Prologue


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Mora


« Néanmoins, j'avoue être inquiet...

— Par rapport à quoi ?

— Vois-tu, j'ai ouï dire qu'un certain DN s'en prenait à Neven.

— DN ?

— J'ignore ce qu'il lui veut, mais probablement rien de bon. Ta sœur est connue, tu sais ? Une capitaine puissante qui a réussi à intégrer les Princes des Abysses en un an et demi. Un exploit dont la plupart des pirates ne se remettent pas. »


« Je ne te ferai rien de mal, je ne suis pas de cette espèce non plus, tranquillisa l'homme. Non, l'apparition de ce DN m'arrange car, je l'avoue, je convoite la place de Neven. Qui ne la convoiterait pas, de toute façon ? Seulement... il est évident que je perdrais si je m'en prenais à ta sœur d'une façon ou d'une autre, vois-tu ? Donc je ne souhaite pas obtenir cette place par la violence... mais par la négociation et la discussion. »


« Je pense que toi, sa sœur, tu es la plus à même à lui parler. Car, outre le fait que je convoite la place de Neven... j'ai l'impression que de plus en plus de monde veut la faire tomber. Je mentirais en disant que son état m'inquiète... mais il paraît que vous avez déjà été séparées dans la violence, à cause de la piraterie.

— Oui...

— Au vu de ce DN qui lui tourne autour – sans parler du fait que les violences s'exacerbent depuis l'apparition de la couronne – je crains qu'elle ne subisse de nouveaux sévices. Il paraît qu'elle a été attaquée récemment sur son propre navire...

— Quoi ? Elle va bien ?

— Oui, mais elle n'en est pas ressortie indemne. Je sais, d'ailleurs, que plusieurs Princes des Abysses adoreraient la faire quitter ce cercle... elle est une concurrente redoutable pour le titre de Souverain, et ils ne supporteraient pas qu'une femme leur passe devant. »


« De quoi as-tu peur ?

— Eh bien... qu'elle fasse encore les frais de la piraterie. On y a tout perdu, il y a neuf ans. Elle a perdu son œil ainsi que moi, sa sœur. Moi, j'ai perdu toute ma famille et ma dignité... »


« Je n'ai jamais été écoutée par Neven... je ne vois pas pourquoi ça aurait changé.

— Vraiment ? Je pensais que vous étiez fusionnelles...

— Nous le sommes, mais à notre façon. Elle décide, et je la suis... Elle brille, et moi je sombre... ça a toujours été comme ça. »


« Si je suis venu à ta rencontre, Mora, c'est pour te faire une proposition. Nous sommes très différents... Mais nos buts sont communs. J'aimerais lui prendre la place. Tu aimerais qu'elle cesse la piraterie. Pas de conflit entre nous, n'est-ce pas ? »


« Je ne sais pas trop...

— Tu ne perds rien à essayer, et cela permettrait un passage de pouvoir plus doux et consenti encore. Ce serait le mieux pour tout le monde.

— C'est certain, mais... Neven ne m'a jamais écoutée...

— Alors, il va être temps de faire entendre ta voix. Toi aussi, tu as tes besoins et tes envies... »


« Tu peux tout simplement lui dire que tu as surpris une conversation entre mes hommes suggérant que j'en sais un peu plus que ce qu'elle croit. Voire que je sais où elle se trouve – sur cette île. Néanmoins, elle pourrait se rendre avec tout l'équipage sur cette île... de ce fait, mon but va être de partir en avance. Suffisamment en avance pour qu'elle pense que je suis déjà passé par l'île...

— Mais...

— Toi, tu auras deux objectifs. Tout d'abord, t'assurer qu'elle veuille visiter l'île. Tu peux suggérer que j'ai laissé un message. Le second, que vous ne soyez que toutes les deux sur cette île. De mon côté, j'éloignerais mon bateau pour qu'elle ne craigne pas de visiter l'île seulement à deux.

— Tu penses que ça fonctionnerait ?

— Tout dépend de toi, Mora. »


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Je me réveillai en sursaut.

Dans la pénombre, déboussolée, je tremblais et tâtais autour de moi, à la recherche de quelque chose de familier. Oh. Quelque chose de doux. En forme de poisson... non, de requin, il y avait un aileron. Ma peluche. Celle que je voulais offrir à la fripouille de Neven. Ma respiration se calmait.

Je repensais souvent à cette conversation, et je me demandais...

Est-ce que

je fais

le bon choix ?

L'idée de me tromper me terrorisait. Ce n'étaient pas dans mes habitudes, d'agir. De me faire passer devant les autres. Cela me perturbait. J'avais l'impression de bouleverser l'ordre des choses, et que cet équilibre rompu n'augurait rien de bon. Comme si, en renversant les choses pour une fois, tout s'effondrerait. Une catastrophe.

Je me redressai et m'adossai au mur. Neven n'était pas là. Je soupirai. Je desserrai mes mâchoires claquées l'une contre l'autre. Ma poitrine m'oppressait. Je me sentais tellement tendue...

J'expirais, en vain. Je me redressai : prendre l'air me ferait peut-être du bien.


Accoudée aux bastingages au niveau de la proue, seule, je me sentais perdue. J'avais la terrible sensation de commettre une erreur. Ça ne me ressemblait pas. Ce n'était pas moi...

« Mora ? »

Je sursautai.

Les mains qui m'enserraient. L'haleine d'alcool...

Je me retournai et croisai le regard vert d'Issan.

Je me détendis.

« Qu'est-ce que tu fais ici ? souris-je.

— Euh... »

Mal à l'aise, il passa sa main dans ses boucles blondes :

« Comment dire ça... »

Il se rapprocha et me confia à voix basse :

« Tu sais que la cabine de Mathurin est collée à celle de Malo ?

— Oui ?

— Hum... Les parois ne sont pas très épaisses et... comment dire ça... »

Il détourna le regard, les joues cramoisies :

« Neven et lui semblaient s'aimer... avec beaucoup d'engouement. »

Mes joues brûlèrent.

« J'étais trop mal à l'aise en entendant ça, alors j'ai préféré prendre l'air le temps qu'ils fassent leurs affaires...

— J-Je comprends... Je suis désolée que...

— Non mais, ce n'est pas ta faute, sourit-il. Ils doivent avoir besoin de se retrouver, c'est normal. Ils se sont beaucoup manqués. Mais toi, alors ? Qu'est-ce que tu fais là ?

— Oh, j'avais juste besoin de prendre l'air. »

Mes pensées m'étouffaient.

« Tu es certaine que ça va ? Tu as l'air anxieuse... »

Comme d'habitude, je me contentai de sourire :

« Mais oui, tout va bien. »

Il plissa les lèvres :

« Mais tu as ce tic de serrer le poing... J'ai remarqué que tu faisais ça quand ça n'allait pas. »

J'écarquillai les yeux et vérifiai ma main. Je ne m'en étais même pas rendu compte.

Une ombre au-dessus de mon visage. Des bras. Tendus vers moi.

Prêts à te frapper.

Mon cœur se débattit.

Vite !

Réflexe, je me protégeai la tête en faisant un pas en arrière.

« P-Pardon ! Je ne voulais pas ! Pardon ! clama-t-il en s'écartant. »

Mes bras tremblaient. Ses yeux me fixaient avec peine :

« Mora ? Je suis désolé. Je ne voulais pas te faire peur. Pardon. Je voulais juste te réconforter. »

Je me calmai et rebaissai mes bras :

« C'est moi, c'est moi... tout va bien, m'efforçai-je de sourire. »

Mon cœur pulsait de plus en plus doucement. J'avais l'impression que cette terreur à l'approche d'un homme ne me quitterait jamais.

« Écoute, voilà ce que je te propose. Je t'ouvre mes bras et c'est toi qui viens. Si tu veux, si tu peux. Ou tu ne viens pas, d'ailleurs. »

Il avait prononcé ces mots avec douceur. C'était quelque chose que j'aimais, chez lui. Sa douceur. Autant dans sa voix que dans ses gestes. Et dans son regard aussi.

Je jaugeai ses bras ouverts dans ma direction, son torse sans doute chaud pour un soir venteux, son odeur aux effluves de menthe...

Est-ce que je peux vraiment m'approcher ? Ou bien, est-ce un piège ? Va-t-il refermer la cage dans mon dos pour m'empêcher de m'envoler, moi l'oiseau déjà blessé et chancelant ?

Dans le pire des cas...

Je jetai un œil aux hommes debout pour la soirée, notamment Borg à l'opposé, tenant le gouvernail.

Oui, on pourrait m'aider.

Enfin, je crois.

Je me reconcentrai sur ses prunelles vertes.

Issan ne m'avait jamais fait de mal, de toute façon.

Je m'approchai à pas timides. Nous nous fixions en silence. À peine plus grand que moi, je passai mes bras autour de son torse et posai ma tête sur son épaule. Contre son corps chaud, un long frisson me parcourut.

« D-Doucement... soufflai-je alors qu'il refermait ses bras sur mon dos.

— Tout doucement, reprit-il en ralentissant ses mouvements. »

Avec lenteur, ses mains prirent place sur mon dos. Elles n'appuyaient pas, ne m'enfermaient pas, elles étaient juste posées, me donnant la sensation que je pouvais m'échapper à tout moment. Je me détendis un peu plus contre son épaule, commençant à me concentrer sur les boucles qui chatouillaient mon visage et l'odeur de menthe qui prenait mon nez.

« Là, est-ce que ça va ?

— Ça va... »

Son index glissa dans le haut de ma colonne, toujours en douceur, m'arrachant un frisson. Il sursauta quand on monta sur le pont.

« C'est Neven ?

— Euh, non... juste un marin qui prend l'air, répondis-je.

— Ouf... elle m'a dit il y a quelques heures de ne pas trop te coller, de te laisser respirer... Autant te dire qu'elle me tuerait si elle nous trouvait comme ça, sourit-il à mon oreille. »

Pourquoi je n'avais pas mon mot à dire alors qu'il s'agissait de ma vie ?

« Ahah, oui... bredouillai-je, ailleurs.

— Oui, je ne donne définitivement pas cher de ma peau si on me trouve en train d'enlacer la sœur de la capitaine... »

La sœur de la capitaine... mais moi, c'est juste Mora. Pourquoi je ne peux pas juste être Mora ? Pourquoi ne suis-je visible que dans le reflet des autres ? Pourquoi personne ne me voit ?

De toute façon, ça a toujours été ainsi, surtout avec ma sœur. Je n'ai toujours vécu que dans le prisme de Neven. Elle était en or, alors moi, je ne pouvais que m'y refléter.

« Qu'est-ce qu'il t'arrive, alors ?

— Je réfléchis beaucoup, confiai-je.

— Tu es tracassée ?

— Peut-être.

— Je peux t'aider ? »

Pas vraiment.

« Hum... »

Je me demandais si j'avais raison d'agir ainsi. Je doutais. Beaucoup. Et je ne pouvais en parler à personne...

« Je peux te poser une question ? murmurai-je.

— Bien sûr.

— Imagine... imagine que Malaury veuille absolument quelque chose. C'est important pour lui, très important, c'est une passion, mais ce n'est pas vital. Mais imagine que pour obtenir ce qu'il veut, il doit se mettre en danger de mort... Ma question est la suivante. Est-ce que tu l'empêcherais d'obtenir ce qu'il veut ? »

Mon cœur battait fort. Étais-je égoïste ? Un monstre ? Qu'étais-je ?

« Eh bien, d'abord, j'en parlerais avec lui.

— Et si ça ne fonctionne pas ?

— Hum... Je ne sais pas trop. J'essaierais de comprendre en quoi c'est si important pour lui. On ne vit pas tout de la même façon. Peut-être que pour lui, c'est vital, mais insignifiant pour moi.

— Et alors ?

— Tu me poses une colle, me confia-t-il. J'essaierais de trouver des solutions pour lui éviter le danger, sans doute ? Je ne sais pas trop. Si c'est tellement important pour lui... il pourrait se sentir mal sans ça, non ?

— Peut-être... mais si ça lui coûtait la vie ? »

Il avala sa salive de travers.

« J'essaierais de le dissuader, je suppose... mais s'il continue de foncer, c'est que ça lui tient vraiment à cœur. Pourquoi tu te poses ces questions ? »

Avec un sourire mensonger, j'inventai :

« Oh, j'ai lu ça dans un livre il y a longtemps. Je me suis toujours demandé ce que je ferais dans cette situation. »

Mais j'avais déjà fait mon choix.

« Oh, tu lis aussi des livres !

— Aussi ?

— Malo adore ça. Il veut me pousser dedans, il m'assure que la lecture ouvre des portes à l'imagination.

— Il n'a pas tort. »

Avec un rictus, il baissa la voix :

« J'aime tellement parler avec toi... je vais devoir me mettre à la lecture pour avoir des sujets de conversation qui t'intéressent. »

Le tempo de mon cœur n'en fit qu'à sa tête. Une douce chaleur enveloppa mon visage.

« Euh, eh bien... »

Je ne trouvais plus mes mots.

« Enfin, si tu en as envie, bredouilla-t-il.

— B-Bien sûr ! Moi aussi, j'aime parler avec toi...

— J'essaie de m'y mettre vite, alors. J'ai tout mon temps depuis que je suis au repos. On pourra en parler autant que tu le souhaites. »

Il était tellement gentil et attentionné que j'avais l'impression qu'il mentait. Neuf ans que je n'existais que par utilité. Neuf ans que je n'étais qu'une enveloppe qui travaillait. Neuf ans que Mora était morte au fond de moi.

Les larmes remontaient. Je n'allais pas encore pleurer, si ? J'avais l'impression que mes yeux faisaient naufrage tous les jours.

« Tu veux vraiment ? soufflai-je d'une petite voix.

— Bien sûr que oui. »

Je resserrai un peu plus mes bras sur son dos.

« Merci... »

Il eut un instant de réflexion.

« Mais pourquoi ? Je n'ai rien fait...

— Juste, merci. Merci... »

Merci de me montrer que j'existe.

Un nœud m'empoigna violemment le ventre.

Ce serait peut-être l'une des dernières fois où j'aurais droit à ta gentillesse et ton attention.

J'allais bientôt tout détruire.

Bientôt, je ne lirais plus que du dégoût dans tes yeux. Du mépris. De la haine, sans doute.

Bientôt, je ne serais plus qu'une traîtresse.


Des idées ? Suppositions ?

Ce tome 3 va être fort en émotions ! Bon courage ! ♥

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