Chapitre 8 - Cœur ouvert 1/2

   Nous restâmes silencieux un moment. Malaury s'était mis à caresser mon épaule du bout des doigts. Je lui posai finalement une question qui me taraudait depuis un moment :

« Tu penses que l'équipage va venir nous chercher ?

— Pourquoi ils ne le feraient pas ?

— Je ne sais pas trop. Je me demande s'ils voudraient nous sauver, ou s'ils préféreraient en profiter pour naviguer sans nous. Peut-être qu'ils ne veulent plus de moi comme capitaine. Je nous ai mis dans une belle embrouille, après tout. Sans gains à la fin.

— Ils t'estiment en tant que capitaine. Tu es compétente, et tu te montres bonne envers l'équipage – tant qu'il reste dans nos règles, bien sûr. Quand tu me croyais mort, les hommes se sont beaucoup inquiétés pour toi. J'ignore si c'était purement car ils craignaient que tu ne cesses de pirater, ou si certains voyaient que tu étais dans un sale état, mais ils voulaient t'aider, d'une façon ou d'une autre. De toute façon, chaque homme sur ce navire est sous tes ordres. Il en va de leur loyauté, et nous y tenons, nous, les pirates. C'est la seule chose qui nous reste, notre sens de l'honneur. »

En voulant hausser les épaules, je grognai : fichus coups de fouet !

« De toute façon, si ce n'est pas notre équipage, ce sera Célestin qui viendra. Jamais il ne nous laisserait tomber, tu le connais.

— Comment pourrait-il savoir qu'on se trouve ici ? »

Il leva les yeux pour réfléchir, puis m'avoua :

« À moins de croiser notre navire, je reconnais que ce sera compliqué. »

Je me nichai un peu plus près de Malaury, la tête contre son cou :

« J'espère aussi que Mora va bien... »

Il se tendit :

« Elle nous a fait un sale coup.

— Je sais. Elle voulait bien faire, mais elle n'a pris le bon chemin.

— Je comprends qu'elle veuille passer son temps avec toi et qu'elle soit inquiète pour toi, mais... c'était purement égoïste, sa décision même de t'arrêter dans la piraterie. Sans parler de son alliance avec Augustin, j'entends. Je sais qu'être en mer te rend heureuse. Comment n'a-t-elle pas pu voir ça alors qu'elle te connaît si bien ?

— Elle était plus inquiète qu'autre chose.

— Tu lui cherches des excuses, rétorqua-t-il.

— Si c'était Issan ou ton frère, tu ferais pareil. »

Cette mention le fit souffler.

« Je... »

Il s'arrêta.

« Non. Je ne veux pas me disputer avec toi. Pas ce soir, en tout cas. »

Il commença à bouger, mais il s'arrêta :

« Je préfère ne pas te prendre dans mes bras, je risque de te faire mal. Montre-moi comment va ton dos. »

Je me tournai.

« Beaucoup de sang et de marques, on dirait que tu es toute brûlée, tu as dû perdre pas mal de peau, soupira-t-il. J'ai eu l'impression que celui qui s'occupait de toi y allait plus fort que le mien...

— Tu crois ?

— Il te regardait de travers sur tout le trajet, et j'ai cru comprendre qu'il avait une dent contre nous. Enfin, toi en particulier.

— Comment ça ?

— Quand tu étais couchée sur le sol, tu devais encore être sonnée. Je l'ai entendu maugréer dans sa barbe que tout était ta faute. Il a mentionné son père et son frère... alors on les a peut-être tués par le passé. »

Il passa une main sur ma tête.

« Il a dû s'acharner sur toi... mais c'est fini. J'espère que ça cicatrisera vite. »

Il ne parlait pas de la possibilité que nous mourrions ? Je souris :

« Pour une fois que tu es un peu optimiste... mais Malo... qu'est-ce qu'on essaie de faire pour s'échapper ? Ils ont pris mes outils dans mes poches, nos morceaux d'assiettes... on est affaiblis, on souffre... j'ai l'impression que nous sommes coincés ici jusqu'à demain matin.

— Effectivement, on ne peut qu'attendre...

— On essaiera de fuir sur le chemin vers la potence ?

— Je suppose... je ne vois pas vraiment comment. On sera bien entourés par les soldats et les arbalétriers, surtout à la suite de notre tentative d'évasion. D'ailleurs, les patrouilles sont beaucoup moins espacées, si tu as fait attention.

— Est-ce que... tu crois qu'on va mourir demain ? »

De la façon dont il parlait, j'avais l'impression qu'il n'y avait aucune échappatoire pour nous. Je m'écartai de son cou pour le regarder. Son air était grave.

« J'essaie de nous rassurer en te disant que l'on viendra nous sauver, mais rien n'est sûr. Ce qui est certain, c'est que nous ne pourrons probablement pas agir par nous-mêmes. Si personne ne vient nous aider, on sera livrés à nous-mêmes.

— Et à la corde. »

Il posa sa main sur ma joue :

« J'espère de tout cœur que l'on viendra pour nous, ou qu'il y a aura une occasion pour fuir. Je n'ai pas envie de mourir demain.

— Moi non plus, murmurai-je, le regard bas. »

Ma sœur m'attendait, Malaury aussi, notre enfant, mes parents, et la piraterie. En pensant à lui, je posai mes mains sur mon ventre dénudé. Il n'y avait peut-être rien, même si le temps devenait trop long pour que ce soit le cas.

« On fera tout pour y arriver. Pour nous trois. »

Un baiser sur mes lèvres, puis il colla son front contre le mien.

« Notre petit amour... s'il est bien là... et que tu décides de le garder... »

Il rajouta sa main :

« Ne serait-ce que pour lui, nous devons nous en sortir. On fera tout pour, d'accord ?

— Ensemble ?

— Ensemble. »

Je refusais de le laisser derrière moi. Je posai mon menton contre son épaule, et il laissa le sien contre mon cou. Je mourais d'envie de l'enlacer, mais je risquais de le blesser, alors je me contentais de caresser son bras avec tendresse.

Lorsqu'une brise fraîche de la fenêtre parcourut ma peau, je frissonnai. Le poids même du vent m'était douloureux, caressant mon dos humide et brûlant d'où le sang continuait de couler. D'autres bourrasques vinrent tourmenter mes plaies, si bien que j'hésitais à enfiler ma chemise. Néanmoins, le contact avec le tissu m'effrayait. J'imaginais qu'il finirait par me coller au dos, séché par le sang, et qu'en voulant retirer mon vêtement, j'arracherais ma peau par la même occasion.

Des frissons différents me parcoururent : le froid se mêlait à la douleur. Je me mettais à respirer plus vite, plus fort, une tentative inespérée de me réchauffer. Malaury saisit fermement mes avant-bras :

« Tu as froid ? »

J'acquiesçai. Il jeta un œil à l'ouverture d'où venait le vent et soupira :

« Il n'y a rien pour que je puisse accrocher un vêtement pour faire barrière... viens contre moi, je te réchaufferais comme je peux. »

Assise à califourchon sur ses cuisses, contre lui, je continuais de frissonner malgré la chaleur de son torse.

« Tu n'es pas frileuse, d'habitude...

— Cette journée m'a lessivée...

— Je sais, tu es affaiblie. Essaie de te reposer avant demain.

— J'ai toujours mal...

— Moi aussi, mais ferme tes yeux. »

Je m'exécutai, mais la douleur prenait le dessus sur mon besoin de dormir.

« On peut parler ? Que je puisse penser à autre chose que ces brûlures et coupures... ça me relance sans cesse...

— De quoi veux-tu parler ? »

De quoi pourraient parler deux personnes la veille de leur pendaison ?

« Oh... tout à l'heure, on parlait de prénoms. »

Je l'entendis sourire. Nous discutâmes un moment de prénoms possibles pour ce qui se cachait dans mon ventre. J'avais fini par trouver le nom pour un garçon, et lui pour une fille :

« Rozenn te plaît, alors ? questionna Malaury.

— Oui, ça me fait penser à des roses... et tu apprécies vraiment Mewen ?

— C'est doux, j'aime beaucoup. Très bonne idée. »

Un baiser sur mon front :

« Plus qu'à l'attendre. »

Je souris malgré les pensées qui trottaient dans ma tête. En supposant que je le gardais, plus qu'à l'attendre, oui.

Si tu survis.

Rien n'était sûr concernant l'issue de demain. Nous serions probablement épuisés par notre nuit : je n'étais pas sûre de dormir avec ces douleurs dont je souffrais constamment. Nous serions surveillés, attachés. Il nous faudrait une ouverture, un moment d'inattention, quelque chose en notre faveur, pour fuir.

Cependant, je nous avais toujours trouvés chanceux. On avait toujours réussi à s'en sortir, l'un et l'autre, dans des situations assez désespérées. Serait-ce également le cas demain ? Ce serait un énième coup de chance, or, la roue avait beaucoup trop tourné en ma faveur, ces derniers temps. Mourir serait le juste retour des choses. Après tout, j'étais une pirate.

Néanmoins, j'étais anxieuse. Jusque-là, j'avais toujours eu la main sur mon destin. J'avais toujours pu appuyer sur un levier, d'une façon ou d'une autre, pour faire tourner le vent. Désormais, je ne pouvais qu'espérer que l'extérieur nous vienne en aide, et j'étais terrorisée à l'idée de devoir faire confiance aux autres pour sauver ma peau.

Dire que j'emmenais Malaury dans ma tombe... enfin, il s'agissait de mon second, lui aussi était visé par les autorités. Ce n'était pas n'importe qui. Néanmoins, j'appréciais son dévouement sans égal qu'il me portait depuis trois ans. Il était le premier membre de mon équipage, et je supposais qu'il était toujours le plus loyal.

« Malo, l'interpellai-je. Pourquoi tu as voulu rejoindre mon équipage, déjà ?

— Tête de linotte, me taquina mon amant. Tu me faisais penser à moi, tu voulais faire tes preuves, mais on ne t'en donnait pas la chance. Eh puis, je n'avais pas grand-chose à faire, à vrai dire... Je venais d'arriver au Repaire et j'étais déjà perdu. Je me demandais ce que je fichais là-bas, avec tous ces hors-la-loi que j'étais censé arrêter. Et j'avoue que tu m'as impressionné. Tu avais l'air tellement sûre de toi... moi, ça m'a donné envie de te suivre.

— Et pourquoi tu m'aimes ?

— C'est le soir des confidences ? sourit-il.

— C'est peut-être notre dernier soir, alors j'ai envie de parler à cœur ouvert. »

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