Chapitre 37 - Supposons
J'eus du mal à me reposer à cause de cet étrange cauchemar. Le scénario était tellement plausible qu'il m'effrayait. Tous les mots me revenaient sans cesse.
Était-ce une réelle mise en garde ?
M'indiquait-on de couper net l'ordre de ce massacre ?
Je refusais que l'on m'arrache la piraterie.
Nous étions peut-être vraiment en sécurité, à présent.
Je n'étais pas totalement rassurée... mais Malaury avait raison : nous serions capables de nous défendre, non ?
En début de matinée, je sortis sur le pont et interpellai mes hommes. Leur visage était crispé, comme dans mon cauchemar. Cela renforça mon appréhension : continuer dans la même voie ne me serait pas favorable.
Debout sur mon tonneau, je déclarai :
« Je vous ai annoncé il y a quelques jours que nous allions retrouver toutes les planques d'Augustin en commençant par Delicor... c'est annulé. Toute l'opération est annulée. Nous restons à quai quelques semaines pour un repos bien mérité ainsi que pour recruter. »
Toutes les têtes furent soulagées. Certains se mirent à festoyer en dansant sur le pont, m'arrachant un rire. Surtout, Malaury me regardait avec une profonde tendresse, le sourire doux marqué sur les lèvres. Je repris avec un filament de détermination :
« Nous reprendrons nos activités habituelles ensuite : la couronne du Roi n'existe pas, ce qui signifie que je suis à nouveau en tête pour le titre de Souverain ! Nous allons nous concentrer sur cet objectif pour les six mois à venir ! »
Des « Hourra ! Vive la capitaine ! » criés de toutes parts. Oui, je devais me reconcentrer sur mon objectif. J'avais tant perdu en voulant trouver cette maudite couronne... alors, je devais au moins honorer la mémoire de ceux qui avaient péri au cours de ma quête. Je devais au moins obtenir ce titre qui avait tant fait saigner autour de moi.
Plus tard, Malaury vint dans ma cabine pour me prendre les mains :
« Merci, Neven. Je croyais que je te perdais pour de bon... »
Je baissai l'œil :
« C'était fou de ma part, je sais... Désolée de t'avoir fait peur... Je vais me reprendre à présent. »
Il enveloppa tendrement mon visage :
« Je suis rassuré. Tu ne sais pas à quel point j'avais besoin de te retrouver. Tu me manquais.
— Moi aussi, je me manquais. »
Une semaine plus tard, Malaury me proposa une balade en fin d'après-midi. Nous marchions côte à côte, pieds nus dans le sable, sous les reflets orangés du coucher de soleil.
« On ne te dérange pas trop ? demanda-t-il.
— À quel propos ?
— La sirène que tu as rencontrée. »
J'esquissai un sourire :
« Ils se sont calmés depuis ton intervention, mais c'est bien. Tout l'Archipel parle de moi. Ça essuie notre presque pendaison à Isda... et la fracture au sein de la flotte avec Augustin.
— D'ailleurs, est-ce qu'on forme un nouveau capitaine ? »
Je haussai les épaules :
« Je ne veux pas répéter l'histoire, alors quelqu'un digne de confiance seulement, et il y en a peu... »
Il attrapa doucement ma main :
« Si besoin... »
Je fronçai les sourcils :
« Non, je te garde avec moi sur le navire. Tu es trop important, soufflai-je en glissant mes doigts entre les siens. »
Il me sourit :
« Je l'aurais fait au besoin, mais je suis content de pouvoir rester avec toi.
— Moi aussi.
— Et ça va ? Tu n'es pas trop perturbée par le fait qu'on se prenne la main ?
— Je m'y habitue. C'était compliqué au début... mais je ne veux plus cacher mon amour pour toi. Je me suis rendu compte qu'encore beaucoup de choses régissaient ma vie, comme mon rapport à mon image. Je me pensais libérée de tout ça... mais il faut croire que c'est plus complexe que ce que je croyais, de prendre de la hauteur sur l'influence qu'a la société sur nous. »
Il hocha la tête. Il me fit marcher près du bord embrassé par les vagues ensoleillées, et il me proposa de nous asseoir. Installée contre son torse chaud, je me laissais bercer par ses caresses sur mes bras. Je me sentais légère, un semblant apaisé. J'avais l'impression qu'avec Malaury à mes côtés, tout allait mieux et tout ne pouvait qu'aller mieux. Il était comme une brise qui rafraîchissait ma peau lors des journées chaudes et humides d'été. Notre bouffée d'air, celle dont on avait besoin et dont on ne voulait plus jamais manquer. Oui, je ne voulais plus jamais être séparée de Malaury. Nous avions encore tant à vivre ensemble...
« C'est drôle de profiter de la vie et de l'amour comme ça...
— Tu trouves ?
— Je ne me suis jamais autorisée ce genre de détente... et ça fait du bien, de juste se reposer contre celui qu'on aime. »
Il baisa mon front :
« Après tout ce qui nous est arrivé, je profite encore plus de ce genre de moments...
— Moi aussi... »
Nous étions de plus en plus sur la même longueur d'onde ; ces derniers mois nous avaient particulièrement rapprochés. Je crois que je m'étais rendu compte d'à quel point la vie était fragile, et d'à quel point je ne voulais plus perdre qui que ce soit. Un peu comme lui, finalement.
Le soleil plongeait peu à peu dans l'océan, laissant les brises marines nous cajoler dans l'obscurité croissante.
« J'aurais aimé que Mora soit là... elle adorait les couchers de soleil... »
Un rayon s'éteignit dans mon œil larmoyant. Je me recroquevillai contre son torse.
« Je suis sûr qu'elle les regarde de là où elle est... tu as encore senti ces gouttes dans ton cou ?
— Non... et toi, d'ailleurs... tu en as déjà senti ?
— Une fois. J'avais piqué une petite crise de nerfs... je me suis isolé et j'ai senti de l'eau. Maintenant que je sais ce qui est arrivé à Célestin... je me demande si ce n'était pas lui qui essayait de me réconforter. Il était déjà mort à ce moment-là. Enfin... peut-être que j'ai juste halluciné.
— Qui sait ? soufflai-je en fermant l'œil. »
En imaginant leur visage souriant, quelques larmes coulèrent sur mes joues. Je ne m'habituerais jamais à leur absence.
« Pourquoi tu voulais qu'on se balade ? murmurai-je en séchant mon visage.
— Juste comme ça, sourit-il avant d'embrasser mon front. On rentre ? »
Je hochai la tête.
Remontés sur le navire, Malaury me tira vers l'écoutille :
« Viens, on va manger un bout au réfectoire.
— Mais pour l'instant je n'ai pas...
— Viens, insista-t-il avec un sourire tendre. »
Je le suivis dans les coursives étrangement vides. Je fronçai les sourcils, mais je continuai de me laisser guider par la main chaude et rassurante de Malaury. La porte bancale du réfectoire était close. Pas de lumière derrière. Mon amour me fit signe de passer la première.
Lorsque je poussai la porte, des éclats de voix percèrent les ténèbres :
« Vive la capitaine ! »
Des lanternes s'allumèrent. Elles illuminaient les tables couvertes de plats variés, entourés par mes hommes. Un grand gâteau crémeux décoré de pommes était posé au centre.
Je me tournai vers Malaury, l'œil écarquillé, sans parvenir à parler.
« C'est une surprise pour toi. Ces dernières semaines ont été compliquées, alors on voulait te faire une petite fête. Tu le mérites. »
Pour moi ?
Dire que ces dernières semaines, j'avais eu l'impression de ne plus exister... De n'être ni capitaine ni amante ni sœur ni Neven. D'avoir perdu toute mon identité et les couches qui étaient accrochées à mon masque brisé à la mort de Mora.
Les larmes aux yeux, je me retournai vers l'équipage souriant.
« Merci... vous êtes incroyables... merci... »
Émue, les larmes coulaient lentement le long de mes joues. Je ne parvenais pas à les arrêter. Je n'étais pas sûre de le vouloir.
Je serrai chaque homme dans mes bras, un à un. Ensuite, nous portâmes un verre à nos lèvres, mais plutôt qu'un vrai discours, je ne parvins qu'à les remercier à nouveau en les félicitant pour leur courage de ces derniers mois. Nous honorâmes la mémoire de ceux qui avaient péri pour nous, comme Borg, Célestin et Mora. Je n'avais pas pu parler, j'avais seulement pleuré une nouvelle fois, accrochée à l'amour de Malaury.
Plus tard dans la soirée, un peu alcoolisée, j'avais du mal à grimper les barreaux de l'échelle de corde, mais Malaury m'aida à remonter sur le pont.
« J'ai encore une surprise pour toi.
— Encore ? »
Il me sourit et me porta sur son dos avec délicatesse. Il m'emmena à la poupe, vide, près des bastingages, puis me laissa glisser sur le bois. Il posa ensuite un genou au sol et me prit les mains, les yeux brillants :
« Ma Neven, mon trésor, ma petite pirate. Je voulais te faire une demande digne de ce que tu mérites, et la voilà. Notre relation a été mouvementée du début jusqu'à maintenant. Nous nous sommes rencontrés juste avant notre première offense ; plus tard, tu m'as fait confiance pour te seconder, et je t'en remercie. Notre vie a été valsée par les combats, la mort et la mer, mais aussi par la bonne humeur, le rire et la joie. Quand nous avons commencé à nous rapprocher, notre relation s'est complexifiée dans l'amour tout en étant tiraillée par les doutes. Deux années sont passées dans l'incertitude... »
Il me fixa avec une pointe d'amusement. Je levai l'œil au ciel, le sourire aux lèvres.
« Mais patienter valait le coup. Si c'était à refaire, je le referais des milliards de fois. »
Mon cœur battait plus vite, plus fort.
« J'ai la chance d'aimer et d'être aimé d'une femme incroyable, même si ces dernières semaines ont été plus compliquées entre nous. J'ai été détruit de te voir autant brisée sans pouvoir t'approcher. Détruit de ne pas avoir pu prendre soin de toi quand tu en avais le plus besoin. Détruit de ne pas t'avoir aimée alors que j'aurais voulu apaiser tes souffrances avec mon amour. »
Il caressa mes mains du bout de ses doigts abîmés par les combats :
« Je suis tellement heureux de te voir prendre pied, même un peu. Je sais que ce ne sera pas toujours facile, et c'est normal. Mais je tiens à ce que tu saches que je serai là pour toi quelles que soient les épreuves que tu traverseras. Je réitère ce que je t'ai dit il y a quelques mois : je t'aime plus que tout au monde. Je traverserais les mers, les cieux, les terres et les abysses pour toi. Je ferais tout pour toi. Absolument tout. N'oublie jamais ça. N'en doute jamais. »
Mon œil se plissa de tendresse : comme je l'aimais.
« Alors, Neven... veux-tu m'épouser ? »
Je le tirai doucement vers moi pour qu'il se relève :
« Bien sûr, Malo. »
J'emmenai son visage jusqu'à mes lèvres. Notre baiser fut doux et puissant à la fois. Empreint d'une profonde tendresse et d'un lien imbrisable. Un lien qui s'était forgé au fil du temps et des épreuves, et qui n'avait jamais cédé. Même lorsqu'il était indiscernable, il avait toujours été présent.
Je posai ensuite ma tête contre son torse qui se soulevait avec lenteur. Son cœur qui battait sous ses muscles m'apaisait, comme une berceuse dont je ne pourrais jamais me lasser.
« Je t'aime tellement... murmurai-je.
— Moi aussi. »
Quelques minutes plus tard dans le silence de la nuit, il me proposa de rentrer nous reposer. Il s'installa sur notre matelas et tendit les bras vers moi. Je m'accrochai à son cou et m'assis à califourchon sur ses cuisses.
« J'ai une dernière surprise pour toi. »
Je fronçai les sourcils : qu'était-ce ? Il me gâtait !
Il caressa mes joues, le regard mielleux :
« Je me suis renseigné au Repaire et on m'a donné le nom de quelqu'un. »
Je haussai un sourcil curieux en penchant la tête sur le côté : parle !
« Quelqu'un d'extrêmement doué dans un art précis...
— Quel art ? »
Il me sourit, malicieux. Je l'embrassai et quémandai :
« Allez, dis-moi, je suis curieuse !
— Extrêmement doué en tant qu'artisan matelassier.
— Hein ? »
Il éclata de rire :
« Pardon, chérie. Tu es adorable. C'est quelqu'un qui crée les sommiers et matelas. Je sais où cet homme habite, on pourrait y faire un tour pour qu'il construise notre nid. Qu'est-ce que tu en dis ? »
J'écarquillai l'œil, surprise et heureuse. Je l'embrassai : j'appréciais tellement avancer avec lui. Je me sentais tellement aimée et rassurée par chaque pas qu'il entamait pour nous faire avancer et m'offrir autant d'amour que possible. L'homme de ma vie, c'était définitivement lui.
« Je suppose que c'est oui, conclut Malaury avec un sourire amoureux.
— Tu supposes bien.
— Et peut-on supposer que l'on pourrait se marier d'ici quelques mois, avant le titre de Souverain ?
— Tu supposes extrêmement bien.
— Sans doute car je suppose que je t'aime.
— Je crois que j'adore tes suppositions. »
Je me pose juste une question !
Donc grosomodo : Neven veut être à nouveau violente, mais elle fait un cauchemar qui lui suggère que c'est une mauvaise idée... et on évite le drame.
Mais je ne sais pas si tout ce passage est vraiment nécessaire pour l'histoire ? Ça me semblait intéressant pour creuser le fait que sans la piraterie, Neven n'est rien... mais c'est tout.
Est-ce qu'il faudrait que Neven ne veuille pas à nouveau être violente pour directement arriver au chapitre du Supposons ? Je ne sais pas si en tant que lecteur, ce passage vous a vraiment apporté quelque chose /: . Vous le verrez un peu après, mais là on a 2/3 chapitres tranquilles, et on repart à la charge ensuite.
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