Jared

J'ai à peine le temps de verrouiller la porte et de visualiser sa silhouette contre moi qu'un violent coup de manchette s'abat sur mes côtes. Je le pare in extrémis avant de voir venir un coup de pied latéral au tibia.

Bordel de merde !

J'esquive encore une fois. Mes réflexes parlent pour moi et c'est le flou total, mais tout ce que je sais, c'est que cette nana ne rigole pas.

Putain ! Elle veut me tuer ou quoi !

Un coup de coude balancé à pleine vitesse dans ma trachée me confirme que cette furie sait ce qu'elle fait, et qu'il est temps que je la calme. J'attrape son bras et en un éclair, j'effectue une torsion qui la plaque contre le mur. Retour à la case départ.

Sous un rayon de lune, son regard percute le mien et m'agresse visuellement. Ses yeux me jettent des éclairs. Ils sont d'un bleu profond, plus sombres que les miens. Sa peau laiteuse est rougie par la colère. Elle est furieuse, vraiment furieuse. Et putain, je crois que c'est excitant !

_ Espèce de taré ! Tu vas me lâcher immédiatement ou je te jure que je vais devenir ton pire cauchemar !

Elle se débat et tente de me balancer des coups de pieds dans les tibias, visant presque juste là où ça fait le plus mal. Je l'esquive alors qu'elle essaye de me faire une clé de bras pour retourner la situation.

Merde.

On dirait qu'elle a bien plus que des bases de self-défense. Mais ça tombe bien, moi aussi. Seulement c'est à deux doigts de ne pas être suffisant : elle m'échappe à plusieurs reprises, et nos corps s'entrechoquent dans un ballet inconscient avant que je ne parvienne à la plaquer contre le mur à nouveau, essoufflé et chaud comme la braise. Mais quelle furie ! Elle se débat encore mais je ne la lâche pas, le regard noir, bouffé de désir et d'un autre truc inconnu qui monte en flèche, incontrôlable. Ça pulse dans mes veines et ça déverse dans mes artères un sentiment d'urgence. Un mélange d'adrénaline et de goût du risque qui coule à flot dans mes veines et décuple toutes les sensations. Bordel. J'ignore si c'est son regard ombrageux et ses pupilles où vacille une flamme de défi, si c'est sa capacité à se battre et à riposter avec violence, mais ça déclenche en moi un truc insoupçonné. Un désir ardent, primitif et bestial. Je la veux ! Là, tout de suite, maintenant. C'est violent, brut et sauvage. Et quasiment ingérable...

Je plisse le front pour tenter de me contrôler alors qu'elle me jauge en silence, méfiante et enragée. Ses pupilles luisent dans la pénombre, telle une panthère tapie dans l'ombre et prête à se relancer dans le combat, guettant un moment de faiblesse pour me sauter à la gorge. Je tente de calmer le jeu en demandant avec un sourire en coin :

_ Krav Maga ?

Elle me toise d'un air de défi, le menton relevé et le regard étincelant. Elle me répond avec le même sourire en coin :

_ Aïkido ?

Je hoche la tête pour toute réponse, recouvrant peu à peu une respiration normale et les idées plus claires. Je prends alors pleinement conscience de son corps bloqué entre mes jambes et de ses poignets capturés entre mes doigts. Je ressens tout, jusqu'au parfum de vabille qu'elle dégage et qui m'enveloppe dangereusement. Et une nouvelle montée de désir me vrille instantanément les côtes, incendiaire et plus puissante que jamais. J'encaisse le coup dans un souffle, complètement déstabilisé par l'ampleur que ça prend en moi. Aussitôt, elle se fige, la respiration encore saccadée, la poitrine en avant, me donnant envie de me jeter sur elle. Au lieu de ça on se jauge en silence, le corps tendu à l'extrême...

La voir arriver dans les bras de ce mec m'a rendu dingue. Je déteste qu'on touche à ce que je convoite. Et elle s'est barrée du concert en plein milieu, me laissant la chercher du regard pendant tout le reste de la playlist. Elle a abusé de ma patience et manque de bol, je n'en ai pas. J'avais vraiment envie de lui expliquer ma façon de voir les choses, et de passer à la vitesse supérieure après avoir constaté l'effet que je lui faisais pendant le concert. Si elle ne m'avait pas attaqué, je l'aurais déjà embrassée. Pas besoin de perdre de temps. Des gestes bien plus que des paroles. Sauf que le regard qu'elle me lance à l'instant, et la puissance de ce que je ressens, me coupe toute envie d'écourter ce moment...

Bordel. Elle est tellement magnifique.

Je serre le poing autour du sien et son regard s'embrase, prenant une teinte qui me coupe la respiration en deux.

Oh putain.

J'ai terriblement envie de lui attacher les poignets et de la baiser brutalement contre cette porte, là, tout de suite. Mais non. Ce serait presque un blasphème. Je ne la veux pas comme ça. Rapidement. Ce n'est pas digne d'elle. Je veux prendre tout mon temps et qu'elle se soumette à moi de son plein gré. Éteindre, puis étendre le feu qui brûle dans ses yeux, et lui donner une teinte plus rougeoyante, la regarder s'enflammer de désir plutôt que de défi. Dompter et soumettre cette furie... Rien que d'y penser je bande déjà violemment. Encore plus fort. Je suis si dur que c'est impossible qu'elle ne le ressente pas, avec son corps imbriqué contre le mien...

J'aspire ma lèvre inférieure et la contemple intensément. Elle arrête instantanément de respirer et se fige contre moi. Je la sens frissonner. Le monde s'éteint autour de nous. Ses lèvres à proximité et son souffle sur ma bouche... Je goûte son odeur du bout des lèvres. Sa poitrine se soulève plus rapidement et le bleu de ses yeux vire à l'orage. Alors elle le sent, elle aussi... cette alchimie entre nous deux ? Je suis fou. Ces putains de sentiments ne me ressemblent pas. Je devrais la lâcher et la laisser repartir. Mais sa bouche exerce une trop forte attraction sur la mienne. C'est tout son corps entier qui attire le mien et l'appelle.

Putain, je suis en train de déconner !

Depuis quand je désire une femme comme ça ? Au point d'en avoir des scrupules et d'hésiter, de peur de devenir trop violent quand je la baiserai ? Je ferme les yeux et j'inspire profondément. Il faut que je la lâche avant de déraper...

Mes mains se détachent lentement de ses poignets et je m'éloigne d'elle à regret. Elle ne bouge pas, me fixant sans comprendre. Elle est presque trop innocente pour que je la veuille pour moi. Mais c'est trop tard. Je l'ai déjà dans la peau. Et merde, ce n'était pas arrivé depuis...

Ok, faut que j'arrête de cogiter et que j'agisse avant que le groupe ou son pote se rameutent. Alors je m'adosse au mur et j'appuie sur l'interrupteur avant de m'allumer une clope.

_ Bon, tu me les montres tes photos ou bien ?

Elle cligne des yeux et me dévisage avec ahurissement. Ses iris retrouvent une lueur sauvage. À priori, elle n'aime pas qu'on lui donne des ordres. Je hausse un sourcil : une dominatrice, tiens-donc. Toi et moi, c'est voué à l'échec si on part comme ça bébé...

_ Je ne suis certainement pas venue te montrer mes photos ! Tu peux crever avant de les voir ! Je suis juste là pour te dire que je n'ai jamais croisé de mec aussi taré et grossier que toi ! T'es complètement barge ma parole ! Va t'acheter une conscience et un brin d'humilité ! Et je ne suis pas ta "chérie" ou ton "bébé", jamais ! Et heureusement, connard !

Et elle part en trombe, ouvre la porte que j'avais verrouillée et se barre comme ça, me laissant seul au milieu de la loge avec son parfum sur les mains.

...

Le silence devient assourdissant autour de moi. J'inspire et tire une latte mais c'est son odeur qui me revient, pernicieuse et insaisissable. Je ferme les yeux et mon poing se referme sur du vide.

Bon...

Ok...

J'ai merdé.

J'ai carrément merdé, même. J'ai un peu perdu le contrôle de la situation. Je ne touche jamais une femme comme je l'ai fait ce soir. Tout est toujours consenti dans mes rapports, c'est du donnant/donnant. Fais chier ! Ça ne devait pas se passer comme ça. Depuis quand je joue au mâle dopé à la testostérone, sérieusement ? Ça en est devenu malsain et j'ai carrément dû la faire flipper, plutôt que de lui donner envie de baiser. Jamais sorti un plan de drague aussi foireux ! Et maintenant, ma gaule va pouvoir attendre avant d'être soulagée. Mais bordel, quel con !

J'attrape un tee-shirt pour me rhabiller et sors en trombe : il faut que je trouve un moyen de rattraper ce merdier.

Sauf qu'elle n'est plus là. Impossible d'apercevoir sa silhouette au milieu de la foule. Et les groupies s'agglutinent déjà devant le bar... Shawn et Chase en ont déjà ferré deux chacun et descendent des bières l'un en face de l'autre, une fille à chaque bras. Le rituel d'après concert voudrait que je les rejoigne, et que je trouve les nanas les plus baisables de la péniche pour les laminer comme à chaque fois, mais je n'en veux pas. La plus baisable de toutes, c'est elle, sans hésitation. Et elle seule me suffira. Sauf que je viens de laisser passer ma chance... Putain de bordel de merde !

Shawn me repère et lève les pouces en l'air, m'exposant ses trophées du soir avec un air goguenard. Chase suit son regard et me fait déjà signe de les rejoindre. Mais je les ignore complètement. Au lieu de ça, mes yeux se posent sur les trois membres de Behind, qui commandent des boissons à Dave juste derrière eux. Il me faut à peine trois minutes pour me décider. Je me dirige vers eux sans la moindre once d'hésitation : grâce à cette nana, ils ne le savent pas encore, mais ils viennent de gagner le gros lot.