Elle
Jared
Je commande un shot de Jägermeister à Dave, le patron du bar. Quelques secondes plus tard, il le dépose devant moi. Je l'avale d'une traite en jetant un coup d'œil au groupe qui est en train de s'installer : quatre mecs, rien de bien original, plutôt bien sur eux, un peu gauches. Deux blonds, deux bruns, tous les cheveux courts et pas une trace de tatouage. Jeans, tee-shirts et belles gueules. Enfin, surtout le guitariste et le batteur. De quoi faire descendre quelques nanas en chaleur dans la cale, même s'ils nous servaient de la merde. Dave fait plutôt bien son job, honnêtement, et il n'accepte pas n'importe qui dans son bar. C'est leur bébé, à Susie et lui, un truc complètement barjot et hors du temps, où ils nous servent chaque semaine de la musique à vous faire exploser la cage thoracique. Mais là, je ne sais pas ce qu'il avait fumé de pas net quand il les a ajoutés à sa prog, mais j'ai vraiment pas l'impression que ça va casser des briques. On voit bien qu'ils n'ont pas l'habitude de la scène. Ils ont plutôt la gueule de mecs qui sortent tout juste de l'université, trop serrés dans leur jean et trop sages dans leur tête.
Ici, les gens vivent, respirent, se shootent à la musique. C'est un exutoire et une thérapie de groupe. Les gens qui se rassemblent dans cet endroit sont de purs métalleux ou de purs rockeurs, dans tous les styles, qu'ils soient alternatif, New Age ou puriste. Parfois, Susie programme quelques soirées Ska, mais là... Là ça sent la foirade complète. Déjà rien que leur nom : "Behind". Mais "Behind" quoi ? Merde, sérieusement, ça sort d'où ? Dave et Susie privilégient les groupes qui composent à ceux qui ne font que des reprises. Et il parait que ces mecs-là jouent leurs compos... mais pour composer, il faut aller chercher au fond de ses tripes des choses à raconter, à mettre en musique. Jouer avec la brèche, avec nos mauvais côtés et nos plus sombres douleurs. Oui, parce qu'ici, les gens ne bougent pas sur de la techno ou de la dance joyeuse et édulcorée. Non, ici, les gens se déhanchent sur des cris, sur les hurlements des basses et le son que crachent les amplis. Et je ne sais pas ce que ces minets peuvent avoir à raconter, mais de premier abord, ça ne m'emballe pas du tout ! La soirée promet d'être ennuyante. Vivement que ce soit notre tour plutôt, qu'on fasse tout péter car j'ai envie d'action. Besoin de ressentir encore un peu ce sentiment d'euphorie que me prodigue la scène. De m'éclater les tympans au son des amplis BUGERA et de chanter jusqu'à m'user la voix. Et puis après, fin de concert oblige, je verrais pour me taper une des minettes que j'ai repérées sur le pont en arrivant. Il y en avait une avec une bouche bien salace, suffisamment potable pour faire passer le temps. J'ai rien repéré d'autre de plus sympa de toute façon. Pourtant, c'est pas faute d'avoir déjà une sacrée masse de monde là-haut.
Comme à chacune de nos représentations à l'Igelrock, Dave remplit la péniche au complet. Ça reste une petite scène mais ça fait partie de nos points d'ancrage avec les gars. Notre point de chute après chaque concert pour venir se bourrer la gueule au milieu de nos fans. L'endroit parfait pour passer une putain de bonne soirée : playlist au top, nanas toujours prêtes à écarter les cuisses et alcool à volonté. Le tout dans un cadre original et bien fait : une vieille péniche totalement retapée et ancrée au bord du canal, complètement insonorisée et peinte de toutes parts, de dessins plus ou moins décadents et décalés. Un lieu qui respire la baise et le métal à plein nez. Tout ce qu'il faut pour me brancher. Mais ce soir, j'ai comme un sentiment de lassitude. De déjà-vu. De trop fait... comme si tout ceci ne me suffisait plus. Je connais l'endroit par cœur. Je sais déjà comment la soirée va s'achever. Nos concerts s'enchaînent et se ressemblent. Je sens qu'il est temps de passer à la vitesse supérieure. Il va falloir aller chercher plus loin. Viser plus haut et se fixer de nouveaux objectifs. Je suis à la recherche de cette étincelle, qui va nous permettre de mettre le feu aux poudres et de décoller. J'y crois comme un malade. J'ai tout misé sur le groupe et je sais qu'on a le potentiel d'aller bien plus loin que ça. Je me suis entouré des meilleurs, de mecs qui me ressemblent et qui sont capables de me suivre là où le destin voudra bien nous mener. Je compose, ils exécutent et ils interprètent, tous avec leur passé, leurs fêlures et leur vision du son.
Chase, mon abruti de bassiste, sorti tout droit d'une des meilleures écoles de musique du pays avec Shawn, mon enfoiré de batteur. Deux mecs graveleux et deux obsédés de la femelle, mais des putains de musiciens qui déchirent tout quand ils lâchent les chiens. Ils ne vivent que pour la musique. Ils n'ont jamais voulu autre chose. Ils préfèrent enchaîner les petits boulots instables et ingrats, plutôt que de devoir sacrifier la musique dans leur vie. Un choix audacieux et qui en a bousillé plus d'un, mais pas eux. Sous leurs airs de mecs insouciants et volages, ils ont un mental d'acier et les reins solides. Et puis Teddy, mon Alien. Une véritable machine de guerre. Percé de partout, avec des cheveux plus blancs que blonds, au look gothique japonisant et au physique d'androgyne. Un mec complètement flippant que j'ai croisé par chance un jour dans le métro. Il mixait sur son clavier pour patienter, le casque sur les oreilles. Mais je n'avais pas besoin d'entendre les notes pour savoir : pour savoir que ce mec était un putain de génie, qui était capable de faire glisser ses doigts sur les touches aussi naturellement qu'un homme sait pisser debout depuis toujours. C'est inné chez lui. Sa fluidité et sa capacité à mixer les sons, à les transformer et à les associer entre eux pour les rendre plus forts, plus percutants, plus tranchants... Et depuis, il me suit comme une ombre et il met les touches finales à mes compositions. Ça fait trois ans qu'on bosse ensemble, et on a fait un boulot de malade. On a déjà bien avancé mais je sais qu'on peut aller encore plus loin. Il nous faut juste l'opportunité maintenant...
Je fixe les murs zébrés de peintures sombres, l'esprit ailleurs, perdu à la recherche de ce qui me permettra d'atteindre définitivement mon but et de me libérer. Le groupe sur scène commence à faire ses balances. Je me tourne machinalement vers eux et contemple, désabusé, le spectacle navrant de ces pauvres gars tendus comme des manches, en train de tenter de donner du son à leurs instrus' sur de vieux amplis. Je me fais déjà chier. Je recommande un autre shot à Dave. Juste de quoi me sentir un peu plus euphorique pour commencer la soirée parce que là, c'est le calme plat. Il me le sert et je penche la tête en arrière pour le gober comme le premier, quand mes yeux se posent sur un joli petit cul moulé dans un jean noir. Une nana qui descend l'escalier en fer pour rejoindre la cale. Je la suis du regard. Elle porte une veste en cuir sombre et un appareil photo en bandoulière. Rien de bien transcendant, jusque-là. Sauf qu'elle n'a pas du tout l'allure des groupies qui inondent le pont ce soir. Elle dégage autre chose, et elle marche avec la tête bien trop haute et le port bien trop droit pour appartenir à ce monde... Elle n'a rien à faire là, ça saute aux yeux. Et ça m'intrigue aussitôt.
Je l'observe dresser la tête, à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un, ses longs cheveux châtains fouettant l'air sur son passage, lui arrivant tout juste à la taille, comme pour m'inviter à poser les yeux sur ce que j'appelle un putain de petit cul bandant. Cette gonzesse est sacrément bien foutue. Le spectacle est plaisant et suffisamment appétissant pour me donner envie d'en voir plus. Allez, tourne ton visage un peu par ici pour voir ce que ça donne, bébé... Elle se fige et je la vois repérer un des gars sur la scène. Elle le prend aussitôt en photo et il lui sourit comme un con. Merde, c'est son mec ? Ce pauvre minet blond ? Il lui fait signe de monter et elle le rejoint en quelques enjambées, prenant appui sur ses bras pour monter sur scène en souplesse et sans aucune difficulté, me laissant tout le loisir de mater son cul une nouvelle fois. Hum, vraiment sympa et très intéressant. Bien foutue et musclée. D'où sort ce joli spécimen ? J'ai pas le souvenir d'en avoir ferré beaucoup des comme ça...
Le blondinet la serre contre lui et s'accroche à elle comme un gosse à sa mère. Sauf qu'elle lui fait la bise. Ok, donc ce n'est pas son mec. Parfait. Encore que, il faudrait plus qu'un minet blond pour m'arrêter. Allez, tourne-toi vers moi que je jette un œil au reste de la marchandise bébé, toi et moi, on va peut-être pouvoir s'entendre... Le reste du groupe vient les rejoindre, m'empêchant définitivement d'en voir plus et me faisant jurer tout bas. Elle les salue en me tournant obstinément le dos, commençant à entamer le peu de patience que je possède. Je commence à taper nerveusement du pied, lorsque le batteur se lève et se précipite vers elle pour l'enlacer comme dans un vieux mélo'. Il la fait pivoter de quelques centimètres et me donne enfin une vue sur son profil... et bordel, ça m'a l'air aussi bien fichu que son petit cul. Des lèvres délicates et un joli minois, un petit nez fin et des yeux en amandes à peine maquillés. Je sens ma queue qui frémit. Là, la soirée devient soudain bien plus intéressante. Dave interrompt leurs embrassades guimauves et elle pivote pour lui jeter un regard sombre, me donnant tout le loisir de contempler son visage : oui, elle est belle. Vraiment belle. Une beauté naturelle et pas surfaite. Un visage angélique à l'ovale délicat, et des lèvres bien dessinées que je visualise très bien sur moi. Ma queue approuve une nouvelle fois. Elle observe Dave s'éloigner avec un regard mauvais qui me donne envie de me marrer, mais ça ne dure pas : elle se précipite vers le blondinet et son visage s'adoucit alors qu'elle lui murmure quelques mots que je n'entends pas. Elle ne sort peut-être pas avec ce gars-là, mais il y a un truc qui semble fort entre eux. Ça crève les yeux et ça envahit la scène. Ambiance bisounours et guimauve, bonjour. Je ne sais pas ce qu'elle lui trouve, mais j'ai bien envie de lui montrer à quoi ça ressemble, un vrai mec. Pas un gars comme ça, qui s'en va chercher du réconfort au fond de son regard. Non, elle m'a l'air calibrée pour affronter bien plus fort que ça. Et ça tombe bien, je me sens parfaitement taillé pour le rôle.
Intrigué et sûr de moi, je me lève pour m'approcher d'elle à l'instant où elle redescend de la scène. C'est ce moment précis qu'elle choisit pour relever la tête dans ma direction et je me fige aussitôt : deux aigues marines aux reflets sauvages et électriques fondent sur moi et me fusillent sur place, le regard froid et menaçant... Immédiatement, j'ai la gorge qui s'assèche. C'est bon signe, très bon signe.
Ce soir, j'en fais le serment, tu seras à moi ma jolie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top