mis, concentrée, les yeux brouillés.

C'est dur de voir un rayon de soleil se ternir sous l'anéantissement.

Olivia a son mascara qui dégouline, ses taches de rousseurs aussi apparentes que le monde qui se disperse autour. Puis Neville m'a regardée longuement et a tapoté l'épaule de sa sœur.

- Ta mère nous appelle.

Ils sont partis et m'ont laissée en plan. J'espère qu'au fond, je n'ai pas fait tout ce chemin pour rien. J'espère qu'Olivia sautera les étapes de l'expression et de la dépression pour se focaliser sur l'acceptation.

Je n'aime pas les cimetières, ça me fout les jetons de voir des fleurs posées sur des tombes. Je suis comme Holden Caulfield dans L'attrape-coeurs quelque fois, faudrait me jeter dans une rivière plutôt que de la boue.

Seulement, j'ai passé le restant de la soirée à l'océan, en trempant mes pieds pour glacer mes membres.

Si Olivia fait le deuil de son père, je vis avec l'impression d'avoir jamais vécu le mien. Le manque est là, les larmes n'arrivent pas.

***

C'est à minuit que Neville m'a appelée, la voix sombre et détruite.

Sa voix était presque écaillée de souffrance. Puis il m'a expliqué la situation, qu'elle est encore vivante mais qu'il faudrait que je la vois parce que même si je ne suis qu'une "inconnue", je lui manquais déjà dans son nouveau lit d'hôpital. L'essentiel, c'est qu'elle aille bien, qu'elle respire encore, que son coeur bat la chamade pour le sourire de sa vie et de l'univers.

Olivia n'a pas sauté les bonnes étapes, elle a juste préféré se doper jusqu'à l'overdose.



nda: 3kkkkkk wow ;-; je ne suis pas beaucoup relue mais j'voulais vous pondre un chapitre quand même ce soir! merciiii

bon on rentre dans the dark side du bouquin, préparez-vous à bader avec moi en lisant/écrivant ah la la

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