Épilogue
« Reste avec moi ! Neven ! Tu m'entends ?
— Malo, arrête !
— Mais... elle... elle ne bouge... »
« Je crois que je vais la perdre...
— Mathurin va tout faire pour la sauver.
— Elle a perdu tellement de sang... »
« Comment elle va ?
— C'est trop tôt pour s'avancer sur son état.
— Trop tôt ? Combien de temps je vais devoir...
— Je ne sais pas. »
« Neven... si tu m'entends... je t'aime. Je suis là. Là, regarde. Je prends ta main. Et je la serre fort... tu m'entends ? Si oui, je t'en supplie... reviens-nous. J'ai besoin de toi. Ouvre les yeux. Je veux m'y perdre à nouveau... »
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Je sursautai, le visage ruisselant.
Je détestais ces souvenirs.
Trop d'émotions contraires avaient tourbillonné en moi.
La peur, l'amour, la peine, l'espoir...
Je tâtai autour de moi jusqu'à toucher son bras. Je le parcourus du bout des doigts. Pas de blessures trop importantes récentes, hormis beaucoup de cicatrices... je m'y recroquevillai, à la recherche de sa chaleur. Je respirai plus profondément.
« Tu as du mal à dormir ? »
Sa voix douce me fit frémir. Comme je la savourais, à présent...
« Un cauchemar, c'est tout...
— Mora ? Ou...
— La bataille navale. »
Malaury ouvrit grand ses bras pour que je puisse me lover contre son torse.
« Tout va bien, maintenant.
— Des fois, quand je rêve... j'ai l'impression de retourner à cette nuit-là. Cette nuit où j'ai cru que j'allais mourir, et ne plus jamais... »
Ma gorge se serra, typhon qui aspirait ma voix, et sans parvenir à contenir quoi que ce soit, les larmes chavirèrent sur mon visage.
« Ce n'est plus qu'un mauvais souvenir, me chuchota-t-il avant de baiser mon visage. Je suis là et tu es là. »
Il frictionna longuement mon dos tandis que j'essayais de me calmer.
« Pardon. Je...
— Ne t'excuse pas pour ça, chuchota-t-il avant d'embrasser mon front. »
Du bout des doigts, il sécha mes larmes. Malgré la pénombre de la pièce, j'imaginais sans mal tout l'amour qui dévorait ses yeux.
« Neven, on pourrait parler ?
— De ?
— Ce qu'on va faire. Dans six mois, le nouveau Souverain sera élu...
— ... et ce ne sera certainement pas moi. »
Je n'avais pas été très active au cours de ces dernières années. Il avait d'abord fallu que je me remette de ma blessure pendant plus d'un mois. Ensuite, nous avions repris nos activités en douceur, à bord d'un nouveau navire, L'Espérance. J'avais mis du temps à retrouver mes habitudes et réussir à l'apprécier un peu ; évidemment, j'avais toujours un pincement au cœur lorsque je pensais à La Mora, mon premier navire qui resterait à jamais dans mon cœur.
Malaury et moi avions installé un nouveau lit dans cette cabine qui était plus spacieuse qu'avant ; un mal pour un bien, il paraît.
Néanmoins, moi qui étais si téméraire par le passé... je m'étais laissé dévorer par la peur de mourir ou de le voir mourir. Alors, nous abordions des cibles faciles en évitant les combats autant que possible ; rien de glorieux comme avant. Nous n'avions plus attaqué de village ni de ville portuaire. Ni corsaire ni marines délibérément : seulement pour nous défendre.
Cela ne déplaisait certes pas à mes hommes qui s'enrichissaient tranquillement... mais, évidemment, les gains obtenus étaient bien moins élevés qu'auparavant. Alors, je m'effaçais peu à peu, autant pour les autorités que pour les pirates. Ceux-là étaient mitigés : peu se rappelaient de mes exploits d'il y a cinq ans. Beaucoup trouvaient que je ne méritais pas ma place de Souveraine, alors les réunions que je présidais étaient souvent un calvaire. Plus d'une fois, j'avais dû faire parler ma lame pour obtenir une once de respect ; en général, le calme durait un mois ou deux avant que les ragots n'affluent à nouveau.
Si j'étais aussi libre et audacieuse qu'avant, je jouirais sans doute de cette vie de Souveraine, mais à présent... j'avais l'impression que je ne faisais que grappiller ce qui me passait sous la dent, sans la hargne d'avant, sans avoir de quoi être fière. Et qu'effectivement, je ne méritais pas ce titre glorieux ni cette bague à mon doigt.
Malaury essayait de me rassurer, en vain. J'avais perdu petit à petit confiance en moi et mes capacités. Peu à peu, je m'étais mise à boire un verre, puis deux, puis trois, puis plus, chaque soir, avant de me coucher. Bien sûr, il avait fini par comprendre ce que je manigançais dès qu'il s'endormait, alors il m'avait fait ralentir la boisson ; certains soirs, je ne buvais même pas, à son grand contentement, mais je ne pouvais pas nier que cela me manquait.
Je ne savais même pas vraiment ce que je vivais. Je me demandais même ce que j'aimais tant dans la piraterie, par le passé. Je ne me comprenais pas. Je ne me comprenais plus. J'avais l'impression que la Neven d'avant était une étrangère. Me lever, donner les ordres... je le faisais d'une voix monotone. Ensuite, je vagabondais à travers le navire en silence, ennuyée, moi qui trouvais toujours des choses amusantes à faire auparavant.
« Est-ce que tu veux continuer la piraterie ? »
Je n'en étais plus certaine. J'avais l'impression que cela ne me correspondait plus. Et j'en étais effrayée en même temps. J'avais passé la majorité de ma vie sur un navire, à pirater. Cette flamme au fond de ma poitrine ne pouvait pas s'éteindre ainsi, si ? Et si c'était le cas, que ferais-je ? Je l'ignorais, et j'en avais peur.
« Je n'en sais rien...
— Je peux être sincère ?
— Bien sûr. »
Mon homme se redressa, s'étira à l'extérieur du lit, et une lanterne illumina la salle. Je m'installai mieux à ses côtés, la couverture jusqu'à mes genoux serrés contre ma poitrine. Il me prit doucement la main :
« Tu n'as pas l'air heureuse. Je me trompe ?
— Je ne crois pas. Je suis un peu perdue, concédai-je. Je ne comprends pas trop tout ce que je ressens... »
Enfin, je supposais que la peur m'engluait l'esprit depuis plusieurs années déjà. Cela avait commencé avec la mort de Mora, suivie de celle de Célestin. J'avais terminé terrifiée à l'idée de perdre qui que ce soit d'autre, et je m'étais perdue dans une aura sanguinaire pour effrayer le monde entier que Malaury était parvenu à tempérer avec peine. Le coup de grâce était arrivé six mois plus tard, quand j'avais failli perdre la vie. Je m'étais rendu compte, encore plus qu'avant, d'à quel point nous, les hommes, étions fragiles.
« Tu sais que je te suivrai partout, n'est-ce pas ?
— Hum, hum.
— J'imaginais que tu pourrais faire une pause après la nomination du prochain souverain. J'ai l'impression que tu as besoin de t'écarter de tout ça.
— Peut-être bien, oui... une pause de combien de temps ?
— Au moins un mois, si ce n'est plus.
— Et si ça me manque ?
— On reprendra nos activités.
— Et si ma flotte ne veut plus de moi ?
— On en formera une nouvelle. »
Tout avait l'air si simple dit ainsi. Je plongeai mon œil dans les siens, chocolat et fatigués : il travaillait bien plus que moi depuis que l'enthousiasme avait fait ses valises au fond de moi.
« Tu penses vraiment que je dois faire une pause ?
— J'aimerais beaucoup, précisa-t-il. Depuis... depuis le combat contre la flotte... je ne t'ai plus vraiment retrouvée comme avant. Tu as l'air si triste par rapport à avant. Avant, tu avais l'air de te sentir libre et imbattable... mais maintenant, tout t'effraie, et je crois que ça te ronge. Alors... une pause, sans craindre pour nos vies... je pense sincèrement que ça pourra te libérer de tout ça. »
Je tirai doucement son bras afin de pouvoir me recroqueviller contre son torse :
« Tu as peut-être raison... tu as souvent raison, de toute façon... »
Il redressa mon menton délicatement et posa ses lèvres sur les miennes, me faisant esquisser un sourire amoureux.
« On a amassé beaucoup d'or ces dernières années, non ? Ça fait tout de même huit ans que l'on pirate.
— Oui, sans doute, acquiesçai-je. »
J'avouais investir un peu trop d'or dans le rhum, bien que je me sois calmée depuis une année ou deux.
« On aurait assez d'or pour tenir très longtemps sans travailler...
— Mais qu'est-ce qu'on ferait ?
— Je n'en sais rien, m'avoua-t-il avec un sourire. Juste... vivre ? Profiter de la vie ? »
Ma poitrine s'embrasa, comme si quelque chose tout au fond de moi venait de résonner avec ses paroles. Profiter de la vie... Oui, il s'agissait des bons mots. Même si j'avais amadoué ma peur au fil du temps, elle restait tapie au fond de moi, m'empêchant de profiter de la vie à bord, de mon homme, des repas, de tout.
Et si on se levait juste, sans craindre de mourir ? Sans craindre de chavirer ? Et si on se levait juste pour vivre et être heureux ?
Avec un sourire nouveau, je soufflai :
« On fera ça. On fera cette pause. Je crois que c'est une excellente idée. »
***
Dans l'ombre, j'attendais l'arrivée de ma proie.
La porte s'ouvrit dans un grincement.
Ses pieds avancèrent dans la pièce, jusqu'à moi, sans me remarquer.
J'agrippai brusquement ses mollets.
Il cria en s'écartant, avant de soupirer :
« Mon cœur a failli me lâcher ! Ne me fais plus ça ! »
J'éclatai de rire en quittant ma cachette sous le lit. Son visage trahissait un mélange d'inquiétude et de soulagement. Il tendit ses mains pour m'aider à me relever :
« Tu as voulu me tuer, avoue !
— Pas à ce point-là, idiot... »
À peine debout, il m'attrapa par les hanches et me poussa sur le lit, une lueur joueuse dans les yeux. Avant que je ne puisse réagir, il commença à me chatouiller.
« Non ! Arrête ! suppliai-je.
— Ah, non ! Tu as voulu jouer, tu m'as trouvé ! »
Les larmes sur les joues, je me tortillais pour essayer d'éviter ses grandes mains chaudes.
« Malo, pitié ! soufflai-je entre deux rires. »
Il consentit enfin à me laisser un peu de répit. Il se pencha vers moi pour longuement m'embrasser. Comme un réflexe, mes jambes entourèrent ses hanches pour le tirer jusqu'à mon bassin.
Je glissai mes doigts sur ses joues, le sourire aux lèvres.
« Tu ne m'en veux pas trop, j'espère ?
— Disons que j'ai eu ma vengeance, sourit-il contre ma bouche. »
Il baisa mon front, puis s'installa à mes côtés sur le lit en m'ouvrant ses bras :
« Dire que j'étais venu chercher des câlins... »
Je levai l'œil au ciel en glissant ma tête contre son torse :
« Pauvre Malaury, sauvagement attaqué par Neven, le dragon des mers... »
Il referma ses grands bras sur mon corps :
« D'autres n'y auraient pas survécu, crois-moi. »
Nous rîmes.
« Le repas n'est pas encore prêt, ce n'est pas assez cuit, m'informa-t-il avant de m'embrasser. »
Alors qu'il commençait à s'écarter, je le retins contre mes lèvres et lui grimpai dessus. Je me penchai ensuite à son oreille que je mordillai en lui chuchotant :
« On a du temps avant que ça soit prêt ? »
Il me fit basculer sur le côté et s'installa sur mes jambes :
« Non, sinon je risque de tout faire cramer, maison comprise. »
Je levai l'œil au ciel :
« Et si tu éteins le feu avant ?
— J'ai faim, tu sais, rit-il avant de caresser ma joue. On s'amusera après le repas, si tu en as toujours envie. »
Il s'écarta et me tira vers lui pour me mettre debout. Nous quittâmes notre chambre et je le suivis jusqu'à la cuisine où l'odeur d'un poulet chatouillait mes narines. Mon ventre gargouilla.
« Heureusement que tu es là pour cuisiner, avouai-je en me laissant tomber sur un fauteuil moelleux du salon qui faisait face à la cuisine.
— J'avoue que tu n'es pas très douée... souffla-t-il en épiçant son plat. Cramer des pâtes... c'est un exploit. »
Je gloussai, détendue. Je jetai un regard par l'une des fenêtres qui illuminait notre chez-nous. La mer était calme depuis quelques jours, alors nous nous amusions à chercher des coquillages sous l'eau. Comme je le faisais avec Mora.
J'avais toujours un pincement au cœur quand je me rendais compte que ce n'était plus avec elle que je jouais à cela... mais il fallait que j'avance. J'étais certaine qu'elle était ravie de me voir épanouie ainsi. Comme Célestin. Il ne souhaitait que notre bonheur, à tous les deux.
« Au fait, Neven. Ça ne fait que trois mois, mais tu as l'air de revivre. Et ça me rend tellement heureux et soulagé de te retrouver comme avant. Pleine de vie, drôle et forte.
— Je le ressens comme ça aussi. Je me sens libre. »
J'avais eu peur que la mer et la piraterie ne me manquent... bien sûr, parfois, j'avais envie de faire un tour en navire, de reprendre le gouvernail, ou de jouer dans les voiles... voire de retrouver mon poste de capitaine. J'avais envie d'un peu de la liberté que j'aimais tellement dans la piraterie, finalement. Mais, pour la première fois, j'arrivais à me contenter de ce que nous avions et à faire sans. D'autant plus quand Malaury m'avait suggéré que l'on pouvait tenter de nous construire un petit bateau à voile, rien qu'à nous. Un projet pour lequel nous travaillions tous les deux un peu tous les jours, dans la joie et l'excitation.
Et surtout, la liberté, je l'avais découverte sous une autre forme. Celle de pouvoir vivre sans peur. Je me sentais libre de vivre, de rire et d'aimer. Avant, j'aurais peut-être voulu beaucoup plus, comme continuer à m'enrichir... mais cette nouvelle vie dans laquelle je me complaisais était, tout compte fait, tout ce dont j'avais besoin.
Quelle liberté de découvrir tous ces trésors autour de moi.
FIN
Eh bien... ça y est, c'est terminé ToT !!
ça fait trop bizarre de mettre un point à cette trilogie... :(
Déjà, un immense merci à tous.tes mes lecteurices ! ♥
Notamment à Ellzace et Casapen qui me suivent depuis le tome 1, mais je souhaite remercier spécialement beorn17.
On parle souvent de l'importance d'être bien entouré quand on écrit, et ça n'a jamais été aussi vrai avec toi. Je te remercie du plus profond de mon cœur pour ton soutien sans failles et ton enthousiasme à propos de Neven. Il y a eu beaucoup de fois où j'ai eu envie de tout lâcher pour diverses raisons, mais toute ta hype et tes messages motivants m'ont vraiment aidée à avancer, alors un merci tout particulier à toi ♥ Merci également d'avoir été présent quand je doutais, que ce soit de moi-même ou de mon roman ♥ Merci enfin d'être mon fan numéro 1, hypé quelle que soit l'histoire que je puisse proposer, c'est un véritable baume au cœur de savoir que quelqu'un nous soutiendra quoi que l'on écrive, tant bien même on écrit pour soi.
Pour en revenir à Neven, déjà, j'espère sincèrement que ces tomes vous ont plu ♥
Ensuite... j'ai quelques petites questions à chaud.
Comment vous sentez-vous, déjà ?
Que pensez-vous de la fin ?
Vous satisfait-elle ? Ou manquerait-il quelque chose ?
Avez-vous compris un message sous-jacent ? Si oui, vous parle-t-il ?
J'ai bien d'autres questions à vous poser, je les posterai dans la partie suivante. Merci d'avance à celles et ceux qui prendront le temps de m'y répondre (ça m'aiderait énormément pour ma réécriture future ♥).
Sinon, merci d'avoir suivi Neven sur 3 tomes !! ♥
Ça me touche sincèrement ♥
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