Chapitre 43 - Flambées
Tout en laissant mes larmes couler sur mes joues, je serrais les dents en me concentrant sur mes joutes. J'avais tourné la tête le temps d'un instant. D'abord, j'avais remarqué Malaury, pâle, tellement pâle que sa peau se confondait avec les morceaux de voile encore épargnés par les flammes. À la recherche de ce qui l'avait rendu dans cet état apathique, j'avais vu quelque chose que je souhaiterais oublier plus que tout au monde. Le corps gisant d'Issan, et sa tête non loin...
Je geignis à une coupure dans la paume de ma main, me faisant lâcher mon poignard. J'évitai un coup. Bloquée contre les bastingages, je grimpai dessus. Accrochée au cordage d'une main, en équilibre sur le navire qui tanguait de plus en plus, je m'y retenais à chaque saut pour éviter les coups de sabre meurtriers et simultanés de mes ennemis. Bientôt, Rimbel et mon père seraient présents pour m'aider. Seule, je ne pensais pas m'en sortir.
On entailla ma cheville. Non, définitivement, je devais bouger, je n'avais pas le temps d'attendre !
J'inspectai le cordage d'un coup d'œil. Je le tranchai à la base. Libéré d'un seul coup, le cordage m'emporta un mètre au-dessus. Je m'accrochai à d'autres cordages, et en puisant dans la force de mes abdominaux, je grimpai plus haut, plus loin de mes ennemis, mais plus près des flammes qui s'agitaient si proches de moi que je craignais que des flambées ne s'en prennent à mon manteau.
Je devais soutenir Malaury à tout prix. Je n'osais pas imaginer dans l'état de choc dans lequel il se trouvait. Il avait peut-être perdu en réflexes, en agilité, en tout ! Et un simple coup suffirait à le faire tomber, alors...
Le cordage sur lequel je tenais trembla. Je me retournai en brandissant ma lame qui s'entrechoqua avec une autre épée. Celle d'Avel. Il sourit :
« Raphaël est occupé avec ceux d'en bas. Je ne sais pas s'il tiendra le coup... mais je lui ai promis que j'en finirai avec toi. »
Bon sang, je n'avais pas le temps de me battre avec lui !
Je lui souris :
« Tu ne sais pas que promettre porte malheur ? Si tu veux éviter que le contraire ne se produise, laisse-moi tranquille, tu veux ? J'ai des choses à faire !
— Des choses à faire ? s'esclaffa Avel. Tu parles comme si tu n'étais pas en plein combat ! »
Un cordage enflammé se balança entre nous. Mes hommes ne parvenaient pas à contenir l'incendie. La charpente du navire prenait feu peu à peu, des morceaux de bois charbonneux s'écrasaient sur les ponts. Ma gorge se serra en constatant que La Mora s'était enfoncée de bientôt un mètre dans la mer.
Mon cœur palpitait. Dire que je ne pouvais rien faire pour sauver mon navire ! Mon premier, au nom tellement significatif à mes yeux...
Je reculai sur le cordage et me reconcentrai sur Avel : je n'étais pas obligée de me battre convenablement. Voire me battre tout court. Si je pouvais juste le faire chuter, cela me laisserait le temps de bondir jusqu'à Malaury entre les cordages et les voiles enflammées.
Oui, je devais me concentrer sur cet objectif. Je n'étais pas certaine de le vaincre à l'épée, autant m'en débarrasser autrement !
J'attrapai un cordage, resserrai mes doigts, et d'un coup de sabre, je tranchai celui sur lequel nous tenions en équilibre. Mon adversaire se retint au chanvre à temps. Les pieds dans le vide, accrochée à une main, je tentai d'infliger quelques coups à Avel qu'il repoussa avec peine. Lui comme moi n'étions pas libres de nos mouvements.
Je puisai dans mes forces pour soulever mes jambes vers le cordage afin de m'y accrocher. La tête en bas, libre de mes mains, je tentai à nouveau de repousser Avel voire de le faire tomber, mais il jouait sur la défensive et me repoussait par coups de sabre bien placés.
Je jetai un œil au-dessus de moi. Une vergue d'un des mâts, encore intacte.
Je me hissai vers le haut et attrapai le bois. Avec peine, je grimpai dessus et tranchai aussitôt le cordage auquel était accroché Avel. Il se rattrapa à la vergue à son tour. Je levai le sabre, prête à lui trancher la main, mais je manquai de tomber lorsque le navire tangua dangereusement à bâbord. Avel profita de mon déséquilibre pour se hisser sur la vergue. Je me tins debout aussitôt. Quand je perdais pied, je me rattrapais à l'un des nombreux cordages autour de moi, bien que de plus en plus dévorés par les flammes.
Une vive bouffée d'air pénétra mes poumons. Toute une flotte quittait le Repaire des Pirates pour se diriger vers le lieu de la bataille ! Kurt avait réussi à les convaincre ! D'ici quelques minutes, ils pourraient nous prêter main-forte et s'occuper des autres navires !
Je rejetai mon regard sur Avel. Concentrés et sérieux, nous bougions à pas posés et frémissants : si nous pouvions encore nous raccrocher aux cordages, ceux-là seraient bientôt réduits en cendres, comme la voile qui claquait à moins d'un mètre de nos visages.
Il fallait en finir vite.
Agressive, j'avançais à pas souples et légers en enchaînant les coups d'estoc pour espérer lui faire perdre l'équilibre. Il reculait, bientôt acculé au mât, essayant tant bien que mal de répliquer.
Il se rapprochait des flammes qui dévoraient le mât à petits pas. Confiante, je continuais d'avancer avec des coups violents et si rapides qu'il ne parvenait qu'à repousser mes assauts.
Soudain, il saisit un cordage à ses côtés et s'élança dans ma direction. Je ne parvins pas à éviter le sabre qui s'abattit sur mes côtes. Le souffle coupé, je me retournai pour prévenir son arrivée dans mon dos, mais il m'accueillit d'un coup d'épée. Je reculai, mais il parvint à enfoncer le bout de sa lame dans mon ventre. Je continuai de reculer jusqu'à réussir à me dégager de son sabre, la douleur entravant ma voix en peine.
Nauséeuse, sur le point de dégueuler, je criai lorsque la chaleur m'embrasa les hanches. Sans réfléchir, je tranchai ma ceinture et quittai mon manteau embrasé pour le balancer à la figure d'Avel qui hurla, vacilla en se débattant avec le tissu enflammé, puis chuta sur le pont, précipitant l'embrasement du bois où nos hommes se battaient.
À coups de sueurs froides, je vomis une première fois, la main pressée sur l'abdomen. Nauséeuse et affaiblie, je me recroquevillai peu à peu sur la vergue que les mouvements du navire rendaient instable. Je lâchai mon arme, les doigts crispés sur le bois pour m'empêcher de tomber dans la cohue.
Les sons faiblissaient autour de moi, je ne parvenais pas à entendre, tout se perdait. Je devais redescendre... et aider Malaury...
Comment pourrais-je dans mon état ?
La navire trembla. Je lâchai prise.
Comme une poupée de chiffon, mon corps se prit dans les cordages, ballotée de droite à gauche dans des gémissements plaintifs aux souffles coupés, sans que je ne parvienne à me rattraper à quoi que ce soit.
Je geignis à l'impact sur le pont. Sonnée, je ne bougeais plus pendant quelques instants, essayant d'oublier la douleur qui battait sous ma peau. J'inspirai profondément et ouvris un œil. Le monde tanguait. Ou bien c'était le navire ?
Le feu dévorait les planches peu à peu, sous mes yeux. Dire que c'était ma maison... celle où j'avais habité pendant plus de trois ans... Là où j'avais aimé, pleuré, ri et dansé... tout serait bientôt réduit en cendres et coulerait au fond de la mer.
Pour l'instant, les combats continuaient tout autour de moi, mais personne ne semblait avoir fait attention à ma chute.
Sauf lui.
Je croisai son regard brun à quelques mètres de moi, couché également sur le sol. Il grimaça, le visage en partie brûlé. Il attrapa son arme.
J'étendis le bras pour saisir une épée abandonnée parmi les combats. Lentement, au prix d'une douleur à chaque mouvement, je m'agenouillais. Je plantai le sabre dans le bois, et dans un soupir affaibli, je m'efforçai de me mettre debout. Je grimaçais jusqu'à en pleurer tant la blessure m'arrachait la voix à chaque seconde.
Debout, le visage marqué par la douleur, en larmes et en sang, je vacillais de droite à gauche en avançant lentement vers Avel qui parvint tout juste à se redresser. La mine marquée par la souffrance également, il se mit en garde. Son bras calciné tremblait, mais sa détermination brûlait au fond de ses prunelles.
Notre dernière danse.
La main pressée sur mon ventre ensanglanté, nous nous tournions autour sans oser nous attaquer. Je me sentais tellement faible que je craignais de ne pas avoir la force de même contrer un assaut. Peut-être qu'un seul coup suffirait à abattre l'autre.
« Regarde donc ton empire, Neven... tu perds tout.
— Pas encore ma vie. »
Et sur ces mots, je puisai dans mes dernières forces pour m'élancer, lame en avant. Avant qu'il ne puisse abattre son épée, je perçai son cœur. Il écarquilla les yeux, trembla, et s'effondra sur le pont.
Tête qui tournait, tout autour devenait flou. Je tendais la main, à la recherche d'une chose à laquelle m'accrocher avant de sombrer, mais tout brûlait et tombait en ruines autour de moi. Ma maison...
« Achevez-la ! »
Tuée sur mon navire ? Je sombrerais au moins avec lui...
« C'est bon, Malaury ! On la protège ! hurla Rimbel.
— Neven ! gronda mon père en m'attrapant le bras. Regarde-moi ! »
J'inspirais de plus en plus fort en cherchant à discerner les traits de son visage parmi les taches de couleurs informes.
« Tu vas faire un malaise ! Chérie ! Reste accrochée à moi, d'accord ? »
Je ne pus qu'acquiescer en m'agrippant à son manteau.
Qu'avez-vous pensé du combat contre Avel ?
Se termine-t-il trop vite ?
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