Chapitre 7 - Impuissance
TW : Violence
Plan expliqué, nous attendîmes patiemment que la patrouille arrive. Peu après qu'elle soit passée devant notre cellule, j'ouvris lentement la porte et avançai à pas de souris derrière les deux soldats qui marchaient côte à côte. Simultanément, nous nous en prîmes chacun à un homme. Main sur la bouche, morceau d'assiette tranchant dans le cou, je lui intimais de se taire à l'oreille tandis que Malaury donnait un violent coup de bois dans le crâne de l'autre. Il s'occupa de celui que je menaçais, et les deux soldats étaient couchés, inconscients. Je sortis les bandes de drap de mes poches et nous les ligotâmes, sans oublier de leur bander la bouche. Nous les poussâmes sous la table, récupérâmes leur épée, et nous avançâmes vers le couloir que devaient emprunter les soldats, Malaury en tête. Première partie sans accroc. J'espérais que nous n'aurions pas de problèmes ensuite.
Nous avançâmes prudemment dans des escaliers éclairés par quelques torches, attentifs au moindre bruit. Malaury me fit signe de m'arrêter au tournant du couloir. Il fallait nous diriger à gauche et monter de nouveaux escaliers. Or, un garde se trouvait au sommet, et nous ignorions combien d'autres seraient présents. Il fouilla dans ses poches et balança un morceau d'assiette dans le couloir face à nous. Des pas dans les escaliers. La curiosité l'emportait sur la prudence.
Dos à nous, il se baissait pour ramasser le morceau. Malaury s'avança, vérifia le haut des escaliers, puis l'attrapa, la lame dans le cou, et le tira dans notre couloir. Je l'assommai d'un coup de manche et il le coucha sur le sol.
Il retourna directement dans le couloir et s'engagea dans l'escalier. Il redescendit brusquement. Il me montra sa main grande ouverte, puis deux doigts. Sept soldats là-haut ? C'était peine perdue d'y aller. Il enjamba l'homme que nous avions assommé et m'entraîna plus en arrière pour parler :
« J'ai repéré la porte de sortie, elle est tenue par deux gardes. Les cinq restants sont à différents endroits de la pièce, mais dès qu'on quittera les escaliers, on sera repéré. Ils risquent de bientôt remarquer l'absence de leur camarade, alors on doit agir maintenant.
— Qu'est-ce qu'on fait ?
— Tu ne vas pas apprécier, mais j'aimerais faire diversion le temps que tu t'enfuies. Sincèrement. Pour toi et le... »
Oh non ! Pas de sacrifice ! Je l'interrompis :
« On s'enfuira ensemble, Malo, grognai-je. Je te propose de courir vers l'entrée et de terminer en dos-à-dos. Dès que les deux gardes de la porte sont désarmés, on passe et on fuit. Compris ? »
Il ouvrit la bouche pour rétorquer, mais il se résigna :
« Compris. »
J'espérais qu'il ne changerait pas de plan au beau milieu de l'opération. Il en était capable. À vrai dire, j'ignorais comment finirait cette histoire. J'avais donné ces directives sans réfléchir. Je voulais juste fuir avec lui.
Escaliers remontés, je saisis fermement le poignet de Malaury, et nous surgîmes dans une pièce rectangulaire. Il m'entraîna tout droit, là où deux hommes gardaient une porte. Les autres étaient en garde le long de ce large couloir, et ils avaient immédiatement dégainé leur arme en criant de nous rendre. Mon second se mit dos à moi :
« Tu t'occupes d'eux, je te protège ! »
On se faisait aveuglément confiance. Épée dégainée, je jaugeai les deux soldats face à moi. Je devais être rapide sinon nous finirions submergés. Certains semblaient chercher de l'aide pour nous maîtriser, et les coups d'épée fouettaient d'ores et déjà l'air dans mon dos.
Je parais adroitement les coups des deux jeunes soldats, m'avançant pour prendre du terrain tandis qu'ils étaient reclus contre la porte. Un sabre vola. Une opportunité. L'instant d'après, je me mettais à sourire, carnassière, la lame sous la gorge du brun :
« Écarte-toi ou je l'égorge ! Tout de suite ! »
Le deuxième garde fit quelques pas en arrière. Je tenais le premier fermement, les ongles plantés dans son cou, et lui ordonnai :
« Ouvre la porte ! Tu es notre otage jusqu'à la sortie ! »
Il s'exécuta sans sourciller. Il était coopératif.
« Malo, interpellai-je, on y est presque ! Tiens encore le coup !
— Compris ! »
La porte fut déverrouillée, et je le poussai pour avancer. Je reconnaissais tous ces bureaux : je les avais à notre arrivée. Au moins huit soldats étaient postés dans cette salle, et ils ne surent comment réagir face à notre entrée.
« Arrêtez-vous ! tenta l'un en dégainant son arme.
— Si vous tentez quoi que ce soit, je tue ce gringalet ! menaçai-je. Écartez-vous et laissez-nous partir ! »
Les hommes s'écartèrent, et Malaury semblait laissé tranquille : personne ne voulait que je tue ce soldat. Tout se déroulait comme on le souhaitait. Ce gamin nous serait utile jusqu'à la fin. C'était parfait. Je pressai le pas pour atteindre la porte de sortie que je lui demandai d'ouvrir.
« C'est quoi tout ce boucan ? grogna une voix grave. Hein ? Mais qu'est-ce que vous faites ? Arrêtez-les !
— Mais ils ont Frédéric en otage !
— Trouvez un moyen de libérer Frédéric ! Il faut qu'on les coince ! Ils ne peuvent pas fuir ! »
Nous posâmes finalement le pied dehors – enfin presque. Il fallait trouver la porte pour quitter les hauts grillages et murs qui nous séparaient de la ville. Les soldats nous jaugeaient, armes dégainées, sans pouvoir approcher.
« Je prends le relai, je sais où se trouve la sortie, se proposa mon second. »
Il posa sa lame sur sa gorge, me permettant de retirer la mienne. Je me contentais d'avancer avec lui, observant attentivement autour de nous.
« Malaury Corwett ! Arrête-toi immédiatement ! »
Un grand homme au regard noir et froid, le crâne rasé, habillé d'un costume blanc dont le torse était décoré de diverses médailles, l'interpellait depuis l'encadrement de la porte que nous venions de quitter. Il ignora ce haut-gradé et posa sa main sur mon épaule pour me presser d'avancer.
« Tu es sûr, Malaury ? Regarde-moi !
— Malaury ! cria une voix implorante. »
Je regardai derrière moi. Le commandant tenait désormais un jeune homme contre lui, une épée sous la gorge. Le garçon en question était un soldat au vu de sa tenue, brun aux yeux noirs, avec une moustache.
« On y va, souffla mon second après un coup d'œil.
— Tu ignores ton ancien camarade, Malaury ? Est-ce que ça signifie que je peux le tuer ? »
La main de Malaury se crispa sur mon épaule. Il lança d'une voix ferme et grave, me pressant pour avancer :
« Je ne le connais pas !
— Malo ! S'il te plaît ! Ne me laisse pas ! Le commandant Dayag est sérieux ! »
Son nom me revint enfin : Edwig. Mon second continuait d'avancer. Il semblait avoir fait son choix.
« Tu veux avoir la mort de ton ami sur la conscience ?
— C'est du bluff, me souffla-t-il. Partons. J'ai tiré un trait sur mon passé. Dans tous les cas, ils ne sont plus rien pour moi. »
Un hurlement de douleur nous fit sursauter. Edwig était couché sur le sol, dans une flaque de sang qui s'épaississait au fur et à mesure.
« Décidément, on n'a rien tiré de ce tire-au-flanc... »
La main de Malaury trembla un instant sur mon épaule. Il appuya ses doigts fermement, comme pour chercher à se calmer.
« Partons, répéta-t-il. »
Sa voix sonnait différemment. Un souffle rêche. Brisé.
« Malo ? interpellai-je en me tournant vers lui. Tu vas bien ?
— Avance, allez. Vite. »
Une imploration.
« On y est presque. »
Un encouragement.
« Par... »
Une erreur.
Le soldat profita de l'inattention de Malaury pour le pousser en arrière et fuir. Nous voulûmes le rattraper, mais nous nous arrêtâmes lorsqu'il passa derrière ses camarades. Mon second m'empoigna et me lança :
« La sortie ! Par-là »
Il m'entraîna vers une porte située à dix mètres. Elle fut immédiatement barrée par des soldats.
« Dos-à-dos ! ordonnai-je. Je m'en occupe et on passe la porte ! »
Contre lui, je m'inquiétais. J'espérais qu'il parviendrait à se battre correctement malgré la mort de son camarade. S'en sortir d'abord, le pleurer après.
Concentrée sur les cinq hommes qui me barraient la route, j'enchaînais les coups pour désarmer, sans chercher à tuer : j'avais gardé les mots de Malaury en tête. Un s'écarta, puis un deuxième.
« Non ! »
Je tournai le regard. L'épée de Malaury qui volait trop loin. Il avait déjà les bras levés, menacé par différents sabres.
« Si tu ne lâches pas ton arme, on l'embroche ! »
Je resserrai mes doigts sur la poignée, rageuse : nous étions pourtant si proches du but ! Dans un grognement, je balançai l'épée sur le sol, et nous fûmes reconduits à l'entrée, tout en était vidés de nos semblants d'armes et outils. Le cadavre d'Edwig avait déjà été débarrassé, et les traces de sang effacées. Comme si de rien n'était. Le haut-gradé nous jaugea avec un sourire satisfait :
« Malaury Corwett, cela faisait longtemps. Qui aurait cru que tu terminerais chez les pirates ? Toi qui semblais si investi pour la justice... »
Il ricana.
« Commandant Dayag, grogna mon second. Pourquoi ? Vous vous êtes servis d'Edwig pour nous attraper, c'est ça ? »
Il sourit :
« Tu es naïf. Je n'allais pas sacrifier l'un de mes hommes simplement pour attraper deux prisonniers que l'on aurait fini par avoir. Non, Edwig a été surpris à plusieurs reprises en dehors de son lieu de patrouille. Malgré des avertissements, il a continué à n'en faire qu'à sa tête, notamment ce soir. Soir où vous avez tenté de vous enfuir. Je savais que vous étiez amis, alors j'ai tenté d'en profiter pour te déstabiliser, ce qui a visiblement fonctionné. »
Il reprit d'un ton plus neutre :
« Edwig aurait été puni avant demain. Il aura au moins eu un semblant d'utilité avant sa mort. »
Plus sombre, il se tourna vers Malaury :
« Liv est mort. Il était à ta poursuite. Je suis certain que c'est toi qui l'as tué. Je te rends la monnaie de ta pièce, Corwett. »
Il nous observa tour à tour :
« Tentative de fuite. Assommage de trois soldats. Prise d'otage. »
Il ferma les yeux, puis les rouvrit :
« Cinq coups de chat à neuf queues chacun. Immédiatement, rajouta-t-il à l'intention de ses hommes. »
Menacés par huit soldats, on nous fit descendre plusieurs étages, puis entrer dans une petite salle obscure en pierre.
« À genoux devant le mur, lança un soldat, présentez votre dos nu.
— Je veux recevoir les coups de...
— Non ! l'interrompis-je. Malo, l'interpellai-je, le regard sombre. Dois-je te rappeler pourquoi nous ne prévoyons pas un trop grand nombre de coups de fouet en cas d'entorse à notre chasse-partie ? »
Il baissa les yeux. Sans doute venait-il de se rendre compte que dix coups de fouet pouvaient le tuer. Je déposai soigneusement mon manteau et chapeau à mes côtés, puis je déboutonnai ma chemise.
« Ce qui retient ta poitrine aussi. »
Je m'exécutai, les sourcils froncés : je me sentais déjà suffisamment mise à nu en étant prisonnière.
« Levez les bras. »
Nos poignets furent enchaînés. On dégagea mes cheveux pour que ma peau soit découverte. Je tournai la tête à ma gauche pour observer Malaury, également torse-nu et agenouillé face au mur. Mon souffle se coupa au premier coup de fouet qui claqua mon dos. Un chat à neuf queues. Neuf cordes en cuir terminées par un nœud me flagelleraient à chaque coup. Je voulais me retenir de crier, garder la face, mais je n'étais plus sûre de pouvoir tenir.
Deuxième coup. Je haletais, ma peau brûlait de long en large, et des couinements commençaient à quitter mes lèvres. Malaury, de son côté, avait cessé de me regarder pour fermer les yeux, le front contre le mur. Plus expressif que moi, il tentait de se retenir de geindre, en vain.
Troisième coup de fouet. Je criai sans chercher à m'en empêcher. Ma voix déformée par la souffrance retentissait entre les murs. Je tremblais de tout mon corps tant la douleur qui fusait dans mon dos était intense. Malaury était dans un état similaire, et ses hurlements résonnaient dans mon crâne. Je me sentais parfois partir, éreintée, voyant trouble, mais la douleur me ramenait à la réalité.
Quatrième coup de fouet. Je respirais fort, ma voix se brisait, et des larmes mélangées à ma sueur coulaient le long de mon visage. Je n'en pouvais plus. Que ça cesse ! Que la torture cesse ! Cette douleur continue qui voyageait dans mon dos, ces cordes qui claquaient ma peau brûlante et arrachée par la violence des actes, je n'en pouvais plus !
Cinquième coup de fouet. Nos poignets furent détachés. Je m'effondrai, puis me recroquevillai sur moi-même, le dos ensanglanté à découvert, tellement ardent qu'un simple mouvement de vent tranchait ma chair. Tête cachée entre mes bras, je respirais vite, essayant de calmer mes inspirations qui me fendaient le dos de souffrance à ce simple mouvement de poitrine, mais en vain, la douleur était trop vive pour que je me détende.
Calme-toi, Neven. C'est terminé. Je répétais ces mots dans ma tête pour ne pas penser à mon dos.
« Levez-vous ! »
Pas encore. Je ne voulais pas bouger. Les élancements se stabilisaient. Le frais des pierres me faisait du bien. Je ne pouvais pas. Je savais qu'au moindre mouvement, je souffrirais le martyre.
« Allez ! »
Un énième coup de fouet me fit hurler, relançant toute la brûlure qui dévorait ma chair.
« Lève-toi ou t'en reprends ! »
Envie de pester, de m'insurger, de me battre, mais je n'avais pas la force, toute tremblante que j'étais. Je poussai sur mes bras pour me redresser en gémissant, mais je flanchai face à la douleur qui parcourait mon dos à chaque mouvement. En repensant aux autres coups de fouet, je m'efforçai de me relever. J'attrapai mes vêtements que je serrais contre ma poitrine, et une fois debout, je me sentais fébrile, le visage humide, les yeux en larmes. J'observais Malaury déjà levé, dans un état similaire au mien. Lorsqu'il se tourna pour suivre les soldats, je ne pouvais plus voir sa peau tant son dos était couvert de sang et de blessures. Un frisson me parcourut.
J'avançai à pas lourds et hésitants, tentant d'ignorer la douleur qui continuait de se profiler dans mon dos. Remonter les escaliers fut pénible. Je manquais de tomber, loupant des marches, si bien que Malaury avait fini par me présenter son bras. Il avait du mal à tenir debout aussi, il flanchait parfois en voulant me retenir, alors j'évitais de trop m'appuyer sur lui.
Je reconnus les couloirs que nous avions empruntés plus tôt, et on nous ramena à notre cellule. On vérifia que la serrure fonctionnait toujours, et on nous enferma.
« Prends le matelas, me souffla Malaury. Allonge-toi et repose-toi. »
Sa voix était rauque. Je secouai la tête de droite à gauche en m'asseyant, et je tapotai la place à mes côtés. Il ne protesta pas et s'installa près de moi. Je posai mon front contre son épaule dans un soupir. J'avalai ma salive. Ma gorge était sèche tant j'avais crié. J'humidifiai mes lèvres.
« C'est fini, murmurai-je. »
Il baisa mon front.
« Tu as très mal supporté, j'ai l'impression. Comment tu te sens ?
— Fatiguée et faible. J'ai mal. J'ai terriblement mal, couinai-je en sentant les larmes couler à nouveau. »
Cette brûlure de peau arrachée semblait ne jamais pouvoir disparaître.
« Je suis désolé. On a raté notre fuite par ma faute. Et on a subi ça. Je suis désolé. Je m'en veux. Surtout quand je t'entendais hurler de douleur comme ça... Pardon.
— Tu as vu ton ami mourir sous tes yeux... rappelai-je.
— Certes, mais nous étions à deux doigts de la liberté. J'ai tout fait rater. »
J'esquissai un faible sourire :
« J'ai raté une fois, toi une fois... la prochaine sera la bonne, alors ?
— Espérons, ça risque d'être notre dernière chance. »
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