Chapitre 42 - Mon frère
Malaury
Je parai d'un sabre et attaquai de l'autre, mais je l'avais encore loupé. Malgré son âge, le commandant Dayag avait gardé sa souplesse et sa force. Concentré, sans même s'essouffler, il repoussait mes assauts avec une aisance déconcertante.
« Tu devrais te rappeler qui t'a enseigné ce que tu sais, Malaury. »
Je fronçai les sourcils en m'écartant, les sabres croisés.
« Vous n'étiez pas le seul, et heureusement. Votre haine délibérée envers moi... »
Il sourit :
« C'est vrai... C'est vrai que je suis allé trop loin avec toi... je le reconnais. »
Ses lèvres s'affaissèrent :
« Mais après ce qui est arrivé à Liv... C'est toi, n'est-ce pas ? Il était sur tes traces quand il est mort. »
Je me crispai, mais avouai :
« Il y a eu un quiproquo entre nous. »
Je tranchai la gorge d'un homme qui avait tenté de me sauter dessus.
« Nous nous sommes battus. Nous n'aurions pas dû. Je regrette sa mort. »
L'homme soupira :
« C'est bien beau de t'excuser après l'avoir tué... ça ne réparera pas ta faute. Ni aucune d'entre elles... Déserteur, pirate, meurtrier...
— Et vous ? repris-je avec une vivacité nouvelle en croisant l'acier. Vous vous êtes acharné sur moi ! Vous y avez même mêlé mon petit frère ! Il en est mort ! »
J'entaillai sa main droite. Ses yeux noirs s'obscurcirent :
« Tu ne t'es jamais remis en question depuis ce jour-là ? Tu avais un travail à faire et tu as déserté !
— Mon frère n'aurait jamais commis une chose pareille !
— Qui sait ? »
Je fis dévier sa lame pour abattre la mienne sur son bras. Il se dégagea avant que je ne puisse le trancher.
« Je connaissais mon frère ! »
Mes doigts se resserrèrent sur le manche et je m'avançai avec la pulsion d'enchaîner mes coups...
Sueurs froides.
Je devais me calmer. Rester concentré.
Si je fonçais tête baissée, je risquais de perdre l'ascendant que je prenais peu à peu. Une erreur était fatale en combat, je le savais mieux que quiconque.
Je jetai un œil vers Neven, au loin. Dos à moi, elle repoussait férocement les assauts d'Avel et d'un blond qui m'était vaguement familier. Alaric et Rimbel se couvraient en progressant vers le pont supérieur où se trouvait la capitaine pour lui prêter main forte. Une fois bien entourée, je pourrais me concentrer sur mon combat sereinement.
« C'est vrai, cette rumeur ?
— Quelle rumeur ?
— Que tu te tapes ta propre capitaine. »
Je me contentai de le regarder de travers : il cherchait à me déstabiliser. Je savais ce qui se racontait dans tout l'Archipel, mais au fur et à mesure des mois, Neven et moi n'avions plus nié notre relation aux yeux du monde. Chacun croyait ce qu'il voulait : une union purement sexuelle, une couverture, une façon de monter en grades... mais moi, je savais quelle était la véritable nature de notre relation. Je ne devais pas être déstabilisé par une énième rumeur grotesque.
Tout en continuant mes joutes avec le commandant, je surveillais l'état du navire. Il était en train de couler. J'ignorais si Neven l'avait remarqué aussi, mais nos hommes peinaient à réparer les dégâts infligés par la « poudre du dragon ». À ce rythme, il faudrait peut-être abandonner La Mora avant de sombrer avec elle.
Un glapissement me tira de mes réflexions. Je m'écartai du commandant pour trancher le bras de celui qui avait planté son épée dans la main d'Issan.
« Tu vas bien ? Reprends-toi ! Vite ! »
Sonné, pâle, il resserra ses doigts sur sa lame et s'écarta près de moi. Il changea de main.
« Tout va bien ! m'assura-t-il en se postant à ma droite. »
Non, sinon tu ne craindrais pas pour ta vie comme tu le montres en te rapprochant de moi.
« Au moindre souci, tu me préviens, je m'en occupe ! D'accord ? Limite tes coups !
— Oui ! »
Je détournai les yeux vers le commandant. J'espérais qu'Issan ne resterait pas trop dans mes pattes non plus : je ne pouvais pas le protéger tout en m'occupant de cet ennemi. Vivement que j'en finisse pour retrouver Neven.
Je tranchai le bras d'un autre qui avait tenté de me sauter à la gorge sans détourner mon attention du commandant. Sérieux, je mesurais mes pas, mes coups, au centimètre près, pour me rapprocher. Manqué.
Je m'autorisai un regard vers le Repaire des Pirates. Kurt venait de franchir ses murailles. Nous comptions tous sur lui pour ramener des renforts : la flotte ennemie s'approchait peu à peu, prête à nous prendre en tenailles. Koda et Nesly ne parviendraient pas à contenir la quinzaine de navires qui nous faisaient face. Nous avions besoin des autres pirates.
Je m'écartai près d'Issan qui s'était mis en garde face au commandant, mais il n'avait pas le niveau pour se battre contre lui.
« Ne tente rien, Issan ! Contente-toi de te défendre !
— Mais...
— Fais-moi confiance ! »
Cet homme m'avait pris mon frère de sang... je ne lui laisserai pas mon frère de cœur.
Je devais en finir au plus vite.
Sur le point de m'avancer, je me crispai au cri de Neven. Une épée dans le bras qu'elle repoussa avec peine.
« Tiens le coup ! hurlai-je par-dessus la cohue. J'arrive ! On arrive ! »
Je gémis à mon tour, entaillé à la gorge. Elle me jeta un regard.
« Concentre-toi sur ton combat ! »
Elle évita l'épée d'Avel de justesse. Tendu, inquiet, je ne parvenais pas à me concentrer sur le commandant. Je ne cessais de regarder au-delà, de poser mes yeux sur la femme que j'aimais en train de se démener pour survivre aux assauts meurtriers de ses opposants. Comme j'aimerais lui venir en aide pour que nous les repoussions ensemble !
Je jaugeai la progression d'Alaric et Rimbel. Ils étaient en train de grimper, et le père faisait face à un problème de taille : un seul bras pour grimper à l'échelle était complexe. Alors, tout en bataillant d'une main, Rimbel se penchait vers son compagnon pour le hisser vers lui.
Je gémis : une longue éraflure brûlait mon avant-bras.
« Peut-être que c'est plus que te la taper, oui... j'ai entendu ce genre de rumeurs aussi. »
Je tentai de me calmer, de me concentrer sur le commandant, mais mes yeux ne cessaient de filer plus loin, là où son manteau écarlate dansait entre les lames, de plus en plus acculé contre les bastingages.
« Neven, à ta gauche ! hurlai-je. »
Elle sauta sur le côté, lui évitant de perdre sa jambe. Alaric gravit enfin les échelons. La pression sur mes épaules s'allégea avant de retomber sur mon dos comme une ancre chutait dans les abysses. Mes yeux dévièrent sur le commandant au sabre dressé à ma droite. Protecteur, je m'élançai devant Issan pour le protéger, mais le commandant abattait déjà son arme latéralement.
Il cria. Je hurlai.
Et le bruit s'évanouit autour de nous.
Sous mes yeux, la lame impuissante à la main, je ne pus que suivre ce spectacle terrifiant.
Issan me regarda. Terrorisé. Mais apaisé de croiser mes yeux. Il ouvrit la bouche. Mais sa tête s'écrasa sur le sol, suivi par son corps tendu par la terreur de la mort.
Ces cheveux blonds dans cette flaque d sang... ça ne pouvait pas être lui...
Ce n'était pas possible...
Pas aussi violemment.
En quelques instants.
Quelques instants où j'avais regardé ailleurs.
Ma faute.
Avais-je manqué à mon devoir ?
Je n'avais pas pu... le protéger ?
Mes bras tremblaient.
Non, non, non !
Issan...
Je dus plisser les yeux pour regarder son visage innocent marqué par la douleur à travers mes larmes.
Il n'avait pas mérité ce sort !
Il espérait juste survivre à mes côtés.
Et moi, je n'avais pas su le protéger...
Mon frère...
Mon frère.
On m'avait pris... mon frère. Encore une fois. Par la même personne.
« Malo ! »
Comme un corps sans âme, je réagis à la voix de Neven et je m'écartai d'un pas, évitant un coup de sabre mortel. Je me sentais sans vie.
Je croisai le regard narquois du commandant. Il m'avait encore pris quelqu'un. Je m'assurerai que ce soit le dernier.
Les larmes se remirent à couler. Je ne parvenais pas à les endiguer, comme d'habitude. Ma poitrine semblait percée de mille et un pieux, enfoncés profondément dans mon cœur qui palpitait avec peine. Je n'arrivais plus à respirer, j'étouffais dans mes sanglots, mais je devais tenir le coup, plus encore maintenant.
J'avais failli une énième fois à protéger ceux que j'aimais.
Il ne me restait plus que Neven.
L'unique dont je désirais prendre soin plus que tout au monde.
Si je ne voulais pas la perdre comme tous les autres... je devais être impitoyable et sanguinaire jusqu'à me tenir auprès de ma bien-aimée.
Je pleurerai plus tard pour mon frère de cœur.
Je me détesterai plus tard pour mon incompétence.
Désormais, au péril de ma vie... je devais protéger Neven.
D'une voix venue tout droit des profondeurs des abysses, je murmurai :
« Profite de tes derniers instants parmi les vivants. »
Désolée......
Vous avez pas trop mal...?
... :(
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