Chapitre 5 - Douceur

Mora


   L'esprit embrumé, je marchais de travers entre les fougères, grommelant dès que des ronces fouettaient mes jambes. Le cœur battant, je me rapprochais des vagues qui se jetaient sur la plage, mais aussi du navire de Neven. Qu'allais-je leur dire ?

Au fur et à mesure que j'avançais, ma poitrine se compressait, mes jambes faiblissaient, et je manquais de trébucher. La peur qui m'empoignait me hurlait de m'arrêter. Ils allaient me détester, peut-être même me tuer.

Les larmes me montèrent aux yeux.

Mais n'est-ce pas tout ce que je mérite ?

Oui... tout était ma faute.

C'était moi, la fautive.

Je devais porter le poids de la responsabilité sur mes épaules.

Quitte à mourir.

Neven n'aurait jamais dû me retrouver... je ne lui apportais que du malheur.

Elle aurait dû m'oublier et continuer sa vie de pirate.

Je me repris en main : après, les états d'âme. Je devais réparer mes erreurs autant que possible d'abord.

Je courus jusqu'à la plage. La Mora attendait toujours au même endroit.

« Oh ! Mora ! Vite ! Remonte ! C'est dangereux ! crièrent les hommes en désignant la barque qui m'attendait. Où est la capitaine ? Et Malaury ? »

Mon cœur rata un battement. Je toussotai. Je poussai l'embarcation de toutes mes forces et sautai à l'intérieur.

« Mora ? m'interpellèrent les pirates. »

La plupart me regardaient avec inquiétude.

« On a entendu un cor ! C'était quoi ? Et la capitaine ?

— I-Il y a eu un piège ! soufflai-je en ramant de toutes mes forces.

— Un piège ? Ils vont bien ? »

Ils allaient me tuer...

« Augustin était derrière tout ça ! »

Je grimpai au plus vite sur le navire. Tous les marins me jaugeaient. L'équipage au complet était présent sur le pont, quelques-uns étaient blessés, mais au moins, il n'y avait pas eu de morts. Je me sentais minuscule au milieu de tous ces hommes qui me fixaient.

« Parle ! cria Jack, sur les nerfs. »

Les poings serrés, je déballai :

« Je me suis alliée à Augustin pour faire venir Neven sur l'île pour la forcer à arrêter la piraterie, mais il lui a tendu un piège avec le gouvernement et...

— Tu as fait quoi ? gronda un homme.

— Tu as trahi la capitaine ? renchérit un autre en tirant l'épée de son fourreau.

— J-Je ne savais pas pour le gouvernement ! Je vous assure ! glapis-je en reculant contre les bastingages. »

J'étais déjà bloquée contre.

« Tu l'as quand même trahie ! cria l'un en levant le poing vers moi. Et nous, on ne fait pas de cadeaux aux traîtres dans ton genre ! »

Logan.

Ses coups qui me faisaient saigner.

Logan.

Les bleus sur mon corps.

Logan.

Les cicatrices sur mon cœur.

Fuis.

Fuis !

Fuis !!!

Je me protégeai instinctivement en faisant un pas sur le côté, et l'impact ne fut reçu que par mes bras. Il m'attrapa le poignet pour dégager ma protection et me poussa avec tant de violence que je m'effondrai sur le sol.

Je tremblais de tout mon être, le visage bouillonnant. Les cris autour de moi m'enfermaient dans une bulle de terreur telle que je ne parvins pas à bouger lorsqu'il dégaina le sabre de son fourreau.

Un choc de métal. Une ombre devant moi. Une silhouette que je connaissais bien.

« Ne t'approche pas ! Il faudra me passer sur le corps si tu veux toucher à un seul de ses cheveux ! cria Issan, le sabre en main. »

L'homme éclata de rire :

« Et tu la protèges ? On a perdu notre capitaine à cause d'elle ! Elle l'a trahie ! »

Son regard devint perçant :

« Tu sais quoi ? Elle a aussi envoyé ton Malaury à la potence ! Tu la protèges toujours ?

— Je... Je suis convaincu que ce n'était pas volontaire ! »

Mon cœur battait de plus en plus vite.

« Dans tous les cas, reprit le pirate, nous avons une chasse-partie prévue à cet effet. Or, les traîtres doivent être abandonnés sur une île déserte au mieux, tués au pire. Alors...

— Alors tout le monde se tait ! hurla une voix. »

Nous nous tournâmes vers le gouvernail. Mathurin avait le visage rouge et essoufflé. Lui qui parlait avec tant de douceur d'habitude... je ne l'avais pas reconnu.

« Que tout le monde range ses armes ! En l'absence de Neven et Malaury, le commandement me revient ! Nous étudierons le cas de Mora plus tard ! Pour l'heure, interdiction de lui infliger quoi que ce soit, c'est bien clair ? L'urgence est pour notre capitaine et notre second ! »

Les hommes se turent. Chacun rangea son arme. Issan se retourna et me tendit les mains pour m'aider à me redresser. Il se pencha à mon oreille :

« Est-ce que ça va ? »

J'acquiesçai, bien qu'étourdie et affaiblie, je tenais à peine sur mes jambes. Revivre des violences m'avait totalement vidée d'énergie.

« Mora ! m'interpella Mathurin. Raconte-nous tout ! Vite ! »

Je repris tout depuis le début : ma rencontre avec Augustin jusqu'à sa trahison, parfaitement orchestrée. J'ajoutai enfin :

« Je pense qu'ils se dirigent à Isda ! J'ai reconnu leurs vêtements !

— Tu vas peut-être encore nous tromper ! rétorqua l'un. »

Le cœur douloureux, je glapis :

« Je comprends que vous ayez des doutes ! Vous me détestez, et je comprends ! Malgré ce que j'ai fait à ma sœur... ce n'était pas pour la nuire ! Jamais je n'aurais attenté à sa vie, d'une façon ou d'une autre ! Ma sœur... Ma sœur, c'est tout pour moi. Je ne lui veux aucun mal. Je l'aime plus que tout au monde. Elle est tout pour moi. Tout ! »

Je repris mon souffle, les larmes aux yeux, et je continuai :

« Alors, pour la sauver, je serai prête à tout ! Je veux la sauver ! Vous pourrez me tuer après s'il le faut, je m'en moque ! Je veux sauver ma sœur ! rugis-je. Car elle est votre capitaine, oui ! Mais elle est surtout ma sœur jumelle ! Je l'ai enfin retrouvée après neuf ans ! Et je ferais tout pour qu'on ne soit plus jamais séparées ! Alors faites-moi confiance ! Je vous en supplie ! pleurai-je. Vous me tuerez et me torturerez plus tard si ça peut vous soulager ! Mais pour l'heure, écoutez-moi et faites-moi confiance ! Je veux corriger mes erreurs ! Je ferai tout pour ! »

Silence sur le pont. Issan prit doucement ma main et leva son autre poing :

« Je te crois ! »

Il sembla gonfler son torse de courage :

« Il ne faut pas qu'on se divise ! Neven et Malaury ont besoin de nous ! Alors, allez ! Qui est avec nous ? »

Des cris de chœur.

Ma poitrine s'allégea.

« Bien ! reprit Mathurin avec un sourire. Il va falloir mettre au point un plan d'attaque ! Mora ! Tu connais Isda, n'est-ce pas ? Comment ça se passe quand ils capturent des pirates ?

— En général, ils sont jugés rapidement. S'ils sont condamnés à mort, ils s'efforcent de les pendre à un moment où il y a du monde. C'est d'autant plus important quand les pirates sont connus. C'est un signe de puissance pour le Roi, je suppose... »

Je balayai l'image terrible de Neven, pendue à une corde, blanche comme l'écume avec lequel nous jouions ensemble.

« On va essayer de nous trouver des alliés, souffla Mathurin.

— J'ai quelques suggestions ! tonnai-je. »


Tard dans la soirée, j'étais assise sur le matelas que je partageais normalement avec ma sœur. Je jouais avec les clefs de sa cabine en soupirant. Nous étions en route pour essayer de trouver de l'aide. Nous avions estimé qu'ils pendraient Neven et Malaury demain, en milieu de matinée, alors le temps était compté.

Recroquevillée, j'essayais de calmer mon cœur agité, en vain. L'angoisse me parcourait constamment, me bloquant dans un état de stress qui m'empêchait de réfléchir. J'inspirais, expirais, lentement, en vain. Les larmes remontaient et je pleurais. Et rebelote.

Je sursautai. On toquait à la porte.

« Mora ? C'est moi. C'est Issan. »

Je séchai mes yeux humides et ouvris. Je découvris deux assiettes de viande avec des légumes :

« Il paraît que tu n'as pas mangé...

— C'est gentil, mais je n'ai pas faim...

— Laisse-moi au moins passer la soirée à tes côtés, quémanda-t-il en souriant. »

Je le laissai passer, appréciant la douceur luisant dans ses yeux verts, et je refermai à clef derrière nous. Il s'installa sur le sol et commença à manger :

« Tu devrais goûter, c'est vraiment bon, m'assura-t-il.

— Je n'ai vraiment pas d'appétit. Je ne peux rien avaler. »

Trop de nausées. J'avais même du mal à boire de l'eau. C'était toujours ainsi dès que j'angoissais. Je ne pouvais rien ingurgiter.

« Il faut que tout le monde soit en forme pour demain. Tu devrais manger au moins un peu, me conseilla-t-il avec un sourire doux entre deux bouchées. »

Je soupirai : oui, il n'avait pas tort. Une fourchette : c'était plutôt bon. Mon ventre finit par gargouiller : l'appétit vient en mangeant, disait-on.

Lorsque nos deux assiettes furent terminées, nous restâmes silencieux, assis l'un en face de l'autre, les genoux ramenés contre notre poitrine. Depuis mon retour sur le navire, il s'était montré toujours aussi gentil et accueillant qu'avant, à mon grand étonnement.

« Tu ne m'en veux pas ? soufflai-je.

— Pour Malo et Neven ? supposa-t-il. »

J'acquiesçai. Mon estomac se serrait.

« J'ai bien compris que tu ne voulais faire de mal à personne... même si ça semble plus compliqué à saisir pour certains, grommela-t-il en jetant un œil vers la porte. En tout cas, je ne t'en veux pas.

— Vraiment ?

— Vraiment. »

Avec un sourire triste sur les lèvres, je murmurai :

« Au moins une personne qui ne me déteste pas...

— Je ne suis pas le seul, m'assura-t-il.

— Peut-être... mais je comprends qu'on me haïsse... Je suis horrible... »

J'essayais d'éviter de trop penser à cela depuis tout à l'heure, mais... comment avais-je pu essayer d'arracher la piraterie à ma sœur qui faisait partie intégrante d'elle ? J'aurais pu lui déchirer un morceau de son âme que cela reviendrait au même.

« Ne dis pas ça... »

Les yeux larmoyants, je baissai la tête et me repliai un peu plus sur moi-même :

« Je suis censée l'épauler... et regarde ça... je suis tellement stupide... »

Les larmes gelées coulaient sur mes joues. Je tremblais de plus en plus :

« Je sais que certains veulent ma mort... et ils ont raison. Je ne mérite que ça...

— Non ! »

Ma joue se réchauffa doucement sous sa paume.

« Non, ne dis pas ça. Je t'en prie. Tu mérites tout sauf ça... »

Ses émeraudes se rapprochèrent. Tellement près.

« Tout ce que tu mérites, c'est... »

Nos yeux étaient captivés. Les siens par mes larmes. Les miens par sa douceur.

« C'est... »

Nos visages se rapprochèrent.

Nous ne parlions plus, envoûtés par nos prunelles.

Et tout doucement, nos lèvres se frôlèrent. Plus doucement encore, elles comblèrent la distance dans le silence.

Je fermai les yeux.

J'oubliais.

Mes peurs, ma haine.

J'oubliais tout.

Tout sauf la fragile tendresse de notre baiser.

Tout sauf l'odeur de menthe qui caressait mon visage.

Tout sauf toi et moi.

Nos lèvres se détachèrent avec timidité. Nos joues rosissaient. Des papillons voletaient dans ma tête et dans mon ventre, me rendant tellement légère, tellement ailleurs, comme dans un autre monde. Avec ses boucles blondes en bataille, il semblait perdu et pourtant si contenté d'avoir trouvé le chemin jusqu'à notre baiser.

« Voilà tout ce que tu mérites, Mora. De l'amour. »

Ses mots résonnaient si fort en moi.

« Et ne dis pas que tu n'y as pas le droit ou je ne sais quoi ! bredouilla-t-il. Tout le monde a le droit d'aimer et d'être aimé. Toi la première. Alors... je t'en prie. Si tu as envie d'accepter mon amour... ne refuse pas car tu t'en veux. Moi, je ne t'en veux pas. Je sais ce que tu as commis, et je veux avancer avec toi malgré tout. »

Une véritable tempête se déchaînait dans mon cœur. D'un côté, je voulais me trouver dans ses bras emplis de douceur. De l'autre, j'avais peur que comme Logan, il finisse par me faire du mal. Et surtout, il devrait tellement me détester... et c'était si récent ! Comment pouvait-il m'aimer ? Je n'avais pas l'habitude. C'était étrange. Différent. Et s'il voulait se rapprocher de moi pour se venger ? Et si...

J'étais perdue. Effrayée et euphorique. Que faire ? Que décider ?

« Pourquoi ? soufflai-je simplement.

— Je ne sais pas, concéda-t-il. Je me sens bien avec toi. J'ai toujours envie de sourire quand je pense à toi. J'ai le ventre qui chatouille depuis qu'on s'est embrassés. J'ai envie de rire. Je me sens heureux. »

Il caressa ma joue du bout du pouce :

« Je pensais avoir déjà eu des coups de foudre, mais je ne t'avais pas encore rencontrée. »

Mon cœur chavira.

C'est un couple que je n'ai jamais développé avant ! Qu'en pensez-vous ? 'o' 

Je ne sais pas trop quoi penser de ce chapitre. Je l'aime bien, mais peut-être qu'il manque un peu de développement ? J'espère qu'il aura pu vous toucher en tout cas ♥

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top