Chapitre 9 - Pour Neven 2/2
Mon cœur tambourina. Je tournai la tête et croisai le regard furieux d'un coq qui me fonçait dessus, poursuivi par un vieil homme. Dans un cri, je fuis, mais ses caquètements me rattrapaient. Les larmes aux yeux, dans la panique, je tentais de courir plus vite, en vain.
« À l'aide ! pleurai-je. Il veut me faire bobo ! »
Je trébuchai et m'étalai de tout mon long sur le sol. Mon or et mes affaires se répandirent dans un vacarme. Alors que les caquètements me tournaient autour, je me protégeais la tête en sanglotant :
« Me mange pas ! J'ai peur ! »
Comme un conquérant, le coq posa sa patte sur mon dos, mais son poids s'envola aussitôt :
« C'est bon, petite ! Je le tiens ! Désolé ! Tu vas bien ? Tu t'es fait mal ? »
Avec hésitation, je redressai la tête. Le vieil homme tenait son coq d'un bras ferme et il me tendait l'autre main. Il m'aida à me relever, mais l'animal à crête rouge caqueta furieusement dans ma direction, me faisant lâcher un sanglot de peur. Je retombai sur les fesses.
« C'est bon ! Je tiens bien Darren ! Il te fera pas de mal, t'en fais pas ! »
Il tourna la tête vers le coq :
« Non mais, Darren, enfin ! Qu'est-ce qui te prend, à faire peur à une petite comme ça ? »
Il me rejeta un regard :
« Je suis désolé, Darren n'est pas comme ça, d'habitude... C'est un gentil coq ; il fait le dur, mais c'est un vrai peureux au fond ! »
Toujours sur le sol, je m'écartai d'un bon mètre avant de me redresser. Ma robe était toute salie de terre, mes genoux et mes mains brûlaient.
« Je ramène Darren au poulailler et je t'aide à ramasser tes affaires ! tonna le vieil homme en partant. »
Tout en reniflant, je séchais mes larmes, les genoux tremblants. La créature agitait ses ailes, et ses lointains caquètements résonnaient encore dans mes oreilles.
Lorsque l'homme et son monstre me parurent suffisamment éloignés, je m'approchai à petits pas du contenu de mon sac déversé sur le sol. Je récupérai mes pièces, les comptai, soupirai de soulagement en constatant que j'avais encore tout – plus j'avais d'or, mieux c'était pour le docteur – et je les rangeai soigneusement dans ma tirelire. Une fois bien fermée, je l'entreposai dans mon sac. Je ramassais mes autres affaires, mais un glapissement me quitta lorsque je découvris les morceaux éparpillés d'un grand coquillage peint aux couleurs de la mer. C'était mon plus beau et mon préféré.
Les yeux brûlants, je ne parvins pas à m'empêcher de pleurer.
« Tu as mal, petite ? »
Je redressai la tête vers le monsieur aux cheveux blancs.
« Nan...
— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? »
Je montrai mon coquillage brisé sur le sol. En me rappelant tout le temps et tout le travail abattu pour représenter les vagues, je sanglotai de plus belle.
« Je suis vraiment désolé... elle est où, ta maman ?
— Chez moi....
— Et ton papa ?
— Sais pas... en mer...
— Tu es Mora, c'est ça ? Et tu as une sœur qui s'appelle Neven ? comprit le vieil homme.
— Oui...
— Et votre maman, c'est Ermeline ? »
Je hochai vivement la tête. Il se pencha dans un soupir et ramassa les morceaux de coquillage, puis il les retourna et les regarda avec attention. Ses yeux bruns brillèrent et il sourit :
« Tu es une vraie petite artiste, dis-moi ! »
Mon cœur palpita, et attentive à son compliment, je calmai mes pleurs :
« O-Oh ? M-Merci... »
Mon cœur était tout chaud.
« Je ne suis pas aussi doué que toi, donc je ne pourrais pas te peindre un autre coquillage... en revanche, je passerai voir ta maman pour vous emmener des sucreries, pour toi et ta sœur, pour me faire pardonner... Est-ce que ça te va ?
— C'est gentil, reniflai-je, merci...
— Allez, ma petite. Je suis sûr que tu es capable d'en faire un au moins tout aussi beau ! m'assura le vieil homme. »
Il m'aida à ranger mes affaires dans mon sac, puis s'excusa à nouveau. Il me questionna ensuite :
« Qu'est-ce que tu fais ici, toute seule ?
— Je vais voir le docteur. Neven est malade.
— Tu sais où c'est ?
— Euh... »
Une porte... bleu foncé !
« Oui, je sais !
— Tu as besoin d'aide ?
— Non, merci. C'est gentil, monsieur.
— Tu fais attention à toi ?
— Oui, oui ! Merci et au revoir ! »
Je séchai mon visage en reprenant mon chemin. Je me retins de pleurer en pensant à mon coquillage. Tant pis, je suppose... À vrai dire, j'aurais eu mal au cœur si j'avais eu à le donner au docteur, mais au moins il n'aurait pas été cassé... Et puis, c'était pour Neven. Je pourrais tout donner pour elle.
Quelques minutes plus tard, à l'angle de la rue, je trouvai une porte bleu foncé. Je tentai vainement de lire l'écriteau accroché, puis je soupirai et toquai.
Le vent gémit dans mes cheveux.
Je m'efforçai de toquer à nouveau, plus fort encore.
Silence.
Pourquoi il ne m'ouvrait pas ?
Je me hissai sur la pointe des pieds pour appuyer sur la poignée de toutes mes forces. Rien.
Mais il était où, le docteur ? Pourquoi il n'ouvrait pas ?
Comme si cela pouvait avoir une incidence, je tapotai la terre de ma robe puis de mes genoux et bras écorchés.
Je gonflai mes joues en toquant à nouveau.
À mesure que le temps passait, les larmes me montaient aux yeux. Comment j'allais amener le docteur pour Neven s'il n'était pas là ? Je devais le retrouver, coûte que coûte !
« Eh, petite, qu'est-ce que tu fais là ? »
Je me tournai et croisai le regard bleu ciel d'un homme habillé d'une chemise blanche. Mon visage s'illumina d'un grand sourire :
« Docteur ! Je vous attendais !
— Viens m'expliquer ce qu'il t'arrive, petite Mora, sourit-il gentiment en déverrouillant la porte. »
Je me précipitai à l'intérieur d'une salle qui sentait les plantes : il y en avait beaucoup. Le docteur m'avait expliqué que c'était pour que les patients se sentent bien.
Je me ruai vers une table et j'y posai ma tirelire en tonnant :
« Neven est malade, donc je suis venue vous voir. J'ai emmené toutes mes économies ! Et si c'est pas assez, j'ai aussi pris mes plus beaux coquillages ! »
J'en brandis plusieurs que j'avais peints avec beaucoup de patience.
« Je peux vous en faire d'autres si c'est pas assez ! Et aussi, et aussi ! »
Je tirai un tissu sur lequel j'avais commencé à broder :
« Et aussi, je suis en train d'apprendre à broder ! Ma maman, elle m'a dit que je me débrouille bien ! Si vous voulez, je vous ferai des belles broderies ! »
Je gonflai mes joues :
« C'est suffisant, tout ça ? »
Je serrai le poing, prise d'angoisse. Pitié que oui !
« Attends, sourit le docteur en s'accroupissant devant moi. Toi, tu t'es fait mal ? »
Je secouai vivement la tête :
« Non, non ! Moi, je vais bien ! Mon or, il est pour Neven, il est pas pour moi, c'est bon ! Et, et, et si c'est pas assez, ma maman, elle pourra vous donner ce qui manque !
— Mais non, je ne vais pas te faire payer ! Ne bouge pas, je vais désinfecter tes blessures. C'est gratuit, répéta-t-il avec un sourire rassurant. »
Quelques instants plus tard, il tamponnait délicatement mes jambes, mains et bras en me parlant :
« Ils sont très beaux, tes coquillages. C'est toi qui as tout peint ?
— Oui !
— Et c'est toi aussi qui es allée les chercher ?
— Oui, avec Neven !
— Et qu'est-ce qu'elle a, exactement, Neven ? Tu m'as dit qu'elle était malade.
— Elle tousse et elle éternue beaucoup. Et elle a mal à la gorge et à la tête. Et son corps est tout chaud mais elle a froid. Et parfois chaud.
— Et ça fait combien de temps ?
— Deux jours. »
Il hocha la tête, puis se redressa :
« Tu as eu mal ?
— Nan, merci monsieur ! Et pour Neven, alors, c'est assez ?
— Je suppose que ce n'est pas ta maman qui t'envoie ?
— Euh... »
Mes joues se réchauffèrent. Je gonflai mes joues, puis bredouillai :
« Ben, elle sait pas que je suis là... »
Le docteur fronça les sourcils :
« Garde tes sous et tes affaires, Mora.
— Mais Neven ? glapis-je en me ruant vers lui.
— On va y aller tout de suite, ne t'en fais pas, sourit-il. Ta maman doit être inquiète...
— Mais moi aussi je suis inquiète pour Neven, grommelai-je. »
Il tapota doucement ma tête :
« Il faut toujours écouter ses parents. Je ne vais pas te punir ni te gronder car ce n'est pas à moi de le faire, mais ta maman risque de ne pas être contente. Ça aurait pu être dangereux. Ce n'est pas pour vous embêter qu'il y a des règles, c'est pour prendre soin de toi et ta sœur. Elle vous aime plus que tout, vous êtes ses plus grands trésors. »
Je hochai la tête, les yeux brillants. Sac à nouveau rempli, je guidai le docteur sur le chemin vers la maison.
« Tu dois beaucoup aimer ta sœur pour avoir fait tout ce chemin.
— Oui ! Ma sœur, c'est ma meilleure amie ! C'est un peu une deuxième moi, on se comprend tout le temps ! Et puis, c'est pas possible sans elle ! affirmai-je en souriant.
— Vous avez une belle relation, sourit le docteur. »
Plus timide, je hochai la tête.
Non loin de la maison, les cris de maman retentissaient :
« Mora ? Ma chérie ? Mora ! Si c'est une blague, ce n'est vraiment pas drôle ! Où es-tu ? Réponds-moi, s'il te plaît ! »
Sa voix tremblait.
« Ermeline ! Elle est là ! Tout va bien ! »
Une petite silhouette s'extirpa des bois. Ses yeux émeraude me cherchèrent jusqu'à tomber sur moi. En quelques instants, elle me prit dans les bras et me serra avec force :
« Mon bébé, tu es là ! Où tu étais ? J'ai eu si peur ! Il t'est arrivé quelque chose ? Est-ce que tu vas bien ?
— O-Oui, je vais bien... »
Après de longs baisers sur mon front et mes joues, elle me reposa délicatement sur le sol. Elle fronça les sourcils face à mes égratignures :
« Tu t'es fait mal ? Tu es tombée ?
— Euh, oui, mais le docteur, il m'a soignée...
— Où tu étais ? »
Le docteur prit le relai :
« Elle est venue au village pour me chercher. A priori, Neven est malade. »
Je ne savais pas si maman était inquiète ou en colère. Ou les deux.
« Toute seule ?
— Euh, oui...
— Mora, je t'ai dit qu'on irait voir le docteur demain si ça n'allait pas mieux... pourquoi tu es partie comme ça ? Tu aurais pu avoir des problèmes ! Sur le chemin ou au village, tu... »
J'éclatai en sanglots :
« Mais Neven elle va pas bien ! J'ai peur pour Neven, je veux pas qu'elle meure...
— C'est un gros vilain rhume, elle ne va pas mourir, m'assura-t-elle en caressant ma tête. Une grippe au pire, mais elle va s'en remettre, ma chérie...
— Et maintenant, je suis là, sourit le docteur. Tout va bien aller, ne t'en fais pas. »
Je partis à grands pas vers la maison, pressant les adultes du regard. À peine la porte fut déverrouillée que je me ruai dans notre chambre :
« Neven ! J'ai ramené le docteur ! »
Un grand sourire éclaira le visage de ma jumelle :
« Trop forte ! »
Elle m'inspecta d'un regard fatigué :
« Mais tu t'es fait bobo...
— C'est rien, un méchant coq m'a foncé dessus. Du coup, j'ai eu peur et je suis tombée.
— Un coq ? rit-elle. »
Elle toussa. Je gonflai mes joues :
« Pourquoi tu te moques ?
— Nan, je me moque pas. Moi aussi, j'aurais eu peur. Je savais juste pas que les coqs c'était méchant.
— Ben fais attention aux coqs, hein, prévins-je.
— Les poules, ça doit être plus gentil, assura-t-elle. Elles sont moins moches.
— J'ai pas envie d'essayer, bredouillai-je en triturant mes mains. »
Le docteur fit irruption. Après l'avoir auscultée, il conclut :
« Une grippe. Rien de grave, Mora. »
Alors qu'il discutait avec maman, je souriais de toutes mes dents :
« Je suis contente que le docteur soit là. Je suis rassurée.
— C'est pas grave, alors ?
— On dirait pas, nan.
— Et raconte, c'était comment dehors, toute seule ? Tu as croisé des gens ? »
Nous bavardâmes jusqu'à ce qu'elle se remette à tousser. Je tendis l'oreille :
« Combien je te dois ?
— Rien du tout. Mora m'a fait de la peine à faire tout ce chemin rien que pour Neven...
— Mais tout de même...
— Vraiment, je ne veux rien.
— Ce n'est pas comme si nous étions dans le manque avec tout ce qu'Alaric ramène, soupira maman avec un sourire. Laisse-moi te donner au moins...
— Donc je vais avoir une surprise grâce au coq ? reprit Neven. C'est quoi ?
— Je vais pas te dire, c'est le but d'une surprise. »
Elle leva les yeux au ciel.
Quelques jours plus tard, ce fut à mon tour de tomber malade. Mais moi, je ne m'en étais pas remise comme Neven.
⋆˖⁺‧₊☽◯☾₊‧⁺˖⋆
Chapitre juste tout mignon ;-;
J'adore écrire des chapitres quand Neven et Mora sont petites, c'est juste adorable ;-;
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